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Poésie de Jacques Prévert

lundi 11 mars 2013, par Robert Paris

Poésie de Jacques Prévert

« La poésie c’est le plus joli surnom qu’on donne à la vie. »
Jacques Prévert

« Embauché malgré moi dans l’usine à idées
J’ai refusé de pointer
Mobilisé de même dans l’armée des idées
J’ai déserté
Je n’ai pas compris grand-chose
Il n’y a jamais grand-chose
ni petite chose
Il y a autre chose.


Autre chose
c’est ce que j’aime qui me plait
et que je fais. »

Malgré moi - Extrait de Choses et autres de Prévert

« Quand les éboueurs font grève,
les orduriers sont indignés »

Extrait de Choses et autres de Prévert

Le roi

 Fais moi rire, bouffon.

Le bouffon

 Sire, votre premier ministre est un imbécile, votre second ministre un idiot, votre troisième ministre un crétin, votre quatrième ministre…

Le roi (saisi d’une grande hilarité)
 Arrête, bouffon, et dis-moi la solution.

Le bouffon

 La solution, Sire : vous êtes le roi des cons.

Charade - Extrait de Choses et autres de Prévert

« L’étoffe des héros est un tissus de mensonges »

« Les prisons trouvent toujours des gardiens. »

Extrait de Choses et autres de Prévert

« La révolution est quelquefois un rêve, la religion est toujours un cauchemar. »

Extrait de Choses et autres de Prévert

On ferme !
Cri du cœur des gardiens du musée homme usé
Cri du cœur à greffer
A rafistoler
Cri d’un cœur exténué
On ferme !
On ferme la Cinémathèque et la Sorbonne avec
On ferme !
On verrouille l’espoir
On cloître les idées
On ferme !
O.R.T.F. bouclée
Vérités séquestrées
Jeunesse bâillonnée
On ferme !
Et sir la jeunesse ouvre la bouche
Par la force des choses
Par les forces de l’ordre
On la lui fait fermer
On ferme !
Mais la jeunesse à terre
Matraquée piétinée
Gazée et aveuglée
Se relève pour forcer les grandes portes ouvertes
Les portes d’un passé mensonger
Périmé
On ouvre !
On ouvre sur la vie
La solidarité
Et sur la liberté de la lucidité.

Mai 68 - Extrait de Choses et autres de Prévert

« Ils ont insulté les vaches
ils ont insulté les gorilles
les poulets
Ils ont insulté les veaux
Ils ont insulté les oies les serins les cochons les maquereaux les chameaux
Ils ont insulté les chiens

Les chats
Ils n’ont pas osé. »

Cataire - Extrait de Choses et autres de Prévert

Le professeur

 Dites ce que vous savez sur le Parthénon.

L’élève
 …

Le professeur

 Zéro !

Un autre élève

 Pourquoi ?

Le professeur

 Comment pourquoi ? Mais parce qu’il reste coi, et s’il reste coi, c’est qu’il ne sait pas.

Le second élève (l’interrompant)

 Je réponds…

Le professeur

 Répondre pour lui, mais vous n’y pensez pas !

Le second élève

 Je ne voulais pas répondre pour lui mais simplement répondre de lui. Je le connais. Et puis vous affirmer que le Parthénon, il sait très bien ce que c’est.

Le professeur

 Alors ?

Le second élève

 Alors, ce qui me surprend c’est que vous ne vous demandez pas pourquoi il ne répond pas.

Le professeur

 Est-ce que je sais !

Le second élève

 En voilà une question !

Le professeur

 Comment une question ?

le second élève

 Parfaitement. Ne venez-vous pas de me demander si je savais pourquoi il se taisait ?

« Est-ce que je sais », n’est-ce pas une question ?

Le professeur

  !!!

Le second élève

 De deux choses l’une ou toutes deux : vous me demandez ou vous vous demandez si vous savez pourquoi il se tait.

Le professeur

 Enfin, voyons, « est-ce que je sais », c’est locution courante, façon de parler.

Le premier élève

 Pourquoi pas alors façon de se taire ? Vous auriez dû comprendre, Monsieur le professeur, que cela fait nombre d’années que vous nous cassez les pieds avec votre questionne-ère (il récite très vite) : l’Acropole est un petit monticule où se dressent encore de merveilleux vestiges de pierres à touristes avec son et lumière. Acropole, Parthénon, temple, église, mosquée, forteresse et poudrière.

