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Le parti et le syndicat

vendredi 3 août 2012, par Robert Paris

Trotsky au parti communiste français au nom de la direction de l’Internationale communiste en décembre 1920

La question syndicale.

Nous avons beaucoup parlé de la question syndicale au cours de ce congrès et nous avons rencontré les obstacles dont on voit le reflet dans les procès-verbaux du congrès de Paris auprès de la tendance du centre et de la tendance Renoult.

Je vous citerai quelques expressions de notre camarade Jacob, qui fait partie de la délégation syndicale. Son argumentation au congrès de Paris est extrêmement caractéristique, et je le dis, en toute amitié, tout à fait fausse, dangereusement fausse.

Le camarade Jacob est membre du parti et en même temps membre qualifié de l’organisation syndicale. Voilà comment il dicte au parti son rôle dans le mouvement ouvrier :

« Le parti ne doit pas gêner l’action des syndicats et certains pas­sages de la résolution du comité directeur ne peuvent qu’entraver cette action. Manouilski est mal renseigné sur la grève du Havre : Frossard et Lepez ont dit que le parti communiste n’a pas fait son devoir dans la grève. Mais nous disons que le parti n’avait rien à y faire... »

Voilà un état d’esprit extrêmement dangereux. On dira peut-être qu’il s’agit seulement d’exagération dans l’expression. Mettons ! Mais elle reste extrêmement caractéristique de la mentalité de notre parti. Ce sont des membres du parti pas des syndicalistes amicaux, comme Monmousseau d’un côté, Monatte de l’autre , ce sont des membres du parti qui lui disent : « Tu n’as rien à faire dans un événement comme la grève du Havre » [2].
Les syndicats et le Parti.

Vous savez que dans la grève du Havre, c’est le maire du Havre, Meyer, politicien radical bourgeois, c’est le député Siegfried mort depuis, qui sont intervenus ; ce sont les fusils de M. Poincaré qui sont intervenus aussi et cela, c’est de la politique. Il n’y a qu’un seul parti qui ne soit pas intervenu, comme parti, dans cette grève. Certes, il a fait beaucoup pour les grévistes : il a recueilli de fortes sommes d’argent par souscriptions quotidiennes, on a écrit beaucoup d’articles. Mais comme organisation qui puisse donner des conseils, se présenter sans contrecarrer l’action du syndicat, montrer sa figure politique aux ouvriers et dire : « Nous sommes ici pour vous aider, qu’est ce que vous exigez de nous ? Nous sommes prêts à le faire ! », le parti n’a rien eu à faire dans la grève du Havre.

Il y avait des syndicalistes locaux qui disaient, je l’ai appris de camarades qui sont ici : « Ne venez pas nous compromettre devant le gouvernement qui dira : Vous faites une grève communiste, peut-être même ordonnée par Moscou. » Alors le parti s’est esquivé.

Je comprends qu’il peut y avoir des conditions où le parti puisse faire des concessions à l’esprit même le plus arriéré de la masse ou de ses représentants locaux, pendant une grève. Mais alors, on aurait dû écrire dans l’Humanité : « Nous avons offert nos services aux leaders de la grève du Havre ; ils nous ont répondu : « Nous avons des relations avec Meyer, avec Siegfried : n’allez pas nous compromettre ! » Alors, nous n’intervenons pas, mais nous leur disons : « Prenez garde ! Casse cou ! Vous avez affaire à des politiciens bourgeois : ils vous trahiront. Il n’y a qu’un seul parti qui sera avec vous au moment de la grande lutte : c’est le parti communiste. »

Si vous aviez dit cela dès la première journée de la grève du Havre, ou pendant son développement, après les événements tragiques du 28 août et les massacres, votre autorité en aurait été affermie, car c’est vous qui auriez prévu l’évolution des événements.

