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Qu’est-ce qui est juste ? Qu’est-ce que la justice ?

mercredi 30 novembre 2011, par Robert Paris

Et quand on dit : justice,
on suppose mesure...
Qui n’est que juste est peu.
La justice,
c’est vous, humanité.

Victor Hugo, " Âme ! être, c’est aimer..."

Puisque le juste est dans l’abîme,
Puisqu’on donne le sceptre au crime,
Puisque tous les droits sont trahis,
Puisque les plus fiers restent mornes,
Puisqu’on affiche au coin des bornes
Le déshonneur de mon pays ;

Ô République de nos pères,
Grand Panthéon plein de lumières,
Dôme d’or dans le libre azur,
Temple des ombres immortelles,
Puisqu’on vient avec des échelles
Coller l’empire sur ton mur ;

Puisque toute âme est affaiblie,
Puisqu’on rampe, puisqu’on oublie
Le vrai, le pur, le grand, le beau,
Les yeux indignés de l’histoire,
L’honneur, la loi, le droit, la gloire,
Et ceux qui sont dans le tombeau ;

Je t’aime, exil ! douleur, je t’aime !
Tristesse, sois mon diadème !
Je t’aime, altière pauvreté !
J’aime ma porte aux vents battue.
J’aime le deuil, grave statue
Qui vient s’asseoir à mon côté.

Victor Hugo, " Puisque le juste est dans l’abîme"

« Les causes qui déterminent les changements sociaux et politiques ainsi que les révolutions sont à chercher non dans les cerveaux des hommes, non dans le point de vue des hommes sur des principes éternels de vérité et de justice, mais dans les changements du mode de production et d’échange. »

Engels, « Socialisme scientifique et socialisme utopique »

Qu’est-ce qui est juste ? Qu’est-ce que la justice ?

Voilà une notion bien controversée, même si chacun croit dire quelque chose de clair lorsqu’il affirme : "Ce n’est pas juste !" Mais qu’est-ce qui est juste ? Les inégalités sociales ? L’exploitation ? L’oppression ? La misère ? La guerre ?

Peut-on se contenter de dire "ceci est injuste" dans un tel monde ?

Existe-t-il un ordre social juste, une valeur juste des biens, du salaire, une attitude juste, une société juste ? La notion de justice existe-t-elle dans l’absolu ?

Existe-t-il un Etat juste, une société juste, un fonctionnement juste ou un individu qui peut être qualifié de juste. En soi, dans l’abstrait, non !

De nombreux philosophes, comme Platon, Aristote Spinoza, Kant et Hegel, ont considéré que le juste ne pouvait venir que de l’Etat. Les Etats prétendent établir la justice, mais n’est-elle pas, très souvent, le contraire de ce qui est humainement juste ? N’a-t-on pas plus souvent des ministères de l’injuste ? Peut-on aspirer à une société débarrassée de la justice d’Etat ?

En économie capitaliste, on considère qu’un échange juste se fait à la hauteur de sa valeur à ce moment. Mais, le salaire payé à son "juste prix" n’est rien d’autre que la justification de l’esclavage salarié. Peut-on aspirer à être débarrassés du "juste échange" et du "juste salaire" ?

D’une manière fréquente, le terme "juste" est là, par hypocrisie, pour accoler un peu de morale à ce qui n’en a guère : une "guerre juste", un "juste" sacrifice, le "juste" milieu, un gouvernement juste, .... C’est un peu comme si on parlait de juste mensonge, de juste exploitation, de juste dictature, de juste injustice, de juste arnaque, ....

Cela sous-entend qu’il y aurait quelque chose de juste indépendamment des classes sociales. Qui pourrait avoir intérêt à une telle vision morale soi-disant objective sinon les classes dirigeantes.

Cette expression de “ juste ”, empruntée à l’Eglise, au langage des sectaires religieux, sentant son carême et l’huile des lampes sacrées écrira Trotsky dans "A propos du portrait de Lénine par Gorki. On se souvient que Socrate lui aussi ne voulait pas de l’expression "juste" pour le caractériser.

