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Karl Marx

lundi 3 septembre 2012, par Robert Paris

Karl Marx

de Henriette Roland-Holst

Marx fut un de ces génies scientifiques universels tels que l’humanité n’en produit que fort rarement et à de grands intervalles. Au cours du XIXe siècle, il n’est guère que l’œuvre de Darwin qui soit comparable à celle de Marx par son importance novatrice et son influence capitale sur la pensée de l’humanité civilisée. Mais combien le profond penseur, l’économiste et l’historien révolutionnaire que fut Marx, dépasse en universalité et en audace intellectuelle le naturaliste-spécialiste timoré sous maints rapports que fut Darwin ! Rien que le fait que tandis que Darwin passa absolument à côté des découvertes sociologiques de Marx, ce dernier suivit avec le plus vif intérêt les hypothèses nouvelles de Darwin sur les lois régissant l’évolution naturelle, rien que ce fait prouve en lui-même d’une manière indéniable la supériorité intellectuelle de Marx, son universalité scientifique.

Une sagacité remarquable, une intuition historique merveilleuse, une mémoire excellente et surtout une combinaison des plus heureuses de la faculté d’analyse et de celle de synthèse, — tous ces dons naturels n’auraient pas encore réussi à faire de Marx un des grands héros dans le domaine de la connaissance, sans cette soif inaltérable de savoir, cette application incessante au travail qui le caractérisa toute sa vie. Étudiant, ses amis disaient de lui qu’il « se plongeait toujours dans un océan de livres sans bornes et sans fond ». Dans l’exil, misérable et constamment affolé par des soucis d’argent, il surmontait et oubliait ses tracas domestiques en s’absorbant dans le travail, en cherchant la solution des problèmes sociologiques, historiques et mathématiques les plus ardus. Le travail opiniâtre et acharné auquel il se livra ruina sa santé et abrégea à n’en pas douter sa vie.

Grand dans le domaine intellectuel, Marx ne fut pas moins grand dans le domaine moral. Ce « matérialiste » en philosophie fit preuve d’un idéalisme pratique admirable : il voua ses facultés, sa force, sa vie entière à la cause du prolétariat et lui resta fidèle dans toute les vicissitudes. Il souffrit les calomnies, les persécutions, l’exil et surtout le long martyre de la pauvreté plutôt que de transiger avec ses convictions et d’adoucir l’expression de sa haine contre le régime capitaliste, contra les oppresseurs et les exploiteurs des masses laborieuses.

Grâce aux capacités extraordinaires, et au savoir illimité de Marx, les carrières les plus brillantes se seraient ouvertes au renégat révolutionnaire. Mais Marx préféra vivre de longues années à Londres dans la gêne et le dénuement, ayant devant les yeux sa femme adorée harassée par les menaces continuelles des créanciers et les soucis sordides des ménages éternellement à court d’argent, et ses enfants bien-aimés, souffrant également de la pauvreté de leurs parents. Jamais il ne dérogea à sa fière parole « qu’il faudrait être un bœuf pour se désintéresser des souffrances de l’humanité et s’inquiéter de son propre bien »1.

C’est pendant ces années d’âpre lutte pour la vie que Marx écrivit son chef-d’œuvre économique : Le Capital. Et c’est ici qu’il est fort et propos de remémorer l’amitié admirablement dévouée de Friedrich Engels : sans son soutien matériel et intellectuel inlassable, Marx n’aurait jamais pu mener à bien sa grande œuvre, fruit de longues années de travail et d’investigation.

Dans le Capital, Marx expose le mécanisme de la production capitaliste. A l’aide de la méthode analytique et s’appuyant sur les travaux de Ricardo, il résout le problème de la valeur et le mystère de la création de la plus-value dans la société actuelle. C’est-à-dire qu’il découvre les relations sociales et le processus à l’aide duquel le monde capitaliste engendre nécessairement, fatalement, et sur une échelle toujours plus vaste, d’un côté la richesse et la puissance économique de la classe capitaliste, d’un autre, la misère, la dégradation et l’esclavage du prolétariat.

Economiste génial, Marx fut en même temps un grand historien, qui étudia à fond l’histoire antique et moderne, en premier lieu celle de la grande révolution de 1789.

Grâce à ses études historiques approfondies et non moins grâce à la discipline dialectique, dont le pénétra la philosophie de Hegel, il découvrit le rôle du mode de production et de la lutte des classes dans l’évolution de la société — découverte géniale, infiniment fertile, permettant pour la première fois de vraiment pénétrer les causes des divers phénomènes sociaux et psycho-sociaux, et de leurs changements à travers les âges. Il a formulé d’une façon claire et précise les principes directeurs de sa théorie — généralement désignée du nom de matérialisme historique quoique le terme de déterminisme économique soit à vrai dire plus exact — dans la préface d’une œuvre critique sur l’économie politique.

