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Le point de vue de Léon Trotsky sur la situation mondiale en novembre 1933

lundi 28 mai 2012, par Robert Paris

Trotsky à Barbizon en 1933

Le point de vue de Léon Trotsky sur la situation mondiale en novembre 1933

Le réformisme est-il mort ?

"La victoire du national-socialisme en Allemagne a mené, dans les autres pays européens, au renforcement au sein du prolétariat, non des tendances communistes, mais des tendances démocratiques. Que le réformisme soit le pire frein de l’évolution politique et que la social-démocratie soit condamnée à l’effondrement, c’est pour nous l’ABC. Mais l’ABC, c’est peu. Il faut savoir discerner les étapes concrètes du processus politique. Dans le déclin général du réformisme comme du capitalisme, il y a des périodes inévitables de montée temporaire. Une lampe, avant de s’éteindre, se rallume parfois très vivement.

La formule fascisme ou communisme est absolument juste, mais seulement en dernière analyse. La politique fatale de l’Internationale Communiste soutenue par l’autorité de l’Etat ouvrier a non seulement compromis les méthodes révolutionnaires, mais encore donné à la social-démocratie, souillée de crimes et de trahisons, la possibilité de lever de nouveau au-dessus de la classe ouvrière le drapeau de la démocratie comme celui de son salut.

Des dizaines de millions d’ouvriers sont alarmés jusqu’au tréfonds de leur conscience par le danger du fascisme. Hitler leur a montré de nouveau ce que signifiait l’écrasement des organisations ouvrières et des droits démocratiques élémentaires. Les staliniens affirmaient, au cours des dernières années, qu’entre le fascisme et la démocratie il n’y a aucune différence, que le fascisme et la social-démocratie sont des frères jumeaux. Les ouvriers du monde entier se sont convaincus, par l’expérience tragique de l’Allemagne, de la criminelle absurdité de tels discours. D’où le déclin prochain des partis staliniens dans des conditions exceptionnellement favorables pour l’aile révolutionnaire. D’où, aussi, les aspirations des ouvriers à se cramponner à leurs organisations de masse et à leurs droits démocratiques. Grâce à dix années de politique criminelle de l’Internationale communiste stalinisée, le problème se pose devant la conscience de millions d’ouvriers, non sous la forme de l’antithèse décisive : dictature du fascisme ou dictature du prolétariat, mais sous la forme de l’alternative beaucoup plus primitive et beaucoup moins nette : fascisme ou démocratie.

Il faut prendre la situation politique, qui constitue notre point de départ, telle qu’elle est, sans se faire aucune illusion. Nous restons évidemment fidèles à nous-mêmes et à notre drapeau : toujours, dans toutes les conditions, nous disons qui nous sommes, ce que nous voulons, et où nous allons. Mais nous ne pouvons imposer mécaniquement notre programme aux masses. L’expérience des staliniens à ce sujet est suffisamment éloquente. Au lieu d’accrocher leur locomotive au train de la classe ouvrière et d’accélérer son mouvement en avant, les staliniens lancent leur locomotive à coups de sifflets stridents à la rencontre du train du prolétariat, entravent son mouvement en avant, et parfois se heurtent à lui, et, dans ce cas, il ne reste que des morceaux de la petite locomotive. Le résultat d’une telle politique est là : dans plusieurs pays, le prolétariat est devenu la victime sans défense du fascisme, dans d’autres, il est rejeté en arrière sur les positions du réformisme.

Il ne peut évidemment être question d’une régénération sérieuse et durable du réformisme. Il s’agit à proprement parler, non pas du réformisme au sens large du mot, mais des aspirations des ouvriers à défendre leurs organisations et leurs « droits ». De ces positions purement défensives et conservatrices, la classe ouvrière peut et doit, dans le processus de la lutte, passer à une offensive révolutionnaire sur toute la ligne. L’offensive doit à son tour rendre les masses prêtes à accepter les grandes tâches révolutionnaires et, par conséquent, notre programme. Mais, pour y arriver, il faut d’abord savoir traverser la période défensive qui s’ouvre actuellement, avec les masses, dans leurs premiers rangs, sans se dissoudre en elles, mais aussi sans s’en détacher.