Non. Nous nous sommes inclinés. Le camarade Frossard a dit : « Le parti n’a rien pu faire dans ce domaine », et voilà un communiste qui travaille dans les syndicats et qui dit : « Le parti n’avait rien à y faire. »

C’est une situation bien triste et bien dangereuse, parce que, de là , il n’y a qu’un pas à faire pour rejoindre notre camarade Ernest Lafont. Celui ci, dans le discours qu’il a prononcé au congrès de Paris, s’est inspiré du « lagardellisme » ; ce n’est plus du syndicalisme, c’est une mixture de quelques déchets idéologiques du syndicalisme avec de la politicaillerie. Ernest Lafont dit : « Les syndicats sont une chose secondaire et je suis créé pour cette chose secondaire. »

Lagardelle était un grand philosophe : il est maintenant l’employé d’organisations capitalistes. On poursuit dans le parti une action tout à fait opportuniste, réformiste et non révolutionnaire quand on se fonde sur une philosophie d’après laquelle la révolution doit être faite en dehors du parti. Ernest Lafont trouve une formule tout à fait heureuse, il dit : « Qu’est ce que nous avons, nous autres, avocats, à nous mêler des affaires des syndicats ? » Et le camarade Jacob, qui n’est ni avocat, ni lagardelliste, mais qui est un bon communiste et un bon ouvrier syndicaliste, dit : « Oui, le parti n’a rien à y faire. »

Cette coïncidence est extrêmement dangereuse.

Je la retrouve un peu dans la déclaration signée par Monatte - mon ami et par les camarades Louzon, Chambelland et d’autres.

On peut comprendre Monatte qui n’est pas membre du parti - quand il dit : « Nous sommes des syndicalistes révolutionnaires, c’est à dire que nous attribuons au syndicat le rôle essentiel dans la lutte révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat. » C’est une déclaration toute récente parue après le congrès de Paris dans la lutte de classe, dirigée par le camarade Rosmer, avec une note de la rédaction.

Je comprends de pareilles affirmations de la part de Monatte qui est en dehors du parti et qui a tort d’ailleurs de rester en dehors du parti mais je ne comprends guère Louzon, ni Chambelland, ni Clavel et S. Orlianges qui appartiennent au parti et sont membres en même temps de la commission exécutive de la C.G.T.U.

Qu’est ce que cela veut dire : « Nous attribuons un rôle essentiel au syndicat dans la lutte révolutionnaire pour l’émancipation » ? Quel syndicat ? Nous connaissons en France plusieurs syndicats. S’agit il du syndicat des jouhausssistes ? Evidemment non. Du syndicat de notre camarade Monmousseau ? Peut être. Mais vous voulez aboutir à une unification, à une fusion de ces deux syndicats. Nous avons aujourd’hui Monmousseau comme secrétaire général de la C.G.T.U., mais nous avions hier une commission administrative de cette C.G.T.U. entre les mains des auteurs du Pacte : les Besnard, les Verdier, etc. Est ce sous leur conduite que le prolétariat petit aller vers la révolution et la faire ? Est ce que vous croyez sérieusement que c’est au syndicat que revient le rôle dirigeant de la classe ouvrière ? Est ce que vous croyez que le syndicat conduit par les réformistes, les confusionnistes, les communistes qui ne veulent pas se soumettre à la discipline et à la doctrine de leur parti, soit la première organisation ouvrière du monde, ou un syndicat inspiré par les idées communistes que nous représentons ? Vous vous servez d’une formule du syndicalisme après l’avoir vidée de son contenu révolutionnaire et idéologique et vous dites : « Le syndicat, c’est la première chose du monde ! »

Naturellement, s’il s’agit d’un syndicat guidé par les meilleurs éléments de la classe ouvrière, tout à fait organisés et conscients, et qui s’inspirent de la doctrine représentant les intérêts de la lutte révolutionnaire, alors ce syndicat est excellent. Mais il n’existe pas, surtout en France. Il faut le créer. Par quels procédés ? Par une collaboration entre les camarades qui n’appartiennent pas au parti et ceux qui y sont, en organisant l’élite de la classe ouvrière, en lui inculquant les idées communistes et en en faisant pénétrer l’esprit dans toutes les organisations ouvrières.

Vous laissez entrer dans les syndicats les ouvriers qui sont en dehors du parti et qui ne sont pas des révolutionnaires, qui ont les préjugés les plus rétrogrades : les ouvriers catholiques, par exemple. Vous êtes obligés de le faire, parce que si le syndicat n’avait dans son sein que des communistes, des syndicalistes qui ne sont pas encore au parti, à cause de quelques préjugés, si le syndicat n’avait que ces éléments, il n’aurait aucune valeur parce qu’il serait une répétition du parti.

