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Chine : le capitalisme d’Etat se fissure

mercredi 2 mai 2012, par Robert Paris

Chine : le capitalisme d’Etat se fissure

En Chine, les gigantesques groupes publics ont table ouverte auprès des banques d’Etat, sans souci du retour sur investissement. Pendant ce temps, des pans entiers de l’économie sont asphyxiés faute d’accès au crédit. Le tout sous le contrôle étroit du Parti communiste. « Le système est sous le feu des critiques, explique Harold Thibault dans le dossier consacré au « modèle économique chinois miné de l’intérieur » publié par « Le Monde Eco & entreprise » du mercredi 2 mai. Surtout le rôle prééminent que s’attribue l’Etat, accusé de faire ses affaires entre ses entreprises publiques, ses banques, ses passations de marchés, au détriment de la petite entreprise privée, du peuple, des Chinois ».

Etat fort à l’origine de la croissance du pays ou frein pour l’avenir ? Si la « traversée de la crise a semblé fournir un argument favorable à la première hypothèse », ce système atteint ses limites, illustrées par des banques qui prêtent sans compter puisque l’Etat payeur est là pour garantir toutes les dérives, par l’inflation dont sont victimes les petits épargnants…

Le temps semble venu de la remise en cause du capitalisme d’Etat chinois. Le premier ministre et le gouverneur de la banque centrale ne ménagent pas leurs critiques à son encontre ce qui pourrait en particulier ouvrir sur une libéralisation des taux d’intérêt quand « le très probable futur premier ministre », Li Keqiang, insiste sur la nécessité d’une « diversification graduelle de la propriété » des entreprises publiques. La tendance serait de « réformer oui mais avec prudence », conclut Harold Thibault, « pour éviter de basculer dans une oligarchie à la Russe ».

Début avril, le premier ministre en personne s’est attaqué à un pilier du capitalisme d’Etat. "Franchement, nos banques font des profits bien trop faciles, a lancé Wen Jiabao. Pourquoi ? Parce qu’un petit nombre de banques majeures occupent une position de monopole, ce qui signifie qu’on ne peut que se tourner vers elles pour les crédits et les capitaux." Et de conclure : "Nous devons briser leur monopole."
Ce thème se répand depuis l’effondrement, à l’automne dernier, des coopératives de crédit informelles de Wenzhou. Les patrons de cette ville dynamique de l’est du pays, ne parvenant pas à obtenir des prêts auprès des grandes banques - puisque celles-ci préfèrent prêter aux entreprises bénéficiant de la garantie de l’Etat -, étaient contraints d’emprunter à des cercles privés, à taux usuriers. Incapables de rembourser, plusieurs dizaines de débiteurs ont pris la fuite à l’autre bout du pays ou à l’étranger, et l’un d’eux s’est jeté par la fenêtre.
L’affaire a fait grand bruit en Chine, car Wenzhou, cité ultra-commerçante, est un emblème de la Chine des petits entrepreneurs privés, où chacun pourrait s’enrichir en montant son affaire. Signe des temps réformateurs, le gouvernement a annoncé le 28 mars qu’il laissera les prêteurs privés de Wenzhou opérer des caisses de crédit aux PME.

Mais il y a peu de chances de voir cette décision se généraliser à l’ensemble du pays, où les banques étatiques ont toujours la haute main.

Elles sont exemplaires d’un système résumé par la formule "le public avance, le privé recule". Les officiels sont placés par le Département de l’organisation du Parti communiste à la tête des grandes entreprises de secteurs allant des télécommunications à la métallurgie.
Ils sont membres du Parti communiste chinois (PCC) et reliés par ligne cryptée à ses instances dirigeantes par un mystérieux téléphone rouge décrit par Richard McGregor dans The Party (non traduit). Ce combiné, placé sur le bureau des cadres est joignable en seulement quatre chiffres, et est devenu un symbole du cercle réduit que forme une élite contrôlant simultanément l’économie et la politique.