Bien sûr, les peuples se battent avec un certain sens de la justice et de l’injustice. Les masses savent contre quoi elles se battent. Cela ne veut pas dire que ce qui soit être aie un caractère moral et immuable comme le suggère le mot "juste".

Dans une société où règnent oppression et exploitation, est-il possible que des hommes honnêtes se mettent d’accord sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, indépendamment des classes sociales, des groupes sociaux, des intérêts économiques et sociaux ? Non, certainement pas ! Tout comme la liberté, la justice n’est pas un état. Nous ne croyons pas en des valeurs morales immuables, indépendantes des classes sociales, des situations et des époques. La justice est un drapeau dans un combat. En tant que tel, sa validité dépend de ce que signifie ce combat à une époque donnée de l’Histoire. Etant lié à ce combat, il suppose que des hommes, des groupes d’hommes et des classes s’opposent et opposent aussi des conceptions de ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Aucun critère objectif n’est possible. Il faut choisir un camp, s’engager. Au sein d’un combat, il y a des buts justes, des méthodes justes, des revendications justes. En dehors, il n’y a que des règles abstraites qui visent à camoufler les buts réels des classes dominantes au nom d’une morale soi disant universelle comme la religion. Une telle conception de la justice est bien évidemment un piège.

Il n’y a pas pire tromperie que de faire croire à une manière juste d’exploiter, d’opprimer... Un ministère juste de la justice n’existera jamais. Il ne peut qu’y avoir une justice de classe : ou celle des oppresseurs, ou celle des opprimés. L’équilibre, l’objectivité, les droits égaux, c’est de la tromperie. L’Etat est au service de la classe dominante. Nulle justice pour les exploités tant qu’il en sera ainsi. oeuvrer pour la justice des exploités, c’est agir pour qu’ils s’organisent aux-mêmes en vue de prendre le pouvoir !

LE MINISTÈRE DE L’INJUSTICE !!!

Sur la justice institutionnelle

« Un juge est plus et moins qu’un homme ; il est moins qu’un homme,
Car il n’a pas de coeur ; il est plus qu’un homme, car il a le glaive. »

Victor Hugo, "Quatre-vingt-treize"

Une vraie question

« Qu’est-ce qu’un juste ? N’est-ce pas celui qui ne commet jamais d’injustice ? Mais n’est-il pas vrai que tout homme commet parfois des injustices, ne serait-ce que lorsqu’il ne peut pas faire autrement. Peut-on toujours être juste à la fois avec les autres et avec soi-même ? Certainement pas. Alors, comment reconnaître celui qui est juste ? D’ailleurs, l’excès dans l’effort de justice ne peut-il mener à l’injustice ? Le juste est un combat permanent contre l’injuste, mais c’est une lutte autant intérieure que contre l’injustice des autres et de la société. Et le comble du juste, c’est que le juste parfait, pour être tout à fait juste, est parfaitement injuste pour ses proches. »

Socrate

« Qu’est-ce qui est juste, Théodore ? Le meilleur critère de la justice semblerait être la loi. Nous considérons, à juste titre, la loi de la cité comme la loi qu’il faut respecter. Cependant, nous venons de remarquer que les lois changent au fur et à mesure que les sociétés changent. Et, à chaque époque, nous considérons que la loi la plus juste est celle du moment. En conséquence, peut-on dire que fonder la justice sur la loi, c’est trouver un critère durable du juste et de l’injuste ? Ce qui est déclaré beau ou laid, juste ou injuste, pieux ou impie par chaque cité tel qu’elle le juge et le déclare légal pour elle, est ce qui lui semble avantageux à un moment donné. Cela peut différer d’une cité à l’autre et d’une époque à l’autre. Qu’y aurait-il d’infaillible, d’universel et de définitif, en somme de général à l’humanité entière, à de tels jugements ? Rien ! »

