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Comment Spartacus a pu déstabiliser l’empire romain ?

vendredi 9 novembre 2012, par Robert Paris

Comment Spartacus a pu déstabiliser l’empire romain ?

Introduction

Spartacus est un symbole mondial de la lutte historique des opprimés contre leurs oppresseurs et cela n’est pas un hasard ni un mythe. Il a bel et bien existé et a aussi représenté la capacité des exploités de s’unir contre leur ennemi commun, des classe dirigeantes et de l’Etat. Il a su regrouper des forces considérables en s’appuyant sur tous ceux qui étaient opprimés et il a pu le faire tout en représentant ceux qui étaient au plus bas de l’échelle sociale, les esclaves, considérés alors comme des objets et moins que des chevaux. L’esclave était censé ne pas penser, ne pas être capable de combattre et ne pas être capable de faire de la politique. Les préjugés des classes dirigeantes contre les esclaves les ont empêché de prendre la mesure du danger de ces esclaves révoltés. Ils n’ont jamais cru que Spartacus pouvait avoir une stratégie militaire et aussi une stratégie politique. Et ils se sont trompés. Spartacus a été capable de battre des armées romaines, ce qu’aucun Etat voisin n’avait à l’époque pu faire.

Cela ne provient pas seulement de la personnalité de Spartacus ou des gladiateurs à ses côtés ou des personnes qui l’on aidé. Cela provient d’abord et avant tout de la crise des classes dirigeantes romaines. Spartacus a révélé ce qu’il y avait de pourri dans le régime social et politique romain parvenu à un tel succès que son esclavagisme et son impérialisme guerrier conquérant à grande échelle amenait les classes dirigeantes à devenir des oisifs corrompus incapables même de défendre leur propre ordre social et jouant même un rôle nécrophile par rapport au système lui-même. Ne voyez surtout aucun parallèle avec la situation actuelle des classes dirigeantes capitalistes…

La révolte de Spartacus (73-71 av J.-C.) racontée par un procurateur romain

« A cette même époque, parmi les gladiateurs entretenus à Capoue par les Romains et destinés aux jeux du cirque, se trouvait un Thrace, nommé Spartacus, qui avait autrefois servi dans l’armée, et avait été fait prisonnier et vendu. Il persuada 70 de ses camarades de braver la mort pour recouvrer la liberté, plutôt que de se voir réduit à servir de spectacle dans les arènes des Romains ; et, forçant ensemble la garde chargée de veiller sur eux, ils s’échappèrent. Spartacus et sa bande s’armèrent avec les armes de tout genre dont ils dépouillèrent quelques voyageurs, et se retirèrent sur le mont Vésuve. Là, plusieurs esclaves fugitifs et quelques hommes libres des campagnes vinrent se joindre à lui. La justice rigoureuse qu’il mit dans la distribution et dans le partage du butin lui attira rapidement beaucoup de monde.

... Les Romains ne pensaient pas que ce dû être une guerre dans toutes les formes. Ils croyaient qu’il suffirait contre ces brigands d’entrer en campagne. Varinius Glaber et Publius Valerius furent successivement vaincus. Après ces succès, le nombre des adhérents de Spartacus s’accrut encore davantage, et déjà il était à la tête d’une armée de 70 000 hommes. Alors, il se mit à fabriquer des armes et à prendre des dispositions militaires dans toutes les règles.

Rome, de son côté, fit marcher les consuls avec deux légions... Spartacus les attaqua tour à tour, les vainquit l’un après l’autre et ils furent obligés tous les deux de reculer en désordre. Spartacus immola... 300 prisonniers romains ; et son armée se montant à 120.000 fantassins, il prit rapidement la route de Rome, après avoir brûlé tous les bagages dont il n’avait pas besoin, fait passer au fil de l’épée tous les prisonniers et tuer toutes les bêtes de somme, pour ne pas ralentir sa marche. Beaucoup d’autres esclaves prirent son parti, et vinrent grossir son armée, mais il ne voulut plus admettre personne. Les consuls retournèrent à la charge contre lui dans le pays des Picènes... il furent vaincus encore une fois. Malgré ce succès, Spartacus renonça à son projet initial de marcher sur Rome, parce qu’il sentit qu’il n’était pas assez habile dans le métier des armes, et que ses troupes n’étaient pas convenablement armées, car nulle cité ne le secondait. Toutes ses forces consistaient en esclaves fugitifs et en aventuriers...

« Il y avait déjà trois ans que durait cette guerre, dont on s’était moqué d’abord ; dont on ne parlait qu’avec mépris comme d’une guerre de gladiateurs ; mais quand il fut question de confier le commandement à d’autres chefs, nul ne se mit sur les rangs, sauf Crassus... Il marcha contre Spartacus à la tête de six nouvelles légions. A son arrivée au camp, il fit décimer les deux légions qui avaient fait la campagne précédente, pour les punir de s’être si souvent laissé vaincre...

« Spartacus fut enfin blessé à la cuisse par une flèche. Le reste de son armée, en désordre, fut mis en pièces. Le nombre des morts du côté des gladiateurs fut incalculable. Il y périt environ 1.000 Romains. Il fut impossible de retrouver le corps de Spartacus. Les nombreux fuyards cherchèrent asile dans les montagnes. Crassus les y poursuivit. Ils se partagèrent en quatre bandes, luttant alternativement jusqu’à extermination complète, à l’exception de 6.000 d’entre eux, qui, faits prisonniers, furent mis en croix le long de la route de Capoue à Rome. »

Appien, dans « Histoire des guerres civiles », liv. 1

Lire ici Appien

La révolte des esclaves autour de Spartacus (73 avant J.-C.)
racontée par un historien latin du 1er siècle après J.-C.

