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Un exemple de dialectique en mathématiques : la construction abstraite des entiers négatifs

vendredi 6 juillet 2012, par Alex

Un exemple de dialectique en mathématiques : la construction abstraite des entiers négatifs

Cet article prolonge une discussion avec des camarades marxistes à propos de l’Anti-Dühring.

Dans l’ Anti-Dühring (Première partie, chapitre 13). Engels s’appuie sur un exemple tiré des mathématiques, l’opposition entre un nombre a et son opposé (-a), qui, multiplié par lui-même, redonne un nombre positif a puissance 2. Cet exemple (Lire ici) suscite des réserves chez des mathématiciens, certains s’appuyant sur ce genre d’exemple pour s’opposer à la « Dialectique de la nature » d’Engels. Le but de cet article est de détailler un exemple tiré des mathématiques les plus abstraites, les plus récentes, qui illustre au contraire la présence de la dialectique au cœur des fondements des mathématiques.

Dans la deuxième partie du 19ès siècle les mathématiques traversèrent le même de type de bouleversement que d’autres sciences comme la biologie, la physique, la linguistique. Il y eut même une crise appelée « crise des fondements ». Qu’est-ce qu’un nombre, qu’est-ce qu’une preuve ? Peut-on prouver rigoureusement toute vérité mathématique ? Des questions aussi simples soulevaient des paradoxes qui sapaient les fondements de la discipline qui incarnait la rigueur et le triomphe de la science formelle.

Nous allons donner un exemple de la manière dont ces problèmes furent résolus en décrivant la notion d’entier négatif (-1, -2 -3 etc) vue du point de vue des mathématiques abstraites. Ce type de construction (quotient par une relation d’équivalence dans le jargon des spécialistes) a envahi les mathématiques, il permet d’en appréhender un des mécanismes fondamentaux.

Au commencement étaient les nombres entiers positifs : 1,2,3,4 etc. ("Dieu a fait les nombres entiers, tout le reste est l’œuvre de l’homme" dixit Kronecker) Ce sont les seuls nombres qu’on peut observer dans la « Nature ». A partir de ces premiers « entiers naturels » on obtient l’ensemble complet des entiers naturels par un processus qui, notons-le est assez abstrait : tout entier naturel ayant un successeur, leur liste continue jusqu’à l’infini : 1,2, 3, …, 100, 101,…, 1 million, 1 million 1 etc.

Outre ces « atomes » des mathématiques élémentaires que sont ces entiers naturels, des relations entre eux sont aussi « naturelles ». On peut par exemple additionner les entiers naturels sans restriction : 2=3=5, 7+9=16 etc. Par contre, la soustraction pose des problèmes : alors que 5-2=3, 2-5 n’est pas un entier naturel. Certes l’esprit humain a rapidement créé cette notion abstraite, on dit que 2-5=-2 et que -2 est l’opposé de 2, leur somme 2+(-2) valant zéro.

Mais des mathématiciens ne sont pas satisfaits : les nombres -1, -2, -3 sont introduits de manière artificielle par l’homme, on ne peut pas les observer dans la nature. Existent-ils en dehors de notre esprit ? Les besoins issus des calculs pousseront ce processus de construction à l’introduction de nombres « irrationnels », « imaginaires » dont la dénomination montre le problème qu’ils créèrent d’un point de vue philosophique, voire même du bon sens. Or à partir de 1860 des mathématiciens (comme Dedekind pour la construction des nombres « réels ») mirent au point des constructions de ces entités qui paraissent extérieures au monde physique à partir uniquement des entiers naturels combinés par addition et autres relations « naturelles ».

Les entiers naturels sont comme des atomes, l’addition et le regroupement de ces entiers forment un ensemble de relations. Ces relations ne sont pas des nombres, mais des relations entre les nombres. Or ces relations peuvent être à leur tour être vue comme des constituants élémentaires, de nouveaux nombres, et elles ont toutes les propriétés de entiers négatifs. C’est là un des mécanismes importants de la dialectique : dans un système, les relations entre objets élémentaires sont un des aspects les plus importants du système, ces relations doivent être considérées à leur tour comme un des constituant du système.

Bien que souvent invisible à première vue, car venant en second lieu chronologiquement ou à l’issue d’un travail d’abstraction (voir le Chapitre 1 du Capital de Marx où la marchandise est l’objet élémentaire, la valeur une relation abstraite), elles peuvent être considérées comme un constituant du système à coté des « objets élémentaires ». C’est sur ce mécanisme élémentaire qu’est basée la construction de nombreux nouveaux objets en mathématiques. Ces nouveaux objets sont, et à la fois ne sont pas dans la « nature » telle qu’on la voit au premier regard. Voyons donc l’exemple des entiers négatifs.

On part des entiers naturels 1, 2, 3 et et on s’autorise à les combiner au moyen de l’addition ou en formant des couples. 1+2=3, couple (2,5) etc. On additionne ces couples de la manière la plus simple : (1,2)+(4,6)=(5,8) par exemple. Ce qui est remarquable c’est qu’à partir des entiers naturels et de ces relations que sont l’ addition, la formation de couples, les entiers négatifs, le nombre 0 sot déjà présents. Le lecteur ne les voit pas ? Ces nombres négatifs sont invisibles, mais ils sont bien là. Expliquons.

On peut mettre les couples en relation : décidons que deux couples (a,b) et (a’,b’) sont équivalents si la somme de leurs termes extrêmes est égale : a+b’=b+a’. Par exemple (3,5) et (2,4) sont équivalents car 3+4=5+2=7. De même (1,5) et (6,10) sont équivalents (la somme des extrêmes vaut 11) etc.

On remarque que que (1,1) est équivalent à (2,2), à (3,3) etc. Ces couples représentent tous le même nombre abstrait, appelons-le zéro. Pourquoi a-t-on le droit ? Car (3,5)+(1,1)=(4,6) et (3,5) est équivalent à (4,6). De même (3,5)+(2,2)=(5,7) et (3,5) est équivalent à (5,7). Donc additionner (1,1), ou (2,2), (3,3) ne change rien. Or c’est ce qui caractérise le zéro.

De même on peut dire que les couples (3,5) et (5,3) sont des « opposés » car leur somme est (8,8), qui fait partie de la liste des couples qu’on a appelé zéro. Chaque couple a un opposé. L’opposé de (a,b) est (b,a) car la somme (a+b,b+a) est équivalente à zéro. Trouver l’opposé d’un entier naturel est ramené à inverser l’ordre des éléments d’un couple, manipulation « naturelle ».

On dispose d’un zéro, d’un opposé pour chaque nombre, on a créé ces notions en partant des entiers naturels et de relations « naturelles » entre eux. Ces relations sont invisibles à première vue, mais elles existent bien, elles ont été découvertes vers 1860, au même moment où Darwin et Marx publiaient leurs ouvrages révolutionnaires « L’évolution des espèces » et la l’« Introduction à la critique de l’économie politique ». Hasard ?

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