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La situation des femmes dans les premières années des Etats-Unis

mercredi 27 mars 2013, par Robert Paris

Extrait de « Une histoire populaire des Etats-Unis » de Howard Zinn

On peut, à la lecture des récits historiques « officiels », ignorer totalement la moitié de la population des Etats-Unis. Les explorateurs étaient des hommes, les propriétaires terriens et les négociants étaient des hommes, les personnalités politiques et les chefs militaires également. L’invisibilité même des femmes, le fait de ne pas tenir compte de leur présence est le signe criant de leur statut d’infériorité ;

Cette invisibilité les apparente en quelque sorte aux esclaves noirs (les esclaves femmes subissant donc une double oppression). Les particularités biologiques de la femme, au même titre que la couleur de peau ou les caractéristiques physiques du visage des Noirs, offraient un argument pour la traiter en inférieure. Bien sûr, les femmes présentaient une spécificité biologique d’une plus grande importance pratique que la couleur de la peau : elles enfantent. Cela ne suffit pas, néanmoins, à expliquer la situation subalterne de toutes les femmes dans la société, y compris celles qui n’avaient pas d’enfants ou étaient trop jeunes soit trop âgées pour cela. (…) Les sociétés fondées sur la propriété privée et la compétition, pour lesquelles la famille monogame fait figure d’unité fonctionnelle dans l’organisation du travail comme dans l’organisation sociale, ont jugé fort utile d’attribuer ce statut spécial aux femmes. La femme est alors une sorte d’esclave domestique au carrefour de l’intimité et de l’oppression, qui pourtant, en raison de cette intimité et des liens qui l’attachent durablement aux enfants est l’objet d’un paternalisme spécifique susceptible – en fonction du rapport de forces – de tendre vers une certaine égalité. Une oppression si intime qu’elle se révélera très difficile à déraciner.

Dans les sociétés plus anciennes – en Amérique ou ailleurs -, la propriété était plus ou moins collective et les relations familiales aussi étendues que complexes (les oncles, tantes et grands-parents vivant avec la famille). Ces sociétés semblent avoir traité les femmes de façon plus équitable que les sociétés blanches qui allaient plus tard les envahir et leur apporter, avec la « civilisation », la notion de propriété privée.

Chez les tribus zuñis du Sud-Ouest américain, par exemple, la famille élargie (en réalité des clans assez vastes) reposait sur la femme dans la famille de laquelle le mari venait s’installer. Les femmes étaient censées posséder les maisons et les terres appartenant aux clans. Les femmes et les hommes avaient un droit égal sur les biens produits et la situation de la femme était mieux assurée, puisqu’elle vivait dans sa propre famille et était autorisée à « divorcer » dès qu’elle le souhaitait, tout en conservant ses biens.

Les femmes des tribus indiennes des Plaines du Midwest ne participaient pas aux tâches agricoles mais tenaient néanmoins une place essentielle en tant que guérisseuses, herboristes et même, parfois, en tant que personnes sacrées qui donnaient des conseils. Lorsque les clans perdaient leur chef homme, les femmes pouvaient être amenées à les remplacer. Elles apprenaient à tirer avec de petits arcs et portaient également des poignards car, chez les Sioux, une femme devait pouvoir se défendre elle-même contre les agressions.

Chez les Sioux toujours, le rituel marquant la puberté était conçu de manière à remplir la jeune femme de fierté…

Il serait bien entendu exagéré de prétendre que les femmes indiennes étaient traitées sur un pied d’égalité avec les hommes, mais elles inspiraient le respect, et la nature communautaire des sociétés indiennes leur conférait une place plus importante que dans les sociétés blanches.

Les conditions dans lesquelles les colons blancs arrivèrent en Amérique créèrent une diversité de situations pour les femmes. Dans les premières plantations, constituées presque exclusivement d’hommes, les femmes étaient importées comme esclaves sexuelles, comme compagnes pour enfanter….