Mais ce ne serait pas pire, parce que le parti est plus homogène ou du moins doit l’être que les syndicats, lesquels comprennent des communistes qui ne se soumettent pas à la discipline de leur parti et des syndicalistes qui n’appartiennent à aucun parti et ont peur du parti, en même temps qu’ils ont besoin d’analyser leurs idées, leurs méthodes, sans disposer d’un parti politique pour le faire. Si les syndicats n’étaient que cela, ils représenteraient la formule la plus exécrable d’un parti politique.

L’importance du syndicat consiste en ce que sa majorité est ou doit être composée d’éléments qui ne sont pas encore soumis à l’influence d’un parti. Mais il est évident qu’il y a dans les syndicats des couches différentes : les couches tout à fait conscientes, les couches conscientes avec un reste de préjugés, les couches qui cherchent encore à former leur conscience révolutionnaire. Alors, qui doit prendre la direction ?

Nous ne devons pas oublier le rôle du Pacte. Il doit être un exemple pour chaque ouvrier français, même le plus arriéré, le plus simple. Il faut expliquer ce fait que, par suite de la défaillance du parti dans le domaine syndical, quelques éléments anarchisants ou anarchistes ont créé un pacte secret pour prendre la direction du mouvement. Les syndicats représentent une élite qui a besoin d’une direction d’idées ; ces idées ne sont pas spontanées, elles ne tombent pas du ciel ; il doit y avoir une continuité dans ces idées, il faut les justifier, les vérifier par l’expérience, les analyser, les critiquer et ce travail doit s’opérer dans le parti.

Aujourd’hui, la grande objection que l’on nous oppose, c’est la subordination des syndicats au parti.

Oui, nous voulons subordonner la conscience de la classe ouvrière aux idées révolutionnaires. C’est notre prétention. Il est tout à fait stupide de dire que nous pouvons agir par des pressions du dehors, par des pressions qui ne seraient pas fondées sur la volonté libre des ouvriers eux mêmes, que le parti possède des moyens .de pression à l’égard des syndicats, lesquels sont numériquement plus forts que lui ou au moins devraient l’être. C’est la réaction de tous les pays qui a toujours répété que le parti et les syndicats veulent soumettre la classe ouvrière à leur volonté.

Prenons la presse la plus réactionnaire et la plus perfide, en France, en Allemagne, partout, en Amérique aussi. Ce sont toujours les mêmes affirmations. Ce sont les organisations ouvrières qui s’emparent, contre le gré de la classe ouvrière, de ses actions, qui s’imposent et qui aboutissent, par leurs manœuvres, à la soumission de la classe ouvrière aux syndicats.

Que répondrez vous à cela ? Vous dites : « Non, nous présentons nos services à la classe ouvrière, nous gagnons la confiance des syndicats. La partie avancée de la classe ouvrière entre dans les syndicats ; la grande masse soutient les syndicats dans la lutte et y pénètre peu à peu à son tour. »

N’est ce pas la même chose avec le parti ? Nous voulons gagner la confiance des syndiqués. N’est ce pas notre droit, notre devoir, de nous présenter dans chaque action, et surtout dans les actions difficiles, comme les éléments les plus courageux pour animer ces actions, les encourager, occuper les postes les plus difficiles, ceux qui comportent les plus grands risques, pour démontrer que les communistes sont toujours et partout les éléments les plus fidèles de la lutte révolutionnaire ?

N’est-ce pas notre devoir et notre droit ?

Lisez, sur ce sujet, l’article du camarade Soutif, dans le dernier ou l’avant-dernier numéro du Bulletin communiste, par conséquent après le congrès de Paris. On a une certaine manière, en France, de critiquer l’Internationale : on s’incline devant l’Internationale en tant que telle et on assène en même temps un bon coup à la gauche, de préférence sur une question où la gauche représente fidèlement les idées de l’Internationale. Soutif dit : « Cette résolution - c’était la résolution de Rosmer, que je trouve excellente -, cette résolution proclame que le parti communiste « croit exprimer le mieux les aspirations de la classe ouvrière et être le plus capable d’assurer sa libération ». La majorité du comité directeur rejeta naturellement cette motion. »

Le comité directeur d’un parti qui prétend le mieux servir la classe ouvrière doit « évidemment » rejeter une pareille affirmation. Et ceci est écrit dans l’organe de notre parti, par un membre du comité directeur qui dénonce la gauche pour avoir commis cette grande faute de prétendre que notre parti est capable de servir le mieux la classe ouvrière !