« On supporterait peut-être même la honte d’une guerre contre des esclaves. Même si le sort en a fait des êtres assujettis en tout, ils n’en sont pas moins comme une seconde espèce d’hommes, et nous les associons aux avantages de notre liberté. Mais quel nom donner à la guerre provoquée par Spartacus ? Je ne sais ; car des esclaves y servirent, des gladiateurs y commandèrent. Les premiers étaient de la plus basse condition, les seconds de la pire des conditions, et de tels adversaires accrurent les malheurs de Rome par la honte dont ils les couvrirent. Spartacus, Crixus, Œnomaus, après avoir brisé les portes de l’école de Lentulus, s’enfuirent de Capoue avec trente hommes au plus de leur espèce. Ils appelèrent les esclaves sous leurs drapeaux et réunirent tout de suite plus de dix mille hommes. Non contents de s’être évadés, ils aspiraient maintenant à la vengeance. Telles des bêtes sauvages, ils s’installèrent d’abord sur le Vésuve. Assiégés là par Clodius Glaber, ils se glissèrent le long des gorges caverneuses de la montagne à l’aide de liens de sarments et descendirent jusqu’au pied ; puis s’élançant par une issue inaccessible, ils s’emparèrent tout à coup du camp de notre général qui ne s’attendait pas à une pareille attaque. Ce fut ensuite le tour du camp de Varénius, puis de celui de Thoranlus. Ils parcoururent toute la Campanie, et non contents de piller les fermes et les villages, ils commirent d’effroyables massacres à NoIe et à Nucérie, à Thurium et à Métaponte. Leurs troupes grossissaient chaque jour, et ils formaient déjà une véritable armée. Avec de l’osier et des peaux de bêtes, ils se fabriquèrent de grossiers boucliers ; et le fer de leurs chaînes, refondu, leur servit à forger des épées et des traits. Pour qu’il ne leur manquât rien de ce qui convenait à une armée régulière, ils se saisirent aussi des hordes de chevaux qu’ils rencontrèrent, se constituèrent une cavalerie, et ils offrirent à leur chef les insignes et les faisceaux pris à nos préteurs. Spartacus ne les refusa point, Spartacus, un ancien Thrace tributaire devenu soldat, de soldat déserteur ensuite brigand, puis, en considération de sa force, gladiateur. Il célébra les funérailles de ses officiers morts en combattant avec la pompe réservée aux généraux, et il força des prisonniers à combattre, les armes à la main, autour de leur bûcher. Cet ancien gladiateur espérait effacer ainsi l’infamie de tout son passé en donnant à son tour des jeux de gladiateurs. Puis il osa attaquer des armées consulaires ; il écrasa celle de Lentulus dans l’Apennin, et près de Modène il détruisit le camp de Caîus Crassus. Enorgueilli par ces victoires, il songea à marcher sur Rome, et cette seule pensée suffit à nous couvrir de honte. Enfin, toutes les forces de l’empire se dressèrent contre un vil gladiateur, et Liclnius Crassus vengea l’honneur romain. Repoussés et mis en fuite, les ennemis - je rougis de leur donner ce nom - se réfugièrent à extrémité de l’Italie. Enfermés dans les environs de la pointe du Bruttium, ils se disposaient à fuir en Sicile. N’ayant pas de navires, ils construisirent des radeaux avec des poutres et attachèrent ensemble des tonneaux avec de l’osier ; mais l’extrême violence du courant fit échouer leur tentative. Enfin, ils se jetèrent sur les Romains et moururent en braves. Comme il convenait aux soldats d’un gladiateur, ils ne demandèrent pas de quartier. Spartacus lui-même combattit vaillamment et mourut au premier rang, comme un vrai général. »

Florus, dans « Abrégé d’histoire romaine »

Lire ici Florus

L’esclavage et le mode de domination romain

Les Romains étant, par excellence, un peuple militaire, c’est chez eux que l’esclavage atteignit le plus ample développement. A l’origine, les esclaves étaient peu nombreux et participaient à la vie familiale. L’esclavage se développa avec l’accroissement de la richesse, des besoins et des prises de guerre. Il y eut aussi un commerce d’esclaves, dont les prix variaient suivant les talents du sujet. On distinguait les esclaves urbains et les esclaves ruraux. La condition des premiers était, en général, et malgré la cruauté de quelques maîtres, bien préférable. Les esclaves ruraux, enrégimentés durement sur les grandes propriétés, enchaînés deux à deux, étaient bien plus misérables. Être envoyé aux champs était un châtiment redouté.
La société de l’Empire est tout entière fondée sur l’institution de l’esclavage. Nulle part, à notre connaissance, elle n’a pris une telle prépondérance ; nulle part, sauf dans quelques colonies de l’Amérique tropicale, la proportion du chiffre des esclaves à celui des hommes libres ne fut aussi élevée. Ce fut la conséquence des guerres de conquête, grâce auxquelles une cité des bords du Tibre finit par subjuguer tous les pays riverains de la Méditerranée. Dans les premiers temps, l’esclavage n’eut pas à Rome cette importance. Il existait sans doute, d’autant que, lorsque Rome apparaît à l’histoire, elle était imbue de civilisation hellénique, mais il ne comprenait qu’une faible minorité des travailleurs. La condition des classes inférieures, plébéiens et clients, est encore très au-dessus de celle des esclaves et même des serfs. C’est la politique d’assimilation pratiquée dès les premiers siècles par la république romaine, qui fut une cause primordiale de sa fortune. Si, au lieu d’assimiler les vaincus, de leur laisser leurs institutions et d’établir cette savante gradation de droits en haut desquels était le droit de cité romaine, les conquérants eussent réduit en servitude leurs ennemis, leur essor se serait vite arrêté. Ce n’est que plus tard, après la conquête du monde grec, lorsque l’antique simplicité a disparu et que la civilisation urbaine l’emporte dans la société romaine que l’esclavage y prend une immense extension.