Les staliniens – et leurs pitoyables imitateurs, les brandlériens – ont frappé d’interdiction les mots d’ordre démocratiques pour tous les pays du monde, pour l’Inde, qui n’a pas encore accompli sa révolution nationale libératrice, pour l’Espagne, où l’avant-garde prolétarienne a encore à trouver la voie de la révolution socialiste, pour l’Allemagne, où le prolétariat, brisé et réduit en poussière, est privé de tout ce qu’il avait conquis pendant le siècle dernier. Cette négation pure et simple des mots d’ordre démocratiques, les staliniens la déduisent abstraitement des caractéristiques générales de notre époque, qui est celle de l’impérialisme et des révolutions socialistes. Il n’y a pas un grain de dialectique dans cette façon de poser la question ! Les mots d’ordre et les illusions démocratiques ne se suppriment pas par décret. Il faut que la masse les traverse et les élimine dans l’expérience des combats. La tâche de l’avant-garde est d’attacher sa locomotive au train des masses. Dans la position de défensive actuelle de la classe ouvrière, il faut trouver des éléments dynamiques, il faut mettre les masses dans l’obligation de tirer les conclusions de leurs propres principes démocratiques, il faut approfondir et étendre le champ de lutte. C’est dans cette voie également que la quantité se changera en qualité.

Rappelons encore une fois qu’en 1917, alors que les bolcheviks étaient déjà incomparablement plus forts qu’aucune section de l’Internationale communiste, ils continuaient d’exiger la convocation le plus vite possible de l’assemblée constituante, l’abaissement de la limite d’âge électoral, les droits électoraux pour les soldats, l’éligibilité des fonctionnaires, etc. Le principal mot d’ordre des bolcheviks, « tout le pouvoir aux soviets » signifiait d’avril à septembre 1917 « Tout le pouvoir aux social-démocrates ». Quand les réformistes conclurent une coalition gouvernementale avec la bourgeoisie, les bolcheviks lancèrent le mot d’ordre : « A bas les ministres capitalistes ! ». Cela signifiait encore une fois : « Ouvriers, forcez les réformistes à prendre entre leurs mains tout le pouvoir ! »

Nous, bolcheviks, nous pensons que, pour se sauver réellement du fascisme et de la guerre, il faut la prise révolutionnaire du pouvoir et l’instauration de la dictature prolétarienne. Vous, ouvriers socialistes, vous n’êtes pas d’accord pour vous engager dans cette voie. Vous espérez non seulement préserver l’acquis, mais encore progresser par les voies de la démocratie. Bien. Tant que nous ne vous aurons pas convaincus et amenés vers nous, nous serons prêts à faire avec vous cette route jusqu’au bout. Mais nous exigeons que cette lutte pour la démocratie, vous la meniez, non en paroles, mais ena actes. Que votre parti lance sur leurs jambes des millions d’ouvriers, que, par la poussée des masses, il prenne le pouvoir ! Ce serait en tout cas une tentative sérieuse pour lutter contre la guerre et le fascisme ; Nous, bolcheviks, nous conserverions le droit d’expliquer aux ouvriers l’insuffisance des mots d’ordre démocratiques, nous ne pourrions prendre sur nous de responsabilité politique pour le gouvernement social-démocrate, mais nous vous aiderions honnêtement dans votre lutte pour un tel gouvernement, et, avec vous, nous repousserions toutes les attaques de la réaction bourgeoise. Plus encore, nous nous engagerions devant vous à ne pas entreprendre d’actions révolutionnaires qui sortiraient des limites de la démocratie (de la véritable démocratie), tant que la majorité des ouvriers ne serait pas mise consciemment du côté de la dictature révolutionnaire.