En trois décennies de réformes, le PCC a bien laissé ses citoyens monter librement leurs entreprises, mais à la condition de ne pas céder le coeur du réacteur. Les grandes banques et entreprises ont certes été introduites en Bourse pour se refinancer et améliorer leur gouvernance, mais l’Etat conserve une part majoritaire dans des secteurs qualifiés de "stratégiques", un terme assez large pour englober la téléphonie mobile ou le transport aérien.
Qu’importe qu’il choisisse Air China, China Eastern ou China Southern, le voyageur chinois donne de l’argent à des entreprises publiques, chacune dotée de sa cellule du parti. Idem quand il opte pour un forfait chez China Mobile ou China Unicom. "Le capitalisme d’Etat est contraire à l’efficacité puisque les acteurs ne concourent pas pour créer de la richesse mais appliquer une politique", juge l’économiste Xu Xiaonian, de la China Europe International Business School (Shanghaï).

Outre que cette filiation ne pousse pas franchement à une concurrence bénéfique au consommateur, la question des dividendes est devenue le serpent de mer de la réforme. Ces entreprises jouissent souvent de monopoles formels et au minimum d’un soutien par le crédit, mais ne reversent que 10 % ou moins de leurs bénéfices à l’Etat actionnaire.

Dans ce système, les banques prêtent sans compter puisque l’Etat sera toujours là pour payer. Il suffira, au pire, de repousser l’échéance des prêts ou d’en accorder de nouveaux. Rien de plus simple puisque la banque centrale n’est pas indépendante et garantit des taux d’intérêt faibles. Les alternatives étant limitées, le petit épargnant chinois voit ses économies se dégrader.

Avec une inflation qui devrait atteindre 4 % en 2012 et une rémunération des dépôts de 3,5 % sur un an, les taux demeurent négatifs. Le système ne promeut pas la demande des consommateurs chinois.

"La première défaillance du capitalisme d’Etat est de mener à une concentration de richesse parmi une élite politique ou au moins connectée politiquement plutôt qu’à une distribution plus large des bienfaits de la croissance, juge Huang Yasheng, professeur de management au China Lab du Massachusetts Institute of Technology. La Chine est l’un des pays les plus inégalitaires de la planète et le capitalisme d’Etat en est une cause directe."

Est-ce l’Etat fort et son système clos qui font avancer le pays depuis trois décennies ou bien sont-ils, au contraire, un frein pour l’avenir ? La traversée de la crise a semblé fournir un argument favorable à la première hypothèse. Par un colossal plan d’investissements dans les infrastructures, l’Etat-parti a permis à la Chine de maintenir une forte croissance alors que la planète tombait en récession.

Mais le problème, souligne Pei Minxin, sinologue au Claremont McKenna College (Californie), est que "les décisions sont prises du point de vue d’un petit groupe, et non de celui du bien-être général". Le parti a ses propres obsessions, au premier rang desquelles la stabilité. Le modèle a ses avantages, "il permet certaines réalisations importantes au mépris de leur coût", comme le développement du réseau de voies ferrées à grande vitesse et d’autoroutes qui assurent l’emploi des travailleurs migrants malgré le ralentissement économique, et a doté la Chine d’infrastructures inimaginables dans la plupart des pays en développement. Mais "la véritable efficience consiste à produire avec des ressources limitées", tempère M. Pei.
LE CAPITALISME D’ETAT CHINOIS N’INVENTE PAS GRAND-CHOSE
Au fond, le capitalisme d’Etat chinois n’invente pas grand-chose. Michael Pettis, professeur à l’université de Pékin et membre de la Fondation Carnegie, retrouve les mêmes questionnements que lors... de la création en France du Crédit mobilier en 1852. C’est un modèle tiré principalement par l’investissement, dans lequel le crédit est dirigé par l’Etat, qui contrôle les taux d’intérêt.