A l’époque royale et dans les premiers siècles de la République, les patriciens, les grands sont les propriétaires ruraux ; ils résident aux champs, cultivent eux-mêmes leurs terres et en dirigent l’exploitation. Le peuple est surtout formé de cultivateurs, dont chacun possède ce qu’il lui faut pour nourrir sa famille. Où serait sur ces fonds la place d’un esclave ? La plupart n’en ont pas ou bien n’en ont qu’un seul. Regulus, au cours de la première Guerre punique, demande à être relevé du commandement de l’armée d’Afrique parce que, son esclave étant mort, le serviteur à gages qu’on a loué s’est enfui avec les instruments, de sorte que sa famille est dans la gêne. L’état de guerre perpétuelle, les ravages des ennemis qui touchaient à la campagne romaine, réduisaient trop souvent le pauvre à emprunter pour vivre ; incapable de payer des intérêts usuraires et de rembourser le capital, il était dépossédé de son champ et même réduit en esclavage comme débiteur insolvable. Au Ve et au IVe siècle av. J.-C., on se querelle perpétuellement à ce sujet, et c’est le grand grief des plébéiens contre les patriciens, des pauvres contre les riches. On contient cette évolution, et, par les fondations des colonies, on reconstitue sans cesse la petite propriété sur la grande, qui progresse sans cesse ; on trouve dans ces temps autant de colons et d’ouvriers à gages que d’esclaves. Dans la ville, les métiers sont exercés par des travailleurs libres groupés en corporations. Les Romains ne songent pas à organiser, comme les Athéniens, des ateliers d’esclaves. Le service domestique est très simple, jusqu’au IIIe et même au IIe siècle av. J.-C. ; les mœurs sont encore patriarcales ; on se sert soi-même ; les riches ont quelques esclaves pour les aider ; quant à leur suite, la foule de leurs clients y suffit. L’Etat a aussi quelques esclaves comme serviteurs des magistrats, mais généralement les emplois, même les plus minces, sont confiés à des hommes libres.

On ne saurait évaluer exactement leur nombre. Les grandes familles possédaient des centaines d’esclaves, certains spécialisés dans tous les services, même médecins ou pédagogues, ou produisant dans des ateliers au profit du maître. Le plus petit bourgeois en avait au moins un. Un texte de Denys d’Halicarnasse a été utilisé par Dureau de La Malle pour évaluer le nombre et la proportion relative des esclaves dans l’Etat romain au Ve siècle. Cet historien dit qu’en 476 les citoyens en âge de porter les armes étaient au nombre de 110.000 ; pour les femmes, les enfants, les esclaves, les étrangers pratiquant les métiers, c’était un nombre au moins tripe de celui des citoyens. Cette dernière estimation est approximative et, à notre avis, on n’en peut rien conclure. Dureau de La Malle admet le chiffre de 440.000 pour la population totale ; 140.000 combattants supposent environ 195.000 personnes du sexe masculin, et, dit-il, 390.000 pour l’ensemble des citoyens romains et de leurs familles ; il resterait 50.000 personnes pour les étrangers, affranchis et esclaves ; il admet qu’il y aurait eu à peu près 17.186 esclaves. La méthode employée par l’économiste ne nous inspire aucune confiance, et ses conclusions n’ont que la valeur d’hypothèses arbitraires ; mais il n’y a rien que de raisonnable à supposer que les esclaves ne constituaient pas au Ve siècle avant l’ère chrétienne plus d’un vingtième de la population totale. Leur nombre ne va pas cesser de s’accroître malgré les affranchissements ; l’usure y précipitera bien des débiteurs insolvables ; des milliers de prisonniers de guerre viendront s’y ajouter, puis les habitants de cités et de pays, qui seront vendus en masse par centaines de mille. Au IIe siècle av. J.-C., l’esclavage s’étend sans mesure et s’organise définitivement, devenant la base sur laquelle repose la société.
Il y eut plusieurs révoltes d’esclaves, notamment en Sicile, puis dans l’Italie péninsulaire, où la plus célèbre fut celle conduite par Spartacus. Dans les guerres civiles qui suivirent on arma fréquemment des esclaves, et, de part et d’autre, on eut recours aux gladiateurs. Octave fit monter sur ses flottes jusqu’à 20.000 esclaves. Sextus Pompée avait en traitant avec les triumvirs imposé à ceux-ci une clause assurant la liberté à tous les anciens esclaves qui avaient combattu sous lui. Mais, quand il eut succombé, Octave fit rechercher tous ces anciens esclaves qui furent ramenés à leurs maîtres ou mis à mort quand on ne les réclamait pas. Les esclaves travaillent pour leur propre compte, formant des bandes de brigands. Sous Tibère une véritable révolte éclate dans l’Italie méridionale ; une autre à Préneste sous Néron. On retrouve des esclaves dans les guerres civiles qui désolent l’empire romain. Mais à partir du Ier siècle, plus de guerre servile ni de grande conspiration d’esclave ; c’est que la condition de ceux-ci s’améliorait par les transformations que subit alors l’esclavage.

Le temps apporta bien des adoucissements à la condition de l’esclave. Certains étaient privilégiés. On leur confiait la direction d’une exploitation rurale, d’un atelier, la conduite d’un navire de commerce. Alors, et bien qu’ils n’eussent que la jouissance de ce qu’ils gagnaient, ils pouvaient s’enrichir, avaient eux-mêmes des esclaves.
On ne sortait de l’esclavage que par la mort ou l’affranchissement, soit que celui-ci fût concédé spontanément, soit qu’il fût obtenu par le rachat au moyen du pécule accumulé jalousement à cet effet. Ni les philosophes, ni le christianisme ne songeaient à cette révolution qu’eût été la suppression de l’esclavage, mais les idées propagées par les uns et les autres améliora-t-elle, au moins, la condition des esclaves au fil du temps. L’affranchissement fut progressivement favorisé. Mais, si l’esclavage s’élimina ainsi peu à peu, ce fut plutôt sous l’action de l’évolution économique.

