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Une manifestation massive est-elle toujours un succès ?

jeudi 28 octobre 2010

Le 14 juillet 1935 eut lieu à Paris une grande manifestation « une fête populaire de la République et le rassemblement de tous les citoyens pour la défense des libertés démocratiques, du pain des travailleurs et de la paix », à l’appel d’un comité comprenant une centaine d’organisations.

Suite au succès de cette manifestation, ce comité se constitua en Comité national de rassemblement populaire, il rédigea le programme électoral du Front Populaire pour les élections législatives de 1936, qui aboutit au gouvernement de Léon Blum en juin 36.

La manifestation réunit entre 500 000 et 100 000 personnes, selon les organisateurs ou la police. Etait-ce un succès ? oui et non. La classe ouvrière montrait sa force tranquille, résolue, imposante face à la montée du fascisme en France.

La classe ouvrière manifeste, mais pas en tant que classe, car elle prête serment à tout ce qui est destructeur de sa conscience de classe.

Ce type de succès est donc contradictoire, empoisonné. Les travailleurs commencent à se sentir plus fort, alors qu’en fait leur conscience de classe s’affaiblit. Les soi-disant succès que sont les manifs actuelles contre la réforme des retraites font penser à cette période qui précéda la grève générale de 1936, qui fut une révolution manquée.

L’article suivant, écrit par des militants de la gauche communiste au lendemain de la manif, a le mérite d’aller à contre-courant. Au lieu de flatter les ouvriers, il les met en garde : travailleurs : vous prêtez serment à vos ennemis mortels !

Original sur le site Smolny http://www.collectif-smolny.org/article.php3?id_article=1168

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C’est sous le signe d’imposantes manifestations de masses que le prolétariat français se dissout au sein du régime capitaliste. Malgré les milliers et les milliers d’ouvriers défilant dans les rues de Paris, on peut affirmer que pas plus en France qu’en Allemagne ne subsiste une classe prolétarienne luttant pour ses objectifs historiques propres. À ce sujet, le 14 juillet marque un moment décisif dans le processus de désagrégation du prolétariat et dans la reconstitution de l’unité sacro-sainte de la Nation capitaliste. Ce fut vraiment une fête nationale, une réconciliation officielle des classes antagonistes, des exploiteurs et des exploités ; ce fut le triomphe du républicanisme intégral que la bourgeoisie, loin d’entraver par des services d’ordre vexatoires, laissa se dérouler en apothéose. Les ouvriers ont donc toléré le drapeau tricolore de leur impérialisme, chanté la « Marseillaise » et même applaudi les Daladier, Cot et autres ministres capitalistes qui avec Blum et Cachin ont solennellement juré « de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et la paix au monde » ou, en d’autres termes, du plomb, des casernes et la guerre impérialiste pour tous.

Il n’y a pas à dire, les événements vont vite. Depuis la déclaration de Staline, la situation s’est rapidement clarifiée. Les ouvriers ont désormais une patrie à défendre, ils reconquis leur place dans la Nation et, désormais, ils admettent que toutes les proclamations révolutionnaires concernant l’incompatibilité entre l’Internationale et la « Marseillaise », la révolution communiste et la Nation capitaliste, ne sont que des phrases que la révolution d’Octobre a lancées vainement, puisque Staline en a montré l’insuffisance.

