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Où en est le dossier de l’amiante en France ? Des dizaines de milliers de morts en attente de justice...

lundi 1er avril 2013, par Robert Paris

Où en est le dossier de l’amiante en France

La Chancellerie a indiqué, ce lundi soir dans un communiqué, que la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy est déchargée de ses fonctions au pôle santé du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, sur décision de la ministre de la Justice Christiane Taubira. Elle instruisait le dossier de l’amiante ; elle avait demandé le traitement des procédures au pénal….

Pour les défenseurs des victimes de l’amiante, la mutation de la magistrate, surnommée "l’emmerdeuse de la République" par un hebdomadaire, éloignerait l’espoir de voir s’achever l’instruction dans un délai raisonnable.

En demandant le dessaisissement pour "suspicion légitime" de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) a rapidement réagi à sa décision de suspendre l’instruction de la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy dans l’un des dossiers-phares de l’affaire de l’amiante, celui de l’usine de Condé-sur-Noireau, dans le Calvados.

La cour d’appel de Paris a prononcé vendredi un non-lieu dans l’affaire Amisol, un des dossiers emblématiques du scandale de l’amiante, estimant qu’aucune responsabilité pénale n’avait été dégagée en 14 années d’enquête, selon sa décision consultée par l’AFP. Conformément à l’avis du parquet général, la chambre de l’instruction, qui avait été saisie par la seule personne mise en examen dans ce dossier pour des faits vieux de 38 ans, a décidé de mettre un terme à cette enquête conduite par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy.

Claude Chopin avait été mis en examen en 1999 en qualité de dernier patron d’Amisol, une manufacture d’amiante de Clermont-Ferrand fermée en 1974. Il avait pris la direction de cette société pendant six mois après la démission de son père Maurice, qui l’avait dirigée de 1966 à 1974. Après l’interdiction de l’amiante en 1997, d’anciens salariés affirmant avoir développé des maladies liées à leur exposition à l’amiante avaient porté plainte.

"En l’absence de lien de causalité certain, de faute délibérée et de faute caractérisée, il ne résulte pas charges suffisantes contre Claude Chopin d’avoir commis des blessures et un homicide involontaire", a estimé la chambre de l’instruction dans son arrêt. "Considérant que Maurice Chopin est décédé, que l’instruction ouverte depuis 14 ans n’a pas permis d’autres mises en cause, il convient de constater l’absence de charges contre quiconque", selon l’arrêt. Plusieurs dizaines de procédures en lien avec l’amiante ont été ouvertes, mais aucune n’a débouché sur un procès. Selon les autorités sanitaires, l’amiante pourrait provoquer 100 000 décès d’ici à 2025.

"Cela commence à faire beaucoup", explique François Desriaux, de l’Andeva. "L’an dernier, la chambre avait déjà dessaisi la juge de l’affaire Eternit et annulé les mises en examen de façon arbitraire. Une décision qui avait d’ailleurs été cassée par la Cour de cassation. La réalité, c’est que personne ne veut d’un procès pénal de l’amiante." "Suspendre ainsi l’instruction d’un juge, c’est une décision rare, voire exceptionnelle, ajoute maître Jean-Paul Teissonnière, l’un des avocats des victimes. C’est clairement une entreprise de démolition du dossier pénal de l’affaire. Un véritable rouleau compresseur, je n’ai jamais vu cela", ajoute-t-il. Une décision, sans appel possible de la part des parties civiles, prise en raison des innombrables recours en nullité déposés devant la chambre de l’instruction par les personnes mises en examen par la juge et qui doivent être examinés le 28 février.

Il faut rappeler que l’enchaînement des éventuelles responsabilités dans ce dossier difficile est remonté, au rythme des mises en examen des directeurs d’usine, puis de leurs médecins du travail, en passant par les membres du Comité permanent amiante (CPA) - le lobby de l’industrie utilisant cette fibre cancérogène -, jusqu’aux principaux responsables d’administration centrale de l’époque, dont Martine Aubry. En novembre, l’ancienne secrétaire générale du Parti socialiste avait vivement dénoncé sa mise en examen pour "homicides involontaires", appuyée en cela, de façon étonnante, par le parquet général qui lui aussi est favorable à l’annulation.