L’affranchissement ne dénouait pas tout lien entre le patron et son ancien esclave : le premier lui devait protection, le second devait se soumettre à sa juridiction, lui prêter aide et assistance, même aux dépens de sa bourse. En droit public, l’affranchi n’égalait pas l’homme de naissance libre, car il n’avait pas le jus honorum. On distingua aussi, jusqu’à Justinien, plusieurs classes d’affranchis dont les déditices étaient les moins favorisés. Les fils d’affranchis, d’une manière générale, étaient traités comme ingénus. Nombre de citoyens étaient donc d’origine étrangère. Parmi les affranchis aussi se rencontrait la figure du nouveau riche, si vigoureusement dessinée par Pétrone dans le personnage de Trimalcion.

La révolte de Spartacus

À l’été -73, 300 esclaves gladiateurs (le sort de ces esclaves combattants étant souvent moins enviable que celui de la domesticité mais plus enviable que celui de finir dans une mine de sel ou une carrière de pierre puisqu’ils pouvaient être affranchis1) de l’école de Lentulus Batiatus complotèrent pour retrouver la liberté, mais furent dénoncés. Prenant les devants, entre 70 et 78 gladiateurs réussirent à s’évader sans armes ni vivres. Après s’être emparés de chariots transportant un stock d’armes destinées à une autre école de Capoue et avoir défait la milice de Capoue, ils ne se dispersèrent pas, mais traversèrent la Campanie en direction de la baie de Naples, où ils furent rejoints par de nombreux travailleurs agricoles — esclaves fugitifs et hommes libres — des latifundia et se réfugièrent sur les pentes du Vésuve. Trois hommes furent élus chefs, Spartacus, Crixus et Œnomaüs. Spartacus, un parmularius (ou thrace) ou un mirmillon selon Florus, et ses compagnons parvinrent à vaincre les quelques gardes régionaux envoyées par la ville de Capoue et complétèrent ainsi leur réserve d’armes. Pour subvenir à ses besoins, la petite armée commença à organiser des razzias sur les exploitations agricoles de la Campanie. Spartacus ne cessait alors d’attirer non seulement des esclaves, mais aussi des petits paysans et des bergers, organisant ainsi une armée et révélant les faiblesses de Rome.

L’armée servile battit alors les cohortes de 3 000 auxiliaires romains commandés par le préteur Gaius Claudius Glaber, grâce à une ruse de Spartacus. En effet, la légende veut que ce dernier fuit le volcan où il était assiégé par un versant raide, et avec l’aide d’échelles faites avec des sarments de vignes, ses hommes surprirent les auxiliaires de Glaber par derrière. Dès lors, Spartacus rassembla de plus en plus de combattants. Rome ne le considérait pas comme une menace et le sous-estimait beaucoup. Les autorités romaines n’envoyèrent d’abord que deux nouvelles légions, dirigées par deux autres préteurs pour stopper la rébellion. Les autres légions étaient accaparées par la révolte de Sertorius, en Hispanie, et par le conflit avec Mithridate VI, en Orient.

À ce moment, l’armée des esclaves se sépara, ce qui causa la perte de nombreux hommes. Environ 30 000 hommes (Gaulois et assimilés : Ibères, Celtibères) suivirent le gladiateur Crixus en Apulie tandis que le gros des troupes (Thraces et assimilés : Grecs et orientaux) monta vers le nord par les Apennins. Tandis que Crixus était tué et ses troupes massacrées lors d’un premier engagement près du Mont Gargano, Spartacus, dans le Picenum, vint à bout des légions que dirigeait contre lui le consul Lucius Gellius Publicola, mettant 16 000 Romains en déroute. Pour venger la mort de Crixus, Spartacus organisa des jeux funèbres dans la vallée des Abruzzes durant lesquels 300 soldats romains faits prisonniers furent contraints de s’entretuer dans un combat de gladiateurs dans un grand cirque de bois construit à cet effet.

Spartacus se dirigea ensuite en direction de Modène dans la plaine du Pô, vainquit les 90 000 hommes de l’armée du proconsul de Gaule cisalpine devant la ville puis fit demi-tour vers le sud de l’Italie. Il vainquit à nouveau les armées consulaires et s’installa dans le petit port de Thurii où selon plusieurs mythes il créa une république idéale. De là, il commerçait avec les peuples de la Méditerranée, faisant des réserves d’armes, de bronze et de vivres. Il partit ensuit pour le Rhegium. Son objectif était de passer en Sicile pour lui permettre de rentrer dans son pays d’origine. Il espérait que les esclaves de cette ile déjà ravagée par la Deuxième Guerre servile de -100 lui fourniraient un appui. Mais les pirates ciliciens, avec qui Spartacus avait passé un accord, se laissèrent acheter par le propréteur de Sicile, Caius Licinus Verres. Trahi, Spartacus se trouva pris au piège à la pointe de l’Italie.

Pendant ce temps, le Sénat romain conférait à Crassus, riche et ambitieux, le commandement d’une armée de quatre légions. Crassus, réclamant et obtenant l’imperium engagea les opérations, et finança une armée supplémentaire composée de six nouvelles légions de vétérans sur ses deniers personnels. Il ne cherchait pas à engager le combat avec l’armée de Spartacus, dont il se contentait de contrecarrer les raids pour l’empêcher de se ravitailler.

Un de ses légats, désobéissant à ses ordres, attaqua une partie des troupes de Spartacus avec deux légions (8 000 hommes), et subit un désastre. Pour faire un exemple et impressionner les esprits, Crassus n’hésita pas à remettre en usage un châtiment qui n’était plus pratiqué : celui de la décimation. Un dixième des soldats du premier rang, principalement responsables de la déroute, furent ainsi fouettés puis mis à mort.