Athènes capitale de la Grèce colonisée par les colonels…

Le professeur

 Sortez !

L’élève (sortant)

 Avec plaisir.

Le second élève se lève et prenant la relève du premier, répond à son tour au questionnaire.

Le second élève
(tonnant comme un guide accompagnant les touristes)
 Merveilles de la Grèce, au vingtième siècle après Jésus-Christ et bien d’autres siècles beaucoup plus beaux avant lui.

Visitez les Cyclades qui forment un cercle magique autour de Delos.

N’oubliez pas Yaros et Leros qu’on appelle aujourd’hui les îles infortunées les îles des déportés, des torturés…

Le professeur

 Sortez !

Le second élève

 Avec joie !

Il s’en va.

Histoire ancienne et l’autre - Extrait de Choses et autres de Prévert

Etiquette :

1°) Agiter avant de s’en servir

2°) Ordonner le désordre

3°) Ordonner l’ordre jusqu’à nouvel ordre.

Extrait de Choses et autres de Prévert

« C’est sans doute celui qui n’a jamais pêché qui lui a jeté la première pierre. »

Tourisme pontifical - Extrait de Choses et autres de Prévert

Ordonnance - Extrait de Choses et autres de Prévert

"Ça, c’est l’histoire de France, on vous l’a apprise à l’école,
Y en a qu’une qu’on ne vous a pas apprise.
C’est la vôtre et la nôtre, celle de tous les jours
Y a celle des ouvriers
Y a celle des paysans
Y a celle des étrangers"

Jacques Prévert
Refrain de « Vie de famille »
« Est-ce que c’est une vie
De vivre comme on vit
Pourquoi faire
Cette vie d’enfer
Pourquoi se laisser faire
Non ce n’est pas une vie
De vivre comme nous vivons
Et cette vie, cette vie d’enfer,
C’est nous qui la changerons. »

Jacques Prévert

« A l’école on nous a raconté des histoires
L’histoire de France
Il était une fois un roi et une reine
Ralliez vous à mon panache blanc
Du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent
Notre histoire à nous
Ce sont les jacqueries, les communes
…. Nos batailles
Les grèves, les insurrections
… Nos défaites
Les répressions
Apprenons notre histoire, camarades
En 1871, première grande victoire du prolétariat
La Commune de Paris
Camarades, c’est vous qui écrivez notre histoire. »

Jacques Prévert

Extrait de « Commémoration de la Commune »

« Braves gens vous pouvez dormir sur vos deux oreilles
Dormez, braves gens, dormez
Mais
Krach… krach …krach
Les banques de New York baissent leur rideau de fer
Les braves gens sont debout, livides, au bas du lit
Qu’est-ce que vous dites, … je suis mal éveillé
La Bourse de New York va fermer
….
Ça va mal.
Le bourgeois pleure des larmes et grince des dents
Il devient de plus en plus méchant…
Il tuerait bien tout le monde pour garder sa maison
Mais il ne peut pas se tuer lui-même
Alors il cherche un homme …
Hitler… Hitler… Hitler
L’homme de paille pour foutre le feu
Le tueur
Le provocateur

Et maintenant les quartiers ouvriers
Sont peints couleur de sang
….
Là-bas, c’est Hitler
Et ici
Demain
Si l’ouvrier se laisse faire »

Jacques Prévert :
Extrait de « L’avènement d’Hitler »

Pour faire le portrait d’un oiseau

À Elsa Henriques
« Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile pour l’oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l’arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l’oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s’il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
n’ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
s’il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
Faire ensuite le portrait de l’arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l’oiseau peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
Si l’oiseau ne chante pas c’est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s’il chante c’est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l’oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau. »

J. Prévert, Paroles

Le défilé

C’est l’anniversaire de l’armistice 18 et c’est aussi celui de Charles Baudelaire. Aussi la musique militaire depuis Vincennes jusqu’à la République, verse-t-elle l’héroïsme au cœur des citadins.

Pour célébrer la paix, on fait fête à la guerre.

Précédant les chars de l’Etat, des gendarmes imberbes déguisés en poilus de 14, en soldats inconnus, en fusillés de 17, les uns en rouge jusqu’à la ceinture, les autres bleu horizon de la tête aux pieds, marquent le pas.

C’est comme la Mi-Carême, ou le Mardi-Gras d’autrefois : des chars, des travestis, une vraie chienlit, mais les serpentins et les confetti sont interdits.