Socrate

Le point de vue des exploiteurs

« Il est juste que ce qui est juste soit suivi ; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique.La justice sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. »

Pascal, "Les pensées"

« Dans une entreprise, est-il juste ou non que le talent ou l’habileté donnent droit à une rémunération plus élevée ? Ceux qui répondent négativement à la question font valoir l’argument suivant : celui qui fait ce qu’il peut a le même mérite et ne doit pas, en toute justice, être placé dans une position d’infériorité s’il n’y a pas faute de sa part ; les aptitudes supérieures constituent déjà des avantages plus que suffisants, par l’admiration qu’elles excitent, par l’influence personnelle qu’elles procurent, par les sources intimes de satisfaction qu’elles réservent, sans qu’il faille y ajouter une part supérieure des biens de ce monde ; et la société est tenue, en toute justice, d’accorder une compensation aux moins favorisés, en raison de cette inégalité injustifiée d’avantages plutôt que de l’aggraver encore. A l’inverse, les autres disent : la société reçoit davantage du travailleur dont le rendement est supérieur ; ses services étant plus utiles, la société doit les rémunérer plus largement ; une part plus grande dans le produit du travail collectif est bel et bien son œuvre ; la lui refuser quand il la réclame, c’est une sorte de brigandage. S’il doit seulement recevoir autant que les autres, on peut seulement exiger de lui, en toute justice, qu’il produise juste autant, et qu’il ne donne qu’une quantité moindre de son temps et de ses efforts, compte tenu de son rendement supérieur. Qui décidera entre ces appels à des principes de justice divergents ? La justice, dans le cas en question, présente deux faces entre lesquelles il est impossible d’établir l’harmonie, et les deux ont choisi les deux faces opposées ; ce qui préoccupe l’un, c’est de déterminer, en toute justice, ce que l’individu doit recevoir, ce qui préoccupe l’autre, c’est de déterminer, en toute justice, ce que la société doit donner. Chacun des deux, du point de vue où il s’est placé, est irréfutable et le choix entre ces points de vue, pour des raisons relevant de la justice, ne peut qu’être absolument arbitraire. C’est l’utilité sociale seule qui permet de décider entre l’un et l’autre. »

John Stuart Mill, "L’Utilitarisme"

« Si la répartition de la richesse et des revenus n’a pas besoin d’être égale, elle doit être à l’avantage de chacun et, en même temps, les positions d’autorité et de responsabilité doivent être accessibles à tus. On applique le second principe en gardant les positions ouvertes, puis, tout en respectant cette contrainte, on organise les inégalités économiques et sociales de manière à ce que chacun en bénéficie. »

John Rawls, "Théorie de la justice "

« Ceux qui sont aussi éloignés des hommes libres que le corps l’est de l’âme, ou la bête de l’homme (et sont ainsi faits ceux dont l’activité consiste à se servir de leur corps, et dont c’est le meilleur parti qu’on puisse tirer), ceux-là sont par nature des esclaves ; et pour eux, être commandés par un maître est une bonne chose, si ce que nous avons dit plus haut est vrai. Est en effet esclave par nature celui qui est destiné à être à un autre. »

Aristote, "La politique"

Les forces de l’ordre chargées de défendre le palais de Justice contre des manifestants tunisiens révoltés par l’injustice...

Des philosophes qui comptent sur l’Etat pour imposer la justice

Ces auteurs ne remettent pas en cause l’exploitation et comptent sur l’Etat pour éditer des règles permettant à la classe dirigeante de s’imposer sans trop d’excès.... Par exemple, Aristote justifie l’esclavage et décide que la justice n’existe qu’entre égaux, entre hommes libres...