Le risque de crédit est socialisé. Dans les phases initiales, les projets viables économiquement sont aisément identifiés, la croissance est donc rapide et soutenue. Les choses se compliquent lorsque "apparaissent des problèmes massifs de mauvaise allocation des capitaux et, au final, une crise de la dette". Comme les signaux de prix sont distordus et les incitations politiques extérieures au système, le modèle est maintenu longtemps après le point au-delà duquel il devrait être abandonné. "Beaucoup en Chine ont compris cela, mais il est très difficile politiquement d’abandonner ce modèle", note M. Pettis.
Les attaques du premier ministre contre les banques publiques et de récents commentaires du gouverneur de la banque centrale, Zhou Xiaochuan, sur une prochaine libéralisation des taux d’intérêt laissent penser qu’aux yeux des réformateurs, dont tous deux font partie, le moment est venu. Ceux-ci considèrent que l’Etat-parti doit réduire la voilure s’il veut conserver une certaine légitimité populaire. Le 27 février, un épais rapport de la Banque mondiale soutenu par le très probable futur premier ministre, Li Keqiang, insistait sur la nécessité d’une "diversification graduelle de la propriété" des entreprises publiques.

Le fossé avec les dirigeants les plus conservateurs est saisissant. Ces derniers pensent, au contraire, qu’en acceptant une révision supplémentaire de son rôle dans l’économie et la société le Parti communiste dénaturerait cette fois-ci trop profondément le système et perdrait son pouvoir.

D’où certains doutes sur la volonté réformatrice malgré la saillie du premier ministre, souvent surnommé "le meilleur acteur de Chine". "Si le gouvernement est sincère, alors qu’il vende tout de suite des actions des banques sur le marché", tranche l’économiste Xu Xiaonian.
Le pays est déjà armé, selon lui, pour éviter de basculer dans une oligarchie à la russe à la faveur de ces privatisations. "Après l’effondrement de l’Union soviétique, la plupart des deals ont été passés sous le manteau. Mais les banques chinoises sont cotées en Bourse, le cadre existe donc déjà. Si les nouvelles actions sont vendues à Hongkong, il y a peu de chances de tomber dans les mêmes erreurs", dit-il.

Pour Wang Xiaozu, de l’université de Fudan, la leçon de la Chine reste au final celle de la stabilité : "Bien sûr, le système pèche en matière d’efficience, mais il y a eu un réel gain en échange : nos banques publiques n’ont pas fait les folies qui ont mené à la crise de 2008 aux Etats-Unis et en Europe..." Réformer oui mais avec prudence : "Certes, notre Chery n’avance pas très vite, dit-il en référence à des automobiles chinoises connues pour leurs faibles performances. Mais, si nous lui greffons directement un moteur de Ferrari, elle risque d’imploser."

Un argument que certains ne manqueront pas d’exploiter. Début avril, Lin Zuoming, patron de l’avionneur public Aviation Industry Corporation of China, dénonçait ainsi les appels aux privatisations comme une "conspiration" venue de l’étranger. Le Monde (pages économiques)

Messages

  • Le PIB chinois a augmenté de seulement 7,6% au deuxième trimestre, contre 8,1% pour les trois premiers mois de l’année. C’est sa pire performance depuis le début de la crise économique mondiale, et son sixième trimestre d’affilée de décélération.

    La production industrielle a, elle aussi, décéléré en juillet, avec une hausse de 9,2% sur un an. La Chine, premier exportateur mondial et dont l’Europe est le principal partenaire commercial, a en effet particulièrement souffert du ralentissement de la zone euro engluée dans la crise de la dette. Ainsi, l’excédent commercial a atteint 25,1 milliards de dollars en juillet, contre 31,48 milliards en juin. Cet excédent commercial est très en-deçà des chiffres escomptés (35,2 milliards de dollars). Sur l’année, les exportations augmentent de 1% (alors que le gouvernement souhaitait les voir augmenter de 8%) pour atteindre 176,9 milliards de dollars. Mais dans le même temps, les importations, elles, augmentent de 4,7% pour atteindre les 151,8 milliards de dollars.

    Sur le front intérieur, la consommation est poussive. Ainsi, les ventes de détail, jauge de la consommation des ménages en Chine, ont augmenté de 13,1% sur un an au mois de juillet, contre 13,7% le mois précédent.

  • La police des frontières s’est vu confier cette semaine une longue liste noire de chefs d’entreprise surendettés, avec ordre de ne pas les laisser quitter le pays. Il s’agit du dernier indice en date de l’inquiétude croissante des autorités chinoises face au ralentissement de l’économie. Le crédit se raréfie, les exportations déclinent, le yuan connaît une baisse constante depuis une semaine, le prix de l’immobilier chute, la production manufacturière est à son plus bas niveau depuis trois ans, et les grèves se multiplient.