Le défilé – Choses et autres –Jacques Prévert

« En argot les hommes appellent les oreilles des feuilles
c’est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique
mais la langue verte des arbres est un argot bien plus ancien
Qui peut savoir ce qu’ils disent lorsqu’ils parlent des humains
les arbres parlent arbre
comme les enfants parlent enfant

’Quand un enfant de femme et d’homme
adresse la parole à un arbre
l’arbre répond
l’enfant entend
Plus tard l’enfant
parle arboriculture
avec ses maîtres et ses parents

Il n’entend plus la voix des arbres
il n’entend plus leur chanson dans le vent
pourtant parfois une petite fille
pousse un cri de détresse
dans un square de ciment armé
d’herbe morne et de terre souillée

Est-ce… oh… est-ce
la tristesse d’être abandonnée
qui me fait crier au secours
ou la crainte que vous m’oubliiez
arbre de ma jeunesse
ma jeunesse pour de vrai

Dans l’oasis du souvenir
une source vient de jaillir
est-ce pour me faire pleurer
J’étais si heureuse dans la foule
la foule verte de la forêt
avec la crainte de me perdre
et la crainte de me retrouver

N’oubliez pas votre petite amie
arbres de ma forêt. »

“Les arbres parlent arbre” - citation d’un texte de Prévert extrait du recueil Arbres (1956).

Jacques Prévert, poète et révolutionnaire

D’autres textes de Jacques Prévert

Qui était Jacques Prévert ?

Prévert et le groupe Octobre

De 1932 à 1936, Jacques Prévert a écrit pour le groupe Octobre des pièces, des sketches, des saynètes, des chansons et des choeurs parlés (textes dits à plusieurs voix), dans lesquels il met en scène les puissants de ce monde (les politiciens dans La Bataille de Fontenoy, les souverains dans :

Un drame à la cour, ou Le gâteau de Marina, les industriels dans Citroën, la bourgeoisie dans La Famille Tuyau de Poêle, l¿Eglise avec Conte de Noël),
soulignant leurs travers et leurs ridicules, leurs égoïsmes et leurs manigances.

Mais au-delà de la caricature, Prévert appelle le peuple à faire son théâtre. Ce que dénonce le principal auteur du groupe Octobre (dont font notamment partie Pierre Prévert, son frère, Raymond Bussières, Sylvia Bataille, Maurice Baquet, Paul Grimault, etc.), c’est en effet l’art bourgeois en général, et le théâtre bourgeois en particulier. En s’adressant au public, Prévert l’incite à se servir des mots. Parce qu’il sait que réinventer l’art, c’est réinventer la vie, et inversement.
A l’occasion du trentième anniversaire de la mort de Jacques Prévert, et en écho à la publication en mai 2007 chez Gallimard du livre Octobre. Sketches et choeurs parlés pour le groupe Octobre (1932-1936), réunis et commentés par André Heinrich, recueil rassemblant les textes de Prévert pour Octobre connus à ce jour, la plupart rares ou inédits, France Culture propose d’entendre un certain nombre de ces pièces, mises en ondes par Myron Meerson.

Des courtes pièces ou sketches : "La tête sur les épaules", "Attention Camarades", "Citroën", "Printemps-été 36", "Famille Tuyau de Poêle", "Mange ta soupe", "L’homme sur le banc", "Le sandwich", "Il ne faut pas rire avec ces gens-là", "Pars à la guerre", "Le visiteur inattendu", ponctués par des chansons : "Marche ou crève", "A la belle étoile", "Histoire du cheval", "C’est un mauvais garçon", "Les gars de la marine", "La pêche à la baleine", "Le tendre et dangereux visage de l’amour", "Et puis après", et éclairés par les propos d’André Heinrich, qui vient de préfacer et de commenter la publication de ces textes chez Gallimard.

La suite

Et encore...

Portfolio

Messages

  • Victor Hugo :

    “ Le poète dans les révolutions ”

    Le vent chasse loin des campagnes

    Le gland tombé des rameaux verts ;

    Chêne, il le bat sur les montagnes ;

    Esquif, il le bat sur les mers.

    Jeune homme, ainsi le sort nous presse.

    Ne joins pas, dans ta folle ivresse,

    Les maux du monde à tes malheurs ;

    Gardons, coupables et victimes,

    Nos remords pour nos propres crimes,

    Nos pleurs pour nos propres douleurs.

