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La division principale d’Engels des systèmes philosophiques en matérialistes et idéalistes est-elle pertinente en philosophie des mathématiques ?

dimanche 16 septembre 2012, par Alex

La division principale d’Engels des systèmes philosophiques en matérialistes et idéalistes est-elle pertinente en philosophie des mathématiques ?

Cet article donne un début de réponse positive à cette question, en réponse à des camarades marxistes qui répondent non, point de vue qui est intenable dès qu’on étudie l’histoire des mathématiques.

Dans l’Anti-Dhüring, Engels commence sa critique par l’aspect philosophique de Dühring au premier chapitre après l’introduction, Philosophie
III. Subdivision. L’apriorisme
 : Telle est la seule conception matérialiste de la question, et celle que lui oppose M. Dühring est idéaliste. C’est le premier pas en arrière de Dühring, et Engels tient à commencer par ce problème.

A l’époque la polémique Matérialisme et empiriocriticisme, peu après 1900, Lénine adressa à un conférencier qui se présentait comme militant marxiste une série de dix questions dont la deuxième : Le conférencier admet‑il la division essentielle des systèmes philosophiques, telle que l’énonce Engels, en matérialisme et idéalisme, étant donné que la tendance de Hume dans la philosophie moderne, tendance appelée « agnostique » par Engels, qui déclare que le kantisme est une variété de l’agnosticisme, est une tendance médiane, hésitant entre les deux précédentes ?

Cette démarche n’est-elle pas celle que nous devons suivre en ce qui concerne la philosophie des mathématiques ?

Des camarades objectent qu’il est fastidieux d’examiner le point de vue de chaque mathématicien, que la critique d’Engels était liée à des raisons tactiques. Donc en philosophie des mathématiques, ce point de vue aurait peu d’intérêt.

Premièrement il en va en philosophie des mathématiques comme en philosophie de la révolution : quelques tendances incarnées par quelques figures historiques sont incontournables, et la plupart des autres courants se situent facilement dans le paysage structuré par ces quelques figures. Par exemple si on s’intéresse aux révolution du XIXème siècle, Marx, Hegel, Stirner, Proudhon, Bakounine et quelques autres sont à connaitre, beaucoup d’autres ne sont que des variations, des mélanges de ces trois là. Tout cela pour que les camarades non spécialistes qui veulent creuser la question des mathématiques ne voient pas dans les paragraphes suivants des critiques laborieuses de scientifiques que personne ne connait à part des microcosmes d’amateurs : ce sont quelques incontournables de la philosophie des mathématiques, ils ont mené dans ce domaine une lutte philosophique qui reflétait es luttes intellectuelles, sociales de l’époque.

Il n’est pas besoin d’une grande expertise pour placer entre les poles matérialisme/idéalisme les débats du XXème siècle autour des fondements des maths. Car la plupart des grands mathématiciens qui réfléchissent sur leur travail ne sont pas restés indifférents à cette polarité de la philosophie mise en avant par Engels. La plupart furent de manière ouverte ou voilée anti-Kantiens, anti-Hegeliens anti-matérialistes, voir sur ce site l’article sur Georg Cantor http://www.matierevolution.org/spip.php?article2549

D’autres sont méprisant envers la philosophie présentée comme une perte de temps face à la science qui elle, « a des résultats », car ils savent que sur le terrain philosophique ils seront vite perdant. Certains sont de faibles philosophes, mais il incarnent l’opinion dominante, donc ces auteurs sont à connaitre. Il sont de plus, souvent, l’idole de camarades mathématiciens qui dans le domaine des sciences sont matérialistes mécanistes, idéalistes ou agnostiques.
Car la philosophie des maths est un refuge très protégé pour ces tendances. On parle d’objets (suites de Cauchy, coupures de Dedekind, nombres normaux, transcendants, topoi, catégories) qui ne sont pas visible autant que les étoiles, le climat, le corps humain etc. Mais comme dans tout domaine spécialisé, les grandes idées en jeu sont accessibles à tous.

Le point de vue anti-philosophique de Rudolf Carnap et son aboutissement chez Bourbaki

Profitant de ce côté mystérieux des mathématiques, de grands mathématiciens accentuent cette tendance au lieu de la dissiper, et écartent d’un revers de main « les philosophes », en les dénonçant comme des enfants naïfs malfaisants, qui dérangent le travail des grandes personnes. L’hostilité de Bourbaki à la philosophie est illustré par quelques citations reprise dans un article sur ce site cf Une régression du type néo-Kantisme en philosophie des mathématiques : un texte du groupe Bourbaki
Bourbaki ne fait que pousser à son terme un point de vue qui est aussi celui de Rudolf Carnap (1891-1970) , pourtant auteur d’une ... « Introduction à la philosophie de Sciences » (à partir de notes écrites de Martin Gardner, un de ses admirateurs et élèves).

