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Claude Lefort (alias Claude Montal) et Socialisme ou barbarie

mardi 5 mars 2013, par Robert Paris

Extrait d’un article de Claude Lefort pour la revue Socialisme ou Barbarie, en mars 1956, intitulé « Juin 1936 » :

« En ce qui concerne le prolétariat, il est clair que les problèmes qu’il affronte aujourd’hui et la perception qu’il en a indiquent une situation différente de celle d’avant-guerre. En 36, l’immense poussée des travailleurs vers les partis et les syndicats est venue couronner une sourde transformation du mouvement ouvrier. Les progrès rapides de la production en grande série à partir de 1920, la généralisation de travail non qualifié dans les grandes usines et l’afflux qui lui est associé d’ouvriers nouveaux avaient posé les conditions et l’exigence d’une organisation des masses à un niveau élémentaire, d’une unification de leurs modes d’existence, d’une mobilisation de leur combativité face à l’exploitation patronale. Il n’y a pas de doute que le mouvement de 36 a répondu à cette exigence et, dans une certaine mesure, efficacement. Mais, en même temps, il a porté la marque de ces conditions, il a témoigné d’un manque de maturité fatal. Déclenchant une lutte qu’aucune autre n’a peut-être surpassée par l’ampleur des grèves qu’elle a enregistrées, suscitant une extraordinaire solidarité dans toutes les couches exploitées de la société, créant enfin la première forme d’un pouvoir nouveau, grâce aux occupations d’usine, le prolétariat français n’a cependant jamais tenté de résoudre le problème de sa direction autonome. De cette faiblesse témoignent aussi bien l’attitude des ouvriers qui se sont contentés d’occuper les entreprises sans chercher à en assurer le fonctionnement – c’est-à-dire sans tenter de s’en rendre les maîtres effectifs – et leur attitude envers les partis officiels : les yeux tournés vers leurs directions, les ouvriers ont attendu d’elles des réponses qu’ils ne pouvaient donner qu’eux-mêmes. De toute évidence, la prise du pouvoir par le PS et le PC est apparue à elle seule comme la garantie d’une nouvelle ère sociale – comme si un changement dans le personnel de l’Etat pouvait suffire à changer radicalement la position des classes dans la société. (…) De là vient une étonnante situation qui, rétrospectivement paraît paradoxale : une activité et une combativité débordantes qui balayèrent momentanément – il faut s’en souvenir – toute résistance de la bourgeoisie, une victoire telle que tout paraissait possible et les mesures révolutionnaires à portée de la main, et en même temps une passivité générale qui rendait les énergies sans emploi, ainsi que l’illustre la vie des usines en grève où les hommes trompent l’attente par des fêtes, des chants, des jeux, comme si leur destin se jouait ailleurs, indépendamment d’eux.
Une telle situation n’est guère imaginable dans la période présente. Non pas que les ouvriers se souviennent de leurs échecs et prennent conscience de leurs erreurs anciennes. Mais leur intégration dans la production, d’une part, leur relation aux organisations traditionnelles, de l’autre, ont créé une mentalité nouvelle que ne manqueraient pas de cristalliser des luttes à l’échelle de celles de 36. La méfiance des ouvriers à l’égard du PC, la désaffection des syndicats, n’excluent certes pas que des mouvements soient dirigés par les organisations traditionnelles, ils excluent qu’une combativité aussi généralisée que celle de 36 s’accommode d’une semblable soumission devant ces organisations. Le manque de combativité est aujourd’hui la rançon d’une perception plus aigüe du rôle des bureaucrates et des exigences de formes autonomes d’organisation. »

Un des apports de Claude Lefort : l’expérience prolétarienne

L’EXPÉRIENCE PROLÉTARIENNE

Il n’y a guère formule de Marx plus rabâchée : « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes ». Pourtant celle-ci n’a rien perdu de son caractère explosif. Les hommes n’ont pas fini d’en fournir le commentaire pratique, les théories des mystificateurs de ruser avec son sens ni de lui substituer de plus rassurantes vérités. Faut-il admettre que l’histoire se définit tout entière par la lutte de classes ; aujourd’hui tout entière par la lutte du prolétariat contre les classes qui l’exploitent ; que la créativité de l’histoire et la créativité du prolétariat, dans la société actuelle sont une seule et même chose ? Sur ce point, il n’y a pas d’ambiguïté chez Marx : « De tous les instruments de production, écrit-il, le plus grand pouvoir productif c’est la classe révolutionnaire elle-même » (1). Mais plutôt que de tout subordonner à ce grand pouvoir productif, d’interpréter la marche de la société d’après la marche de la classe révolutionnaire, le pseudo-marxisme en tous genres juge plus commode d’assurer l’histoire sur une base moins mouvante. Il convertit la théorie de la lutte des classes en une science purement économique, prétend établir des lois à l’image des lois de la physique classique, déduit la superstructure et fourre dans ce chapitre avec les phénomènes proprement idéologiques, le comportement des classes. Le prolétariat et la bourgeoisie, dit-on, ne sont que des « personnifications de catégories économiques » – l’expression est dans le Capital — le premier celle du travail salarié, la seconde celle du capital. Leur lutte n’est donc que le reflet d’un conflit objectif, celui qui se produit à des périodes données entre l’essor des forces productives et les rapports de production existants. Comme ce conflit résulte lui-même du développement des forces productives, l’histoire se trouve pour l’essentiel réduite à ce développement, insensiblement transformée en un épisode particulier de l’évolution de la nature. En même temps qu’on escamote le rôle propre des classes, on escamote celui des hommes. Certes, cette théorie ne dispense pas de s’intéresser au développement du prolétariat ; mais l’on ne retient alors que des caractéristiques objectives, son extension, sa densité, sa concentration ; au mieux ; on les met en relation avec les grandes manifestations du mouvement ouvrier ; le prolétariat est traité comme une MASSE, inconsciente et indifférenciée dont on surveille l’évolution naturelle. Quant aux épisodes de sa lutte permanente contre l’exploitation, quant aux actions révolutionnaires et aux multiples expressions idéologiques qui les ont accompagnées, ils ne composent pas l’histoire réelle de la classe, mais un accompagnement de sa fonction économique.

Non seulement Marx se distingue de cette théorie, mais il en a fait une critique explicite dans ses œuvres philosophiques de jeunesse ; la tendance à se représenter le développement de la société en soi, c’est-à-dire indépendamment des hommes concrets et des relations qu’ils établissent entre eux, de coopération ou de lutte, est, selon lui, une expression de l’aliénation inhérente à la société capitaliste. C’est parce qu’ils sont rendus étrangers à leur travail, parce que leur condition sociale leur est imposée indépendamment de leur volonté que les hommes sont amenés à se représenter l’activité humaine en général comme une activité physique et la Société comme un être en soi.

Marx n’a pas détruit cette tendance par sa critique pas plus qu’il n’a supprimé l’aliénation en la dévoilant ; elle s’est, au contraire, développée à partir de lui, sous la forme d’un prétendu matérialisme économique qui est venu, avec le temps, jouer un rôle précis dans la mystification du mouvement ouvrier. Recoupant une division sociale du prolétariat entre une élite ouvrière associée à une fraction de l’intelligentsia et la masse de la classe, elle est venue alimenter une idéologie de commandement dont le caractère bureaucratique s’est pleinement révélé avec le stalinisme. En convertissant le prolétariat en une masse soumise à des lois, en un exécutant de sa fonction économique, celui-ci se justifiait de le traiter en exécutant au sein de l’organisation ouvrière et d’en faire la matière de son exploitation.

En fait, la véritable réponse à ce pseudo-matérialisme économique, c’est le prolétariat qui l’a lui-même apportée dans son existence pratique. Qui ne voit qu’il n’a pas seulement RÉAGI, dans l’histoire, à des facteurs externes, économiquement définis du type degré d’exploitation, niveau de vie, type de concentration, mais qu’il a réellement agi, intervenant révolutionnairement non pas selon un schéma préparé par sa situation objective, mais en fonction de son expérience totale cumulative.

Il serait absurde d’interpréter le développement du mouvement ouvrier sans le mettre constamment en relation avec la structure économique de la société mais vouloir l’y réduire c’est se condamner à ignorer pour les trois quarts la conduite concrète de la classe. La transformation, en un siècle, de la mentalité ouvrière, des méthodes de lutte, des formes d’organisation, qui s’aventurerait à la déduire du processus économique ?