Il serait profondément stupide d’affirmer que la comédie du 14 juillet a quelque chose à voir avec la soi-disant défense de l’U.R.S.S. Avant tout, les ouvriers français ont salué le drapeau de leur capitalisme propre, se sont liés jusqu’à la guerre à ce dernier, abstraction faite des vicissitudes de ses alliances. Qu’importe en effet à la Russie si les prolétaires reconnaissent avoir une patrie, si pour la maintenir sur ses pieds démocratiques ils renient leur idéal de classe, fraternisent avec les radicaux-socialistes et, comme l’écrivit Herriot, découvrent le 14 juillet. Ainsi se confirme ce que nous disions au sujet de la déclaration de Staline : les nécessités de la défense de l’U.R.S.S. signifient aujourd’hui dissoudre les prolétariats des pays démocratiques au sein de leur propre capitalisme allié à la Russie, car la préparation de la guerre impérialiste ne peut s’effectuer que sur la disparition de toute activité autonome de la classe ouvrière. Le point essentiel de la situation n’est donc pas le maintien du pacte franco-russe, mais l’étranglement du prolétariat dans tous les pays. C’était là la signification de l’approbation de la défense nationale de la France par Staline au nom de l’État soviétique qui ne fut ici que l’instrument d’envergure employé par le capitalisme contre le prolétariat international. D’ailleurs, le 14 juillet allait apporter une confirmation éclatante à notre opinion. Il n’était plus question de Staline, de la défense du socialisme en un seul pays en Russie, mais des traditions de 93, de la liberté, de la conservation de la Nation aux ouvriers, de la constitution d’une digue inébranlable contre le danger fasciste menaçant la République. C’est aussi pourquoi après la déclaration de Staline, le front populaire put envisager son expansion non point seulement vers l’unité organique - qui n’a, au fond, qu’une importance très secondaire - mais vers la constitution d’un « Rassemblement Populaire » englobant les radicaux-socialistes de gauche et qui organisa le défilé du 14 juillet. Centristes et socialistes ont évidemment présenté cette évolution comme la conséquence du développement du fascisme, comme un résultat de la compréhension par Daladier et Cie de la nécessité de défendre la république contre les « trublions de droite », alors que seule cette république pouvait être un allié fidèle à la Russie, bastion de la paix. Une fois ces notions acceptées par les masses privées de tout guide, la République démocratique passait au premier plan comme une institution sacrée ; Blum pouvait élaborer un programme gouvernemental du front populaire en trois épisodes : exercice, occupation et conquête du pouvoir, dont il ressortirait clairement que socialistes et centristes se mettaient à la disposition du capitalisme en cas de passe dangereuse (peut-être la dévaluation) alors que le P.C. pouvait envisager le soutien d’un gouvernement de gauche, la participation à un gouvernement d’Union Sacrée.

Le 14 juillet vint donc comme une apothéose finale du dévouement prolétarien à la république démocratique. C’est l’exemple des militants communistes et socialistes qui détermina les ouvriers - hésitant à juste titre - d’entonner la Marseillaise. Quel spectacle inoubliable, écrira le « Populaire » ; quel triomphe ajoutera l’« Humanité ». Et les uns comme les autres feront intervenir le « vieil ouvrier » classique qui, « en pleurant », exprimera sa joie de voir l’hymne de ses exploiteurs, des bourreaux de Juin, des assassins des communards, des civilisateurs du Maroc et de la guerre de 1914, redevenir prolétarien. Duclos, dans son discours, dira qu’en saluant le drapeau tricolore, les ouvriers saluent le passé « révolutionnaire » de la France, mais que leur drapeau rouge représente le futur. Mais ce passé se continue dans le présent, c’est-à-dire dans l’exploitation féroce des ouvriers, dans les guerres de rapine du capitalisme jetant au massacre des générations entières de prolétaires. En 1848 également, la bourgeoisie essaya de ressusciter le passé, les traditions de 93, les principes de Liberté, Égalité, Fraternité, pour voiler les contrastes présents des classes : la tuerie de juin fut la conséquence des illusions prolétariennes. Le centrisme et ses acolytes du « Rassemblement populaire » préparent donc directement les massacres de la guerre d’où rejailliront les antagonismes de classes que l’on étouffe actuellement.

Car il est évident que le prolétariat français, en participant aux manifestations du 14 juillet, a subi une défaite aussi profonde, si pas plus, que les ouvriers italiens ou allemands matraqués par les fascistes entraînés par la violence dans le giron des forces nationalistes. Les forces vives de ces prolétariats se reconstitueront plus facilement que celles des ouvriers français corrompus par la démocratie bourgeoise et entraînés par le centrisme se prévalant de l’État prolétarien, par la social-démocratie vers la guerre impérialiste.

Si dans d’autres pays il a fallu faire intervenir d’abord le fascisme pour arriver à détruire toutes les organisations ouvrières, enlever toute possibilité de regroupement des ouvriers, et créer ensuite une unité idéologique au sein de la Nation, la France prouve les énormes possibilités que l’intervention corruptrice de la Russie a donné à un capitalisme bénéficiaire de la dernière guerre et arrivant, par des voies légales et démocratiques, par le rehaussement de la fonction de ses agents centristes et socialistes, au même résultat que le fascisme : déterminer simultanément la dissolution de la classe révolutionnaire et son regroupement autour du drapeau de la lutte inter-États.