    Vendredi, dans la ville méridionale de Haimen, la police chinoise a encore repoussé avec du gaz lacrymogène plusieurs centaines de personnes qui manifestaient contre une centrale thermique accusée de polluer l’environnement… Ces heurts, dans la province manufacturière du Guangdong, sont à rapprocher d’autres récentes manifestations violentes en Chine. Notamment dans le sud, où des dizaines de millions d’ouvriers migrants font tourner les usines de « l’atelier du monde », et réclament de meilleures conditions de vie au moment même où la croissance du pays montre des signes d’essoufflement.

  • Afin de parer aux « effets négatifs de l’économie de marché »,Zhou Yongkang a déclaré qu’« il nous faut innover pour bâtir un système de gestion sociale qui soit adapté à l’économie socialiste de marché ». La hausse presque constante du niveau de vie de la population constitue depuis trente ans le plus solide pilier du parti unique ; il est donc logique que Pékin s’inquiète, alors que le taux de croissance annuel de l’économie plonge. De 10,4% en 2010, il a baissé à 9,1% au troisième trimestre et passera à 8%, voire 7% dans les mois à venir, selon certains experts. Dans le jargon officiel, « la gestion sociale » désigne un ensemble de mesures de coercition, d’intimidation, de conciliation et de surveillance visant à empêcher que n’éclatent des troubles sociaux, ou à en limiter l’impact par la propagande ou la censure des médias. L’objectif de la « gestion sociale », a énoncé Hu Jintao, chef de l’Etat et numéro 1 du parti, « consiste à maximiser les facteurs harmonieux et à réduire les facteurs non harmonieux », afin de « consolider le statut du parti et la stabilité de l’Etat ».

    Ce gigantesque travail de flicage consistant à tuer dans l’œuf tout facteur d’instabilité est désormais mis en œuvre au sommet du pouvoir, par un organe nouvellement créé : le « Comité central pour le contrôle global de la gestion sociale ». Son mot d’ordre est de « prendre fermement le contrôle de la population ». Cet organisme très spécial, dirigé par le même Zhou Yongkang, un ancien ministre de la Sécurité publique, a le pouvoir de mobiliser de nombreux ministères et administrations. Créé dans le sillage des appels à la « révolution de jasmin chinoise » de l’hiver dernier, ce comité était destiné à l’origine à réprimer la dissidence politique. Il lui faut désormais s’adapter à la répression des troubles liés à la dégradation de l’économie - d’où l’appel à « innover » qui vient d’être lancé. A la longue liste des « secteurs spéciaux » qu’il surveille étroitement - dissidents, internautes militants, universités, pétitionnaires, ONG, entreprises privées -, le comité va donc sans doute rajouter d’autres trublions potentiels, comme les travailleurs migrants, et peut-être même les propriétaires d’appartements !

  • Plus de 10 000 ouvriers se sont mis en grève depuis la fin novembre dans le Guangdong, où sont basées la majorité des usines travaillant pour l’export. « Les mouvements sociaux vont augmenter car un nombre croissant d’ouvriers en usines, et dans d’autres secteurs comme les transports, n’arrivent plus à joindre les deux bouts », estime Geoffrey Crothall, porte-parole de China Labour Bulletin, une ONG basée à Hongkong, qui défend les droits des travailleurs chinois.

    On recense environ 30 000 grèves et arrêts de travail par an, mais on en attend davantage, car les entreprises en difficulté suppriment les heures supplémentaires, sans lesquelles les ouvriers ne gagnent pas assez pour vivre. D’autres protestent contre le transfert de leur usine dans des régions meilleur marché, car les patrons en profitent pour leur faire signer des contrats moins avantageux.

  • Le stalinisme nous racontait qu’un homme sur trois vivait sous « régime communiste ». Aujourd’hui, le seul pays qui possède une importante industrie est un pays gouverné officiellement par les staliniens (parti unique le PCC), la Chine et c’est sur son succès que repose l’ensemble du monde capitaliste !!!

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