Carnap décrit ses débuts en Europe comme liés à la réaction contre Kant-Hegel : Quand j’étais jeune et faisant partie du Cercle de Vienne, une partie de mes écrits était en réaction contre l’Idéalisme allemand. Martin Gardner dans sa Préface mentionne une anecdote : le cours qui précédait celui de Carnap portait sur les grands auteurs grecs, des schémas en rapport avec Platon et Aristote étaient dessinés au tableau : « Carnap ne regardait jamais ces schémas en les effaçants. Je compare ce geste au fait qu’il effaça la métaphysique vide de sens. » L’attitude de Carnap est de s’appuyer sur les succès de la science moderne pour reléguer toute la philosophie au rang d’un enfantillage. Il est simple avec cette attitude de mettre dans un même sac tous LES philosophe. Au chapitre 12 de son livre Carnap compare les philosophe à des enfants, déçus du fait que la science ne s’occupe que de quantités, effaçant des différences entre des êtres humains comme les noirs et les eskimos, en ne parlant que de température, sans s’occuper du "ressenti".

C’est au chapitre 18 consacré à Kant qu’une première arnaque de Carnap apparait au grand jour. Il décrit la révolution des géométries non euclidiennes au XIX è siècle qui remirent en cause le caractère absolu de la géométrie d’Euclide. Mais Carnap explique que la crise a été résolue en considérant la géométrie mathématique comme un système formel autonome, qui a certes un rapport avec la réalité, mais ne prétend pas être la réalité. Ainsi la science a surmonté une crise, rendant inutile toutes les « croyances » de Kant et celles de « presque tous les philosophes du XIX è siècle » à ce sujet. Carnap analyse correctement cette crise de la géométrie euclidienne, mais son livre date de 1966. Or Godel a montré en 1931 qu’un sytème mathématique comporte des insuffisances, des contradictions potentielles en lui-même, même si on ne cherche pas à en faire une copie de la réalité, cf http://www.matierevolution.org/spip.php?article2575. La résolution à la fin du XIXè siècle de la crise de la géométrie eucliidienne par l’acceptation des géométries non-eucliidenne n’a fait que repousser la crise à un niveau plus profond. Et Hegel avec sa logique (dernière édition de 1831) avait déjà évoqué ce type de propriétés contre le réductionnisme en mathématiques. Pas un mot de Carnap sur Godel dans son « Introduction à la philosophie des sciences » ! Carnap s’appuie sur des citations d’Einstein, pour masquer son "oubli" de Godel. Carnap a démarré dans le cadre de l’idéalisme allemand, ce Chapitre 18 illustre son évolution vers une attitude silencieuse face à la philosophie. Bourbaki a pris pour point de départ cette dernière attitude : détourner la tête des questions soulevées par Godel, par toute question philosophique en général ... car leur « bon sens » a été expliqué et réfuté par Hegel à chaque page de sa Science de la Logique, il connaissait déjà les objections des "praticiens" tels Carnap et Bourbaki. Donc ces derniers ne font que s’éloigner du champ de bataille.

Au chapitre 26, le même Carnap fait référence à Mach, dont Lénine combat les adeptes dans Matérialisme et empiriocriticisme. Carnap expose une discussion sur la "réalité" des concepts, discussion qui est incontournable, mais la théorie de la connaissance de Carnap reste celle du bon sens, il ignore Hegel, Marx. Un concept est-il la réalité ? La réponse est bien sur oui ou non, la dialectique, le fait qu’un concept ne soit pas la réalité mais soit quand même la réalité, bref la dialectique, Carnap ne l’envisage pas ! En tout cas, le lien entre matérialisme et idéalisme est clair, car Carnap ne fait que reprendre le point de vue qu’a combattu Lénine, mélange d’idéalisme et d’absence de dialectique. Carnap se place dans le même débat que Lénine, et des camarades ne veulent pas se placer dans le même cadre que Lénine ?

La question vue par G.T Kneebone dans « Logique mathématique et Fondements des mathématiques »

Kneebone est un universitaire non marxiste, son point de départ est de nier à juste titre le caractère « spécifique » des mathématiques qui justifierait leur défiance de la philosophie.