Il est donc essentiel de réaffirmer, à la suite de Marx, que la classe ouvrière n’est pas seulement une catégorie économique, qu’elle est « le plus grand pouvoir productif » et de montrer comment elle l’est, ceci contre ses détracteurs et ses mystificateurs et pour le développement de la théorie révolutionnaire. Mais il faut reconnaître que cette tâche n’a été qu’ébauchée par Marx et que la conception qu’il a exprimée sur le prolétariat n’est pas nette. Il s’est souvent contenté de proclamer en termes abstraits le rôle de la prise de conscience dans la constitution de la classe sans expliquer en quoi consistait celle-ci. En même temps il a — dans le but de montrer la nécessité d’une révolution radicale — dépeint le prolétariat en des termes si sombres qu’on est en droit de se demander comment il peut s’élever à la conscience de ses conditions et de son rôle de direction de l’humanité. Le capitalisme l’aurait transformé en machine et dépouillé de « tout caractère humain au physique comme au moral » (2), aurait retiré à son travail toute apparence « d’activité personnelle », aurait réalisé en lui « la perte de l’homme ». C’est, selon Marx, parce qu’il est une espèce de sous-humanité, totalement aliénée, qu’il a accumulé toute la détresse de la société que le prolétariat peut, en se révoltant contre son sort, émanciper l’humanité tout entière. (Il faut « une classe… qui soit la perte totale de l’homme et qui ne puisse se reconquérir elle-même que par la conquête totale de l’homme », ou encore : « seuls, les prolétaires du temps présent totalement exclus de toute activité personnelle sont à même de réaliser leur activité personnelle complète et ne connaissant plus de bornes et qui consiste en l’appropriation d’une totalité de forces collectives ») (3). Il est trop clair pourtant que la révolution prolétarienne ne consiste pas en une explosion libératrice suivie d’une transformation instantanée de la société (Marx a eu suffisamment de sarcasmes pour cette naïveté anarchiste) mais en la prise de direction de la société par la classe exploitée. Comment celle-ci peut-elle s’opérer, le prolétariat accomplir avec succès les innombrables tâches politiques, économiques, culturelles qui découlent de son pouvoir, s’il s’est trouvé jusqu’à la veille de la révolution radicalement exclu de la vie sociale ? Autant dire que la classe se métamorphose pendant la révolution. De fait, il y a bien une accélération du processus historique en période révolutionnaire, un bouleversement des rap ports entre les hommes, une communication de chacun avec la société globale qui doit provoquer un mûrissement extraordinaire de la classe, mais il serait absurde, sociologiquement parlant de faire naître la classe avec la révolution. Elle ne mûrit alors que parce qu’elle dispose d’une expérience antérieure, qu’elle interprète et met en pratique positivement.

Les déclarations de Marx sur l’aliénation totale du prolétariat rejoignent son idée que le renversement de la bourgeoisie est à soi seul la condition nécessaire et suffisante de la victoire du socialisme ; dans les deux cas, il ne se préoccupe que de la destruction de la société ancienne et de lui opposer la société communiste comme le positif s’oppose au négatif. Sur ce point se manifeste sa dépendance nécessaire à l’égard d’une période historique ; cependant les dernières décades écoulées invitent à considérer autrement le passage de la société ancienne à la société post-révolutionnaire. Le problème de la révolution devient celui de la capacité du prolétariat de gérer la société et par la même force à s’interroger sur le développement de celui-ci au sein de la société capitaliste.
Il ne manque pas d’indications, toutefois, chez Marx lui-même, qui mettent sur la voie d’une autre conception du prolétariat. Par exemple, Marx écrit que le communisme est le mouvement réel supprimant la société actuelle qui en est la présupposition, indiquant qu’il y a sous un certain rapport une continuité entre les forces sociales dans le stade capitaliste et l’humanité future ; plus explicitement, il souligne l’originalité du prolétariat qui représente déjà, dit-il, une « dissolution de toutes les classes » (4), parce qu’il n’est lié à aucun intérêt particulier, parce qu’il absorbe en fait des éléments des anciennes classes et les mêle dans un moule unique, parce qu’il n’a pas de lien nécessaire avec le sol et par extension avec une nation quelconque. En outre, si Marx insiste à juste titre sur le caractère négatif, aliénant du travail prolétarien, il sait aussi montrer que ce travail met la classe ouvrière dans une situation d’universalité, avec le développement du machinisme qui permet une interchangeabilité des tâches et une rationalisation virtuellement sans limite. Il fait voir enfin la fonction créatrice du prolétariat par sa conception de l’industrie qu’il définit comme « le livre ouvert des forces humaines » (5). Celui-ci apparaît, alors, non plus comme une sous-humanité, mais comme le producteur de la vie sociale tout entière. Il fabrique les objets grâce auxquels la vie des hommes se maintient et se poursuit dans TOUS les domaines, car il n’y en a pas — serait-ce celui de l’art — qui ne doive ses conditions d’existence à la production industrielle. Or s’il est le producteur universel, il faut bien que le prolétaire soit en une certaine manière le dépositaire de la culture et du progrès social.
Marx, d’autre part, semble décrire à plusieurs reprises la conduite de la bourgeoisie et celle du prolétariat dans les mêmes termes, comme si les classes non seulement s’apparentaient par leur place dans la production mais encore par leur mode d’évolution et les rapports qu’elles établissaient entre les hommes. Ainsi écrit-il par exemple : « les divers individus ne constituent de classe qu’en tant qu’ils ont à soutenir une lutte contre une autre classe ; pour le reste, ils s’affrontent dans la concurrence. D’autre part, la classe s’autonomise aussi vis-à-vis des individus, de sorte que ceux-ci trouvent leurs conditions d’existence prédestinées » (6). Cependant dès qu’il décrit concrètement l’évolution du prolétariat et de la bourgeoisie, il les différencie radicalement. Les bourgeois ne composent une classe essentiellement qu’autant qu’ils ont une fonction économique similaire ; à ce niveau, ils ont des intérêts communs et les horizons communs que leur décrivent leurs conditions d’existence ; indépendamment de la politique qu’ils adoptent, ils forment un groupe homogène doté d’une structure fixe ; ce qu’atteste, d’ailleurs, la faculté qu’a la classe de s’en remettre à une fraction spécialisée pour faire sa politique, c’est-à-dire pour représenter au mieux ses intérêts, qui sont ce qu’ils sont avant toute expression ou interprétation. Cette caractéristique de la bourgeoisie est également manifeste dans son processus de formation historique : « les conditions d’existence des bourgeois isolés devinrent, parce qu’ils étaient en opposition aux conditions existantes et par le mode de travail qui en était la conséquence, les conditions qui leur étaient communes à tous » (7) ; en d’autres termes, c’est l’identité de leur situation économique au sein de la féodalité qui les réunit et leur donne l’aspect d’une classe, leur imposant au départ une simple association par ressemblance. Ce que Marx exprime encore en disant que le serf en rupture de ban est déjà un demi bourgeois (8) ; il n’y a pas solution de continuité entre le serf et le bourgeois, mais légalisation par celui-ci d’un mode d’existence antérieur ; la bourgeoisie s’insinue dans la société féodale comme un groupe de cette société étendant son propre mode de production ; alors même qu’elle se heurte aux conditions existantes, celles-ci ne sont pas en contradiction avec sa propre existence, elles en gênent seulement le développement. Marx ne le dit pas, mais il permet de le dire : dès son origine, la bourgeoisie est ce qu’elle sera, classe exploiteuse ; sous-privilégiée d’abord, certes, mais possédant d’emblée tous les traits que son histoire ne fera que développer. Le développement du prolétariat est tout différent ; réduit à sa seule fonction économique, il représente bien une catégorie sociale déterminée, mais cette catégorie ne contient pas encore son sens de classe, ce sens que constitue la conduite originale, soit en définitive la lutte sous toutes ses formes de la classe dans la société face aux couches adverses. Ceci ne signifie pas que le rôle de la classe dans la production soit à négliger — nous verrons au contraire que le rôle que les ouvriers jouent dans la société et qu’ils sont appelés à jouer en s’en rendant les maîtres, est directement fondé sur leur rôle de producteurs — mais l’essentiel est que ce rôle ne leur donne aucun pouvoir en acte, mais seulement une capacité de plus en plus forte à diriger. La bourgeoisie est continuellement en face du résultat de son travail et c’est ce qui lui confère son objectivité ; le prolétariat s’élève par son travail sans jamais cependant que le résultat le concerne. C’est à la fois ses produits et la marche de ses opérations qui lui sont dérobés ; alors qu’il progresse dans ses techniques, ce progrès ne vaut en quelque sorte que pour l’avenir, il ne s’inscrit qu’en négatif sur l’image de la société d’exploitation. (Les capacités techniques du prolétariat américain contemporain sont sans commune mesure avec celles du prolétariat français de 1848, mais celui-ci comme celui-là sont également dépourvus de tout pouvoir économique). Il est vrai que les ouvriers, comme les bourgeois, ont des intérêts similaires imposés par leurs communes conditions de travail — par exemple, ils ont intérêt au plein emploi et à des hauts salaires mais ces intérêts sont, d’un certain point de vue, d’un autre ordre que leur intérêt profond qui est de ne pas être ouvriers. En apparence, l’ouvrier recherche l’augmentation de salaires comme le bourgeois recherche le profit, de même qu’en apparence ils sont tous deux possesseurs de marchandises sur le marché, l’un possesseur du capital, l’autre de la force de travail ; en fait le bourgeois se constitue par cette conduite comme auteur de sa classe, il édifie le système de production qui est à la source de sa propre structure sociale ; le prolétaire de son côté ne fait que réagir aux conditions qui lui sont imposées, il est mû par ses exploiteurs ; et sa revendication, même si elle est le point de départ de son opposition radicale à l’exploitation elle-même, fait encore partie intégrante de la dialectique du capital. Le prolétariat ne s’affirme, en tant que classe autonome, en face de la classe bourgeoise, que lorsqu’il conteste son pouvoir, c’est-à-dire son mode de production, soit, concrètement, le fait même de l’exploitation ; c’est donc son attitude révolutionnaire qui constitue son attitude de classe ; ce n’est pas en étendant ses attributions économiques qu’il développe son sens de classe, mais en les niant radicalement pour instituer un nouvel ordre économique. Et de là vient aussi que les prolétaires, à la différence des bourgeois, ne sauraient s’affranchir individuellement, puisque leur affranchissement suppose non pas le libre épanouissement. de ce qu’ils sont déjà virtuellement mais l’abolition de la condition prolétarienne (9). Marx enfin fait remarquer, dans le même sens, que les bourgeois n’appartiennent à leur classe qu’en tant qu’ils en sont les « membres » ou comme individus « moyens » c’est-à-dire passivement détermines par leur situation économique, tandis que les ouvriers formant la « communauté révolutionnaire » (10) sont proprement des individus composant précisément leur classe dans la mesure où ils dominent leur situation et leur rapport immédiat à la production.