Crassus entreprit de bloquer Spartacus dans le Rhegium par une ligne de retranchements de 55 km de long, 4 5 m de large et de profondeur, doublé d’un remblai palissadé pour barrer l’isthme devant Spartacus. Spartacus réussit à forcer le blocus par une nuit de neige en profitant du manque de visibilité. Mais il fut poursuivi par l’armée de Crassus et subit quelques petites défaites. Installé dans le Bruttium, il vainquit trois légions romaines. Ses hommes, échauffés par ces dernières victoires, voulaient battre définitivement l’armée de Crassus.

L’affrontement final eut lieu sur le territoire actuel de Senerchia sur la rive droite du Sélé dans la haute vallée du Sélé, dans la région à la limite des communes d’Oliveto Citra et de Calabritto, près du village de Quaglietta, territoire qui à l’époque faisait partie de la Lucanie. À cet endroit on a découvert des armures et des épées romaines. Crassus battit définitivement les révoltés, tuant 60 000 insurgés et ne perdant que mille légionnaires. Avant la bataille, selon Plutarque, comme on lui amenait son cheval, Spartacus égorgea l’animal, disant : « Vainqueur, j’aurai beaucoup de beaux chevaux, ceux des ennemis ; vaincu, je n’en aurai pas besoin ». Puis il tenta de se porter contre Crassus, mais ne put l’atteindre et tua deux centurions qui l’attaquaient. Alors que ses compagnons prenaient la fuite, encerclé par de nombreux adversaires, Spartacus mourut les armes à la main en -71, diminué après avoir été atteint par une flèche à la cuisse. Son corps ne fut jamais formellement identifié.

La répression fut sanglante : 6 000 esclaves furent crucifiés sur la Via Appia, entre Rome et Capoue. De plus, Pompée, entre-temps rappelé d’Espagne par le Sénat, massacra 5 000 esclaves en fuite dans le nord de l’Italie. Cette victoire valut à Pompée des honneurs dont Crassus fut privé. Néanmoins, l’année suivante, les deux hommes furent promus consuls, alors même qu’ils n’avaient pas formellement parcouru le cursus honorum.

Outre les qualités d’organisateur, de stratège et de meneur qu’Appien prête à Spartacus, plusieurs raisons matérielles peuvent expliquer le succès initial et la durée de sa révolte :

• l’insuffisance des premières forces romaines engagées contre lui, qui ne tinrent pas le choc contre ses troupes : au plus fort de ses batailles, l’armée de Spartacus aurait compté près de 120 000 combattants ;

• la situation politique (Rome intervenant sur d’autres fronts) qui freinait une mobilisation plus rapide des légions ;

• la situation sociale en Italie du Sud, région de grands latifundia (exploitations agricoles) exploitant durement des masses d’esclaves, qui purent se joindre à la révolte ;

• en revanche, Appien note l’isolement de Spartacus, aucune cité ne le soutenant, par crainte que la rébellion ne s’étendît à leurs esclaves.

Spartacus et la crise de la société romaine

Le contact avec une civilisation grecque plus évoluée et l’arrivée dans la ville de très nombreux esclaves helléniques (souvent plus cultivés et instruits que leurs maîtres) suscita chez le peuple romain, en particulier dans la classe dirigeante, des sentiments et des passions ambivalents : d’une part on voulait (et ce sera réussi en grande partie à la fin) rajeunir, rénover, « déprovincialiser » les coutumes rurales romaines -mos maiorum- en introduisant des usages et des connaissances en provenance de l’Orient ; ce qui permit d’accroître de façon significative le niveau culturel des Romains, au moins chez les patriciens - introduction de la philosophie, de la rhétorique, de la littérature et de la science grecques - mais cela engendra aussi une « décadence » des valeurs morales traditionnelles, dont témoigne la diffusion de coutumes et d’habitudes nouvelles. Tout cela provoqua une vive résistance de la part des milieux les plus conservateurs de la communauté romaine. Ceux-ci se liguèrent contre les cultures étrangères entachées de corruption des coutumes, d’indécence, d’immoralité, de sacrilège envers les rites religieux romains.

Ces deux camps opposés furent représentés par deux groupes aux visions radicalement contraires : le cercle culturel des Scipions, qui donna à Rome quelques uns de ses chefs militaires les plus doués (Scipion l’Africain en premier), et le cercle de Caton l’Ancien, lequel lutta de façon acharnée contre l’hellénisation de l’art de vivre romain avec une ténacité et une vigueur légendaires (ou décriée selon les points de vue), pour la restauration du mos maiorum le plus ancien, authentique et originel, cet ensemble de coutumes et d’usages typiques de la Rome archaïque qui, selon Caton, avaient permis au peuple romain de rester uni face à l’adversité, de vaincre toutes sortes d’ennemis, de soumettre le monde à sa volonté. Ce conflit entre nouveaux et anciens ne s’apaisa pas jusqu’à la fin de la République ; au contraire, cette opposition entre « conservatisme » et « progressisme » perdura dans l’histoire romaine, même à l’époque impériale.

La petite propriété terrienne mise en état de crise par les exploitations agricoles patriciennes (qui exploitaient le travail des esclaves), et les nouvelles influences culturelles provoquèrent de fortes tensions sociales à l’intérieur de la société romaine.
Au Ier siècle av. J.-C., la République commença à se fissurer, les personnages les plus influents, affirmant fortement leur pouvoir personnel et se faisant les interprètes des besoins des masses défavorisées ou de la nécessité de maintenir le pouvoir aux mains des gens les plus importantes et les plus riches, conduisirent à la guerre civile. La République dut également affronter une révolte des esclaves menée par Spartacus.

Les esclaves sont les plus grands perdants de la conquête. Leur nombre s’accroit considérablement. Le consul Paul-Émile, au milieu du IIe siècle av. J.-C. ramène plus de 150 000 esclaves après sa guerre victorieuse en Macédoine. La conquête par Jules César aurait vidé la Gaule de plus de un million de personnes vendues comme esclaves. Il y avait plusieurs millions d’esclaves en Italie. Leur grand nombre fait baisser leur prix d’achat et ils sont traités comme du bétail. Ils sont employés surtout dans l’agriculture où ils concurrencent durement les ouvriers agricoles journaliers. Les révoltes d’esclaves sont craintes par les Romains. Il y en a eu une en Sicile en 135-133 av. J.-C. Celle de Spartacus ravage l’Italie entre 73 et 71 av. J.-C.