En réalité, depuis plusieurs années, le dossier amiante a mis le feu à la chancellerie. "Évidemment, toutes ces embûches dressées pour freiner la progression de l’instruction font penser à une poursuite du complot", estime maître Ledoux, lui aussi avocat de l’Andeva. Car la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy bataille également depuis de longs mois contre sa mutation programmée prévue pour la fin du mois de mars. "Ce n’est pas acceptable. Non seulement nous demandons qu’elle reste à son poste, mais nous voulons également qu’elle obtienne des renforts, ajoute François Desriaux. Sans cette obstruction permanente, les principaux dossiers pourraient être bouclés en 2013 et le procès se tenir en 2014."

Le dossier de l’amiante, instruit par la magistrate, a pris un tour politique en novembre dernier lorsque la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy a mis en examen la maire PS de Lille, Martine Aubry, pour homicides et blessures involontaires, pour des faits remontant à plus de 25 ans. Elle avait dénoncé l’existence supposée d’un lobby pro-amiante au sein même du ministère de Martine Aubry !

"C’est un naufrage judiciaire, tonne Jean-Paul Teissonnière, l’un des avocats des victimes de l’amiante. Seize ans de procédure pour en arriver là dans un dossier dont le bilan humain se chiffre en dizaines de milliers de morts !"

La juge Marie-Odile Bertella-Geffroy a dû parvenir à la même conclusion en décidant, fait exceptionnel, de faire part de sa frustration devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). En réalité, la vice-présidente du pôle de santé publique, chargée de l’instruction au tribunal de grande instance, réagit à son dessaisissement dans l’un des plus gros dossiers de l’affaire de l’amiante, celui des responsables des cinq usines d’amiante-ciment de la société Eternit, entreprise symbole du plus important scandale de santé publique qu’ait connu la France.

Le 16 décembre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris annulait, sur des détails de procédure, leurs mises en examen, dont celle de son dirigeant historique Joseph Cuvelier, et confiait le dossier Eternit à deux autres magistrats : "C’est une catastrophe, estime Michel Ledoux, autre avocat de victimes. Le premier est sur le départ et le second est déjà enseveli sous l’affaire du Mediator. La présidente de la Chambre de l’instruction a brillamment nettoyé l’affaire."

Réplique immédiate de la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy : la mise en examen, pendant les fêtes de Noël, des principaux responsables du Comité permanent amiante (CPA), le lobby des industriels du secteur. Mais en montant encore d’un cran dans la chaîne des responsabilités, la juge commence à se rapprocher dangereusement des responsables politiques de l’époque, sa prochaine cible étant logiquement les membres des cabinets ministériels en charge de la Santé et du Travail et ceux des ministres qui les dirigeaient.

Enfin, comme pour mieux souligner l’étouffoir dont sont victimes la majorité des affaires de santé publique en France, la démarche de la juge auprès du CSM anticipe de quelques jours le verdict qui sera rendu à Turin - après trois ans seulement d’instruction -, contre les industriels italiens et belges responsables du même scandale. "La justice française va se couvrir de ridicule car leurs responsables, après un procès exemplaire, vont être très sévèrement condamnés", ajoute Me Ledoux.

La garde des Sceaux Christiane Taubira précise, dans le texte, avoir pris "acte de l’avis du Conseil supérieur de la magistrature en date du 13 mars 2013 qu’elle avait sollicité". L’avis préconisait implicitement la mutation de la juge car elle "ne conçoit pas d’exception à la règle limitant à dix ans les fonctions d’un juge spécialisé".

Aucune incidence, dit-elle, sur la conduite des dossiers de santé publique actuellement suivis….

Celle-ci prévoit que les magistrats spécialisés sont "déchargés automatiquement de leurs fonctions spécialisées à l’échéance des dix ans" et que cette règle s’applique aux nominations intervenues après le 1er janvier 2002. La juge Bertella-Geffroy avait été nommée vice-présidente chargée de l’instruction au TGI de Paris en 2003.

D’autre part, elle tient à ce que "le changement de fonctions" de la juge "n’ait aucune incidence sur la conduite des dossiers de santé publique actuellement suivis seuls ou en co-saisine par l’intéressée".

La ministre de la Justice précise avoir transmis un projet de décret pour officialiser cette décision.

La France n’a pris qu’en 1977 les premières mesures de précaution en faveur des travailleurs. Soit 46 ans après le Royaume-Uni, 31 ans après les Etats-Unis, et 13 après la réunion de la Conférence internationale sur les risques liés à l’amiante, à New-York en 1964, où le pneumologue Irving Selikoff présenta une étude accablante sur les cancers de l’amiante. Pour la première fois, un taux maximum d’empoussièrement est préconisé. Selon Martine Aubry, chacun au ministère du Travail - où elle travaillait déjà- se sentait fier, et jugeait les travailleurs « protégés » par ce décret, qu’elle jugeait en avance sur les autres législations.