On n’y comprend rien. Si nous nous laissons dénoncer de cette manière, dans nos organes, par les membres de notre comité directeur, est-ce que nous pouvons gagner la confiance de la classe ouvrière ? Peut-on tolérer cela pendant des semaines ? Un parti vivant qui veut gagner la confiance de la classe ouvrière devrait commencer par enseigner l’A B C du communisme à l’auteur de cet article.

Ce n’est d’ailleurs pas le premier. Ce n’est qu’un élément d’une longue série que nous avons dénoncée dans des lettres, dans des discussions, dans des télégrammes.
Les leçons de la grève du Havre.

Les conséquences, c’est la grève du Havre, et surtout la grève générale de protestation vers la fin de la grève du Havre, après les massacres du 28 août.

Vous connaissez tous ces événements. La grève du Havre a duré cent dix jours. Elle a fini par un massacre. On a tué quatre ouvriers : on en a blessé plusieurs. Or, je vais vous montrer quelques documents qui resteront dans l’histoire du mouvement ouvrier français : ce sont des coupures de l’Humanité. C’est l’appel de la C.G.T.U. et de l’Union des syndicats de la Seine. Cet appel a paru dans l’Humanité du lundi ; on y annonce à la classe ouvrière l’assassinat du Havre, et puis, il y a un appendice : « Mardi » - c’est-à-dire le lendemain -, « grève générale de 24 heures ». Et l’on ajoute : « Le Bâtiment décide, en attendant, la grève générale pour aujourd’hui, » Pour le lundi !

Le parti « n’avait rien à faire », comme dit notre camarade Jacob, dans la grève du Havre. C’était une question économique : on a, économiquement, tué quatre ouvriers et on en a blessé plusieurs, question purement syndicale. Il y a des organismes économiques pour s’occuper de cette affaire : c’est d’abord le Bâtiment, « en attendant », c’est-à-dire en n’attendant pas, en sabotant l’action. Il se lance dans une grève qu’il proclame « la grève générale ».

Que fait la C.G.T.U. ? Elle s’incline devant le Bâtiment. Pourquoi ? Parce qu’elle ne peut pas céder la place aux anarchistes qui prétendront être plus révolutionnaires que les autres et diront : « Nous avons proclamé la grève générale et les syndicalistes, les mi-communistes de la C.G.T.U., ont saboté notre grande action » - qui n’était pas une action, mais seulement un mot d’ordre lancé à ce moment-là [3].

On s’incline devant cette erreur et que fait le parti ? Il s’incline devant la C.G.T.U. C’est l’enchaînement des erreurs. Qui commence ? Ce sont quelques jeunes anarchistes qui ne sont peut-être pas si coupables que cela. Ils sont allés au siège de leur organisation et ont dit : « Il faut faire quelque chose. » Et ils ont trouvé là un camarade qui a répondu : « Mais oui, il faut faire quelque chose : on va proclamer la grève générale. »

Et la C.G.T.U. s’incline ; le parti s’incline. Le parti, qui « n’a rien à faire » dans la grève du Havre, qui est resté comme un organisme tout à fait superflu dans ce dialogue entre tous les ouvriers du Havre et la grande société bourgeoise, le parti intervient pour s’incliner devant la C. G. T. U.

Le résultat ? La débâcle. Fiasco complet. Pourquoi ? Parce que c’était prédéterminé, prématuré. Ces coupures que je vous montre prétendaient mettre debout la classe ouvrière en France, du lundi au mardi, pour la grève générale. Etait-ce possible ? Même dans un pays où l’on possède le réseau télégraphique, les radios - comme ici, en Russie -, où le parti est fort, où les syndicats travaillent en plein accord avec le parti, où il n’y a ni partis, ni syndicats opposés aux nôtres, cela n’est pas possible. Ainsi, pour la démonstration en l’honneur du 4° congrès mondial, on a dû expliquer aux ouvriers ce que c’était que le 4° congrès. Il y avait parmi les soldats qui sont passés devant vous le 7 novembre un certain enthousiasme que vous avez peut-être remarqué. D’où venait-il ? Il y avait parmi eux de jeunes paysans qui ne connaissent pas très bien la géographie et qui ignorent ce qui se passe en France, ce qui se passe hors de la Russie. On a dû leur expliquer ce qu’était le 4° congrès mondial, et pourtant, qu’est-ce qu’on exigeait d’eux ? De passer simplement devant les délégués étrangers, et de leur présenter leur salut fraternel.

