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Quand on torturait les Algériens en plein Paris…

vendredi 8 février 2013, par Robert Paris

La torture des Algériens par le pouvoir français, ce n’est pas seulement en Algérie qu’elle avait lieu mais à Paris et en région parisienne aussi... Aujourd’hui, on reconnaît parfois les massacres et tortures d’octobre 1961 mais ce n’était pas seulement en quelques occasions comme 1961. Les rafles étaient permanentes (on voyait circuler les cars de police bondés de personnes arrêtées) et des maisons spéciales étaient consacrées par des services spéciaux pour torturer. On entendait les cris en marchant près des ponts de Saint Ouen et Clichy... A côté des "hôtels" pour immigrés, il y avait les chambres de tortures !

Quand on torturait les Algériens en plein Paris…

A Paris, au mois de décembre 1958, trois étudiants algériens furent arrêtés et battus dans l’Université jusqu’à ce que le Recteur intervint pour signifier aux policiers qu’ils avaient à « faire leur besogne ailleurs ».
Voici la plainte que l’un d’eux déposa :
« Arrêté le 5 décembre 1958 vers 21 heures, je fus immédiatement conduit dans les locaux de la DST, rue des Saussaies. A mon arrivée, je fus interpellé par Mr Wybot lui-même qui me confia à un des policiers qui l’entouraient, gros, trapu, très brun, avec une face de bouledogue, et, à en croire ses confidences et son accent, français de Tunisie.
Il me conduisit dans une salle du rez-de-chaussée mesurant environ cinq mètres sur trois et m’« interrogea » à coups de poings et de gifles. Je protestai et refusait de répondre. L’on me conduisit alors dans une salle située au dernier étage de l’immeuble. Là, les policiers me lièrent les poignets et les chevilles, le policier qui m’avait interrogé plaça une barre de fer entre mes jambes et mes bras en flexion. J’étais, suivant leur expression « à la broche ». La « broche » fut appuyée sur des cales de bois placées sur deux tables hautes d’un mètre environ. Les policiers firent passer le courant électrique dans la barre. En même temps l’on me plaça des électrodes un peu partout sur le corps et même sur la bouche, dans l’anus et sur le coeur. La séance dura de 23 heures environ jusqu’au samedi matin 6 heures. Je dus m’évanouir sept ou huit fois. Pour m’empêcher de crier, un des policiers, à un moment donné, me plaça un mouchoir gluant rempli de tabac. Je refusai toujours de répondre.
Le samedi matin, je fus conduit dans une autre cellule où un frère algérien gémissait. Ordre fut donné de ne nous donner ni à boire ni à manger, et de nous empêcher de dormir. J’y restai jusqu’au dimanche matin, le garde me donnant des coups de pieds chaque fois que je m’assoupissais.
Au petit jour mes tortionnaires revinrent me prendre et me « repassèrent à la broche » jusqu’au soir. J’ai dû m’évanouir dix fois, mais je persistai à ne pas parler.
Le soir, je fus jeté dans une cellule située au deuxième étage. Le garde reçut les mêmes consignes que son collègue de la veille et les appliqua de la même façon.
Le lundi deux autres inspecteurs vinrent me voir... Ils me déshabillèrent et me placèrent les jambes et les reins sur une table, la partie supérieure du corps dans le vide, les épaules et la tête au sol. Ils placèrent ma tête entre les pieds et les barreaux d’une chaise et tandis que ses aides tenaient mes mains, le sous-directeur me fit des torsions des muscles dorsaux et trapèze. Je refusais de parler.
Ils me mirent alors à genoux et partirent manger, me laissant à un garde avec les consignes habituelles. Ils revinrent trois heures après et le sous-directeur recommença mon « interrogatoire », tandis que les inspecteurs ayant retiré leurs bagues me frappaient. Comme je persistais dans mon refus, ils m’attachèrent de nouveau sur une table, nu, bras et jambes écartés et le sous-directeur me porta des coups au plexus et sur tout le corps. Quans il s’arrêtait, il fumait et m’envoyait toute sa fumée dans le nez. Je fini par m’évanouir...
Le mardi, vers huit ou neuf heures du matin, je fus porté dans une chambre du deuxième étage où, de nouveau entouré du sous-directeur et de mes tortionnaires, Mr Wybot m’attendait. On m’interrogea jusqu’au soir. Je persistai à me taire. Ma faiblesse était extrême...
Le vendredi matin, je fus conduit au dépôt et présenté au Juge d’instruction.
J’ai hésité à saisir la Justice française de mes tortures. Elle n’est pas compétente pour me juger, mais, après tout, elle devrait pouvoir juger les Français. Je n’ai pas le droit de lui refuser, pour son honneur, cette dernière chance. »
Moussa KHEBAILI, étudiant
Dans la plainte de son camarade qui reçut à peu près le même traitement, nous relevons cette note :
« Vers trois heures de l’après-midi je fus conduit dans une autre salle, ficelé sur un banc, la tête dans le vide. Et l’on me posa des questions auxquelles à nouveau je refusai de répondre. En soulevant le banc, l’on me plongea alors la tête dans une bassine remplie d’un mélange d’eau sale et d’urine, dont je dus boire environ cinq litres.
Je suis asthmatique et atteint d’un ulcère à l’estomac. Je perdis plusieurs fois connaissance. La séance dura jusqu’à la nuit.
Les questions concernaient surtout l’Église, en particulier l’archevêque de Lyon, le Cardinal Gerlier et l’abbé Carteron, et les avocats qui plaident pour les Algériens poursuivis. En ma qualité de responsable de l’aide aux emprisonnés l’on voulait obtenir de moi des déclarations écrites pour les mettre en cause... »
BOUMAZA
Hacène BENCHOUFI, fin septembre 1958 eut la plante des pieds éclatée à la suite de sévices qui lui furent infligés en la caserne Dode (de Grenoble) par des membres de la DST de Lyon.
La Gangrène de Bachir Boumaza, paru en 1958 dénonce la torture dans Paris même : les témoins sont des étudiants algériens : ils dénoncent l’usage de la torture dans les locaux de la DST, parfois en présence de Roger Wybot. L’ouvrage est immédiatement saisi.
Le débat sur la torture fut relancé par la publication dans Le Monde du témoignage d’une ancienne victime de la torture : Louisetta Ighil Ahgiz, une jeune militante de 20 ans à l’époque, qui était tombée en septembre 1957 entre les mains des tortionnaires, et qui souffre aujourd’hui encore, à l’âge de 64 ans, des séquelles physiques et psychiques de la torture. Elle avait été capturée après être tombée avec son commando FLN dans une embuscade du général Massu. Elle avait été emmenée, grièvement blessée, à son quartier général. Là, elle fut sévèrement torturée, sans relâche, trois mois durant. Louisette précisa comment Massu ou bien le général Bigeard, quand ils venaient la voir, l’insultaient et l’humiliaient avant de donner l’ordre par gestes de la torturer. "C’est comme s’il existait un code muet établi" ajouta-t-elle. Elle ne doit sa survie qu’à un médecin militaire qui la découvrit fin décembre 1957. Il la fit transporter dans un hôpital où elle échappa à ses tortionnaires. C’est cet homme qu’elle voulait retrouver au moyen de son récit dans Le Monde pour pouvoir lui dire merci.
Le récit de Louisetta Ighil Ahgiz fut à l’origine d’un flot de courriers de lecteurs et d’articles dans de nombreux médias français. Un autre ancien combattant du FLN, Noui M’Hidi Abdelkader, qui avait été lui-même arrêté à Paris en 1958 et incarcéré et torturé à Versailles, confirme par exemple que la torture avait également été pratiquée dans la capitale. Il est convaincu que les archives, qui n’ont toujours pas été ouvertes, recèlent les déclarations de milliers de victimes de la torture.