Telle doit être au cours de la prochaine période notre attitude vis-à-vis des ouvriers socialistes et sans parti. En occupant avec eux, comme point de départ, la position démocratique, il nous faut, dès le début, donner à cette défense un caractère prolétarien sérieux. Il faut nous dire fermement que nous ne permettrons pas que se répète ce qui s’est passé en Allemagne. Il faut que chaque ouvrier avancé se pénètre totalement de cette pensée : ne pas permettre au fascisme de relever la tête. Il faut conclure des accords de combat entre les associations ouvrières politiques, syndicales, culturelles, sportives et autres, pour des actions communes en vue de la défense de toutes les institutions de la démocratie prolétarienne.

Quel fondement et quel avenir à la crise du capitalisme ?

Quelle explication à la crise ? Toutes les théories qui essaient d’expliquer la crise par des causes temporaires ou accidentelles, comme les conséquences de la guerre, l’épidémie nationaliste, les tarifs erronés ou une fausse politique monétaire, etc., je les considère comme radicalement fausses. Tous ces faits et processus peuvent, bien entendu, aggraver la crise, mais en eux-mêmes ils n’ont qu’un caractère secondaire. La guerre elle-même fut une tentative, avant tout, de l’impérialisme allemand pour prendre de vitesse la colossale crise qui arrivait.

La cause primaire de la crise actuelle réside dans le fait que les forces productives de la société moderne sont en contradiction insurmontable avec la propriété privée des moyens de production comme avec les frontières des Etats nationaux. Les forces productives exigent une organisation planifiée à une échelle européenne, puis mondiale. Sans cela, et jusqu’à ce que ce soit réalisé, des changements conjoncturels sont évidemment possibles et inévitables ; mais la première amélioration de la conjoncture conduira bientôt à une crise nouvelle et sans doute plus pénible encore. Le nœud de la question réside dans le fait que nous ne sommes pas, maintenant, simplement confrontés à une des crises conjoncturelles du cycle capitaliste normal. Non, nous sommes entrés dans la crise sociale du capitalisme en tant que système. Toute tentative pour le nier ou pour discuter ce fait est vouée à l’échec. Même en limitant les profits, ou à l’aide de mesures semblables, il est peut-être possible de prolonger les convulsions du système capitaliste, mais pas de le rendre à nouveau viable.

Le capitalisme marche inéluctablement à la guerre mondiale. Une grande guerre n’est possible en Europe que dans un délai de trois ou quatre ans, délai indispensable pour le réarmement total de l’Allemagne. A l’expiration de cette période, la guerre sera même inévitable. En Extrême-Orient, avec la camarilla belliciste au pouvoir, la guerre est possible à tout moment.

Dans le cas d’une guerre, que Hitler prépare avec obstination, le sort du régime sera lié à celui de la guerre. Mais il est maintenant clair, pour quiconque pense, qu’une nouvelle guerre pourrait détruire, non seulement le fascisme, mais la civilisation européenne.

Le combat contre le fascisme n’est pas la guerre mais la révolution prolétarienne. On ne peut renverser le fascisme sans renverser la bourgeoisie. La première étape est la construction des soviets. Avant même la prise du pouvoir, ils constituent dans des circonstances révolutionnaires, la principale forme d’organisation de combat du prolétariat et des couches qui sont alliées à lui. On ne peut refuser dans ces circonstances la création de soviets. Il n’existe pas et il ne peut pas exister de considérations tactiques telles qu’elles exigeraient du parti révolutionnaire le refus du mot d’ordre des soviets au moment où il est tout à fait possible de les créer.

L’expérience de l’Allemagne a montré quel destin attend la classe ouvrière sous la direction des organisations social-démocrate et stalinienne. Des causes identiques conduisent à des effets identiques. Si les organisations ouvrières ne tirent pas les nécessaires conclusions politiques de l’expérience de la catastrophe allemande, les années prochaines seront celles de l’écrasante défaite finale du prolétariat mondial.