    Quoi ! mes chants sont-ils téméraires ?

    Faut-il donc, en ces jours d’effroi,

    Rester sourd aux cris de ses frères !

    Ne souffrir jamais que pour soi !

    Non, le poète sur la terre

    Console, exilé volontaire,

    Les tristes humains dans leurs fers ;

    Parmi les peuples en délire,

    Il s’élance, armé de sa lyre,

    Comme Orphée au sein des enfers.

    " Orphée aux peines éternelles

    Vint un moment ravir les morts ;

    Toi, sur les têtes criminelles,

    Tu chantes l’hymne du remords.

    Insensé ! quel orgueil t’entraîne ?

    De quel droit viens-tu dans l’arène

    Juger sans avoir combattu ?

    Censeur échappé de l’enfance,

    Laisse vieillir ton innocence,

    Avant de croire à ta vertu.

    Quand le crime, Python perfide,

    Brave, impuni, le frein des lois,

    La Muse devient l’Euménide,

    Apollon saisit son carquois.

    Je cède au Dieu qui me rassure ;

    J’ignore à ma vie encor pure

    Quels maux le sort veut attacher ;

    Je suis sans orgueil mon étoile ;

    L’orage déchire la voile

    La voile sauve le nocher.

    " Les hommes vont aux précipices.

    Tes chants ne les sauveront pas.

    Avec eux, loin des cieux propices,

    Pourquoi donc égarer tes pas ?

    Peux-tu, dès tes jeunes années,

    Sans briser d’autres destinées,

    Rompre la chaîne de tes jours ?

    Épargne ta vie éphémère :

    Jeune homme, n’as-tu pas de mère ?

    Poète, n’as-tu pas d’amours ? "

    Eh bien, à mes terrestres flammes,

    Si je meurs, les cieux vont s’ouvrir.

    L’amour chaste agrandit les âmes,

    Et qui sait aimer sait mourir.

    Le poète, en des temps de crime,

    Fidèle aux justes qu’on opprime,

    Célèbre, imite les héros ;

    Il a, jaloux de leur martyre,

    Pour les victimes une lyre,

    Une tête pour les bourreaux.

    " On dit que jadis le poète,

    Chantant des jours encor lointains,

    Savait à la terre inquiète

    Révéler ses futurs destins.

    Mais toi, que peux-tu pour le monde ?

    Tu partages sa nuit profonde ;

    Le ciel se voile et veut punir ;

    Les lyres n’ont plus de prophète,

    Et la Muse, aveugle et muette,

    Ne sait plus rien de l’avenir !

    Le mortel qu’un Dieu même anime

    Marche à l’avenir, plein d’ardeur ;

    C’est en s’élançant dans l’abîme

    Qu’il en sonde la profondeur.

    Il se prépare au sacrifice ;

    Il sait que le bonheur du vice

    Par l’innocent est expié ;

    Prophète à son jour mortuaire,

    La frison est son sanctuaire,

    Et l’échafaud est son trépied.

    " Que n’est-tu né sur les rivages

    Des Abbas et des Cosroës,

    Aux rayons d’un ciel sans nuages,

    Parmi le myrte et l’aloès !

    Là, sourd aux maux que tu déplores,

    Le poète voit ses aurores

    Se lever sans trouble et sans pleurs ;

    Et la colombe, chère aux sages,

    Porte aux vierges ses doux messages

    Où l’amour parle avec des fleurs !

    Qu’un autre au céleste martyre

    Préfère un repos sans honneur !

    La gloire est le but où j’aspire ;

    On n’y va point par le bonheur.

    L’alcyon, quand l’océan gronde,

    Craint que les vents ne troublent l’onde

    Où se berce son doux sommeil ;

    Mais pour l’aiglon, fils des orages,

    Ce n’est qu’à travers les nuages

    Qu’il prend son vol vers le soleil !

  • Lire aussi : Benjamin Péret, poète et révolutionnaire, Ici

  • Tu dis que tu aimes les fleurs,
    tu les coupes.

    Tu dis que tu aimes les poissons,

    tu les manges.

    Tu dis que tu aimes les oiseaux,

    tu les mets en cage.

    Quand tu me dis "Je t’aime",

    j’ai peur...