À Paris, le préfet de police Maurice Papon, qui avait eu d’importantes responsabilités dans le Constantinois, importe les méthodes utilisées en Algérie en métropole, en particulier durant les semaines qui précèdent le massacre du 17 octobre 1961 puis celui de Charonne en février 1962.
En 1961, la répression contre les Algériens installés en métropole (on en comptait 211 000 à la veille de la guerre) s’intensifie : descentes de police dans les habitations et arrestations arbitraires dans les rues se multiplient, tout comme les coups ou l’usage de la torture. Sont censément visés les activistes du FLN, mais c’est toute la population algérienne qui subit cette répression musclée orchestrée par la police et ceux que l’on appelle alors les « harkis de Paris ». C’est dans ce cadre que dès 1958 est instauré un couvre-feu officieux à Paris. Celui-ci est formalisé le 5 octobre 1961 par un décret de la préfecture de police interdisant aux « Français musulmans d’Algérie » de se trouver sur la voie publique à partir de 20h30. Un décret discriminatoire et anti-constitutionnel car basé sur l’origine d’une partie de la population française mais qui est prononcé avec l’aval du gouvernement du général de Gaulle. En réaction, la fédération de France du FLN décide d’organiser une manifestation pacifique le 17 octobre.

Tout est fait pour qu’elle soit exemplaire : les manifestants sont fouillés par les organisateurs afin qu’aucune arme ne soit emportée, les femmes et les enfants participent au cortège, celui-ci ne bloque pas la circulation et se cantonne aux trottoirs des grands boulevards... ce qui n’empêche pas la police d’intervenir en masse. C’est une répression inimaginable qui s’abat sur le rassemblement : des dizaines de tués (entre 80 et 200 selon les historiens), des hommes et des femmes frappés à mort et jetés dans la Seine, onze mille personnes arrêtées...

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