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Un régression du type néo-Kantisme en philosophie des mathématiques : un texte du groupe Bourbaki

lundi 20 août 2012, par Alex

Bourbaki est le nom d’un groupe français de mathématiciens (Jean Dieudonné, Grothendieck, Jean-Pierre Serre, Laurent Schwartz et d’autres) qui publièrent un important traité « Eléments de mathématiques » à partir de 1939.

Leur influence en France sur la philosophie des mathématiques a plusieurs sources.

Premièrement l’enseignement des mathématiques supérieures en France reste largement structuré autour de leur vision des mathématiques, dont le fondement serait la Théorie des Ensembles.

Deuxièmement et conséquence du premièrement les mathématiciens en France ont (même souvent sans le savoir) la philosophie de Bourbaki.

Troisièmement de nombreux savants qui diffusent la culture scientifique dans des conférences, des ouvrages de vulgarisation etc, présentent Bourbaki comme une des avant-garde intellectuelles dans le domaine de la philosophie des mathématiques. Maurice Loi dans sa contribution au recueil de textes « Penser les mathématiques » (Seuil, 1982) intitule un des paragraphes Descartes précurseur de Bourbaki. Il n’y aurait pas régression, mais progrès dans la philosophie, bien française de surcroit.
De même dans le chapitre II du « Que-sais-je 1311, Le Structuralisme », Jean Piaget présente Bourbaki comme un novateur dans le domaine des fondements des mathématiques, à travers la promotion qu’il aurait fait de la notion de groupe. Bourbaki ne fut pas vraiment un théoricien en philosophie des mathématiques. L’éloge de Piaget est très trompeur. Nous y reviendrons dans un article ultérieur.

Car avant une caractérisation générale des idées de Bourbaki par exemple à travers son texte « L’Architecture des mathématiques » (paru dans le recueil de textes « Les grands courants de la pensée mathématiques ») (1962) lisons un court extrait de ce texte qui donnera un aperçu général de la philosophie des mathématiques de Bourbaki :

Quant aux objections des philosophes elles portent surtout sur un terrain où nous aurions garde, faute de compétence, de nous aventurer sérieusement ; le grand problème des rapports du monde expérimental et du monde mathématique. Qu’il y ait une connexion étroite entre les phénomènes expérimentaux et les structures mathématiques c’est ce que semble confirmer de la façon la plus inattendue les découvertes les plus récentes de la physique contemporaine ; mais nous en ignorons totalement les raisons profondes (si tant est qu’on puisse donner un sens à ces termes, et nous les ignorerons peut-être toujours.

Ce sont les dernières phrases qui permettent de classer Bourbaki dans l’agnosticisme Kantien : on ne peut connaitre la chose-en-soi, la vraie réalité reste un mystère impénétrable par l’Entendement et la Raison, il existe un dualisme infranchissable, deux mondes de nature différente : celui de la matière (Bourbaki n’emploie même pas ce terme, il commencerait à faire de la philo, ce qu’il ne veut pas) et celui de nos connaissances. Cet extrait amène aux réflexions suivantes.

Premièrement, et c’est très Kantien, car un corollaire du dualisme, Bourbaki divise le champ de la science en territoires indépendants. Pour Bourbaki il y a un dualisme entre mathématiques et philosophie. En effet dire "Les philosophes" c’est regrouper tous les courants philosophique dans un même sac. Platon et Héraclite, Kant, Hegel, Marx et Nietzsche, du point de vue du domaine des mathématiques, c’est du pareil au même.

Deuxièmement (et cela n’est pas Kantien), il y a un mépris de la philosophie du point de vue du « praticien », du « mathématicien au travail » qui n’a pas de temps à perdre avec les « grands systèmes prise de tête », car « Y-en-a qui bossent ! ». Jean Dieudonné (un des fondateurs et leaders du groupe Bourbaki) écrit dans sa contribution « Mathématiques vides et mathématiques significatives »
dans le recueil "Penser les mathématiques" cité plus haut : 95% des mathématiciens se moquent éperdument de ce que peuvent faire tous les logiciens et tous les philosophes. Bourbaki se fait donc le porte-parole de la majorité silencieuse, exprimerait ce qui fait « consensus », le « bon-sens ».

Troisièmement : la division de la pensée en domaines indépendants évoquée au premièrement est aussi l’apanage des scientifiques religieux. Le recueil « Le savant et la foi » (Flammarion, 1989) en donne de nombreux échantillons. Citons le premier texte du recueil : Jean Delhaye : La sagesse de Dieu échappe au calcul (...) la démarche personnelle de foi est d’un autre ordre que la démarche intellectuelle de connaissance. Bourbaki, qui s’est placé en leader institutionnel des maths en France
a donc trouvé une niche dans le dualisme Kantien, qui ne tranche pas entre matérialisme et idéalisme. Cela évite de poser la question religieuse, cela permet de faire « l’unité », chacun étant autorisé à y travailler en gardant dans son jardin secret : Dieu, Platon, la résurrection, la vie éternelle, l’occultisme etc. C’est en cela que ce type de philosophie est une régression néo-Kantienne, même pas du Kantisme, car Kant à son époque a éclairci la situation générale à l’issue du XVIIIème siècle. Un mathématicien Kantien même aujourd’hui aurait le mérite de poser les problèmes en termes clairs (rapports esprit / matière etc) . Or Bourbaki ne le fait pas dans ce texte.

Ce retour vers Kant est typique chez les scientifiques depuis la deuxième moitié du XIXème siècle, l’éclatement de l’école Hegelienne à partir de 1830. Les remarques de Lénine sur Helmolz dans « Matérialisme et enpiriocriticisme » (1908) s’appliquent à Bourbaki :

Helmolz, une sommité en matière de sciences de la matière, fut en philosophie tout aussi inconséquent que l’immense majorité des savants. il fut enclin au Kantisme, sans toutefois se montrer même à cet égard conséquent dans sa gnoséologie

La citation suivante d’Helmolz donnée par Lénine est un copié-collé de celle de Bourbaki donnée au début : L’idée et les objets qu’elle représente sont deux choses qui appartiennent sans doute à deux mondes tout à fait différents. Et Lénine de conclure : les Kantiens seuls détachent ainsi l’idée de la réalité et la conscience de la matière.

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