    Jacques Prévert

  • LE DISCOURS SUR LA PAIX

    Vers la fin d’un discours extrêmement important

    le grand homme d’État trébuchant

    sur une belle phrase creuse

    tombe dedans

    et désemparé la bouche grande ouverte

    haletant

    montre les dents

    et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements

    met à vif le nerf de la guerre

    la délicate question d’argent

  • "Un poète a écrit un jour, je cite, - il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes -"

    "je le connais ?"

    "je serai étonné du contraire... même les enfants le connaissent, du moins en France"

    "il doit être de notre époque"

    "à quoi le vois-tu ?"

    "les allumettes, c’est récent"

    "pas du tout... le mot « allumette » date des environs de l’an 1200 pour désigner une petite bûche destinée à faire prendre le feu... et c’est au début du XIXe siècle que l’on verra pour la première fois une allumette produire une flamme en un seul temps, par réaction chimique ou par frottement"

    "sauf que dans ce vers, le poète fait référence aux intellectuels"

    "et alors... il y en a eu à toutes les époques, même les plus reculées..."

    "oui mais, jusqu’à une époque récente, les intellectuels étaient plutôt bien vus..."

    "que veux-tu dire ?"

    "je veux dire que ce vers incite à une certaine méfiance à leur égard, le poète dit - il ne faut pas... -, ça sonne comme un appel à la vigilance... il semble dire, attention, ils sont dangereux..."

    "perspicace analyse !"

    "et puis le poète dénonce leur inconscience"

    "qu’est-ce qui te fait dire ça ?"

    "il dit que les intellectuels, je cite, - jouent avec les allumettes... il semble vouloir signifier qu’ils ne sont pas conscients du danger..."

    "quel est ce danger ?"

    "le feu, bien sûr !"

    "n’exagère-t-il pas un petit peu ?"

    "attention... t’as dit que c’est un poète..."

    "et alors ?"

    "nous sommes dans la symbolique"

    "mais encore ?"

    "les allumettes pourraient être n’importe quelle autre chose susceptible d’être à l’origine du feu..."

    "comme quoi ?"

    "les armes"

    "oui mais pourquoi cette mise en garde spécifique vis-à-vis plus des intellectuels qui ne manipulent pas d’armes ?"

    "toujours la symbolique"

    "je ne comprends pas"

    "les idées peuvent parfaitement être des armes très redoutables... à mon avis, le poète lance-là un appel contre les idées source de conflits et de guerres... il ne se trompe pas en spécifiant les intellectuels puisque ce sont eux qui, de par leur activité professionnelle, manipulent exclusivement des idées... comme les scientifiques, les écrivains, les philosophes, les journalistes..."

    "je suis ébahi par ta perspicacité"

    "de plus, il doit être français"

    "comment t’as deviné ?"

    "t’as dit qu’il était connu des enfants en ajoutant, je cite, du moins en France..."

    "c’est juste... c’est un poète français..."

    "il a certainement vécu les horreurs d’une guerre"

    "c’est juste"

    "ça doit être un grand poète"

    "pourquoi ?"

    "parce qu’il a vu venir les intellectuels d’aujourd’hui, je veux dire ceux de nos jours... ceux qui rampent sur les marches du pouvoir... et jouent avec les allumettes... je ne vois qu’un poète capable d’une si grande prouesse..."

    "c’est-à-dire ?"

    "capable de porter une si profonde critique avec de si simples mots, si simples, qu’on peut se permettre de les apprendre aux enfants... "

    "c’est qui ?"

    "c’est Prévert !"

    "oui"

    "il a aussi écrit quelle connerie la guerre !... et là, pas besoin d’analyse... tout le monde peut comprendre, sauf peut-être des intellectuels"

    "... !?"

  • Il ne faut pas...

    ( Jacques Prévert, 1946 )

    Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes

    Parce que Messieurs quand on le laisse seul

    Le monde mental Messieurs

    N’est pas du tout brillant

    Et sitôt qu’il est seul

    Travaille arbitrairement

    S’érigeant pour soi-même

    Et soi-disant généreusement en l’honneur des travailleurs du bâtiment

    Un auto-monument

    Répétons-le Messssssieurs

    Quand on le laisse seul

    Le monde mental

    Ment

    Monumentalement.