En démontrant comment l’évolution de la production capitaliste conduit nécessairement à une concentration toujours plus grande du capital, Marx a prévu et prédit tout le processus aboutissant de nos jours à la création des cartels et des trusts tout-puissants.

En démontrant comment la croissance démesurée des forces de production dans le régime capitaliste, excluant toute possibilité de retour à la propriété individuelle petit-bourgeoise, prépare la propriété collective, Marx a donné un fondement objectif aux aspirations socialistes et aux revendications du prolétariat. En démontrant, enfin, qu’une amélioration générale, permanente et considérable de la situation du prolétariat dans la société capitaliste est impossible, qu’il n’a de liberté, de dignité et de bien-être à espérer que du triomphe du socialisme, Marx indiqua aux masses le but auquel elles devaient tendre : s’emparer de l’Etat pour abolir la propriété capitaliste des instruments de travail, et instituer la propriété collective. En un mot, Marx désigna au prolétariat, comme but final de sa lutte, la fondation de la société socialiste, c’est-à-dire de l’organisation sociale avec laquelle se termine, suivant sa noble et profonde parole, « la préhistoire du genre humain ».

En ouvrant au misérable prolétariat ces horizons immenses, en lui indiquant la tâche magnifique à accomplir et en rattachant cette tâche aux tendances immanentes du processus social, Marx dépassa d’un coup toutes les écoles et toutes les sectes socialistes de son temps, qui, sans exception, contenaient des utopiques et arbitraires. Jamais encore, le socialisme n’avait été lié indissolublement à l’avènement au pouvoir de la classe ouvrière, jamais il n’avait été présenté comme le but final de sa lutte incessante contre l’oppression capitaliste. En donnant au prolétariat le sens de la mission grandiose que l’histoire lui imposait, Marx décupla les forces prolétariennes. Et tous ceux qui rejettent ébahie comme trop « matérialistes » les conceptions générales du déterminisme économique, qui veulent briser l’unité créée par le marxisme entre la lutte ouvrière et le but socialiste, tous ceux-là cherchent, qu’ils le veuillent ou non, a ramener le socialisme aux conceptions surannées et utopiques d’avant 1848.

Tout homme d’étude passionné d’investigations scientifiques qu’il fût, Marx toujours et volontiers abandonna ses travaux théoriques dès que le prolétariat militant réclamait son aide. On ne peut énumérer en quelques mots les services immenses qu’il rendit à la classe ouvrière depuis la fondation de la « Fédération des Communistes » en 1846, jusqu’au temps de l’Internationale, dont il fut la grande force de direction intellectuelle.

S’il poursuivit souvent de sa critique sévère et de ses railleries acerbes les chefs de sectes, les socialistes bourgeois, les conspirateurs et les charlatans révolutionnaires, toujours il se montra plein d’indulgences pour les fautes, les bévues, les faiblesses, les hésitations et les défectuosités des masses. Il se solidarisa sans hésitation avec chaque lutte vraiment prolétarienne, quelles que puisent être ses formes et ses chances de succès. La magnifique défense de la Commune de 1871, présentée au nom du. Conseil général de l’Internationale, reste un monument ineffaçable de sa loyauté à la cause révolutionnaire prolétarienne.

Non moins qu’un penseur hors ligne, Marx fut un grand lutteur. « Marx — dit Engels dans le discours prononcé devant la tombe de son ami — était avant tout un révolutionnaire. Contribuer, d’une façon ou d’une autre, au renversement de la société capitaliste et des institutions d’Etat qu’elle a créées, collaborer à l’affranchissement du prolétariat moderne, auquel il avait donné le premier la conscience de sa propre situation et de ses besoins, la conscience des conditions de son émancipation, telle était sa véritable vocation. » Et Mehring, après avoir cité ce passage du discours d’Engels, ajoute : « Si la grandeur incomparable de Marx consista en ceci que la pensée et l’action s’unirent en lui dans une union indissoluble, en lui cependant, tout compte fait, le lutteur révolutionnaire l’emporte sur le penseur scientifique »2.