Nationalisme et vie économique

Le fascisme italien a proclamé que l’"égoïsme sacré" est le seul facteur créateur. Après avoir réduit l’histoire de l’humanité à l’histoire nationale, le fascisme allemand a entrepris de réduire la nation à la race et la race au sang. Bien sûr, dans les pays qui n’ont pas encore atteint - ou plutôt ne ont pas encore tombés dans - le fascisme, les problèmes de l’économie sont de plus en plus coulés de force dans les cadres nationaux. Tous n’ont pas le courage d’inscrire ouvertement l’autarcie sur leurs drapeaux. Mais partout la politique est orientée vers une ségrégation aussi hermétique que possible de la vie nationale par rapport à l’économie mondiale. Il n’y a pas vingt ans encore, tous les livres d’école enseignaient que le plus puissant facteur de la production de richesse et de culture était la division mondiale du travail, inhérente aux conditions naturelles et historiques du développement de l’humanité. Il apparaît maintenant que les échanges mondiaux sont l’origine de tous les malheurs et de tous les dangers. En arrière, ho ! (...)

La valeur éternelle de la nation découverte par Mussolini et Hitler est maintenant opposée aux fausses valeurs du 19ème siècle, la démocratie et le socialisme. Là aussi nous entrons en contradiction insurmontable avec les vieux livre, et, ce qui est pire, avec les faits irréfutables de l’histoire. Seule une ignorance haineuse peut tracer un contraste aussi vif entre la nation et la démocratie libérale. (...)

Ni Hitler ni Mussolini n’ont découvert la nation. Le patriotisme dans son sens moderne - ou, plus précisément, son sens bourgeois - est un produit du 19ème siècle. (...) Mais le développement économique de l’humanité qui a balayé le particularisme médiéval ne s’est pas arrêtée à l’intérieur des frontières nationales. Le développement du commerce mondial a été parallèle de la formation des économies nationales. La tendance à ce développement - au moins pour les pays avancés - s’est exprimée dans le déplacement de gravité du marché intérieur au marché extérieur. Le 19ème siècle a été marqué par la fusion du destin de la nation avec celui de sa vie économique, mais la tendance fondamentale de notre siècle est la contradiction grandissante entre nation et vie économique. En Europe, cette contradiction est devenue intolérablement aiguë.

Le développement du capitalisme allemand a eu un caractère très dynamique. Au milieu du 19ème siècle, le peuple allemand étouffait dans les cages d’une dizaine de patries féodales. Moins de quatre décennies après la création de l’Empire allemand, l’industrie allemande suffoquait dans le cadre de l’Etat national. Une des principales causes de guerre mondiale a été la tentative du capital allemand pour trouver un accès à une arène plus vaste. Hitler a combattu en tant que caporal en 1914-1918, non pour l’unification de la nation allemande, mais au nom d’un programme supranational impérialiste qui s’exprimait dans la fameuse formule de « l’organisation de l’Europe ». Unifiée sous la domination du militarisme allemand, l’Europe devait devenir le champ de manœuvre pour une entreprise infiniment plus grande, l’organisation de la planète entière.

Mais l’Allemagne n’est pas une exception. Elle n’a fait qu’exprimer sous une forme plus intense et plus agressive le tendance de toutes les autres économies capitalistes nationales.

Le heurt entre ces tendances a abouti à la guerre. (…) En essence, la guerre avait un caractère impérialiste. Elle tentait par des méthodes mortelles et barbares de résoudre un problème de développement historique progressif – celui de l’organisation de la vie économique sur l’arène tout entière qui a déjà été préparé par la division mondiale du travail.

Inutile de le dire, la guerre n’a pas trouvé de solution à ce problème. Au contraire, elle atomisé l’Europe encore plus. Elle a augmenté l’interdépendance de l’Europe et de l’Amérique tout en approfondissant l’antagonisme entre elles. Elle a donné de l’élan au développement indépendant des pays coloniaux et en même temps accru la dépendance des centres métropolitains vis-à-vis des marchés coloniaux. L’une des conséquences de la guerre fut l’aggravation des contradictions du passé.