« Certains penseurs ont affirmé que la justice naît de conventions humaines et qu’elle procède du choix volontaire, du consentement ou des combinaisons des hommes. Si, par convention, on entend ici promesse (et c’est le sens le plus habituel du mot), il ne peut rien y avoir de plus absurde que cette thèse. L’observation des promesses est elle-même l’une des parties les plus importantes de la justice et nous ne sommes certainement pas tenus de tenir parole parce que nous avons donné notre parole de la tenir. Mais, si par convention on entend un sentiment de l’intérêt commun ; et ce sentiment, chaque homme l’éprouve dans son coeur ; et il en remarque l’existence chez ses compagnons ; et il s’en trouve engagé, par coopération avec les autres hommes, dans un plan et un système général d’actions, qui tend à servir l’utilité publique ; il faut alors avouer qu’en ce sens la justice naît de conventions. »

David Hume

« Il ne faut pas perdre de vue que ce que nous cherchons ici c’est non seulement le juste au sens absolu, mais aussi le juste politique. Le juste politique c’est celui qui règne entre des hommes dont la communauté de vie a pour but une existence autarcique, hommes qui sont libres et égaux, soit d’une égalité proportionnelle, soit d’une égalité arithmétique. En sorte que pour ceux chez qui ces conditions ne sont pas réalisées, il n’existe pas de justice politique réglant leurs rapports mutuels. Il n’y a qu’une sorte de justice, qui a simplement quelque ressemblance avec la justice politique. »

Aristote, Ethique à Nicomaque

« Et que ceux qui pratiquent la justice, la pratiquent contraints par impuissance à agir injustement, nous le percevrions mieux si nous faisions ce que voici par la pensée : donnant à chacun le pouvoir de faire ce qu’il veut, au juste aussi bien qu’à l’injuste, suivons-les ensuite attentivement pour voir où son désir conduira chacun. Nous prendrions sans doute le juste en flagrant-délit de suivre la même voie que l’injuste, du fait du besoin d’avoir plus que les autres que toute nature est par nature poussée à rechercher comme un bien, mais qui, par la loi et la force, est détourné vers la vénération de l’égalité. La licence dont je parle serait telle au plus haut point si leur était donné un pouvoir tel que celui qui jadis, dit-on, fut donné à l’ancêtre de Gygès le Lydien.

Il était en effet berger au service du roi de Lydie d’alors ; or, au cours d’un violent orage accompagné d’un séïsme, la terre se fendit en quelque sorte et une ouverture béante apparut près de l’endroit où il faisait paître ses troupeaux. Voyant cela et s’émerveillant, il descendit et la fable raconte qu’il vit alors, parmi bien d’autres merveilles, un cheval d’airain, creux, avec des ouvertures, à travers lesquelles, en se penchant, il vit qu’il y avait à l’intérieur un cadavre, qui paraissait plus grand que celui d’un homme, et qui ne portait rien d’autre que, à la main, un anneau d’or, qu’il retira en sortant. Lorsque arriva le jour de l’assemblée habituelle des bergers, en vue d’aller faire au roi le rapport mensuel sur l’état des troupeaux, il y vint aussi, portant cet anneau. Lors donc qu’il était assis au milieu des autres, il lui arriva par hasard de tourner le chaton de la bague vers lui à l’intérieur de sa main, ce qu’ayant fait, il devint invisible à ceux qui étaient assis avec lui, et ils parlaient de lui comme s’il était parti. Et lui de s’émerveiller et, manipulant à nouveau à tâtons l’anneau, il tourna le chaton vers l’extérieur et, en le tournant, redevint visible. Réfléchissant à tout cela, il refit l’expérience avec l’anneau pour voir s’il avit bien ce pouvoir et en arriva à la conclusion qu’en tournant le chaton vers l’intérieur, il devenait invisible, vers l’extérieur, visible. Ayant perçu cela, il fit aussitôt en sorte de devenir l’un des messagers auprès du roi et, sitôt arrivé, ayant séduit sa femme, il s’appliqua avec elle à tuer le roi et prit ainsi le pouvoir. »