S’il est donc vrai qu’aucune classe ne peut jamais être réduite à sa seule fonction économique, qu’une description des rapports sociaux concrets au sein de la bourgeoisie fait nécessairement partie de la compréhension de la nature de cette classe, il est plus vrai encore que le prolétariat exige une approche spécifique qui permette d’en atteindre le développement subjectif. Quelque réserve, en effet, que cette épithète appelle, il résume cependant mieux que toute autre le trait dominant du prolétariat. Celui-ci est subjectif en ce sens que sa conduite n’est pas la simple conséquence de ses conditions d’existence ou plus profondément que ses conditions d’existence exigent de lui une constante lutte pour être transformées, donc un constant dégagement de son sort immédiat et que le progrès de cette lutte, l’élaboration du contenu idéologique que permet ce dégagement composent une expérience au travers de laquelle la classe se constitue.

En paraphrasant Marx une fois encore, on dira qu’il faut éviter avant tout de fixer le prolétariat comme abstraction vis-à-vis de l’individu, ou encore qu’il faut rechercher comment sa structure sociale sort continuellement du processus vital d’individus déterminés, car ce qui est vrai, selon Marx, de la société, l’est a fortiori du prolétariat qui représente au stade historique actuel la force éminemment sociale, le groupe producteur de la vie collective.
Force est cependant de reconnaître que ces indications que nous trouvons chez Marx, cette orientation vers l’analyse concrète des rapports sociaux constitutifs de la classe ouvrière n’ont pas été développées dans le mouvement marxiste. La question à notre sens fondamentale — comment les hommes placés dans des conditions de travail industriel, s’approprient-ils ce travail, nouent-ils entre eux des rapports spécifiques, perçoivent-ils et construisent-ils pratiquement leur relation avec le reste de la société, d’une façon singulière, composent-ils une expérience en commun qui fait d’eux une force historique — cette question n’a pas été directement abordée. On la délaisse ordinairement au profit d’une conception plus abstraite dont l’objet est, par exemple, la Société capitaliste — considérée dans sa généralité — et les forces qui la composent --- situées à distance sur un même plan. Ainsi pour Lénine, le prolétariat est-il une entité dont le sens historique est une fois pour toutes établi et qui — à cette restriction près qu’on est pour lui — est traité comme son adversaire, en fonction de ses caractères extérieurs et un intérêt excessif est accordé à l’étude du « rapport de forces » confondue avec celle de la lutte de classes elle-même, comme si l’essentiel consistait à mesurer la pression qu’une des deux masses exerce sur la masse opposée. Certes, il ne s’agit nullement, selon nous, de rejeter une analyse objective de la structure et des institutions de la société totale et de prétendre par exemple qu’aucune connaissance vraie ne peut nous être donnée qui ne soit celle que les prolétaires eux-mêmes puissent élaborer, qui ne soit liée à un enracinement dans la classe. Cette théorie « ouvriériste » de la connaissance, qui, soit dit en passant, réduirait à rien l’œuvre de Marx, doit être condamnée au moins pour deux raisons, d’abord parce que toute connaissance prétend à l’objectivité (alors même qu’elle est consciente d’être psychologiquement et socialement conditionnée), ensuite parce qu’il appartient à la nature même du prolétariat d’aspirer à un rôle pratiquement et idéologiquement universel, soit en définitive de s’identifier avec la société totale. Mais il demeure que l’analyse objective, même menée avec la plus grande rigueur, comme elle l’est par Marx dans le Capital, est incomplète parce qu’elle est contrainte de ne s’intéresser qu’aux résultats de la vie sociale ou aux formes fixées dans lesquelles celle-ci s’intègre (par exemple l’évolution des techniques ou de la concentration du capital) et à ignorer l’expérience humaine correspondant à ce processus matériel ou tout au moins extérieur (par exemple le rapport qu’ont les hommes avec leur travail à l’époque de la machine à vapeur et à l’époque de l’électricité, à l’époque d’un capitalisme concurrentiel et à celle d’un monopolisme étatique). En un sens, il n’y a aucun moyen de mettre à part les formes matérielles et l’expérience des hommes, puisque celle-ci est déterminée par les conditions dans lesquelles elle s’effectue et que ces conditions sont le résultat d’une évolution sociale, le produit d’un travail humain ; pourtant d’un point de vue pratique, c’est en définitive l’analyse objective qui se subordonne à l’analyse concrète car ce ne sont pas les conditions mais les hommes qui sont révolutionnaires, et la question dernière est de savoir comment ils s’approprient et transforment leur situation.

Mais l’urgence et l’intérêt d’une analyse concrète s’impose aussi à nous d’un autre point de vue. Nous tenant près de Marx, nous venons de souligner le rôle de producteurs de la vie sociale des ouvriers. Il faut dire davantage, car cette proposition pourrait s’appliquer d’une façon générale à toutes les classes qui ont eu dans l’histoire la charge du travail. Or, le prolétariat est lié à son rôle de producteur comme aucune classe ne l’a été dans le passé. Ceci tient à ce que la société moderne industrielle ne peut être que partiellement comparée aux autres formes de société qui l’ont précédée. Idée couramment exprimée aujourd’hui par de nombreux sociologues qui prétendent, par exemple, que les sociétés primitives du type le plus archaïque sont plus près de la société féodale européenne du moyen âge que celle-ci ne l’est de la société capitaliste qui en est issue, mais dont on n’a pas suffisamment montré l’importance en ce qui concerne le rôle des classes et leur rapport. En fait, il y a bien dans toute société la double relation de l’homme à l’homme et de l’homme à la chose qu’il transforme, mais le second aspect de cette relation prend avec la production industrielle une nouvelle importance. Il y a maintenant une sphère de la production régie par des lois en une certaine mesure autonomes ; elle est bien sûr englobée dans la sphère de la société totale puisque les rapports entre les classes sont en définitive constitués au sein du processus de production ; mais elle ne s’y réduit pas car le développement de la technique, le processus de rationalisation qui caractérise l’évolution capitaliste depuis ses origines ont une portée qui dépasse le cadre strict de la lutte des classes. Par exemple (c’est une constatation banale), l’utilisation de la vapeur ou de l’électricité par l’industrie implique une série de conséquences : — soient un mode de division du travail, une distribution des entreprises — qui sont relativement indépendantes de la forme générale des rapports sociaux. Certes, la rationalisation et le développement technique ne sont pas une réalité en soi ; ils le sont si peu qu’on peut les interpréter comme une défense du patronat constamment menacé dans son profit par la résistance, du prolétariat à l’exploitation. Il demeure que si les mobiles du Capital sont suffisants pour en expliquer l’origine, ils ne permettent pas de rendre compte du contenu du progrès technique. L’explication la plus profonde de cette apparente autonomie de la logique du développement technique est que celui-ci n’est pas l’œuvre de la seule direction capitaliste, qu’il est aussi l’expression du travail prolétarien. L’action du prolétariat, en effet, n’a pas seulement la forme d’une résistance (contraignant constamment le patronat à améliorer ses méthodes d’exploitation), mais aussi celle d’une assimilation continue du progrès et davantage encore d’une collaboration active à celui-ci. C’est parce que les ouvriers sont capables de s’adapter au rythme et à la forme sans cesse en évolution de la production que cette évolution peut se poursuivre ; plus profondément, c’est en apportant eux-mêmes des réponses aux mille problèmes que pose la production dans son détail, qu’ils rendent possible l’apparition de cette réponse systématique explicite qu’on nomme l’invention technique. La rationalisation qui s’opère au grand jour reprend à son compte, interprète, et intègre à une perspective de classe, les innovations multiples, fragmentaires, dispersées et anonymes des hommes qui sont engagés dans le processus concret de la production.
Cette remarque est, de notre point de vue, capitale, parce qu’elle incite à mettre l’accent sur l’expérience qui s’effectue au niveau des rapports de production et sur la perception qu’en ont les ouvriers. Il ne s’agit pas, comme on le voit, de séparer radicalement ce rapport social spécifique du rapport social tel qu’il s’exprime au niveau de la société globale, mais seulement de reconnaître sa spécificité. Ou, en d’autres termes, constatant que la structure industrielle détermine de part en part la structure sociale, qu’elle a acquis une permanence telle que toute société désormais — quel que soit son caractère de classe — doit se modeler sur certains de ses traits, nous devons comprendre dans quelle situation elle met les hommes qui lui sont intégrés de toute nécessité, c’est-à-dire les prolétaires.

En quoi pourrait donc consister une analyse concrète du prolétariat ? Nous essaierons de le définir en énumérant différentes approches et en évaluant leur intérêt respectif.

La première consisterait à décrire la situation économique dans laquelle se trouve placée la classe et l’influence qu’a celle-ci sur sa structure ; à la limite, c’est toute l’analyse économique et sociale qui serait ici nécessaire, mais, en un sens plus restreint, nous voulons parler des conditions de travail et des conditions de vie de la classe — les modifications qui surviennent dans sa concentration et sa différenciation, dans les méthodes d’exploitation, la productivité, la durée du travail, les salaires et les possibilités d’emploi, etc. … Cette approche est la plus objective en ceci qu’elle s’attache à des caractéristiques apparentes (et d’ailleurs essentielles) de la classe. Tout groupe social peut être étudié de cette manière et tout individu peut se consacrer à une telle étude indépendamment d’une conviction révolutionnaire quelconque (11) ; tout au plus peut-on dire qu’une telle enquête est ou sera généralement inspirée par des mobiles politiques puisqu’elle desservira nécessairement la classe exploiteuse, mais dans sa méthode elle n’a rien de spécifiquement prolétarien.