Martine Aubry estime que le ministère du Travail a fait son boulot avec ce décret de 1977, et qu’aucune nouvelle alerte sanitaire ne s’est produite ensuite jusqu’en 1994, et donc y compris durant les presque trois années qu’elle a passées à la DRT. C’est vrai : la nécessité d’interdire l’amiante n’apparaîtra en France qu’en 1994, à la suite de l’étude du scientifique britannique Julian Peto, qui montrait que même une seule exposition de courte durée à l’amiante pouvait provoquer un cancer du poumon ou un mésothéliome (cancer de la plèvre spécifique de l’amiante). A partir de là, les pouvoirs publics se mobilisent et l’amiante est définitivement interdit à compter du 1er janvier 1997. En 2004, le Conseil d’Etat a pointé la responsabilité de l’Etat pour défaut de réglementation spécifique à l’amiante, avant 1977, et pour son caractère tardif et insuffisant après cette date.

Pour autant, il y avait des raisons de s’alarmer bien avant. Depuis les années 1960, de nombreux cas de mésothéliomes avaient déjà été recensés dans la population vivant à proximité des mines, des usines d’amiante ou au contact des travailleurs (comme, par exemple, les épouses qui lavaient les bleus de travail de leur maris). Dès 1978, le Parlement européen avait adopté une résolution dans laquelle est recommandé « un maximum d’efforts pour développer des produits de remplacement sûrs pour l’amiante » et lorsque ces produits seront disponibles, de supprimer progressivement la fibre cancérigène.

La juge reproche justement aux services de l’Etat d’avoir traîné à lancer ces recherches. Faux, réplique pour sa défense Martine Aubry : deux mois après sa nomination à la DRT, une étude sur les produits de substitution a été confiée au Pr Bignon. Son rapport a été rendu en juin 1985, et une circulaire a paru trois mois plus tard, demandant aux inspecteurs du travail de « regarder la prévention des cancers d’origine professionnelle comme une priorité ». Mais aucun produit de substitution n’est évoqué dans ce texte.

Il leur est reproché également d’avoir tardé à transposer la directive européenne de 1983 renforçant les mesures de protection : la France ne l’a traduite qu’en 1987. Martine Aubry et ses collègues mis en examen, fournissent le calendrier de leur travail, de 1985 à la signature par le ministre. « Cette directive reprenait pour l’essentiel les dispositions du décret de 1977, les travailleurs étaient donc protégés pendant cette période », disent-ils en substance. Ils soulignent que la France a été le quatrième pays européen à adopter la directive.

En Europe, d’autre pays n’ont pas attendu cette directive. Dès 1970, l’Allemagne a signé un accord volontaire avec l’industrie pour parvenir, en dix ans, à l’abandon de l’amiante. La Suisse et le Danemark l’ont interdit dès 1986 et l’Italie dès 1992. En France, il faudra attendre fin 1996 pour que soit interdite la fibre assassine.

Ce Comité Permanent de l’amiante (CPA) est au coeur du dossier. « Lieu informel d’informations réciproques », selon la défense, c’est, disent les spécialistes du dossier, l’officine de lobbying où tout s’est décidé, de 1982 à 1996.

En 2005, un rapport d’information sénatorial attribue l’inertie de l’Etat au CPA. Une structure composée de scientifiques, comme les pneumologues Jean Bignon et Patrick Brochard (mis en examen lui aussi), de représentants des industriels, mais aussi des syndicats et des ministères concernés (Travail, Industrie, Santé). Martine Aubry assure n’avoir jamais entendu parler du CPA, même si son bras droit, Jean-Luc Pasquier, y siégeait.

« Modèle de lobbying, de communication et de manipulation », selon le rapport du Sénat, le CPA « a su exploiter en l’absence de l’Etat, de pseudo incertitudes scientifiques qui pourtant étaient levées, pour la plupart par la littérature anglosaxonne la plus sérieuse de l’époque ». Pour les sénateurs, le CPA a réussi à « créer l’illusion du dialogue social », et à étouffer toute vélléité de réglementer plus sévèrement l’usage du magic mineral. Selon Martine Aubry, le Comité n’aurait pas pesé sur les décisions. « Rien, aucun fait, aucune présomption de fait ne laisse penser que l’existence de ces réunions a influé sur le contenu ou retardé une réglementation sur l’amiante. » Selon elle, c’est « au sein du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels qu’était sollicité l’avis des partenaires sociaux et des scientifiques sur la définition des politiques de prévention. »