On ne saurait fermer les yeux devant ce fait au cours des premières années d’après-guerre, quand l’Europe, avec l’aide de l’Amérique, s’employait à reconstruire du haut en bas son économie dévastée par la guerre. Mais la restauration des forces productives impliquait nécessairement la revigoration de tous les maux qui avaient conduit à la guerre. La crise actuelle, qui synthétise toutes les crise capitalistes du passé, signifie avant tout la crise de la vie économique nationale.

La Société Des Nations a essayé de traduire du langage du militarisme en langage de la diplomatie la tâche que la guerre n’avait pas résolue. Après que Ludendorff ait échoué dans sa tentative pour « organiser » l’Europe par l’épée, Briand a tenté de fonder les « Etats-Unis d’Europe » au moyen de son éloquence diplomatique sucrée. Mais la série interminable des conférences politiques, économiques, financières, douanières et monétaires n’a fait que dérouler le panorama de la faillite des classes dominantes face à la tâche impossible à reporter, à la tâche brûlante de notre époque.

On peut la formuler ainsi : comment garantir l’unité économique de l’Europe, tout en préservant une complète liberté de développement culturel des peuples qui y vivent ? Comment une Europe unifiée peut-elle être intégrée dans une économie mondiale cordonnée ?

On ne peut trouver la solution en déifiant la nation, mais, au contraire, en libérant totalement les forces productives des chaînes que leur a imposé l’Etat national. Mais les classes dirigeantes d’Europe, démoralisées par la faillite des méthodes militaires et diplomatiques, abordent aujourd’hui cette tâche à l’envers, c’est-à-dire qu’elles essaient de soumettre de force l’économie à un Etat national périmé. (…)

Dans un récent discours- programme, Mussolini a salué la mort du « libéralisme économique », c’est-à-dire du règne de la libre concurrence. L’idée en elle-même n’est pas neuve. L’époque des trusts, des syndicats et cartels a depuis longtemps relégué à l’arrière-plan la libre concurrence. Mais les trusts sont plus incompatibles encore avec des marchés nationaux restreints que ne l’étaient les entreprises du capitalisme libéral. Le monopole a dévoré la concurrence dans la même proportion que l’économie mondiale soumettait le marché mondial. Le libéralisme économique et le nationalisme économique ont été périmés au même moment. Les tentatives pour sauver la vie économique en lui inoculant le virus pris au cadavre du nationalisme aboutissant à cet empoisonnement du sang qui porte le nom de fascisme.

L’humanité est poussée dans sa montée historique par le besoin d’atteindre la plus grande quantité de biens avec la dépense de travail la plus réduite. Cette base matérielle de la croissance culturelle fournit également le critère le plus profond permettant d’apprécier les régimes sociaux et les programmes politiques. La loi de la productivité du travail a la même signification dans la sphère de la société humaine que la loi de la gravitation dans celle de la mécanique. La disparition de formations sociales dépassées n’est que la manifestation de cette loi cruelle qui a déterminé la victoire de l’esclavage sur le cannibalisme, du servage sur l’esclavage, du travail salarié sur le servage. La loi de la productivité du travail se fraie son chemin, non pas en ligne droite, mais de façon contradictoire, par de brusques accélérations, des sauts et des zigzags, surmontant à sa façon les barrières géographiques, anthropologiques et sociales. C’est pourquoi il existe en histoire autant d’exceptions, qui ne sont toutes en réalité, que des reflets de la « règle ».

Au 19ème siècle, la lutte pour la plus grande productivité du travail a revêtu essentiellement la forme de la libre concurrence, laquelle a maintenu l’équilibre dynamique de l’économie capitaliste à travers des fluctuations cycliques. Mais, précisément du fait de son rôle progressif, la concurrence a conduit à une monstrueuse concentration en trusts et en syndicats, ce qui à son tour a signifié une concentration de contradictions économiques et sociales. La libre concurrence est comme une poule qui aurait couvé, non un canard, mais un crocodile. Rien d’étonnant qu’elle ne puisse venir à bout de sa propre progéniture !