  • Il faut essayer d’être heureux ne serait-ce que pour donner l’exemple. (Jacques Prévert)

  • La belle vie

    Dans les ménageries

    Il y a des animaux

    Qui passent toute leur vie

    Derriére des barreaux

    Et nous on est des frères

    De ces pauvres bestieaux

    On n’est pas à plaindre

    On est à blâmer

    On s’est laissé prendre

    Qu’est-ce qu’on avait fait

    Enfants des corridors

    Enfants des courant d’air

    Le monde nous a foutus dehors

    La vie nous a foutus en l’air

    Notre mère c’est la misère

    Et notre père le bistrot

    Élevés dans des tiroirs

    En guise de berceau

    On nous a laissés choir

    Tous nus dans le ruisseau

    Dès notre plus jeune âge

    Parqués dans les prisons

    Nous dormons dans des cages

    Et nous tournons en rond

    Sans voir le paysage

    Sans chanter de chansons

    On n’est pas à plaindre

    On est à blâmer

    On s’est laissé prendre

    Qu’est-ce qu’on avait fait

    Enfants des corridors

    Enfants des courants d’air

    Le monde nous a foutus dehors

    La vie nous a foutus en l’air.

    Jacques Prévert

  • – Vous l’avez vu dans les journaux

    – Vous l’avez sûrement vu, son portrait

    – Quel portrait ?

    – Mais le portrait du gâteau des noces de la Princesse Marina !

    Un gâteau de trois mètres de haut

    Depuis longtemps dans le monde on n’avait pas vu un gâteau comme ça…

    […]

    – En Espagne

    Dans les Asturies

    C’est la révolution

    Les mineurs rouges se battent et meurent

    Pour la terre

    Pour le pain

    Pour la liberté

    – Qu’est ce que c’est que les Asturies

    Des petites montagnes de rien du tout !

    Qu’est ce que c’est, la terre ?

    Qu’est ce que c’est, la liberté ?

    Qu’est ce que c’est, le pain ?

    PARLEZ-MOI PLUTÔT DU MAGNIFIQUE GÂTEAU DE NOCES

    DE LA PAUVRE PETITE PRINCESSE MARINA

    UN GÂTEAU DE TROIS MÈTRES DE HAUT !!!

    il paraît qu’en le voyant

    Les marcheurs de la faim eux-mêmes

    se sont arrêtés de marcher […]

    Pauvres, remerciez le roi et la petite Princesse

    et tous les grands banquiers de la ville

    qui vous ont permis de contempler une telle merveille…

  • La grasse matinée

    Il est terrible

    le petit bruit de l’oeuf dur cassé sur un comptoir d’étain

    il est terrible ce bruit

    quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim

    elle est terrible aussi la tête de l’homme

    la tête de l’homme qui a faim

    quand il se regarde à six heures du matin

    dans la glace du grand magasin

    une tête couleur de poussière

    ce n’est pas sa tête pourtant qu’il regarde

    dans la vitrine de chez Potin

    il s’en fout de sa tête l’homme

    il n’y pense pas

    il songe

    il imagine une autre tête

    une tête de veau par exemple

    avec une sauce de vinaigre

    ou une tête de n’importe quoi qui se mange

    et il remue doucement la mâchoire

    doucement

    et il grince des dents doucement

    car le monde se paye sa tête

    et il ne peut rien contre ce monde

    et il compte sur ses doigts un deux trois

    un deux trois

    cela fait trois jours qu’il n’a pas mangé

    et il a beau se répéter depuis trois jours

    Ça ne peut pas durer

    ça dure

    trois jours

    trois nuits

    sans manger

    et derrière ce vitres

    ces pâtés ces bouteilles ces conserves

    poissons morts protégés par les boîtes

    boîtes protégées par les vitres

    vitres protégées par les flics

    flics protégés par la crainte

    que de barricades pour six malheureuses sardines..

    Un peu plus loin le bistrot

    café-crème et croissants chauds

    l’homme titube

    et dans l’intérieur de sa tête

    un brouillard de mots

    un brouillard de mots

    sardines à manger

    oeuf dur café-crème

    café arrosé rhum

    café-crème

    café-crème

    café-crime arrosé sang !...

    Un homme très estimé dans son quartier

    a été égorgé en plein jour

    l’assassin le vagabond lui a volé

    deux francs

    soit un café arrosé

    zéro franc soixante-dix

    deux tartines beurrées

    et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.