Une seconde approche pourrait à l’inverse être qualifiée de typiquement subjective ; elle viserait toutes les expressions de la conscience prolétarienne, ou ce qu’on entend ordinairement par le terme d’idéologie. Par exemple, le marxisme primitif, l’anarchisme, le réformisme, le bolchévisme, le stalinisme ont représenté des moments de la conscience prolétarienne, et il est très important de comprendre le sens de leur succession ; pourquoi de larges couches de la classe se sont rassemblées à des stades historiques différents sous leur drapeau et comment ces formes continuent à coexister dans la période actuelle, en d’autres termes qu’est-ce que le prolétariat cherche à dire par leur intermédiaire. Une telle analyse des idéologies, que nous ne présentons pas comme originale et dont on trouve de nombreux exemples dans la littérature marxiste (par exemple chez Lénine, la critique de l’anarchisme et du réformisme) pourrait cependant être poussée assez loin dans la période présente où nous disposons d’un précieux recul qui permet d’apprécier la transformation des doctrines, en dépit de leur continuité formelle (celle des idées staliniennes entre 1928 et 1952 ou du réformisme depuis un siècle). Mais quel que soit son intérêt, cette étude est aussi incomplète et abstraite. D’une part, nous utilisons encore une approche extérieure qu’une connaissance livresque (des programmes et des écrits des grands mouvements intéressés) pourrait satisfaire et qui ne nous impose pas nécessairement une perspective prolétarienne. D’autre part, nous laissons échapper à ce niveau ce qui fait peut-être le plus important de l’expérience ouvrière. Nous ne nous intéressons en effet qu’à l’expérience explicite, qu’à ce qui est exprimé, mis en forme dans des programmes ou des articles sans nous préoccuper de savoir si les idées sont un reflet exact des pensées ou des intentions réelles des couches ouvrières qui ont paru s’en réclamer. Or, s’il y a toujours un écart entre ce qui est vécu et ce qui est élaboré, transformé en thèse, cet écart a une ampleur particulière dans le cas du prolétariat. C’est d’abord que celui-ci est une classe aliénée, non pas seulement dominée, mais totalement exclue du pouvoir économique et par là-même mise dans l’impossibilité de représenter un statut quelconque — ce qui ne signifie pas que l’idéologie soit sans relation avec son expérience de classe, mais qu’en devenant un système de pensées, elle suppose une rupture avec cette expérience et une anticipation qui permet à des facteurs non prolétariens d’exercer leur influence. Nous retrouvons sur ce point une différence essentielle entre le prolétariat et la bourgeoisie à laquelle nous avons déjà fait allusion. Pour celle-ci, la théorie du libéralisme, à une époque donnée par exemple, a eu le sens d’une simple idéalisation ou rationalisation de ses intérêts ; les programmes de ses partis politiques en général expriment le statut de certaines de ses couches ; pour le prolétariat, le bolchevisme, s’il représentait en une certaine mesure une rationalisation de la condition ouvrière, était aussi une interprétation opérée par une fraction de l’avant-garde associée à une intelligentsia relativement séparée de la classe. En d’autres termes, il y a deux raisons à la déformation de l’expression ouvrière : le fait qu’elle est l’œuvre d’une minorité qui est extérieure à la vie réelle de la classe ou est contrainte d’adopter une position d’extériorité à son égard et le fait qu’elle est utopie (ce terme n’étant nullement pris dans son acception péjorative) c’est-à-dire projet d’établir une situation dont le présent ne contient pas toutes les prémisses. Certes, les idéologies du mouvement ouvrier représentent bien celui-ci sous un certain rapport puisqu’il les reconnaît pour siennes, mais elles le représentent sous une forme dérivée.

La troisième approche serait plus spécifiquement historique ; elle consisterait à rechercher une continuité dans les grandes manifestations de la classe depuis son avènement, à établir que les révolutions, ou plus généralement les diverses formes de résistance ou d’organisation ouvrières (associations, syndicats, partis, comités de grève ou de lutte) sont les moments d’une expérience progressive et à montrer comment cette expérience est liée à l’évolution des formes économiques et politiques de la société capitaliste.

C’est enfin la quatrième approche que nous jugeons la plus concrète ; au lieu d’examiner de l’extérieur la situation et le développement du prolétariat, on chercherait à restituer de l’intérieur son attitude en face de son travail et de la société et à montrer comment se manifeste dans sa vie quotidienne ses capacités d’invention ou son pouvoir d’organisation sociale.

Avant toute réflexion explicite, toute interprétation de leur sort ou de leur rôle, les ouvriers ont un comportement spontané en face du travail industriel, de l’exploitation, de l’organisation de la production, de la vie sociale à l’intérieur et en dehors de l’usine et c’est, de toute évidence, dans ce comportement que se manifeste le plus complètement leur personnalité. A ce niveau les distinctions du subjectif et de l’objectif perdent leur sens : ce comportement contient éminemment les idéologies qui en constituent en une certaine mesure la rationalisation, comme il suppose les conditions économiques dont il réalise lui-même l’intégration ou l’élaboration permanente.
Une telle approche n’a guère été, nous l’avons dit, utilisée jusqu’à maintenant ; sans doute, trouve-t-on dans l’analyse de la classe ouvrière anglaise au XIXe siècle que présente le Capital des renseignements qui pourraient la servir, cependant la préoccupation essentielle de Marx consiste à décrire les conditions de travail et de vie des ouvriers ; il s’en tient donc à la première approche que nous mentionnions. Or, depuis Marx, nous ne pourrions citer que des documents « littéraires » comme essais de description de la personnalité ouvrière. Il est vrai que depuis quelques années est apparue, essentiellement aux États-Unis, une sociologie « ouvrière » qui prétend analyser concrètement les rapports sociaux au sein des entreprises et proclame ses intentions pratiques.
Cette sociologie est l’œuvre du patronat ; les capitalistes « éclairés » ont découvert que la rationalisation matérielle avait ses limites, que les objets-hommes avaient des réactions spécifiques dont il fallait tenir compte si l’on voulait tirer d’eux le meilleur parti, c’est-à-dire les soumettre à l’exploitation la plus efficace – admirable découverte en effet qui permet de remettre en service un humanisme hier taylorisé et qui fait la fortune de pseudo-psychanalystes appelés à libérer les ouvriers de leur ressentiment comme d’une entrave néfaste à la productivité ou de pseudo-sociologues chargés d’enquêter sur les attitudes des individus à l’égard de leur travail et de leurs camarades et de mettre au point les meilleures méthodes d’adaptation sociale. Le malheur de cette sociologie est qu’elle ne peut par définition atteindre la personnalité prolétarienne car elle est condamnée par sa perspective de classe à l’aborder de l’extérieur et à ne voir que la personnalité de l’ouvrier producteur simple exécutant irréductiblement lié au système d’exploitation capitaliste. Les concepts qu’elle utilise, celui d’adaptation sociale, par exemple, ont pour les ouvriers le sens contraire qu’ils ont pour les enquêteurs et sont donc dépourvus de toute valeur (pour ces derniers, il y a d’adaptation qu’aux conditions existantes, pour les ouvriers l’adaptation implique une inadaptation à l’exploitation). Cet échec montre les présuppositions d’une analyse véritablement concrète du prolétariat. L’important est que ce travail soit reconnu par les ouvriers comme un moment de leur propre expérience, un moyen de formuler, de condenser et de confronter une connaissance ordinairement implicite, plutôt « sentie » que réfléchie et fragmentaire. Entre ce travail d’inspiration révolutionnaire et la sociologie dont nous parlions, il y a toute la différence qui sépare la situation du chronométrage dans une usine capitaliste et celle d’une détermination collective des normes dans le cas d’une gestion ouvrière. Car c’est bien comme un chronométreur de sa « durée psychologique » que doit nécessairement apparaître à l’ouvrier l’enquêteur venu pour scruter ses tendances coopératives ou son mode d’adaptation. En revanche, le travail que nous proposons se fonde sur l’idée que le prolétariat, est engagé dans une expérience progressive qui tend à faire éclater le cadre de l’exploitation ; il n’a donc de sens que pour des hommes qui participent d’une telle expérience, au premier chef, des ouvriers.

A cet égard, l’originalité radicale du prolétariat se manifeste encore. Cette classe ne peut être connue que par elle-même, qu’à la condition que celui qui interroge admette la valeur de l’expérience prolétarienne, s’enracine dans sa situation et fasse sien l’horizon social et historique de la classe ; à condition donc de rompre avec les conditions immédiatement données qui sont celles du système d’exploitation. Or, il en va tout différemment pour d’autres groupes sociaux. Des américains étudient par exemple avec succès la petite bourgeoisie du Middle West comme ils étudient les Papous des îles d’Alor ; quelles que soient les difficultés rencontrées (et qui concernent toujours la relation de l’observateur avec son objet d’étude) et la nécessité pour l’enquêteur d’aller au-delà de la simple analyse des institutions afin de restituer le sens qu’elles ont pour des hommes concrets, il est possible d’obtenir dans ces cas-là une certaine connaissance du groupe étudié sans pour autant partager ses normes et accepter ses valeurs. C’est que la petite bourgeoisie comme les Papous a une existence sociale objective qui, bonne ou mauvaise, est ce qu’elle est, tend à se perpétuer sous la même forme et offre à ses membres un ensemble de conduites et de croyances solidement liées aux conditions présentes. Tandis que le prolétariat n’est pas seulement, nous l’avons suffisamment souligné, ce qu’il paraît être, la collectivité des exécutants de la production capitaliste ; sa véritable existence sociale est cachée, bien sûr solidaire des conditions présentes, mais aussi sourde contradiction du système actuel (d’exploitation), avènement d’un rôle en tous points différents, du rôle que la société lui impose aujourd’hui.