Pour vous, qui exigiez de la classe ouvrière française une grève générale, vous deviez expliquer à cette classe ouvrière ce qui se passait au Havre, et pas seulement par la formule « gouvernement d’assassins ».

En France, on fabrique ces formules beaucoup mieux que dans d’autres pays : on s’y connaît. Il fallait expliquer à chaque ouvrier et à chaque ouvrière, aux ouvriers agricoles, aux paysans et paysannes, ce qui se passait au Havre : on a tué quatre ouvriers après en avoir tué un million et demi pendant la guerre. On montrait si possible les photographies des tués : on décrivait la situation de la famille des ouvriers ; on présentait les portraits des filles et des garçons de ces ouvriers tués. Vous envoyiez tout de suite des correspondants qui connaissaient ces questions et la vie des travailleurs, des camarades qui pouvaient pénétrer dans les familles des ouvriers tués, partager leur peine et en raconter toute l’horreur à la classe ouvrière.

Il était nécessaire de mobiliser tout de suite, à Paris, un millier des meilleurs communistes et syndicalistes révolutionnaires, la main dans la main avec la C.G.T.U., et de les envoyer partout, non seulement dans tous les coins de Paris, mais aussi dans tout le pays, dans les villes et les campagnes, pour y mener une propagande intense ; il fallait en même temps publier à deux, trois ou quatre millions d’exemplaires des tracts, des appels, pour mettre la classe ouvrière au courant de ce qui se passait en disant : « Nous ne pouvons pas laisser passer ce crime sans protester. »

Devait on pour cela s’engager tout de suite dans une grève générale de 24 heures ? Non. Il fallait mettre en mouvement la classe ouvrière tout entière, par une propagande intense qui n’était autre chose que l’explication des faits. Il fallait expliquer, raconter brièvement les faits à la classe ouvrière : c’était la première condition.

Pourquoi ne l’a t on pas fait ? On a eu peur que le sentiment d’indignation de la classe ouvrière ne dure pas trois, quatre ou cinq journées. C’est l’expression de la méfiance bureaucratique de notre syndicalisme révolutionnaire et de notre communisme à l’égard de la classe ouvrière ! (Applaudissements.)

Il fallait lui raconter, lui expliquer les faits. Nos camarades du Pas de Calais sont descendus dans la mine et n’ont appris qu’ensuite qu’il fallait faire la grève. Naturellement, l’action était tout à fait paralysée et compromise d’avance. Je me demande comment on aurait pu agir autrement si on avait voulu la saboter.

Et puis on a sauvé naturellement pas pour toujours les dissidents, les réformistes, les jouhaussistes. Pourquoi ? C’est bien simple, camarades. La bourgeoisie, en tuant quatre ouvriers en France, n’avait elle pas mis ses amis dissidents et réformistes dans une situation extrêmement difficile ? Avec les réformes, avec les idées du Bloc national, avec la participation de Jouhaux à des assemblées bourgeoises pour l’amélioration du sort des ouvriers, on peut encore duper les travailleurs. Mais le massacre du Havre était un coup presque mortel pour nos adversaires.