Les citoyens-soldats-petits paysans sont aussi victimes de la conquête dont ils ont été les artisans. Longtemps éloignés de leurs terres celles-ci retournent à la friche. À leur démobilisation, s’ils veulent reprendre le travail, ils doivent emprunter à des taux d’intérêt usuraires (souvent plus de 50 % annuel). Leurs remboursements sont très difficiles, car ils produisent du blé (plante annuelle qui peut être vendue rapidement). Leur production est fortement concurrencée par le blé importé à moitié prix de Sicile, puis de Tunisie (ex-domaine de Carthage) et d’Égypte à la fin de la République. Accablés par les dettes ils vendent à bas prix leurs terres aux riches familles sénatoriales. Celles-ci les transforment en oliveraies ou vignobles (où il faut attendre plusieurs années avant d’avoir une production à vendre). Ces citoyens modestes souhaitent que le Sénat mette à leur disposition les terres du domaine public. Mais elles sont déjà utilisées par les riches éleveurs qui en tirent de la viande, de la laine et des peaux (voir la section précédente). Les paysans expropriés tentent de survivre comme journaliers agricoles, mais la concurrence des esclaves est vive. Leur ultime ressource est de gagner la ville où ils vont grossir les rangs de la clientèle des riches. C’est donc la base sociale de la République qui est détruite par la conquête.

Messages

  • Comment Spartacus a pu déstabiliser l’empire romain ?

    Spartacus est un symbole mondial de la lutte historique des opprimés contre leurs oppresseurs et cela n’est pas un hasard ni un mythe. Il a bel et bien existé et a aussi représenté la capacité des exploités de s’unir contre leur ennemi commun, des classe dirigeantes et de l’Etat

  • Ciao,
    vu la passion que vous aviez vers l’histoire de cet personnage de la Rome Antique, je vous conseil la lecture d’une BD (graphic novel) sur la vie (vrai, sans défauts) de Spartacus, de sa naissance jusqu’à sa mort à la vallé du Sele. Dommage pour vous qu’elle soit en langue italienne (ma langue) mais ça vaut vraiment la peine. Si ça vous intéresse, le link de l’èditeur est le suivant :

    http://www.phasar.net/catalogo/libro/spartacus-leroe-della-liberta

    Bon travail

    Riccardo Rome

  • le fer de leurs chaînes, refondu, leur servit à forger des épées et des traits.

    Florus, dans « Abrégé d’histoire romaine »

  • Lorsque soixante-quatorze pensionnaires, des Thraces, des Gaulois, des Germains, s’évadèrent de l’école de Lentulus Batiatus, située à Capoue, personne ne pouvait soupçonner que cet événement mineur serait à l’origine d’un des plus grands dangers courus par Rome au cours de son histoire.

    Les instigateurs de l’évasion étaient Spartacus, un Thrace de naissance libre qui avait servi comme auxiliaire dans l’armée romaine, avait déserté et, repris, avait été réduit en esclavage, Crixus et Oenomaüs, des Gaulois, eux aussi , croit-on, esclaves de fraîche date. Les évadés se réfugièrent sur les pentes du Vésuve. Le pouvoir ne prit l’affaire au sérieux à Capoue et à Rome, où les esprits étaient préoccupés par les événements d’Espagne et d’Orient, que lorsque des milliers d’esclaves eurent rejoint les évadés. Comme d’habitude dans ce genre de situation, le Sénat se contenta d’envoyer des cohortes d’auxiliaires dont elle confia le commandement au préteur Claudius Glaber. Celui-ci bloqua les révoltés : il savait qu’ils étaient mal armés et dépourvus de vivres ; il suffisait donc d’attendre que la faim les réduisît à se rendre. C’était sans compter sur la forte personnalité de Spartacus, qui n’était pas seulement doué d’une force herculéenne mais aussi d’une intelligence très pragmatique : il comprit qu’il ne pouvait affronter en bataille rangée même les troupes médiocres du préteur. Les assiégés remarquèrent que les Romains ne gardaient pas la position du côté d’un à-pic qu’ils jugeaient impraticable. C’est de ce côté que Spartacus fit descendre ses hommes, de nuit, à l’aide d’une échelle fabriquée avec des sarments de vigne, contourna les positions romaines et, profitant de l’effet de surprise, les mit en déroute.

    Après ce succès, Spartacus, qui vit ses effectifs augmenter, organisa des raids pour assurer la subsistance de ses hommes et pour s’emparer des armes nécessaires pour combattre les troupes que ne manquerait pas d’envoyer Rome. Il s’empara en même temps d’un butin qui allait lui servir ultérieurement de monnaie d’échange pour satisfaire les besoins d’une véritable armée. De fait les préteurs envoyés pour mettre fin à cette rébellion qui menaçait les riches propriétés des grands propriétaires terriens -des sénateurs- furent successivement tous battus. Ce n’était plus une simple révolte à laquelle Rome devait faire face mais une guerre qu’il fallait soutenir.