Platon, La République

Platon pose le problème de la justice en racontant une histoire qui nous ramène au statut de l’homme juste et de l’homme injuste, l’histoire de l’anneau de Gygès. Gygès était un berger qui gardait son troupeau en pleine nature, lors d’un orage, suivi d’un séisme, le sol se fend et découvre une caverne à l’endroit où il faisait paître ses moutons. Il y descend et trouve un trésor, avec parmi d’autres merveilles, un anneau d’or sur le doigt d’un cadavre. Il s’en empare et sort de la caverne. Or à l’assemblée des bergers, il se rend compte qu’en tournant le chaton de la bague, il devenait invisible. En tournant encore le chaton il redevenait visible.

Gygès se trouve donc en possession d’un pouvoir, mais un pouvoir, on peut en faire un bon ou un mauvais usage, donc un usage juste ou bien injuste. Qu’est-ce qui va distinguer l’homme juste de l’homme injuste ? On suppose que l’homme juste aura une nature assez adamantine pour ne pas céder à la tentation de satisfaire ses intérêts personnels, mais conservera la droiture nécessaire pour demeurer dans le bien commun. L’homme injuste aura l’intention inverse de mettre le pouvoir au service de ses intérêts personnels et il se détournera du bien commun. La question se pose d’autant plus quand la possibilité est offerte que l’exercice de ce pouvoir ne soit pas sanctionné. L’homme qui en disposerait resterait-il intègre ? Ou bien faut-il penser que la justice est nécessairement liée à la sanction des actes ? L’homme juste fait-il le bien pour lui-même, ou le fait-il parce qu’il sait que toute action est sanctionnée ? (exercice 6f)

Gygès n’a pas d’intégrité morale. Il voit le parti qu’il pourrait tirer du pouvoir. « Arrivé au palais, il séduisit la reine, complotât avec elle la mort du roi, le tue et obtint ainsi le pouvoir ». Disposant avec l’anneau d’un pouvoir surhumain, cette possession de l’anneau fait qu’il ne se sent pas lié par un sens moral de la justice, mais qu’il ne veut plus alors qu’exercer sa volonté de puissance. Il commet le mal, parce qu’il sait qu’il ne peut pas être sanctionné par les hommes. Cette histoire nous donne alors à comprendre que l’homme n’est pas juste de son propre fait, mais de manière indirecte. En conséquence, on peut tout aussi bien dire que l’homme recherche la justice non pas pour elle-même, mais surtout pour les avantages qu’elle procure : l’assurance de pouvoir faire payer celui qui nous a lésé, la tranquillité, l’ordre social. Sitôt qu’il peut désobéir impunément à la loi, il le fera, s’il y trouve un intérêt et s’il peut échapper aux sanctions. Dans cette interprétation, la justice ne devient une contrainte d’ordre politique et elle n’est plus une vertu naturelle. « personne n’est juste volontairement, mais par contrainte, la justice n’étant pas un bien individuel, puisque celui qui se croit capable de commettre l’injustice la commet ». Posons une question-fantasme du même type que l’hypothèse de Gygès autour de nous : et si vous trouviez une lampe magique, avec un génie à l’intérieur, que lui demanderiez-vous ? Le plus souvent à cette invitation, nous verrons se libérer l’avidité ordinaire de l’ego, l’homme juste serait celui qui saurait résister à la tentation et ne pas faire un usage injuste du pouvoir qui lui est donné.

Si les hommes ne sont pas justes naturellement, il faut donc les y contraindre. A une conception pessimiste de la nature humaine se rattache aisément l’idée que l’instauration d’un État est donc nécessaire, puisque c’est dans l’État que la puissance contraignante de la force publique sera là pour faire respecter la justice. Il n’y aurait pas de justice sans la force.