Cette approche concrète, que nous jugeons donc suscitée par la nature propre du prolétariat, implique que nous puissions rassembler et interpréter des témoignages ouvriers ; par témoignages, nous entendons surtout des récits de vie ou mieux d’expérience individuelle, faits par les intéressés et qui fourniraient des renseignements sur leur vie sociale. Énumérons à titre d’exemple quelques-unes des questions qui nous semblent le plus intéressant à voir aborder dans ces témoignages et que nous avons pour une bonne part définies à la lumière de documents déjà existants (12).

On chercherait à préciser : a) la relation de l’ouvrier à son travail (sa fonction dans l’usine, son savoir technique, sa connaissance du processus de production — sait-il par exemple d’où vient et où va la pièce qu’il travaille — son expérience professionnelle — a-t-il travaillé dans d’autres usines, sur d’autres machines, dans d’autres branches de production ? etc. … ; son intérêt pour la production — quelle est sa part d’initiative dans son travail, a-t-il une curiosité pour la technique ? A-t-il spontanément l’idée de transformations qui devraient être apportées à la structure de la production, au rythme du travail, au cadre et aux conditions de vie dans l’usine ? A-t-il en général une attitude critique à l’égard des méthodes de rationalisation du patronat ; comment accueille-t-il les tentatives de modernisation ?)

b) Les rapports avec les autres ouvriers et les éléments des autres couches sociales au sein de l’entreprise (différence d’attitudes à l’égard des autres ouvriers, de la maîtrise, des employés, des ingénieurs, de la direction), conception de la division du travail. Que représente la hiérarchie des fonctions et celle des salaires ? Préférerait-il faire une partie de son travail sur machine et l’autre dans des bureaux ? S’est-il accommodé du rôle de simple exécutant ? Considère-t-il la structure sociale à l’intérieur de l’usine comme nécessaire ou en tout cas « allant de soi » ? Existe-t-il des tendances à la coopération, à la compétition, à l’isolement ? Goût pour le travail d’équipe, individuel ? Comment se répartissent les rapports entre les individus ? Rapports personnels ; formation de petits groupes ; sur quelle base s’établissent-ils ? Quelle importance ont-ils pour l’individu ? S’ils sont différents des rapports qui s’établissent dans les bureaux, comment ceux-ci sont-ils perçus et jugés ? Quelle importance la physionomie sociale a-t-elle à ses yeux ? Connaît-il celle d’autres usines et les compare-t-il ? Est-il exactement informé des salaires attachés aux différentes fonctions dans l’entreprise ? Confronte-t-il ses feuilles de paie avec celles des camarades ? etc. …

c) La vie sociale en dehors de l’usine et la connaissance de ce qui advient dans la société totale (Incidence de la vie à l’usine sur la vie à l’extérieur) ; comment son travail, matériellement et psychologiquement influence-t-il sa vie personnelle, familiale par exemple ? Quel milieu fréquente-t-il en dehors de l’usine ? En quoi ces fréquentations lui sont-elles imposées par son travail, son quartier d’habitation ? Caractéristiques de sa vie familiale, rapports avec ses enfants, éducation de ceux-ci, quelles sont ses activités extra-professionnelles ? Manière dont il occupe ses loisirs ; a-t-il des goûts prononcés pour un mode déterminé de distraction ? En quelle mesure utilise-t-il les grands moyens d’information ou de diffusion de la culture : livres, presse, radio, cinéma ; attitude à cet égard, par exemple quels sont ses goûts non seulement quels journaux lit-il ? Mais ce qu’il lit d’abord dans le journal ; dans quelle mesure s’intéresse-t-il à ce qui se passe dans le monde et en discute-t-il ? (l’événement politique ou social, la découverte technique ou le scandale bourgeois), etc. …

d) Le lien avec une tradition et une histoire proprement prolétarienne. (Connaissance du passé du mouvement ouvrier et familiarité avec cette histoire ; participation effective à des luttes sociales et souvenir qu’elles ont laissées ; connaissance de la situation des ouvriers d’autres pays ; attitude vis-à-vis de l’avenir, indépendamment d’une estimation politique particulière, etc…)

Quel que soit l’intérêt de ces questions, on peut à juste titre s’interroger sur la portée de témoignages individuels. Nous savons bien que nous ne pourrons en obtenir qu’un nombre très restreint : de quel droit généraliser ? Un témoignage est par définition singulier — celui d’un ouvrier de 20 ans ou de 50, travaillant dans une petite entreprise ou dans un grand trust, militant évolué, jouissant d’une forte expérience syndicale et politique, ayant des opinions arrêtées ou dépourvu de toute formation et de toute expérience particulière — comment, sans artifice, tenir pour rien ces différences de situation et tirer de récits si différemment motivés un enseignement de portée universelle ? La critique est sur ce point largement justifiée et il paraît évident que les résultats qu’il serait possible d’obtenir seront nécessairement de caractère limité. Toutefois, il serait également artificiel de dénier pour autant tout intérêt aux témoignages. C’est d’abord que les différences individuelles, si importantes soient-elles ne jouent qu’au sein d’un cadre unique, qui est celui de la situation prolétarienne et que c’est celle-ci que nous visons au travers des récits singuliers beaucoup plus que la spécificité de telle vie. Deux ouvriers placés dans des conditions très différentes ont ceci de commun qu’ils sont soumis l’un et l’autre à une forme de travail et d’exploitation qui est pour l’essentiel la même et qui absorbe pour les trois quarts leur existence personnelle. Leurs salaires peuvent présenter un écart sensible, leurs conditions de logement, leur vie familiale n’être pas comparables, il demeure que leur rôle de producteurs, de manieurs de machines et leur aliénation est profondément identique. En fait, tous les ouvriers savent cela ; c’est ce qui leur donne des rapports de familiarité et de complicité sociale (alors qu’ils ne se connaissent pas) visibles au premier coup d’œil pour un bourgeois qui pénètre dans un quartier prolétarien. Il n’est donc pas absurde de chercher sur des exemples particuliers des traits qui ont une signification générale, puisque ces cas ont suffisamment de ressemblances pour se distinguer ensemble de tous les cas concernant d’autres couches de la société. A quoi il faut ajouter que la méthode du témoignage serait bien davantage critiquable si elle visait à recueillir et à analyser des opinions car celles-ci offrent nécessairement une large diversité, mais, nous l’avons dit, ce sont les attitudes ouvrières qui nous intéressent, quelquefois, certes, exprimées dans des opinions, mais souvent aussi défigurées par elles et en tout cas plus profondes et nécessairement plus simples que celles-ci qui en procèdent ; ainsi serait-ce une gageure manifeste de vouloir induire à partir de quelques témoignages individuels les opinions du prolétariat sur l’U.R.S.S. ou même sur une question aussi précise que celle de l’éventail des salaires, mais nous paraît-il beaucoup plus facile de percevoir les attitudes à l’égard du bureaucrate, spontanément adoptées au sein du processus de production. Enfin, il convient de remarquer qu’aucun autre mode de connaissance ne pourrait nous permettre de répondre aux problèmes que nous avons posés. Disposerions-nous d’un vaste appareil d’investigation statistique (en l’occurrence de très nombreux camarades ouvriers susceptibles de poser des milliers de questions dans les usines, puisque nous avons déjà condamné toute enquête effectuée par des éléments extérieurs à la classe) cet appareil ne nous servirait de rien, car des réponses recueillies auprès d’individus anonymes et qui ne pourraient être mises en corrélation que d’une manière quantitative seraient dépourvues d’intérêt. C’est seulement rattachées à un individu concret que des réponses se renvoyant les unes aux autres, se confirmant ou se démentant peuvent dégager un sens, évoquer une expérience ou un système de vie et de pensée qui peut être interprété. Pour toutes ces raisons, les récits individuels sont d’une valeur irremplaçable.

Ceci ne signifie pas que, par ce biais, nous prétendions définir ce que le prolétariat est dans sa réalité, une fois rejetées toutes les représentations qu’il se fait de sa condition quand il s’aperçoit à travers le prisme déformant de la société bourgeoise ou des partis qui présentent l’exprimer. Un témoignage d’ouvrier, si significatif, si symbolique et si spontané soit-il demeure cependant déterminé par la situation du témoin. Nous ne faisons pas ici allusion à la déformation qui peut provenir de l’interprétation de l’individu mais à celle que le témoignage impose nécessairement à son auteur. Raconter n’est pas agir et suppose même une rupture avec l’action qui en transforme le sens ; faire par exemple le récit d’une grève, est tout autre chose qu’y participer, ne serait-ce que parce qu’on en connaît alors l’issue, que le simple recul de la réflexion permet de juger ce qui, sur l’instant, n’avait pas encore fixé son sens. En fait c’est bien plus qu’un simple écart d’opinion qui apparaît dans ce cas, c’est un changement d’attitude ; c’est-à-dire une transformation dans la manière de réagir aux situations dans lesquelles on se trouve placé. A quoi il s’ajoute que le récit met l’individu dans une position d’isolement qui ne lui est pas non plus naturelle. C’est solidairement avec d’autres hommes qui participent à la même expérience que lui, qu’un ouvrier agit ordinairement ; sans parler même de la lutte sociale ouverte, celle qu’il mène d’une manière cachée mais permanente au sein du processus de production pour résister à l’exploitation, il la partage avec ses camarades ; ses attitudes les plus caractéristiques, vis-à-vis de son travail ou des autres couches sociales il ne les trouve pas en lui comme le bourgeois ou le bureaucrate qui se voit dicter sa conduite par ses intérêts d’individu, il en participe plutôt comme de réponses collectives.