« Le ministère du travail n’a pas compris que le CPA n’était rien d’autre que le faux nez des industriels », assène le rapport sénatorial en 2005. Le CPA aurait « enfumé » pouvoirs publics et syndicats, notamment en répandant le mythe de l’« usage contrôlé de l’amiante ». Pour résumer : il suffisait d’encadrer la manipulation de l’amiante, de doter les ateliers d’aspirateurs à poussière et les ouvriers de masques pour pouvoir le travailler sans risques. Les scientifiques siégeant au Comité ignoraient visiblement tout des risques réels et de l’existence de matériaux de substitution : « A l’époque, il avait été dit [...] que l’industrie ne pouvait se passer de l’amiante, aucune solution de remplacement n’étant disponible. Aussi le comité se demandait-il s’il était possible de travailler avec de l’amiante tout en protégeant au maximum les populations exposées », a témoigné le professeur Brochard devant la mission d’information sénatoriale.

Un exemple parmi d’autres de la stupéfiante capacité de manipulation du CPA : En 1986, l’Environmental Protection Agency (EPA), l’agence de l’environnement américaine, propose d’interdire aux Etats-Unis l’usage de l’amiante. Levée de boucliers des industriels américains, immédiatement relayés par leurs homologues en Europe. Illico, comme le montrent les comptes-rendus des réunions, le CPA s’interroge sur la manière de réagir à l’étude américaine, dont « les conclusions sont tellement incertaines qu’on ne peut leur accorder de crédibilité ». Le CPA rédige une note d’orientation qui accompagne le rapport de son groupe de travail scientifique. Et transmet tous ces documents aux ministres français de l’Industrie, du Travail, de la Santé et de l’Environnement afin qu’ils les remettent à... l’EPA et au gouvernement américain. L’Etat français se fait alors courroie de transmission au service du lobby de l’amiante.

Historique du scandale de l’amiante

Messages

  • Amiante à l’Hôpital Public

    A la suite d’une plainte de la CGT de l’hôpital Saint-Louis, déposée en 2007, les six cadres concernés ont été mis en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « homicide involontaire » en juillet 2011 par la juge Bertella-Geffroy. Le syndicat s’était rendu compte que des personnels techniques avaient contracté des cancers du poumon liés à l’amiante après avoir travaillé sur des chantiers à Saint-Louis, et ce, sans protections. Deux d’entre eux sont morts aujourd’hui. Depuis, l’AP-HP (qui gère 37 hôpitaux principalement en région parisienne) a estimé à 132 le nombre de victimes de l’amiante dans l’ensemble de ses établissements et a lancé un vaste plan de prévention et d’assainissement de ses bâtiments. Mais au moment d’établir les responsabilités, les défenseurs des mis en examen contestent les poursuites. « Mon client est attaqué pour des faits qui ont eu lieu alors qu’il avait quitté l’hôpital depuis trois ans ! attaque un avocat qui préfère conserver l’anonymat. Il y a prescription. » D’autres avocats estiment aussi que les périodes choisies par la juge pour poursuivre leurs clients ne sont pas assez précises.

    Autant d’arguments formels qui révoltent les syndicats qui avaient porté plainte. « Ce sont des manœuvres dilatoires et choquantes quand on parle de personnes décédées ! s’emporte François Sénac, délégué CGT de l’hôpital Cochin contre lequel des plaintes ont été déposées il y a deux ans. Jusqu’en 2005, personne ne se souciait du sort de ces employés, alors que dès 1991, des notes circulaient à l’AP-HP sur la conduite à tenir en cas de présence d’amiante. Et maintenant que des procédures sont engagées, on les tue une deuxième fois ! » Une annulation des mises en examen dans le dossier des hôpitaux parisiens enverrait un très mauvais signal. Outre les établissements parisiens, plus d’une soixantaine d’établissements dans le reste de la France ont enregistré une hausse des déclarations de maladies professionnelles liées à l’amiante ces dernières années.

  • a CGT Cochin a elle-même porté plainte en 2010.