Le libéralisme économique a fait son temps. C’est avec de moins en moins de conviction que ses Mohicans font appel au jeu réciproque automatique de ses forces. Il faut de nouvelles méthodes pour faire correspondre les trusts gratte-ciel aux besoins humains. Il faut des changements radicaux dans la structure de la société et de l’économie. Mais de nouvelles méthodes entrent en conflit avec les habitudes anciennes et, ce qui est infiniment plus important, avec les intérêts anciens. La loi de la productivité du travail se heurte convulsivement à des barrières qu’elle a elle-même dressées. C’est ce qui est au cœur de la grandiose crise du système économique moderne. (…) Le nationalisme économique ultra-moderne est irrévocablement condamné par son propre caractère réactionnaire ; il retarde et abaisse les forces productives de l’homme.

La politique d’une économie fermée implique la restriction artificielle de celles des branches de l’industrie qui sont capables de fertiliser avec succès l’économie et la culture d’autres pays. Elle implique aussi l’implantation artificielle d’industries qui n’ont pas, sur place, sur le sol national, de conditions favorables à leur implantation. Cette fiction de l’auto-suffisance de l’économie provoque ainsi des dépenses supplémentaires excessives dans deux directions. Il faut y ajouter l’inflation. (…) L’inflation, elle-même expression des relations internes désordonnées et de la perturbation des liens économiques entre nations, augmente le désordre et contribue, de fonctionnel qu’il était, à devenir organique. Ainsi le système monétaire « national » couronne-t-il l’œuvre sinistre du nationalisme économique.

Les représentants les plus intrépides de cette école se consolent avec la perspective que la nation, tout en s’appauvrissant dans une économie fermée, deviendra plus « unifiée » (Hitler) et que, comme l’importance du marché mondial diminue, les causes de conflit extérieurs diminuent elles aussi. De telles espérances ne font que démontrer combien la doctrine de l’autarcie est à la fois réactionnaire et profondément utopique. Le fait est que les sources du nationalisme sont aussi les laboratoires des terrifiants conflits à venir ; comme un tigre affamé, l’impérialisme s’est retiré dans sa tanière afin de se ramasser pour bondir à nouveau.

En réalité, les théories sur le nationalisme économique, qui semblent se fonder sur les lois « éternelles » de la race, ne font que démontrer à quel point la crise mondiale est en réalité sans espoir – un exemple classique de la façon de faire vertu d’une amère nécessité. (…)

Les anciens cycles industriels, comme les battements du cœur d’un corps en bonne santé, avaient un rythme stable. Depuis la guerre, nous n’observons plus la succession ordonnée des phases économiques ; le vieux cœur saute des battements. En outre, il y a la politique du soi-disant « capitalisme d’Etat ». Poussés par des intérêts fiévreux, et par les dangers sociaux, les gouvernements font irruption dans le domaine économique avec des mesures d’urgence dont, la plupart du temps, ils ne sont même pas capables de prévoir les conséquences. (…)

Ce n’est que dans ce cadre historique du développement mondial que nous pouvons assigner sa place propre au fascisme. Il n’y a en lui rien de créateur, rien d’indépendant. Sa mission historique consiste à réduire à une absurdité la théorie et la pratique de l’impasse économique. (…) Toutes nos expériences sur ce point au cours des vingt-cinq ou trente dernières années ne nous paraîtront avoir été qu’une ouverture idyllique comparée à la musique d’enfer qui se prépare. Et, cette fois, il ne s’agit pas d’un déclin économique temporaire, mais d’une dévastation économique complète et de la destruction de toute notre culture, au cas où l’humanité laborieuse et pensante s’avérait incapable de saisir à temps les rênes de ses propres forces productives et de les organiser correctement à l’échelle de l’Europe et du monde. »

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