La critique d’un témoignage doit précisément permettre d’apercevoir dans l’attitude individuelle ce qui implique la conduite du groupe, mais, en dernière analyse l’une et l’autre ne se recouvrent pas et le témoignage ne nous procure qu’une connaissance incomplète. Enfin, et cette dernière critique rejoint partiellement la première en l’approfondissant, on doit mettre en évidence le contexte historique dans lequel ces témoignages sont publiés ; ce n’est pas d’un prolétaire éternel qu’ils témoignent mais d’un certain type d’ouvrier occupant une position définie dans l’histoire, situé dans une période qui voit le reflux des forces ouvrières dans le monde entier, la lutte entre deux forces de la société d’exploitation réduire peu à peu au silence toutes les autres manifestations sociales et tendre à se développer en un conflit ouvert et en une unification bureaucratique du monde. L’attitude du prolétariat, même cette attitude essentielle que nous recherchons et qui en une certaine mesure dépasse une conjoncture particulière de l’histoire, n’est toutefois pas identique selon que la classe travaille avec la perspective d’une émancipation proche ou qu’elle est condamnée momentanément à contempler des horizons bouchés et à garder un silence historique.

C’est assez dire que cette approche qualifiée par nous de concrète est encore abstraite à bien des égards, puisque trois aspects du prolétariat (pratique, collectif, historique) ne se trouvent abordés qu’indirectement et sont donc défigurés. En fait le prolétariat concret n’est pas objet de connaissance ; il travaille, lutte, se transforme ; on ne peut en définitive le rejoindre théoriquement mais seulement pratiquement en participant à son histoire. Mais cette dernière remarque est elle-même abstraite car elle ne tient pas compte du rôle de la connaissance dans cette histoire même, qui en est une partie intégrante comme le travail et la lutte. C’est un fait aussi manifeste que d’autres que les ouvriers s’interrogent sur leur condition, et la possibilité de la transformer. On ne peut donc que multiplier les perspectives théoriques, nécessairement abstraites, même quand elles sont réunies, et postuler que tous les progrès de clarification de l’expérience ouvrière font mûrir cette expérience. Ce n’était donc pas par une clause de style que nous disions des quatre approches successivement critiquées — qu’elles étaient complémentaires. Ceci ne signifiait pas que leurs résultats pouvaient utilement s’ajouter, mais plus profondément qu’elles communiquaient en rejoignant par des voies différentes, et d’une manière plus ou moins compréhensive, la même réalité, que nous avons déjà appelée, faute d’un terme plus satisfaisant, l’expérience prolétarienne. Par exemple nous pensons que la critique de l’évolution, du mouvement ouvrier, de ses formes d’organisation et de lutte, la critique des idéologies et la description des attitudes ouvrières doivent nécessairement se recouper ; car les positions qui se sont exprimées d’une manière systématique et rationnelle dans l’histoire du mouvement ouvrier et les organisations et les mouvements qui se sont succédé coexistent, en un certain sens, à titre d’interprétations ou de réalisations possibles dans le prolétariat actuel ; au-dessous, pour ainsi dire, des mouvements réformiste, anarchiste, ou stalinien, il y a chez les ouvriers procédant directement du rapport avec la production une projection de leur sort, qui rend possibles ces élaborations et les contient simultanément ; de même des techniques de lutte qui paraissent associées à des phases de l’histoire ouvrière (1848, 1870 ou 1917) expriment des types de relations entre les ouvriers qui continuent d’exister et même de se manifester (sous la forme par exemple d’une grève sauvage, dépourvue de toute organisation). Ce qui ne signifie pas que le prolétariat contienne, de par sa seule nature, tous les épisodes de son histoire ou toutes les expressions idéologiques possibles de sa condition, car l’on pourrait aussi bien retourner notre remarque et dire que son évolution matérielle et théorique l’a amené à être ce qu’il est, s’est condensée dans sa conduite actuelle lui créant un nouveau champ de possibilités et de réflexion. L’essentiel est de ne pas perdre de vue en analysant les attitudes ouvrières que la connaissance ainsi obtenue est elle-même limitée et que, plus profonde ou plus compréhensive que d’autres modes de connaissance, non seulement elle ne supprime pas leur validité mais doit encore s’associer à eux, sous peine d’être inintelligible.

Nous avons déjà énuméré une série de questions que l’analyse concrète devrait nous permettre de résoudre ou de mieux poser, nous voudrions maintenant indiquer — après avoir formulé des réserves sur leur portée — comment elles peuvent se grouper et contribuer à un approfondissement de la théorie révolutionnaire. Les principaux problèmes concernés nous paraissent être les suivants : 1) Sous quelle forme l’ouvrier s’approprie-t-il la vie sociale ? — 2) Comment s’intègre-t-il à sa classe, c’est-à-dire quelles sont les relations qui l’unissent aux hommes qui partagent sa condition et en quelle mesure ces relations constituent- elles une communauté délimitée et stable dans la société ? — 3) Quelle est sa perception des autres couches sociales, sa communication avec la société globale, sa sensibilité aux institutions et aux événements qui ne concernent pas immédiatement son cadre de vie ? — 4) De quelle manière subit-il matériellement et idéologiquement la pression de la classe dominante, et quelles sont ses tendances à échapper à sa propre classe ? — 5) Quelle est enfin sa sensibilité à l’histoire du mouvement ouvrier, son insertion de fait dans le passé de la classe et sa capacité d’agir en fonction d’une tradition de classe ?
Comment ces problèmes pourraient-ils être abordés et quel est leur intérêt ? Prenons en exemple celui de l’appropriation de la vie sociale. Il s’agirait d’abord de préciser quels sont le savoir et la capacité technique de l’ouvrier, sans aucun doute des renseignements concernant directement son aptitude professionnelle sont nécessaires ; mais on devrait aussi rechercher comment la curiosité technique apparaît en dehors de la profession dans les loisirs, par exemple dans toutes les formes de bricolage, ou dans l’intérêt accordé à toutes les publications scientifiques ou techniques ; il s’agirait de mettre eh évidence la connaissance qu’a l’ouvrier des problèmes du mécanisme de l’organisation industrielle, sa sensibilité à tout ce qui touche l’administration des choses. Sans se désintéresser d’une évaluation du niveau culturel de l’intéressé, en prêtant à l’expression le sens étroit que la bourgeoisie donne ordinairement à ce terme (volume des connaissances littéraires, artistiques, scientifiques) on essaierait de décrire le champ d’information que lui ouvrent le journal, la radio et le cinéma. En même temps on se préoccuperait de savoir si le prolétaire a une manière propre d’envisager les événements et les conduites, quels sont ceux qui suscitent son intérêt (qu’il en soit le témoin dans sa vie quotidienne ou qu’il en prenne connaissance par le journal, qu’il s’agisse de faits d’ordre politique ou, comme on dit, de faits divers). L’essentiel serait de déterminer s’il y a une mentalité de classe et en quoi elle diffère de la mentalité bourgeoise.

Nous ne fournissons que des indications sur ce point ; vouloir les développer serait anticiper sur les témoignages eux-mêmes, car c’est eux seuls qui peuvent non seulement permettre une interprétation mais aussi révéler l’étendue des questions concernées dans un ordre de recherches donné. L’intérêt révolutionnaire de la recherche est manifeste. En bref il s’agit de savoir si le prolétariat est ou non assujetti à la domination culturelle de la bourgeoisie, et si son aliénation le prive d’une perspective originale sur la société. La réponse à cette question peut soit faire conclure que toute révolution est vouée à l’échec puisque le renversement de l’Etat ne pourrait que ramener tout l’ancien fatras culturel propre à la société précédente, soit permettre d’apercevoir le sens d’une nouvelle culture dont les éléments épars et le plus souvent inconscients existent déjà.

Il est à peine besoin de souligner, sinon contre des critiques de mauvaise foi trop prévisibles, que cette enquête sur la vie sociale du prolétariat ne se propose pas d’étudier la classe de l’extérieur, pour révéler sa nature à ceux qui ne la connaissent pas ; elle répond aux questions précises que se posent explicitement les ouvriers d’avant-garde et implicitement la majorité de la classe dans une situation où une série d’échecs révolutionnaires et la domination de la bureaucratie ouvrière ont miné la confiance du prolétariat dans sa capacité créatrice et son émancipation. Les ouvriers, encore dominés sur ce point par la bourgeoisie, pensent qu’ils n’ont aucune connaissance en propre, qu’ils sont seulement les parias de la culture bourgeoise. C’est qu’en fait leur créativité n’est pas là où elle devrait se manifester selon les normes bourgeoises, leur culture n’existe pas comme un ordre séparé de leur vie sociale, sous la forme d’une production des idées, elle existe comme un certain pouvoir d’organisation des choses et d’adaptation au progrès, comme une certaine attitude à l’égard des relations humaines, une disposition à la communauté sociale. De ceci les ouvriers pris individuellement n’ont qu’un sentiment confus, puisque l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent de donner un contenu objectif à leur culture au sein de la société d’exploitation, leur fait douter de celle-ci et croire à la seule réalité de la culture bourgeoise.