La plate-forme choisie par le capitalisme pour sa « fraternisation » avec le prolétariat le 14 juillet est à tout point caractéristique. Il s’agit de glorifier l’expulsion des tentatives prolétariennes du cours des révolutions bourgeoises, de mettre en évidence, non les antagonismes de classes entre prolétariat et bourgeoisie que les révolutions bourgeoises mirent à l’avant-plan, mais la lutte commune qui se vérifia contre la Bastille, symbole de la tyrannie féodale, de transposer cette lutte dans la société capitaliste hautement développée avec ses conflits de classes aigus. Concrètement, cela signifiera un 14 juillet où le matin défile l’armée française, rempart construit sur la chute de la Bastille, et l’après-midi : d’une part, les Croix de Feu fêtant une république autoritaire ; d’autre part le « Rassemblement populaire » voulant défendre la république démocratique. Mais tous peuvent désormais se retrouver autour de la vieille Bastille de 89 [1], autour de la victoire de la bourgeoisie, du maintien de son régime de classe.

Et, après cette imposante manifestation de défaite de la classe appelée à renverser la société bourgeoise, à instaurer une société communiste, l’on se demande si, vraiment, une menace fasciste pourrait se poser en France. Jusqu’ici, il semble bien que les Croix de Feu aient été un moyen de chantage, un épouvantail pour accélérer la désagrégation des masses prolétariennes au travers du front commun, plus qu’un danger réel. Mais on érigera l’antifascisme en loi suprême justifiant les pires capitulations, les compromissions les plus basses, pour arriver par là à concentrer les ouvriers loin de leurs revendications immédiates, loin de leurs organisations de résistance, sur un front d’antifascisme comportant même Herriot. Ce n’est pas un hasard si les arrêtés-lois vinrent immédiatement après le 14 juillet et s’ils trouvèrent le prolétariat dans un état d’incapacité manifeste bien que des milliers d’ouvriers aient défilé en clamant « les Soviets » quelques jours auparavant. Pourtant, il s’agissait ici d’une attaque frontale décisive du capitalisme, une tentative d’aller jusqu’aux limites les plus extrêmes de la politique dite de « déflation », avant d’aborder éventuellement le chapitre de la dévaluation monétaire qui, à sont tour, ne pourra s’effectuer que sur le rétrécissement des conditions de vie du prolétariat.

Mais la capacité de résistance des ouvriers français a été aiguillée par les traîtres (ouvertement par l’État prolétarien) dans la direction du renforcement du capitalisme et, seuls des mouvements désespérés d’ouvriers peuvent maintenant répondre aux attaques capitalistes. Bien sûr, d’autres manifestations imposantes se dérouleront en France, mais elles seront en synchronisme avec des défaites prolétariennes sur le terrain économique et cela doit inévitablement leur donner un contenu capitaliste, par conséquent dicter l’attitude prolétarienne à leur égard.

Comme au sujet des cris « contre la guerre imminente », les hurlements concernant le « danger fasciste pour demain » (certains dirent après le 6 février : dans six mois) ont déconcerté les ouvriers et, à supposer que ce danger se présente en réalité, il est fort probable que la mesure de résistance des prolétaires concorde avec leurs reculades sur le terrain revendicatif. Mais il est évident que ce qui domina le cours des événements ne fut pas la stricte nécessité d’implanter le fascisme en France, mais bien celle de battre à tout prix le prolétariat sur son terrain de classe, de le mobiliser pour la guerre. Et le fait que socialistes et centristes essayent de faire coïncider la réalisation de l’unité syndicale avec la réalisation des conditions de la plus grande impuissance des ouvriers après leur défaite dans toutes les tentatives de résistance aux mesures de Flandin hier, de Laval aujourd’hui, prouve, encore une fois, qu’il existe en France des forces sociales qui répondent encore aux exigences du capitalisme, que chaque geste du prolétaire est happé par les traîtres dans la direction symbolisée par le 14 juillet, sans qu’il faille recourir au poignard du fascisme.

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