Que fallait il faire ? Il fallait dans chaque numéro de l’Humanité, pendant une ou deux semaines, faire toute la propagande possible, toute l’agitation utile en demandant à la C.G.T. réformiste et aux dissidents : « Que proposez-­vous, maintenant ? Il ne s’agit pas de dictature du prolétariat, nous ne vous la proposons pas, quoique nous en soyons partisans. Mais que proposez-­vous contre la bourgeoisie qui vient de tuer quatre ouvriers, contre le gouvernement, contre Poincaré ? »

Voilà une question qu’il fallait chaque jour répéter et faire répéter par les propagandistes, les agitateurs du parti et les syndicats, à tous les coins de rue, dans tous les coins de la France, dans tous les villages où il y a un ouvrier ou une ouvrière, et cela pendant une ou deux semaines. C’eût été vraiment une grande date dans le mouvement de la classe ouvrière. Au lieu de cela, on a compromis la situation. On a lancé cet appel, insensé, à la grève immédiate. On n’annonce pas le lundi une grève générale pour le mardi, car les dissidents et réformistes trouvent naturellement là un prétexte à se dérober et à dire : « Nous ne participons pas à une entreprise aussi risquée. »

Et puisque la grève générale était compromise par avance, ils ont décidé de donner le salaire d’une journée de travail aux victimes. Ils ne l’ont guère fait. Mais tout le monde a oublié leur criminelle passivité, parce que le point de concentration de toute l’attention ouvrière, c’était la grève générale, en fait dangereusement compromise.

C’est le Temps qui écrit : « L’échec de la grève générale constitue pour l’avenir un symptôme encourageant. » Il a raison, Et l’Humanité ajoute : « La bourgeoisie veut profiter de cette passivité inouïe de la classe ouvrière. »

Ç’avait été un échec formidable, mais le lendemain on avait dit que c’était tout de même un gros succès. Comme cette position était indéfendable, on a dit ensuite : « La bourgeoisie veut profiter de cette passivité inouïe de la classe ouvrière. » On rejette toujours la responsabilité sur le dos de la classe ouvrière. Quand il y a une défaillance de la C.G.T.U. et du parti, on impute l’échec à la classe ouvrière. C’est une manière d’agir que la classe ouvrière ne tolérera pas. Elle devra inviter ses chefs à analyser leurs fautes pour apprendre quelque chose de l’expérience de la lutte. Il est vraiment temps, camarades !

Nous avons eu, en France, un grand évènement, dont la grève de protestation ne fut que la répétition néfaste : c’est le mouvement du 1° mai 1920. Le parti n’existait pas encore comme parti communiste. La scission n’avait pas encore eu lieu dans les syndicats. Mais les forces étaient les mêmes, sur le terrain politique comme sur le terrain syndical. Les éléments de la gauche n’avaient pas préparé l’action. Ceux de la droite ont tout fait pour la compromettre et l’écraser par leur trahison. Ils y ont réussi. Vous savez quelle importance a cette date du 1° mai 1920 dans l’histoire de la France d’après guerre. L’élan révolutionnaire de la classe ouvrière a baissé d’un coup, la stabilité du régime bourgeois a augmenté d’un coup. Un grand changement s’est produit après cette grève générale perdue.

Deux ans et trois mois se sont écoulés depuis cette leçon et on fait une deuxième édition de cette grève sous la forme d’une grande protestation contre le massacre du Havre ! Naturellement, le résultat, c’est la désillusion, c’est la passivité de la classe ouvrière, et c’est aussi le maintien du réformisme et du syndicalisme de Jouhaux inévitablement.

Pourquoi ? Parce que le parti n’a pas su donner de conseils, parce qu’il n’est pas intervenu en analysant la situation elle même, en donnant son avis, en invitant notre camarade Monmousseau, qui n’est pas du parti et ne veut pas de liaison organique [4], à décider ce qu’on ferait ensemble. Il fallait lui dire : « Vous proposez la grève pour demain mardi, mais c’est tout à fait impossible ; vous allez la compromettre et créer une situation défavorable dans la lutte de la classe ouvrière. » je suis sûr que notre ami Monmousseau aurait répondu : « je suis d’accord pour discuter avec vous ; toutefois, mon organisation est autonome et elle prendra les décisions qui lui paraîtront convenables et justes. » Mais s’asseoir à la même table pour analyser la situation et échanger des conseils, est ce que ce n’était pas nécessaire ?

D’autant plus que la C.G.T.U. n’a pas fait autre chose que s’incliner devant l’initiative du Bâtiment. Le résultat, nous le voyons. Après le 1° mai 1920, on a perdu des mois, plus que des mois, et le temps, c’est une matière première précieuse pour la lutte ouvrière. La bourgeoisie ne perd pas de temps. Nous, nous avons perdu deux années et il y a des camarades qui prétendent qu’on les a gagnées !

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