Prenons enfin un second exemple ; comment décrire le mode d’intégration du prolétaire à la classe ? Il s’agirait, dans ce cas, de savoir comment l’ouvrier perçoit, au sein de l’entreprise, les hommes qui partagent son travail et les représentants de toutes les autres couches sociales ; quelle est la nature et le sens des rapports qu’il a avec ses camarades de travail, s’il a des attitudes différentes à l’égard d’ouvriers appartenant à des catégories différentes (professionnel, O.S., manœuvre) ; si ses relations de camaraderie se prolongent en dehors de l’usine ; s’il a tendance ou non à rechercher des travaux qui nécessitent une coopération ; s’il a toujours travaillé en usine, dans quelle situation il a commencé à le faire, s’il pense à la possibilité d’accomplir un travail différent ; si jamais une occasion s’est présentée à lui de changer de métier ? S’il fréquente des milieux étrangers à sa classe et quelle opinion il a d’eux ; en particulier s’il a des attaches avec un milieu paysan et comment il juge ce milieu ? Il faudrait confronter avec ces renseignements des réponses fournies sur des points très différents : évaluer, par exemple, la familiarité de l’individu avec la tradition du mouvement ouvrier, l’acuité des souvenirs qui sont pour lui associés à des épisodes de la lutte sociale, l’intérêt qu’il a pour cette lutte, indépendamment du jugement qu’il porte sur elle (on peut trouver ensemble une condamnation de la lutte inspirée par un pessimisme révolutionnaire et un récit enthousiaste des événements de 1936 ou de 44) ; repérer la tendance à envisager l’histoire et plus particulièrement l’avenir du point de vue du prolétariat ; noter les réactions à l’égard des prolétariats étrangers, notamment d’un prolétariat favorisé comme celui des Etats-Unis ; chercher enfin dans la vie personnelle de l’individu tout ce qui peut montrer l’incidence de l’appartenance à la classe et les tentatives de fuite par rapport à la condition ouvrière (l’attitude à l’égard des enfants, l’éducation qu’on leur donne, les projets qu’on forme sur leur avenir sont à cet égard particulièrement significatifs).

Ces renseignements auraient l’intérêt de montrer, d’un point de vue révolutionnaire, de quelle manière un ouvrier fait corps avec sa classe, et si son appartenance à son groupe est ou non différente de celle d’un petit bourgeois ou d’un bourgeois à son propre groupe. Le prolétaire lie-t-il son sort à tous les niveaux de son existence, qu’il en soit ou non conscient, au sort de sa classe ? Peut-on vérifier concrètement les expressions classiques mais trop souvent abstraites de conscience de classe ou d’attitude de classe, et cette idée de Marx que le prolétaire, à la différence du bourgeois, n’est pas seulement membre de sa classe, mais individu d’une communauté et conscient de ne pouvoir s’affranchir que collectivement.

« Socialisme ou Barbarie » souhaite susciter des témoignages ouvriers et les publier, en même temps qu’il accordera une place importante à toutes les analyses concernant l’expérience prolétarienne. On trouvera dès ce numéro le début d’un témoignage (13) ; il laisse de côté une série de points que nous avons énumérés ; d’autres témoignages pourront au contraire les aborder aux dépens des aspects envisagés dans ce numéro. En fait il est impossible d’imposer un cadre précis. Si nous avons paru, dans le cours de nos explications, nous rapprocher d’un questionnaire, nous pensons que cette formule de travail ne serait pas valable ; la question précise imposée de l’extérieur peut être une gêne pour le sujet interrogé, déterminer une réponse artificielle, en tout cas imprimer à son contenu un caractère qu’il n’aurait pas sans cela. Il nous paraît utile d’indiquer des directions de recherche qui peuvent servir dans le cas d’un témoignage provoqué ; mais nous devons être attentifs à tous les modes d’expression susceptibles d’étayer une analyse concrète. Au reste, le véritable problème n’est pas celui de la forme des documents, mais celui de leur interprétation. Qui opérera des rapprochements jugés significatifs entre telle et telle réponse, révélera au-delà du contenu explicite du document les intentions ou les attitudes qui l’inspirent, confrontera enfin les divers témoignages entre eux ? Les camarades de la revue « Socialisme ou Barbarie » ? Mais ceci ne va-t-il pas contre leur intention, puisqu’ils se proposent surtout par cette recherche de permettre à des ouvriers de réfléchir sur leur expérience ? Le problème ne peut être artificiellement résolu, surtout à cette première étape du travail. Nous souhaitons qu’il soit possible d’associer les auteurs mêmes des témoignages à une critique collective des documents. De toutes manières, l’interprétation, d’où qu’elle vienne, aura l’avantage de rester contemporaine de la présentation du texte interprété. Elle ne pourra s’imposer que si elle est reconnue exacte par le lecteur, celui-ci ayant la faculté de trouver un autre sens dans les matériaux qu’on lui soumet.
Notre objectif est, pour l’instant, de réunir de tels matériaux et nous comptons sur la collaboration active des sympathisants de la Revue.

Socialisme ou Barbarie, n°11, nov.-déc. 1952, pp. 1-19. [Repris in : Claude Lefort, Éléments d’une critique de la bureaucratie, Paris, 1979, pp. 71-97.]

Notes

(1) Misère de la philosophie, p. 135, Costes, éd.

(2) Économie politique et Philosophie, trad. Molitor, p. 116.

(3) Idéologie allemande, p. 242.

(4) Cf. le Manifeste communiste.

(5) Économie politique et Philosophie, p. 34.

(6) Idéologie allemande, p. 224.

(7) Id., p. 223.

(8) Id., p. 229.

(9) Id., p. 229.

(10) Id., p. 230.

(11) Qu’on pense par exemple au livre de G. Duveau, La Vie ouvrière en France sous le Second Empire.

(12) « L’ouvrier américain » publié par Socialisme ou Barbarie, n°1 ; Témoignage, Les Temps Modernes, juillet 1952.

(13) G. Vivier, « La vie en usine », S. B. n°11, nov.-déc. 1952.

Claude Lefort (21 avril 1924 – 3 octobre 20101) est un philosophe français connu pour sa réflexion sur la notion de totalitarisme, à partir de laquelle il a construit dans les années 1960 et 1970 une philosophie de la démocratie comme le régime politique où le pouvoir est un « lieu vide », c’est-à-dire inachevé, sans cesse à construire, et où alternent des opinions et des intérêts divergents.

Ancien directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, il était membre du centre de recherches politiques Raymond-Aron. Il a notamment travaillé sur Machiavel, Merleau-Ponty et sur les régimes du bloc de l’Est.

Lefort devient marxiste dans sa jeunesse sous l’influence de son maître Maurice Merleau-Ponty. Dès 1944 il appartient au petit noyau trotskiste français : il fait des adeptes à la Maison de Lettres. En 1946, il rencontre Cornelius Castoriadis qui de Grèce arrive à Paris. Tout de suite, ils créent au Parti trotskiste une tendance "Chaulieu (Castoriadis) Montal (Lefort)" qui fait sécession et devient le Groupe Socialisme ou Barbarie qui lance en 1949 une revue sous ce nom.

Au sein du groupe Socialisme ou barbarie, il participe à un mouvement de démystification au sein du marxisme. Socialisme ou Barbarie considère l’URSS comme un capitalisme d’État, et apporte son soutien aux révoltes anti-bureaucratiques en Europe de l’Est — en particulier à l’insurrection de Budapest en 1956. Des divergences amènent une scission au sein de Socialisme ou Barbarie, et Lefort fait partie avec Henri Simon des fondateurs de Informations et liaisons ouvrières en 1958. Il quitte quelques années plus tard le militantisme actif.

Après avoir travaillé, entre autres en 1947 et 1948 pour l’UNESCO, Lefort passe en 1949 l’agrégation de philosophie : il enseigne en lycée à Nîmes (1950) puis à Reims (1951). En 1951, il est recruté comme assistant de sociologie à la Sorbonne par Georges Gurvitch. Dès l’année 1952 (suite à un différend avec celui-ci), il est détaché à la section de sociologie du CNRS, jusqu’en 1966, avec une parenthèse de deux années (1953-54) où il est professeur de philosophie à l’Université de São Paulo (Brésil). Comme pour le CNRS, l’appui de Raymond Aron favorise son recrutement comme enseignant de sociologie à l’Université de Caen, où il professe de 1966 à 1971, année où il soutient comme thèse de doctorat d’état son ouvrage Machiavel, le travail de l’œuvre. Cette même année, il est à nouveau pris comme chercheur à la section de sociologie du CNRS jusqu’en 1976, date de son entrée à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, jusqu’à sa retraite en 1989.