La philosophie, quelle qu’elle soit, est une analyse critique de l’activité rationnelle ; et tout activité rationnelle donne naissance à une branche de la philosophie qui lui correspond, ayant pour tache de dégager les principes généraux implicites de cette activité, et ainsi de permettre à cette activité elle-même d’être conduite plus et peut-être plus efficacement. (G.T Kneebone, Logique mathématique et fondement des mathématiques, 1963)

Ainsi, il remet à leur place gentiment les philosophes de mathématiques qui comme Frege, Russel et Carnap ne font plus aucune référence à la philosophie qui les a précédés car les progrès les aurait rendues périmées. Kneebone rappelle qu’ils ne sont pas les premiers, que Hegel à déjà abordé la question de la place de la logique d’Aristote, des sciences mathématiques dans la Logique en général. Il dit en substance au début de son Chapitre 14 que

1) le fait que la logique n’est pas réductible à des calculs formel a bien été intégré dans le système de la Logique de Hegel (1831)

2) que les tentatives de Frege et Russel ont été stoppée, sinon par Hegel, par les résultats de Godel (1931), dans le domaine même des mathématiques pures où ils s’étaient réfugié par peur de Hegel, .

De manière très modérée, Kneebone pose bien le problème, dessine les deux mâchoires de l’étau qui se tenant à un siècle de distance (Logique de Hegel 1831, Théorème de Godel 1931) écrasent les coquilles vides de nombreux "systèmes" très ambitieux qui virent le jour entre ces deux dates. Les tentatives des mathématiciens de se placer hors des systèmes philosophiques sont ... un élément même du système de Hegel, Kneebone le fait comprendre !

Que des camarades placent les discussions sur la philosophie des mathématiques hors du cadre fixé par Engels (matérialisme et idéalisme est donc en retrait par rapport à un universitaire comme Kneebone qui ne se dit même pas marxiste, mais qui comprend qu’on n’écarte pas Hegel comme on efface un dessin d’enfant.

Sans avoir lu Hegel, on voit en plus facilement que l’attitude de Carnap, Bourbaki, ne fait que reprendre celle de Comte, fondateur du positivisme, qui décrivait le passage de l’age Métaphysique (Kant, Hegel) à l’age Scientifique comme le passage de l’enfance à l’âge adulte. Or c’est contre le triomphalisme de ce positivisme, du scientisme, que Hegel a écrit sa logique, en l’intégrant sans lui donner la prééminence.

Kneebone est très modéré, il réduit à néant l’apport de Bourbaki dans la question du fondement des mathématiques de manière très amicale, en soulignant qu’il n’a rien apporté, nous y reviendrons dans un futur article.

Un progrès par rapport aux Bourbaki-Carnap : Le mathématicien et philosophe Whitehead ouvertement contre la philosophie des Lumières et ses héritiers : Kant, Hegel et Marx

Kneebone cite dans son livre Whitehead, qui passe pour un des grands philosophe des mathématiques du XXè siècle :

Les XVIII ème et XIX ème siècles acceptaient comme leur philosophie naturelle un ensemble de principes aussi rigide et défini que ceux de la philosophie du Moyen-âge, et étaient acceptés avec aussi peu de recherche critique. J’appellerai cette philosophie naturelle le« matérialisme ». Non seulement les hommes de science étaient matérialistes, mais les adhérents de toutes les écoles de philosophie. Les idéalistes différaient des matérialistes philosophiques seulement quant à la situation relative de l’esprit et de la matière. Mais personne doutait du fait que la philosophie de la nature en elle même est du type que j’ai appelé matérialisme.

Ainsi pour Whitehead le matérialisme n’a pas été minoritaire au XVIIIème siècle, ne triomphant définitivement que grâce à la critique matérialiste de Hegel par Feuerbach ! Ca ne vole pas très haut. Bien sûr il est prudent, il ne cite aucun nom, aucune oeuvre dans ce passage. Il met tous les philosophes dans le même panier, et les présente comme des enfantillage précédant le développement de la science moderne, c’est la démarche d’Auguste Comte. Whitehead est menaçant envers les idéalistes : attention, vous êtes les complices du matérialisme.

Conclusion : en mathématiques, les polémiques philosophiques, dont celle évoquées dans cet article sont un échantillon assez représentatif, sont placées par les acteurs eux-mêmes sur ce terrain ; les marxistes ne devraient-ils pas reprendre la démarche d’Engels et Lénine ? Le débat est ouvert.

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