  • Les insurgés divisèrent leurs forces en deux (Oenomaüs avait été tué) : Crixus, avec vingt mille ou trente mille hommes, gagna la Lucanie tandis que Spartacus, avec des forces plus importantes encore se dirigea vers le Nord pour gagner la plaine du Pô après avoir traversé le Picenum. Les historiens modernes s’interrogent sur les raisons de ce partage. S’agit-il d’un différend entre les chefs, Crixus et ceux qui le suivaient jugeant suffisant de vivre sur le pays en le pillant, Spartacus nourrissant des projets plus ambitieux ? Les avis divergent . Il se peut que Spartacus ait pensé reconduire ses hommes dans leurs pays puis qu’il renonça à ce projet pour engager une action beaucoup plus hardie et dangereuse pour Rome, soulever partout sur son passage les masses serviles et ranimer les sentiments d’hostilité des peuples d’Italie encore sous le coup de la guerre sociale, appelée aussi guerre des alliés (socii en latin), qui avait duré deux ans de 90 à 88. Dans ce cas les deux chefs se seraient partagé la tâche. Le Sénat, alarmé, chargea les consuls Gellius et Lentulus de la guerre avec deux légions chacun. Gellius, au Sud, vainquit Crixus et anéantit les deux tiers de son armée, Lentulus devait arrêter Spartacus dans sa progression. Après la défaite de Crixus, Spartacus vainquit d’abord Lentulus puis il se retourna contre Gellius, dont il dispersa l’armée. Puis il honora les mânes de Crixus par des jeux funèbres au cours desquels, suprême humiliation pour Rome, il contraignit trois cents soldats romains prisonniers à se battre et à se tuer entre eux. Il paracheva ses succès en mettant en déroute le gouverneur de la Gaule cisalpine Caius Cassius. Rome pouvait tout craindre, comme au temps d’Hannibal. Mais Spartacus, dont les forces, pourtant, avaient grossi -il aurait disposé de cent vingt mille hommes- renonça, on ne sait pourquoi. Ce qui est sûr, c’est que malgré les apparences, sa situation n’était pas aussi favorable qu’on pourrait le penser. Le soutien de l’armée de Crixus lui faisait désormais défaut, les peuples italiens ne bougèrent pas, ayant obtenu ce qu’ils désiraient, le droit de cité, et méprisant les esclaves, le long de l’Adriatique il traversait des régions où les lois agraires des Gracques avaient permis le développement de propriétés de dimensions modestes où travaillaient des esclaves mieux intégrés, non pas des masses serviles comme en Campanie ou en Sicile, promptes à la sédition. Nulle part Spartacus ne put trouver un lieu où s’installer de façon durable, jamais il ne put réunir des forces comparables à ses prédécesseurs siciliens . Pour marcher sur Rome avec une chance de victoire décisive, il lui eût fallu disposer de troupes mieux armées et mieux entraînées. Il renonça ou remit à plus tard. Dans sa marche vers le Sud, il triompha encore une fois des deux armées réunies des consuls dans le Picenum, ce qui mit fin à la campagne de 72, et il rassembla ses forces dans le Bruttium, en instituant la ville de Thurii sa capitale. La carte dit assez qu’il s’était enfermé comme dans une sorte de nasse.

    Rome respirait : elle n’était plus sous la menace d’une attaque prochaine. Spartacus, lui, préparait l’avenir en échangeant avec le monde grec les objets du butin contre les matériaux destinés à la fabrication des armes. Pour conduire la guerre, le Sénat fit appel au préteur Marcus Licinius Crassus, un choix surprenant puisqu’il succédait à deux consuls. et qu’il n’avait jamais eu l’occasion de se distinguer dans une campagne militaire. Mais peut-être personne ne s’était mis en avant pour mener une guerre dont on ne pouvait tirer une grande gloire si on la gagnait et qui déshonorerait celui qui la perdrait. Crassus accepta parce qu’il était ambitieux et que cette guerre le concernait personnellement dans une certaine mesure : il était immensément riche -il recevra le surnom personnel de dives (= le riche) et sa richesse reposait en partie sur le très grand nombre des esclaves qu’il possédait et dont il tirait un revenu régulier en les louant Sa famille était honorablement connue mais il devait sa fortune au rôle qu’il avait joué auprès du dictateur Sylla (il aurait multiplié ses biens par vingt grâce aux proscriptions) et à une spéculation immobilière qui en faisait un des plus grands propriétaires de maisons et d’appartements à louer à Rome. Sénateur, il était lié aux milieux d’affaires. Sans scrupules et opportuniste, il entretenait une rivalité aiguë avec Pompée (Plutarque, Crassus). Or celui-ci, ayant vaincu Sertorius, s’apprêtait à revenir dans la Ville une fois qu’il aurait rétabli l’ordre romain en Espagne. Crassus devait faire vite pour conquérir une place de premier plan dans le monde politique. Rome vit en lui un sauveur et elle lui confia dix légions.

    Fait inhabituel, Crassus engage les opérations en octobre et il les finance sur ses deniers. Il ne cherche pas à engager le combat avec l’armée de Spartacus, dont il se contente de contrecarrer les raids qu’il lance pour se ravitailler. Son légat, désobéissant à ses ordres, attaque une partie des troupes de Spartacus, avec deux légions, mais subit un désastre. Pour faire un exemple et impressionner les esprits, Crassus n’hésita pas à remettre en usage un châtiment qui n’était plus pratiqué, celui de la décimation. Cinquante soldats sur cinq cents considérés comme responsables de la défaite furent mis à mort. Crassus remporta un succès sur une troupe de dix mille esclaves, en en tuant six mille. puis il livra bataille à Spartacus lui-même. Elle fut indécise, Spartacus rompit le contact et se réfugia dans le Sud du Bruttium. Spartacus conçut le projet de passer en Sicile en faisant appel aux pirates ciliciens, excellents marins, mais ceux-ci se dérobèrent. Il construisit des radeaux qui ne résistèrent pas à la mauvaise mer de la saison. Il était donc bloqué dans l’extrême Sud de la péninsule, d’autant plus étroitement que Crassus lui barra le passage en creusant, sur cinquante cinq kilomètres de long un fossé de quatre mètres cinquante de profondeur, d’une largeur égale, et un remblai garni d’une palissade. Dispositif infranchissable qui incita Spartacus à engager des négociations qui échouèrent. Cependant par une nuit de neige, il réussit à combler partiellement le fossé et à le faire franchir par un tiers de ses troupes. Crassus dut lever le siège de peur d’être pris à revers et demanda au Sénat de hâter le retour de Pompée : il fallait qu’il fût découragé pour entreprendre une telle démarche. La situation de Spartacus n’était pas enviable pour autant : il devait faire face au mécontentement de certains dans ses propres rangs, tous ses mouvements étaient constamment épiés et contrôlés par Crassus, il savait que le gouverneur de la Macédoine, Lucullus, avait débarqué à Brindes avec son armée. Des succès partiels, comme celui qu’il remporta sur le légat de Crassus, Quinctius, ne pouvaient que retarder l’échéance. Il se résolut à livrer bataille, en Lucanie. Cette bataille serait décisive, il le savait. De part et d’autre on se battit avec acharnement et soixante mille esclaves restèrent sur le terrain et, parmi eux, Spartacus dont on ne retrouva pas le corps dans cet amoncellement de cadavres. La guerre était finie. Pompée extermina cinq mille esclaves qu’il rencontra sur sa route en Étrurie. Crassus fit crucifier six mille prisonniers sur les cent quatre-vingt quinze kilomètres de la via Appia qui conduisent de Capoue à Rome.