    Jacques Prévert

  • Déjeuner du matin

    Il a mis le café
    Dans la tasse
    Il a mis le lait
    Dans la tasse de café
    Il a mis le sucre
    Dans le café au lait
    Avec la petite cuiller
    Il a tourné
    Il a bu le café au lait
    Et il a reposé la tasse
    Sans me parler

    Il a allumé
    Une cigarette
    Il a fait des ronds
    Avec la fumée
    Il a mis les cendres
    Dans le cendrier
    Sans me parler
    Sans me regarder

    Il s’est levé
    Il a mis
    Son chapeau sur sa tête
    Il a mis son manteau de pluie
    Parce qu’il pleuvait
    Et il est parti
    Sous la pluie
    Sans une parole
    Sans me regarder

    Et moi j’ai pris
    Ma tête dans ma main
    Et j’ai pleuré

  • « Et les vitres redeviennent sable l’encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau. »

    Jacques Prévert

  • Ne rêvez pas

    Ne rêvez pas
    pointez
    grattez vaquez marnez bossez trimez
    Ne rêvez pas
    l’électronique rêvera pour vous
    Ne lisez pas
    l’électrolyseur lira pour vous
    Ne faites pas l’amour
    l’électrocoïtal le fera pour vous

    Pointez
    grattez vaquez marnez bossez trimez
    Ne vous reposez pas
    le Travail repose sur vous.

    Prévert

  • Jacques Prévert :

    Oh Barbara

    Quelle connerie la guerre

    Qu’es-tu devenue maintenant

    Sous cette pluie de fer

    De feu d’acier de sang

    Et celui qui te serrait dans ses bras

    Amoureusement

    Est-il mort disparu ou bien encore vivant

    Oh Barbara

    Le crépuscule est lâché sur le ciel des hommes,

    Que n’arrêtera jamais le plus beau des psaumes.

    Sous l’azur éteint, les cris et la déraison,

    L’oiseau aveuglé cherche la belle saison,

    Le creux d’un olivier et sa tunique verte,

    Près d’une femme obstinée, ses paumes ouvertes.

    Mais les ombres crucifient le rêve et l’envie,

    Dans les sillons naufragés, du sang est servi.

    Quand tiennent le haut du pavé les gens de guerre,

    Nous, peuples soumis, nous leur offrons notre terre.

    Pendant la fameuse glorieuse dernière avant-dernière grande guerre

    Le président Poincaré rigolait dans les cimetières

    Oh ! Pas aux éclats naturellement

    Un petit rire discret

    Un petit gloussement

    Un rire d’homme du monde

    Un joyeux rire d’outre-tombe

    La mère fait du tricot

    Le fils fait la guerre

    Elle trouve ça tout naturel la mère

    Et le père qu’est-ce qu’il fait le père ?

    Il fait des affaires [...]

    Et le fils et le fils

    Il ne trouve absolument rien le fils [...]

    Le père continue il fait des affaires

    Le fils est tué il ne continue plus

    Le père et la mère vont au cimetière

    Ils trouvent ça tout naturel le père et la mère

    La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires

    Les affaires la guerre le tricot la guerre

    Les affaires les affaires et les affaires

    La vie avec le cimetière.

  • Je vous salis, ma rue

    Je vous salis ma rue
    et je m’en excuse
    un homme-sandwich m’a donné un prospectus
    de l’Armée du Salut
    je l’ai jeté
    et il est là tout froissé
    dans votre ruisseau
    et l’eau tarde à couler
    Pardonnez-moi cette offense
    les éboueurs vont passer
    avec leur valet mécanique
    et tout sera effacé
    Alors je dirai
    je vous salue ma rue pleine d’ogresses
    charmantes comme dans les contes chinois
    et qui vous plantent au cœur
    l’épée de cristal du plaisir
    dans la plaie heureuse du désir

    Je vous salue ma rue pleine de grâce
    l’éboueur est avec nous.

  • « Êtranger vous-même,
    dit l’âne.

    Et il s’envole. »

    Jacques Prévert

  • Il dit non avec la tête

    mais il dit oui avec le coeur

    il dit oui à ce qu’il aime

    il dit non au professeur

    il est debout

    on le questionne

    et tous les problèmes sont posés

    soudain le fou rire le prend

    et il efface tout

    les chiffres et les mots

    les dates et les noms

    les phrases et les pièges

    et malgré les menaces du maître

    sous les huées des enfants prodiges

    avec des craies de toutes les couleurs

    sur le tableau noir du malheur

    il dessine le visage du bonheur

    Jacques Prévert

  • J’ai appris par coeur tous tes poèmes sauvages qui m’ont à leur tour montré cette partie exceptionnelle de la France et de toute l’humanité.

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