    Les risques liés à l’amiante (connus depuis longtemps puisque les premiers cas décrits datent des années 30), n’ont cependant pas été traités immédiatement à l’AP-HP. L’interdiction en France de l’utilisation de l’amiante date de 1996, et pourtant il faudra attendre 2005 pour que l’AP-HP se décide à mettre en place un « Plan Amiante » et fasse les premiers prélèvements à Cochin. Il est vrai qu’il s’agit d’une véritable maladie de classe, puisque les effets néfastes (atteintes pulmonaires, cancers…) touchent principalement les ouvriers…

    Luc Czyrykowski, ouvrier à Cochin, peut témoigner des difficultés qu’il a rencontrées pour que l’Administration reconnaisse sa maladie professionnelle (toujours non reconnue à ce jour) : « A l’époque, j’ai demandé pour tous les ouvriers de Cochin un suivi spécifique à la Médecine du Travail, qui a été très réticente. Par exemple, on m’a dit que les scanners étaient dangereux et qu’il fallait attendre d’avoir 50 ans pour en passer un ! » Or comme il s’agit d’une maladie sournoise (dont les effets sont à retardement et se déclarent sur le long terme) et que de plus les carrières des ouvriers ne sont plus linéaires (on passe relativement souvent d’un poste à un autre), il devient très difficile sans suivi régulier de détecter une pathologie liée à l’amiante... Pourtant, le résultat de prélèvements effectués à Cochin en 2005 avait déjà doublé trois ans plus tard, en 2008. Rappelons en outre qu’entre l’interdiction (1996) et le premier Plan Amiante (2005) l’Administration a continué à faire travailler les ouvriers dans des milieux particulièrement dangereux. La Direction les envoyait au casse-pipe sans protection ni même la moindre information…

    L’impact de l’amiante sur la santé des ouvriers de l’AP-HP est important. A l’hôpital Saint-Louis par exemple, plus de la moitié des agents des services techniques ont été atteints. A Cochin, un de nos camarades a succombé des suites de sa contamination. Il s’agit du seul cas reconnu officiellement… Sur l’ensemble de l’AP-HP il est très difficile de comptabiliser les décès, car d’une part on oppose le secret médical à nos demandes de renseignements, et d’autre part un certain nombre des collègues concernés sont déjà partis en retraite et ne sont plus suivis.

  • c’est la responsabilité des membres du Comité permanent amiante (le sinistre CPA, structure de lobbying mise en place par les industriels de l’amiante) qui sera examinée par la chambre de l’instruction. Parmi les neuf personnalités demandant l’annulation de leur mise en examen, sept ont participé à cette entreprise criminelle, qui va tout mettre en œuvre pour retarder les mesures de prévention efficaces des expositions à l’amiante et empêcher son interdiction jusqu’en 1997.

    Parmi elles, il y a d’anciens responsables des associations française (AFA) et internationale (AIA) des industriels de l’amiante, qui ont sacrifié la santé publique pour continuer à produire un matériau mortel mais profitable. Il y a aussi des hauts fonctionnaires, un professeur de médecine, un scientifique de haut niveau, qui vont, activement ou passivement, participer à cette redoutable confusion d’intérêts et tromper l’opinion publique et les décideurs sur la réalité des dangers de ce matériau cancérogène, alors que les connaissances scientifiques s’accumulent un peu partout aux Etats-Unis et en Europe. Ils avaient si bien réussi à anesthésier les pouvoirs publics que ce sont eux qui faisaient la réglementation à la place de l’administration.

  • Ensuite, demain, c’est l’instruction de l’affaire du site emblématique de Condé-sur-Noireau qui sera également au centre des débats. Condé-sur-Noireau, petite ville de Normandie, qui abrita les usines de transformation d’amiante de Ferrodo-Valéo. 5400 habitants, 701 malades et 115 morts dus à l’exposition à l’amiante. Encore ne s’agit-il là que de ceux recensés par l’association et figurant dans le dossier d’instruction ; le nombre de victimes estimées est de plus de 1500. Une centaine de malades et de leurs familles et amis de Condé-sur-Noireau seront présents au palais de justice de Paris.

    c’est aussi la lenteur de la justice, son manque de moyens, l’absence de volonté politique d’aboutir à un procès pénal de la plus grande catastrophe sanitaire que notre pays ait connue, qui devraient aussi retenir votre attention. Cela fera 17 ans en juillet prochain que des victimes de l’amiante et leurs associations ont déposé plainte. 17 ans d’errements judiciaires où, jamais, le parquet n’a été à nos côtés. Dans ce dossier encore, le parquet de Paris soutient la demande d’annulation des personnes mises en examen, avec des arguments ahurissants qui, s’ils devaient être retenus, signifieraient qu’aucun procès de responsable de catastrophe sanitaire ne peut avoir lieu : le parquet soutient en effet que du fait que les mis en examen n’avaient pas de pouvoir propre en matière réglementaire, ils ne peuvent être considérés comme pénalement responsables !