C’est en premier lieu ce trait-là de Marx, son activisme révolutionnaire, qu’il s’agit de nos jours de bien mettre en relief. Pendant la période de décadence de la seconde Internationale précédant la guerre mondiale, la littérature dite « marxiste », à de rares exceptions près3, elle aussi dégénéra insensiblement. Elle s’occupa surtout de démontrer comment le processus de la société capitaliste, la concentration du capital, la croissance du prolétariat, etc., rendaient la victoire des masses certaine. C’est-à-dire qu’elle développa des tendances quiétistes, fatalistes, absolument étrangères à l’esprit de la doctrine de Marx. Aujourd’hui, ce qui est avant tout nécessaire, c’est l’appel à l’énergie combative, à la volonté révolutionnaire des minorités dont l’exemple doit vaincre dans toute l’Europe centrale et occidentale le découragement des masses, trahies par leurs chefs, hésitantes ou inertes.

Ce qu’il faut au socialisme, c’est avant tout des héros de la volonté. Et pour vivifier cet héroïsme, de qui nous inspirerons-nous mieux que de Marx, ce grand volontaire, qui, dans ses célèbres Thèses sur Feuerbach, écrivit l’audacieuse parole : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer. ».

Nous autres, socialistes révolutionnaires internationalistes, nous nous proclamons avec fierté les vrais disciples de Marx et nous refusons ce titre aux social-impérialistes qui s’efforcent de justifier les méthodes annexionnistes des classes dirigeantes à l’aide d’une phraséologie marxiste, ainsi qu’aux social-pacifistes qui ont accepté la guerre et l’effondrement de l’Internationale comme une fatalité. Nous nous réclamons de lui, malgré le fait que nous n’acceptons pas chaque parole de sa doctrine comme le dernier mot de la sagesse humaine et ne reculons pas devant la critique de ses théories. N’est-ce pas lui, n’est-ce pas son disciple Dietzgen surtout, qui nous a appris à comprendre que la vérité scientifique n’est pas un dogme, mais un processus infini, un horizon s’élargissant sans cesse ! Nous nous réclamons de lui malgré cet autre fait que nous préconisons des formes de lutte, telle que la grève en masse, — qu’il a à peine entrevues, et des formes d’organisation tels que les conseils d’ouvriers et de soldats qu’il n’a pas pu prévoir. Nous autres, marxistes révolutionnaires, nous pensons que la meilleure manière de vénérer la mémoire de Marx, c’est de continuer la lutte pour l’émancipation totale des masses laborieuses par les méthodes que l’époque actuelle de l’évolution capitaliste, c’est-à-dire l’impérialisme, rend possibles et nécessaires. Et nous saluons aujourd’hui comme les véritables représentants de l’esprit et des aspirations marxistes ces glorieux bolcheviks qui, juste un siècle après la naissance de Marx, ont réussi à renverser la classe des exploiteurs, afin d’abolir dans leur pays, dans les limites du possible, la propriété capitaliste des instruments de travail, source de toutes les oppressions, et de la remplacer par la propriété collective.

Nous saluons en eux égarement les vrais disciples de Marx à cause de leur politique internationale. Au mot d’ordre donné, voici bientôt 70 ans, dans le Manifeste Communiste, « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », ils ont donné une nouvelle signification et une nouvelle intensité par leurs appels incessants aux classes opprimées du monde entier pour s’unir à eux dans la lutte contre chaque impérialisme dans la révolution prolétarienne.

Notes

1 Mehring, dans la Leipziger Volkszeitung du 4 mai 1918.

2 Article de la Leipziger Volkszeitung du 5 mai 1918.

3 Notamment les écrits des marxistes révolutionnaires Rosa Luxemburg, Anton Pannekoek, Karl Radek, Léon Trotsky, Lénine et d’autres, ainsi que ceux de certains syndicalistes français, italiens et américains.

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  • En démontrant comment la croissance démesurée des forces de production dans le régime capitaliste, excluant toute possibilité de retour à la propriété individuelle petit-bourgeoise, prépare la propriété collective, Marx a donné un fondement objectif aux aspirations socialistes et aux revendications du prolétariat. En démontrant, enfin, qu’une amélioration générale, permanente et considérable de la situation du prolétariat dans la société capitaliste est impossible, qu’il n’a de liberté, de dignité et de bien-être à espérer que du triomphe du socialisme, Marx indiqua aux masses le but auquel elles devaient tendre : s’emparer de l’Etat pour abolir la propriété capitaliste des instruments de travail, et instituer la propriété collective. En un mot, Marx désigna au prolétariat, comme but final de sa lutte, la fondation de la société socialiste, c’est-à-dire de l’organisation sociale avec laquelle se termine, suivant sa noble et profonde parole, « la préhistoire du genre humain ».

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