  • Pourquoi l’esclavage s’est effondré dans la Rome antique ?

  • « Dès les derniers temps de la République, la domination des Romains avait pour but l’exploitation totale des provinces conquises ; l’Empire n’avait pas supprimé cette exploitation, mais, au contraire, il l’avait réglementée. Plus l’Empire déclinait, plus les impôts et les prestations augmentaient, plus les fonctionnaires pillaient et pressuraient sans pudeur. Le commerce et l’industrie n’avaient jamais été l’affaire des Romains dominateurs de peuples ; c’est seulement dans l’usure qu’ils avaient surpassé tout ce qui fut avant et après eux. Ce qui existait et s’était maintenu en fait de commerce sombra sous les exactions des fonctionnaires ; ce qui survécut malgré tout se trouvait en Orient, dans la partie grecque de l’Empire, qui est en dehors de notre sujet. Appauvrissement général, régression du commerce, de l’artisanat, de l’art, dépeuplement, décadence des villes, retour de l’agriculture à un niveau inférieur - tel fut le résultat final de l’hégémonie mondiale romaine.

    L’agriculture, branche de production essentielle dans tout le monde antique, l’était redevenue plus que jamais. En Italie, les immenses domaines (latifundia) qui, depuis la fin de la République, couvraient presque tout le territoire, avaient été exploités de deux façons. soit en pâturages, où la population était remplacée par des moutons ou des bœufs, dont la garde n’exigeait que peu d’esclaves ; soit en villas, où une foule d’esclaves faisaient de l’horticulture en grand, tant pour le luxe du propriétaire que pour la vente sur les marchés urbains. Les grands pâturages s’étaient maintenus et sans doute même agrandis ; les domaines des villas et leur horticulture avaient dépéri du fait de l’appauvrissement de leurs propriétaires et du déclin des villes. L’exploitation des latifundia, basée sur le travail des esclaves, n’était plus rentable ; mais, à cette époque, c’était l’unique forme possible d’agriculture en grand. La petite culture était redevenue la seule forme rémunératrice. L’une après l’autre, les villas furent morcelées en petites parcelles et remises à des fermiers héréditaires qui payaient une certaine somme, ou à des partiarii, gérants plutôt que fermiers, qui recevaient pour leur travail un sixième ou même seulement un neuvième du produit annuel. Mais, dans la plupart des cas, ces petites parcelles de terre furent confiées à des colons qui, en échange, payaient chaque année une somme fixe, étaient attachés à la glèbe et pouvaient être vendus avec leur parcelle ; ils n’étaient pas, à vrai dire, des esclaves, mais ils n’étaient pas libres non plus, ne pouvaient pas se marier avec des femmes de condition libre, et leurs unions entre eux n’étaient pas considérées comme des mariages pleinement valables, mais, ainsi que celles des esclaves, comme un simple concubinage (contubernium). Ils furent les précurseurs des serfs du Moyen Age.

    L’antique esclavage avait fait son temps. Ni à la campagne dans la grande agriculture, ni dans les manufactures urbaines, il n’était plus d’un rapport qui en valût la peine - le marché, pour ses produits, avait disparu. Mais la petite culture et le petit artisanat, à quoi s’était réduite la gigantesque production des temps florissants de l’Empire, n’avaient pas de place pour de nombreux esclaves. Il n’y avait plus place, dans la société, que pour des esclaves domestiques et les esclaves de luxe des riches. Mais l’esclavage agonisant suffisait encore pour faire apparaître tout travail productif comme travail d’esclave, indigne de Romains libres, - et chacun, maintenant, avait cette qualité. De là vint, d’une part, le nombre croissant des affranchissements d’esclaves superflus, devenus une charge et, d’autre part, le nombre croissant, ici des colons, là des hommes libres tombés dans la gueusaille (verlumpt) (comparables aux poor whites des États ci-devant esclavagistes d’Amérique). Le christianisme est tout à fait innocent de la disparition progressive de l’antique esclavage. Il l’a pratiqué pendant des siècles dans l’Empire romain et, plus tard, il n’a jamais empêché le commerce d’esclaves auquel se livraient les chrétiens, ni celui des Allemands dans le Nord, ni celui des Vénitiens en Méditerranée, ni, plus tard encore, la traite des nègres. L’esclavage ne payait plus, et c’est pourquoi il cessa d’exister. Mais l’esclavage agonisant laissa son dard empoisonné ; le mépris du travail productif des hommes libres. Là était l’impasse sans issue dans laquelle le monde romain était engagé. L’esclavage était impossible au point de vue économique ; le travail des hommes libres était proscrit au point de vue moral. Celui-là ne pouvait plus, celui-ci ne pouvait pas encore être la base de la production sociale. Pour pouvoir y remédier, il n’y avait qu’une révolution totale. »

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