Des philosophes qui considèrent que la justice est un instinct de l’homme

« La loi naturelle est l’instinct qui nous fait sentir la justice. »

Voltaire

« A la honte des hommes, on sait que les lois du jeu sont les seules qui soient partout justes, claires, inviolables, et exécutées. »

Voltaire

Justice et capitalisme

« Etant donné que l’Etat est la forme par laquelle les individus d’une classe dominante font valoir leurs intérêts communs, la forme dans laquelle l’ensemble de la société civile d’une époque se résume, il s’ensuit que toues les institutions communes sont médiatisées par l’Etat, reçoivent une forme politique. D’où l’illusion que la loi repose sur la volonté libre, détachée de sa base réelle. »

Karl Marx dans « Feuerbach »

« Il conviendrait d’abandonner tout ce bavardage sur l’État, surtout après la Commune, qui n’était plus un État, au sens propre. Les anarchistes nous ont assez jeté à la tête l’État populaire, bien que déjà le livre de Marx contre Proudhon, et puis le Manifeste communiste, disent explicitement qu’avec l’instauration du régime social socialiste, l’État se dissout de lui-même et disparaît. L’État n’étant qu’une institution temporaire dont on est obligé de se servir dans la lutte, dans la révolution, pour réprimer par la force ses adversaires, il est parfaitement absurde de parler d’un État populaire libre : tant que le prolétariat a encore besoin de l’État, ce n’est point pour la liberté, mais pour réprimer ses adversaires. Et le jour où il devient possible de parler de liberté, l’État cesse d’exister comme tel. »

Engels, Lettre à August Bebel, 1875.

« Réclamer une rémunération égale ou même équitable sous le régime du salariat équivaut à réclamer la liberté sous le régime de l’esclavage. Ce que vous considérez comme juste et équitable n’entre donc pas en ligne de compte. La question qui se pose est la suivante : Qu’est-ce qui est nécessaire et inévitable au sein d’un système de production donné ? »

Karl Marx, "Salaire, prix et profit"

« Quelles que soient les formes revêtues par la république, fût-elle la plus démocratique, si c’est une république bourgeoise, si la propriété privée de la terre, des usines et des fabriques y subsiste, et si le capital privé y maintient toute la société dans l’esclavage salarié, autrement dit si l’on n’y réalise pas ce que proclament le programme de notre Parti et la Constitution soviétique, cet Etat est une machine qui permet aux uns d’opprimer les autres. Et cette machine, nous la remettrons aux mains de la classe qui doit renverser le pouvoir du capital. Nous rejetterons tous les vieux préjugés selon lesquels l’Etat, c’est l’égalité générale. Ce n’est qu’un leurre ; tant que l’exploitation subsiste, l’égalité est impossible. Le grand propriétaire foncier ne peut être l’égal de l’ouvrier, ni l’affamé du repu. Cet appareil qu’on appelait l’Etat, qui inspire aux hommes une superstitieuse vénération, ajoutant foi aux vieilles fables d’après lesquelles l’Etat, c’est le pouvoir du peuple entier, - le prolétariat le rejette et dit : c’est un mensonge bourgeois. Cette machine, nous l’avons enlevée aux capitalistes, nous nous en sommes emparés. Avec cette machine, ou avec ce gourdin, nous anéantirons toute exploitation ; et quand il ne restera plus sur la terre aucune possibilité d’exploiter autrui, qu’il ne restera plus ni propriétaires fonciers, ni propriétaires de fabriques, qu’il n’y aura plus de gavés d’un côté et d’affamés de l’autre, quand cela sera devenu impossible, alors seulement nous mettrons cette machine à la ferraille. Alors, il n’y aura plus d’Etat, plus d’exploitation. Tel est le point de vue de notre Parti communiste. »

Lénine dans "De l’Etat"

« Les contre-sens sur le capitalisme sont légion.

La crise serait une maladie à combattre pour le système. Pas du tout : elle est sa respiration. Crise et prospérité sont indispensables l’un à l’autre dans ce système.

Le libéralisme et l’étatisme s’opposeraient diamétralement. Absolument pas. Ils se complètent de manière inséparable.

