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Les révolutions paysannes de Chine

30 septembre 2013, 07:44

Les Chroniques des Trois Royaumes rapportent :

« Les novices sont appelés soldats-démons, koueitsou. Ceux qui sont initiés au Tao et qui ont la foi sont nommés Préposés aux libations tsitseou. Chacun dirigeait un groupe organisé. Tous enseignaient qu’il faut être de bonne foi, confiant, non trompeur. Les Préposés tenaient les « auberges d’équité » dans lesquelles ils disposaient le riz et suspendaient la viande dite d’équité. Les voyageurs pouvaient se restaurer selon leur faim. S’ils abusaient, les Esprits du Tao les frappaient aussitôt de maladie. Il n’y avait pas de prisons : ceux qui avaient commis une faute mineure s’employaient à la réfection de cent pas de route et par là la faute était absoute. Ceux qui avaient commis des fautes graves, s’ils récidivaient trois fois, étaient exécutés. Il n’y avaient plus de fonctionnaires : toute « l’administration » était l’affaire des Préposés aux libations. Le peuple (chinois) et les aborigènes étaient très satisfaits du régime.

Un autre ouvrage, le Tienlo, précise que les Préposés aux libations ne s’occupaient pas seulement des auberges d’équité et du bien-être matériel du peuple, mais aidaient aussi les adeptes à la connaissance du livre canonique de cinq mille mots, le Laotseu (Taoteking).

La communauté des Cinq boisseaux de riz a duré trente ans. Elle disparaîtra dans les guerres marquant la fin de la dynastie des Seconds Han en 220 et la formation des Trois Royaumes (220-280).

Vers la fin du Xe jusqu’au début du XIIe, les mots d’ordre de l’anarchie utopiste taoïste inspireront encore maints soulèvements de la plèbe paysanne.

En 1120, dans le Zhejiang, les réquisitions pour la construction du Palais impérial ont provoqué une brève insurrection, dirigée par une société secrète bouddhique dans la lignée de l’esprit subversif taoïste. Les insurgés, mal armés, strictement végétariens et qui rendaient un culte aux démons, massacrent riches, fonctionnaires et notables. Quand leur chef fut capturé après un an de combat, ils échappèrent à la répression par des suicides collectifs. Dix ans plus tard, en 1130 - dans la tradition taoïste des Cinq boisseaux de riz du IIe siècle -, se déclencha le soulèvement paysan, dans la région du lac Dongting, au Sud du Hounan. Les exactions des fonctionnaires, les pillages d’une armée mi-officielle mi-privée, avaient poussé à bout les paysans, dont la plupart étaient gagnés à la secte taoïste animée par Tchong Xiang. Le patriarche, magicien et chef de guerre, déclara « scélérates les lois des Song (dynastie régnante) » et proclama le fameux « niveler nobles et vilains ; égaliser riches et pauvres ». Les insurgés firent table rase des signes de l’ordre ancien, ils « incendièrent les bâtiments administratifs, les citadelles et les marchés, les pagodes et les temples, les maisons des puissants brigands, ils massacrèrent les fonctionnaires, sans épargner les lettrés jou, moines, guérisseurs, devins… », c’est-à-dire tous ceux qui leur paraissent vivre sans travailler, sans peiner pour avoir leur riz. Tchong Xiang tomba au trente-cinquième jour de l’insurrection. Ses disciples continuèrent la lutte avec plus de 400 000 fidèles, qui ébranlèrent dix-neuf districts jusqu’en 1134 avant d’être tous massacrés.

À la même époque, les soulèvements de paysans déclenchés par les sociétés secrètes bouddhiques, Lotus blanc (Bailian), Nuage blanc (Baiyun), et d’autres mouvements contre l’impôt et les corvées, dans l’attente de l’arrivée d’un Bouddha-messie. Du 14ème au 18ème siècle, d’innombrables rébellions paysannes n’ont cessé d’ébranler le pouvoir et les classes possédantes. Les Turbans rouges (Hongjin) dans les années 1340, par leur alliance avec une autre formation d’insurgés sous la conduite d’un moine … ont contribué à l’avènement de ce dernier comme empereur fondateur de la dynastie des Ming en 1368. Signalons un événement remarquable en 1448-1449 : les insurgés paysans s’allient aux ouvriers des mines d’argent en révolte dans la région frontière du Zhejiang et du Fukien durant la grande rébellion menée par Dong Maotsi. La répression impériale a fait un million et demi de morts. Vers 1636, un ancien gardien de moutons, Li Zicheng s’appuyant sur les petits propriétaires ruinés et des lettrés pauvres parvint à occuper toute la Chine du Nord et se proclama empereur à Xian. Il finit par être tué par des paysans. Un ancien soldat, Zhang Xianzhong, à la tête de la plèbe, fait massacrer les riches propriétaires, les notables et les fonctionnaires impériaux, libère tous les esclaves pour dettes et s’octroie le titre de roi à Chengdu. Il tombe au combat en 1646, après s’être rendu maître de la vallée du Fleuve Bleu et du Seuchuan deux ans durant. Sous le dernier règne des Mandchous, les grandes insurrections des miséreux regroupés dans la société secrète du Lotus blanc éclatèrent dans les années 1780 et ne s’éteindront qu’en 1803.

Une grande insurrection explose aux environs de 1851, préparée par l’implantation de ces sociétés secrètes de tendance révolutionnaire. La tendance égalitariste et communautaire qui avait, - dans un contexte historique différent - inspiré le grand soulèvement des Turbans jaunes et des Cinq boisseaux de riz au IIe siècle reprend vie dans la rébellion des Taiping (Grande Paix), adeptes de l’Association des adorateurs de Dieu (Baishangtihui). Les Taiping se signalent par leur chevelure et l’abandon de la natte, imposée par le pouvoir mandchoue - on les appelle aussi « les bandits aux longs cheveux ». Ils procèdent à la confiscation et au partage des terres. Ils instituent un régime communautaire, où personne ne possède de bien en propre et où les besoins de chacun sont assurés par la collectivité. Le mouvement vise à l’égalité absolue des hommes et des femmes au travail et à la guerre. Il condamne la pratique du bandage des pieds des fillettes. Mais les réformes ne parvinrent pas à dépasser le stade de réalisation de détail, le mouvement dégénéra en régime de pure terreur et dura jusqu’en 1864. Vaincus, nombre d’entre eux s’exileront au Vietnam, où sous le nom de Pavillons noirs, ils participeront activement à la résistance contre l’invasion française.

Qu’en est-il maintenant des rêves de ceux qui voulaient s’élancer à l’assaut du ciel ? Ce passage de relais invisible d’espoirs et de défaites qui semblait relier tant de luttes sous le signe de la communauté idéale est-il définitivement interrompu avec la marchandisation de plus en plus effrénée des relations humaines ? Au moins peut-on se familiariser avec ces visions du passé pour enrichir l’imagination d’un autre avenir.

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