    Et puis, il y a aussi les décisions précédentes de la présidente de la chambre de l’instruction : il y a un an et demi, elle avait annulé les mises en examen des responsables de l’affaire Eternit France, au même moment où la Justice italienne condamnait à de lourdes peines de prisons leurs homologues d’Eternit Italie. Et dessaisi le juge d’instruction. Elle vient de rendre un non-lieu dans le dossier Amisol. Saisie par les victimes et leurs associations, la Cour de cassation a cassé les décisions de la chambre de l’instruction. Mais, au final, nous aurons perdu au moins deux ans dans l’instruction de ce dossier.

  • Exposés à l’amiante, trois anciens salariés du constructeur automobile Renault ont été reconnus en maladie professionnelle, due à une faute inexcusable de l’employeur. Deux d’entre eux sont décédés.

    Raymond Meteyer travaillait à « la cour » comme débardeur. Il déchargeait la nuit des wagons de sacs d’amiante destinés à la fonderie de Renault. En général, les salariés ressortaient « tous gris, couverts d’amiante ». À la tôlerie, où il a travaillé ensuite, la satanée poussière se trouvait aussi dans les freins et dans les embrayages.

    Et puis, en novembre 2008, l’homme âgé de 64 ans, découvre qu’il est atteint d’un cancer broncho-pulmonaire. Il est décédé le 29 août 2009.

    Patrice Trehet, ajusteur et technicien de maintenance jusqu’en 2009. Il n’avait pas soixante ans lorsqu’il a appris son cancer. La maladie l’a emporté en décembre 2011. Sa veuve Martine, tout comme la veuve de Raymond Meteyer, Renée, n’ont pas pu parler de leurs époux morts de l’amiante. Par pudeur, elles ont préféré écrire, chacune retraçant les douleurs et la fin de vie de leurs conjoints ; chacune condamnant les industries pour l’emploi de « ce poison ».

    Le 4 septembre dernier, elles n’ont pas crié victoire mais le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de la Sarthe les a un peu soulagées : il a reconnu la faute inexcusable de la société Renault. L’entreprise devait faire appel et finalement, s’est désistée.

    Dans l’atelier peinture

    Un troisième homme, en vie celui-là, a savouré le jugement du Tass. André Pousse, embauché comme ouvrier à l’atelier fabrication de peintures en 1976 par Renault, se plaint depuis longtemps d’avoir été exposé à l’amiante.

    « On coupait au couteau de boucher les sacs d’amiante pour le mélanger à la pâte qu’on mettait sous le châssis des voitures, le blackson », raconte-t-il. Le masque, le nez de cochon, n’était pas toujours accessible.

    André Pousse, qui a vu mourir ses deux frères qui travaillaient à l’usine, n’a pas retrouvé les sept collègues avec qui il occupait l’atelier peinture (qui n’existe plus sur le site). L’ancien salarié présidait jusqu’en 2011 l’Association de défense des victimes de l’amiante Renault Le Mans et Sarthe (Advarm). Il note que « c’est la première fois que l’atelier peinture était ciblé dans les procédures amiante ».

    « La faute inexcusable, c’est une symbolique très forte du jugement pour les victimes », souligne Me David Simon, avocat de l’Advarm. Depuis 2003, année de la création de l’association, sept dossiers ont obtenu la faute inexcusable de l’employeur (cinq pour Renault, deux pour la SNCF).

    L’association a adressé au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) quelque 69 dossiers. C’est ce fonds qui, au nom des ayants droit de Raymond Meteyer et Patrice Trehet, avait saisi le Tass pour qu’il reconnaisse la faute inexcusable.

  • Plus de vingt années d’enquête et un premier non-lieu demandé par le parquet dans les dossiers de l’amiante : les dirigeants d’Eternit pourraient finalement échapper à un procès, ouvrant la voie à d’autres décisions du même ordre.

    Ce réquisitoire aux fins de non-lieu, révélé par Europe 1 et confirmé par une source judiciaire, est le prolongement attendu de l’annonce en juin de la volonté des juges et du parquet de clore les investigations dans une vingtaine de dossiers similaires, faute de pouvoir identifier précisément des responsables.

    "C’est désolant. Cela repose sur une interprétation erronée des expertises. Soit ils sont malhonnêtes, soit ils sont incompétents", a réagi auprès de l’AFP François Desriaux, vice-président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva).

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