L’exploitation proviendrait d’un échange inégal entre salariés et capitalistes. Pas du tout. Elle provient de l’achat à sa valeur de la force de travail. Exploitation ne s’oppose pas à « un prix juste de la force de travail ». C’est en vendant au juste prix sa force de travail que le salarié maintient son exploitation.

La base de l’économie est la loi de l’offre et de la demande de marchandises qui mène à un équilibre qu’est le prix. Pas du tout. C’est l’offre et la vente des capitaux et le prix n’est nullement un équilibre. Toutes les structures capitalistes sont des structures issues du déséquilibre.

"L’équilibre capitaliste est un phénomène très complexe ; le régime capitaliste construit cet équilibre, le rompt, le reconstruit et le rompt de nouveau en élargissant en même temps les cadres de sa domination. Dans le domaine économique, les crises et les recrudescences d’activité constituent les ruptures et les rétablissements de l’équilibre. Dans le domaine des relations entre les classes, la rupture d’équilibre consiste en grèves, en lock-outs, en lutte révolutionnaire. »

Léon Trotsky
dans "Nouvelle étape"

Justice et révolution

« À l’aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune ! Qu’est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui met l’entendement bourgeois à si dure épreuve ?

Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques... Le prolétariat... a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir.

Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l’appareil d’État et de le faire fonctionner pour son propre compte.

La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois[3]. Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d’être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l’administration municipale, mais toute l’initiative jusqu’alors exercée par l’État fut remise aux mains de la Commune.

Une fois abolies l’armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres ; elle décréta la dissolution et l’expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l’instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d’instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l’Église et de l’État. Ainsi, non seulement l’instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l’avaient chargée.

Le pouvoir centralisé de l’État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et magistrature, organes façonnés selon un plan de division systématique et hiérarchique du travail, date de l’époque de la monarchie absolue, où il servait à la société bourgeoise naissante d’arme puissante dans ses luttes contre le féodalisme. Cependant, son développement restait entravé par toutes sortes de décombres moyenâgeux, prérogatives des seigneurs et des nobles, privilèges locaux, monopoles municipaux et corporatifs et Constitutions provinciales...
Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n’avait servi qu’à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables. »

Karl Marx, "La guerre civile en France"

Messages

  • « Les causes qui déterminent les changements sociaux et politiques ainsi que les révolutions sont à chercher non dans les cerveaux des hommes, non dans le point de vue des hommes sur des principes éternels de vérité et de justice, mais dans les changements du mode de production et d’échange. »

    Engels, « Socialisme scientifique et socialisme utopique »

  • « Les contre-sens sur le capitalisme sont légion.

    La crise serait une maladie à combattre pour le système. Pas du tout : elle est sa respiration. Crise et prospérité sont indispensables l’un à l’autre dans ce système.

    Le libéralisme et l’étatisme s’opposeraient diamétralement. Absolument pas. Ils se complètent de manière inséparable.

    L’exploitation proviendrait d’un échange inégal entre salariés et capitalistes. Pas du tout. Elle provient de l’achat à sa valeur de la force de travail. Exploitation ne s’oppose pas à « un prix juste de la force de travail ». C’est en vendant au juste prix sa force de travail que le salarié maintient son exploitation.

    La base de l’économie est la loi de l’offre et de la demande de marchandises qui mène à un équilibre qu’est le prix. Pas du tout. C’est l’offre et la vente des capitaux et le prix n’est nullement un équilibre. Toutes les structures capitalistes sont des structures issues du déséquilibre.