Le travail intellectuel de Lefort est fortement lié à sa participation, souvent conflictuelle, à des revues successives. Aux Temps Modernes, introduit par M. Merleau Ponty, il participe aux "réunions des collaborateurs" et écrit dès 1945, jusqu’à sa polémique avec J.P. Sartre en 1953. À Socialisme ou Barbarie (qui paraît de 1949 à 1967 et dont il est co-fondateur), il est actif jusqu’en 1950, puis de 1955 à 1958. Il participe à Texture (né en 1969) de 1971 à la fin (1975) et y fait entrer Castoriadis et Miguel Abensour. Avec ces derniers (ainsi que Pierre Clastres et Marcel Gauchet), il crée en 1977 Libre, qui paraît jusqu’en 1980, date où des différends l’opposent à Castoriadis comme à Gauchet. De 1982 à 1984, il dirige Passé-Présent où nous trouvons aussi entre autres Miguel Abensour, Carlos Semprun, Claude Mouchard et Pierre Pachet. Ces deux derniers ainsi que Claude Habib forment le comité de lecture de la collection Littérature et Politique que Lefort fonde aux Éditions Belin en 1987.

Sans doute accorda-t-il moins d’importance aux centres de recherche auxquels il a participé à l’EHESS : le CECMAS (centre d’étude des communications de masses), fondé par Georges Friedmann et auquel l’accueille Edgar Morin, puis le Centre Aron, qu’il fréquente jusqu’à sa mort.

Dès la mort de M. Merleau-Ponty (1961), Lefort a pris en charge l’édition de ses manuscrits. En 2010 paraît dans la collection Quarto Gallimard le livre M. Merleau-Ponty, œuvre, dont il a assuré l’organisation et la préface.

Dans les années 1970, il développe une analyse des régimes bureaucratiques d’Europe de l’Est. Il lit L’Archipel du Goulag et publie un livre sur Alexandre Soljenitsyne. Ses principales conceptions sur le totalitarisme stalinien sont publiées en 1981 dans un recueil intitulé L’Invention démocratique.

Quelques écrits politiques de Claude Lefort

Petit historique de Socialisme ou barbarie

En 1946, la « tendance Chaulieu-Montal » (Cornelius Castoriadis-Claude Lefort) du Parti communiste internationaliste (PCI) se constitue et prend le nom de Socialisme ou Barbarie. En 1948, Socialisme ou barbarie quitte le PCI et les positions trotskistes, en particulier la conception de l’URSS comme « État ouvrier dégénéré », reprenant des analyses proches de celles de la tendance Johnson-Forest aux États-Unis. Le groupe commence alors à éditer la revue du même nom. En 1951 le groupe est rejoint par une des deux tendances de la Fraction française de la gauche communiste internationale (FFGCI), incluant une partie des membres de l’Union Communiste d’avant-guerre.

Socialisme ou barbarie combat le stalinisme sous toutes ses formes, et développe un marxisme anti-dogmatique. Elle considère l’URSS et tous les pays dits « socialistes » comme un capitalisme d’État, une société d’exploitation dirigée par une nouvelle classe dominante (la bureaucratie), « trompeusement intitulé "socialiste", où les dirigeants de l’État et de l’économie prennent la place des patrons privés cependant que la situation réelle du travailleur reste inchangée ».

Le groupe publie une revue du même nom de 1949 à 1965, ainsi qu’un mensuel Pouvoir Ouvrier de 1959 à 1963.

Bien que fortement influencé par Chaulieu (Castoriadis), le groupe comporte dès sa création différents courants. Il est donc difficile de présenter un exposé des thèses du groupe. On peut cependant dégager quelques idées-clés :

Au centre de la démarche de S ou B se trouve l’analyse des organisations « ouvrières » françaises : « Nous découvrions en celles-ci autre chose que de mauvaises directions dont il aurait fallu corriger les erreurs et dénoncer les trahisons ; nous découvrions qu’elles participaient au système d’exploitation en tant que formes d’encadrement de la force de travail » (Claude Lefort, S ou B n°26).

La principale contradiction de notre époque est celle contenue dans l’aliénation de l’ouvrier : « Cette contradiction ne sera supprimée que par l’instauration de la gestion collective des travailleurs sur la production et la société » (P. Cardan/Castoriadis, S ou B n°31).

Traduite en termes de classes, cette contradiction s’exprime par la lutte qui oppose les exploités/salariés/exécutants aux exploiteurs/dirigeants. Ce qui compte, et le cas de l’URSS est significatif puisque la bureaucratie y règne sans partage, c’est la possession de fait de l’appareil de production dans ses moindres rouages.

Le prolétariat fait une expérience de cette phase bureaucratique du capitalisme qui peut le conduire à une critique de la vie sous le capitalisme beaucoup plus profonde et généralisée que par le passé. Il peut ainsi donner forme à un renouveau du projet socialiste, à un « programme d’humanisation du travail et de la société » (P. Cardan, S ou B n°31). Il en résulte, surtout sur la fin de S ou B, l’affirmation d’une idéologie auto-gestionnaire où la production est soumise à la gestion ouvrière.

Une nouvelle organisation révolutionnaire est nécessaire. La tâche de cette organisation est non pas de diriger les luttes, mais d’aider les travailleurs à réaliser des luttes autonomes par un travail d’information sur les luttes les plus exemplaires. Encore ce point n’était-il pas évident pour tous. Il suffit pour le comprendre de réfléchir sur ce que sous-entend ce passage d’une lettre de Chaulieu/Cardan à Anton Pannekoek : « ...que devrait-elle faire (une avant-garde minoritaire) si, représentant 45 % des Conseils, elle apprend qu’un parti néo-stalinien quelconque se prépare à prendre le pouvoir pour le lendemain ? Ne devra-t-elle pas tâcher de s’en emparer immédiatement ? » (Correspondance entre A. Pannekoek et P. Chaulieu, reproduite en mai 1971 dans les Cahiers du Communisme de Conseils n° 8, puis récemment sous forme de brochure par Echanges et mouvement. À la même époque Anton Pannekoek jugeait ainsi S ou B : « ils ne sont pas libérés du "virus" bolchévique, inoculé par Trotsky, de "l’avant-garde" et du parti révolutionnaire qui doit faire la révolution ou en prendre la direction... ».

L’alternative qui se pose à l’humanité est plus que jamais le « socialisme » fondé sur le pouvoir des conseils ouvriers, ou la « barbarie » dont la forme moderne est le pouvoir totalitaire de la bureaucratie. La théorisation de cette alternative ira pour certaines « barbares » jusqu’à la croyance en l’impossibilité d’une reprise de la lutte de classe hors de la perspective d’une troisième guerre mondiale qui « réveillerait » le prolétariat.

Des divergences finissent par se cristalliser. Socialisme ou barbarie est marquée par deux scissions importantes :

En 1951, un premier conflit éclate entre ceux qui veulent œuvrer à la création d’un parti révolutionnaire structuré basé sur un programme politique (Chaulieu), et ceux qui, comptant sur un regroupement spontané de l’avant-garde ouvrière au cours d’une période révolutionnaire, voient S ou B comme un lieu de discussion et de critique révolutionnaire. Ce conflit aboutit au départ (provisoire) de Montal (Lefort) et de quelques autres militants. Montal estime que tout parti est un organisme artificiel « c’est-à-dire fabriqué en dehors du prolétariat » et préconise un travail de liaison entre les noyaux multiples de militants organisant librement leur activité. En 1958, après l’arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle le 13 mai, une autre crise éclate sur le même thème, dans une situation nouvelle qui a vu un afflux de nouveaux membres (notamment étudiants). Celle-ci aboutit en septembre 1958 au départ d’une vingtaine de militants regroupés autour de Montal (Lefort) et de Henri Simon. Ceux-ci créent alors le groupe Informations et liaisons ouvrières.

De son côté, Chaulieu et d’autres militants, tout en rejetant le type léniniste du parti, se prononcent pour le développement d’une organisation politique spécifique, basée sur un programme d’action en vue d’aider l’avant-garde ouvrière à développer sa prise de conscience politique.

À partir de 1960, les analyses développées par Cardan (nouveau pseudonyme de Castoriadis) aboutissent au rejet du marxisme et à une nouvelle vision du monde : extension des régimes bureaucratiques et bureaucratisation croissante de la société capitaliste ; transformation de la société en une pyramide où la majorité des hommes soumis à l’aliénation pourront être poussés à combattre le système hors de toute lutte de classe. Ceci dans le contexte d’un régime capitaliste/bureaucratique désormais capable d’éliminer les crises, d’assurer « perpétuellement » la croissance et l’augmentation du niveau de vie.

En opposition aux thèses de Cardan, la moitié des militants, rassemblés autour de Jean-François Lyotard, Pierre Souyri (Brune) et A. Vega, forment une « anti-tendance » à partir de 1960. Ils se réclament des positions initiales de S ou B et s’opposent à la transformation du groupe en un cercle d’intellectuels. Ce groupe scissionne en juillet 1963, continue la publication de Pouvoir ouvrier et prend ce nom, avant de se dissoudre en 1969. Certains éléments issus de PO participeront, après un passage aux « Cahiers de Mai », à la constitution de la Gauche Marxiste (journal Lutte Continue).

En 1960, Guy Debord participe brièvement à Socialisme ou Barbarie, tout en restant membre de l’Internationale situationniste. Il quitte Socialisme ou Barbarie en 1961 - 1.

Socialisme ou Barbarie s’autodissout en 1967, sur proposition de Castoriadis qui préfère se consacrer à des tâches de « reconstruction théorique ».

Notes et références

1 Bernard Quiriny,

2 Debord, Castoriadis et Socialisme ou Barbarie. Notes sur une « méprise » in Collectif, Le cadavre bouge encore - Précis de réanimation littéraire, Paris, collection Fait et cause, 10/18, 2003 ; pp.215-249.

3 Socialisme ou Barbarie et l’Internationale Situationniste. Notes sur une « méprise » in Archives & documents situationnistes, n°3, automne 2003, Denoël.

Claude Lefort intervenant à une AG de 68

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