    "L’équilibre capitaliste est un phénomène très complexe ; le régime capitaliste construit cet équilibre, le rompt, le reconstruit et le rompt de nouveau en élargissant en même temps les cadres de sa domination. Dans le domaine économique, les crises et les recrudescences d’activité constituent les ruptures et les rétablissements de l’équilibre. Dans le domaine des relations entre les classes, la rupture d’équilibre consiste en grèves, en lock-outs, en lutte révolutionnaire. »

    Léon Trotsky dans "Nouvelle étape"

  • « Quelles que soient les formes revêtues par la république, fût-elle la plus démocratique, si c’est une république bourgeoise, si la propriété privée de la terre, des usines et des fabriques y subsiste, et si le capital privé y maintient toute la société dans l’esclavage salarié, autrement dit si l’on n’y réalise pas ce que proclament le programme de notre Parti et la Constitution soviétique, cet Etat est une machine qui permet aux uns d’opprimer les autres. Et cette machine, nous la remettrons aux mains de la classe qui doit renverser le pouvoir du capital. Nous rejetterons tous les vieux préjugés selon lesquels l’Etat, c’est l’égalité générale. Ce n’est qu’un leurre ; tant que l’exploitation subsiste, l’égalité est impossible. Le grand propriétaire foncier ne peut être l’égal de l’ouvrier, ni l’affamé du repu. Cet appareil qu’on appelait l’Etat, qui inspire aux hommes une superstitieuse vénération, ajoutant foi aux vieilles fables d’après lesquelles l’Etat, c’est le pouvoir du peuple entier, - le prolétariat le rejette et dit : c’est un mensonge bourgeois. Cette machine, nous l’avons enlevée aux capitalistes, nous nous en sommes emparés. Avec cette machine, ou avec ce gourdin, nous anéantirons toute exploitation ; et quand il ne restera plus sur la terre aucune possibilité d’exploiter autrui, qu’il ne restera plus ni propriétaires fonciers, ni propriétaires de fabriques, qu’il n’y aura plus de gavés d’un côté et d’affamés de l’autre, quand cela sera devenu impossible, alors seulement nous mettrons cette machine à la ferraille. Alors, il n’y aura plus d’Etat, plus d’exploitation. Tel est le point de vue de notre Parti communiste. »

    Lénine dans "De l’Etat"

  • Abderrahim El Jabri a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Après avoir passé 13 ans en prison, il tente aujourd’hui de se faire indemniser. En vain. Aucune trace de sa détention ne figure en effet dans son dossier.

  • Si la répartition de la richesse et des revenus n’a pas besoin d’être égale, elle doit être à l’avantage de chacun et, en même temps, les positions d’autorité et de responsabilité doivent être accessibles à tus. On applique le second principe en gardant les positions ouvertes, puis, tout en respectant cette contrainte, on organise les inégalités économiques et sociales de manière à ce que chacun en bénéficie. »

    John Rawls, "Théorie de la justice "

    Cette phrase est-elle censée vouloir dire quelque chose ? Ou bien sous prétexte de justice, de justifier l’injustice ?
    J’avoue ne pas compendre ce que veut dire le "en" de l’expression finale... "de manière à ce que chacun en bénéficie" : mais de quoi chacun doit bénéficier ? des inégalités économiques et sociales ?

  • C’est une justice de classe ! Celle de la classe capitaliste !

    Encore un exemple !!!

    Une cinquantaine d’ex-salariés de la société Ardennes Forge se voient réclamer par la justice le remboursement de dommages et indemnités versés dans le cadre de leur licenciement il y a près de dix ans.

    Les ex-Ardennes Forge doivent en effet restituer 470.000 des 900.000 euros de dommages-intérêts alloués par le conseil des prud’hommes, suite à un pourvoi en appel de l’AGS, en mars 2012, confirmé par la Cour de cassation le 13 juillet. Dans le volet pénal du dossier, trois prévenus dont le directeur général d’Ardennes Forge avaient pourtant été condamnés en 2014 pour "travail dissimulé", un chef d’accusation finalement balayé par le juge civil.

    Non ! On ne doit rien aux suceurs de sang ! Tout est à nous ! C’est à eux de rendre des comptes et surtout de rendre les biens volés : capitaux et entreprises, puisque le capitalisme n’est rien d’autre que le vol de la plus-value tirée de la force de travail !

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