Les abus sexuels des maîtres sur la personne de leurs domestiques femmes se firent de plus en plus fréquents. Les archives judiciaires de Virginie et d’autres colonies font état de plusieurs maîtres accusés de ce délit…

Même les femmes blanches libres, qui n’étaient pas arrivées comme servantes ou esclaves mais comme épouses des premiers colons, menaient une vie particulièrement dure. Dix-huit femmes mariées étaient arrivées avec le Mayflower à l’automne 1620. Trois d’entre elles étaient enceintes, dont une accoucha d’un enfant mort-né avant d’arriver en vue de la terre. Les maternités et les maladies frappèrent durement ces femmes. Au printemps 1621, seules quatre de ces dix-huit femmes vivaient encore….

Lorsque les hommes mouraient, les femmes reprenaient souvent leur travail. Pendant un peu plus d’un siècle, hommes et femmes vivant sur la Frontière américaine parurent vivre dans une certaine égalité. Mais toutes ces femmes restaient victimes des préjugés importés d’Angleterre avec les premiers colons, marqués par une éducation chrétienne…

Julia Spruill décrit en ces termes la situation légale de la femme à l’époque coloniale : « Le droit du mari sur la personne de sa femme va jusqu’aux châtiments. (…) Mais il n’est pas autorisé à lui infliger des sévices continuels ou à la tuer. »

Concernant la propriété, « outre la possession absolue des biens personnels de sa femme comme des terres qu’elle pourrait posséder, le mari entre en possession de tous les revenus qu’elle pourrait recevoir. C’est à lui que revient le fruit de son travail. (…) Il en découle naturellement que tout le fruit de leur travail conjoint appartient au mari. « Pour une femme, donner naissance à un enfant hors des liens du mariage était considéré comme un crime. Les archives des tribunaux coloniaux sont remplies de cas de femmes accusées de « bâtardisation » - le père de l’enfant, lui, ne tombant pas sous le coup de la loi…

Il est tout à fait remarquable que, malgré cette pesante éducation, les femmes se soient tout de même rebellées….

Anne Hutchinson était une femme très croyante, mère de treize enfants et experte en plantes médicinales. Au cours des premières années de la colonie de la Baie de Massachusetts, elle affronta les autorités ecclésiastiques en affirmant que la Bible pouvait être interprétée individuellement, par elle comme par toute personne ordinaire. Excellente oratrice, elle organisait des réunions auxquelles se rendaient de plus en plus de femmes (et parfois quelques hommes). Bientôt, des groupes de soixante personnes et plus se rassemblèrent chez elle, à Boston, pour écouter les critiques qu’elle adressait aux ministres du culte locaux… Anne Hutchinson fut doublement jugée. Par l’Eglise pour hérésie et par le gouvernement pour avoir défié son autorité. Bien qu’enceinte et malade lors de son procès civil, les juges ne l’autorisèrent pas à s’asseoir que lorsqu’elle fut proche de l’évanouissement. Pour le procès religieux, à nouveau malade, elle fut interrogée durant quatre semaines et répondit à ses interrogateurs en témoignant d’une grande connaissance de la Bible et d’une éloquence remarquable… Bannie de la colonie, elle partit pour le Rhode Island… A Long Island, les Indiens à qui l’on avait confisqué leurs terres la considérèrent comme une ennemie et la tuèrent avec toute sa famille. Vingt ans plus tard, Mary Dyer, la seule personne ayant témoigné en sa faveur lors du procès qui fût revenue dans la colonie de la Baie du Massachusetts, fut pendue par les autorités avec deux autres quakers pour « rébellion, sédition et s’être mêlée de manière présomptueuse de ce qui ne la regardait pas. »

Il était rare que les femmes participent directement aux affaires publiques. Cependant, sur les frontières du sud et de l’ouest, les conditions étaient telles que cela pouvait occasionnellement arriver…. Spruill révèle que, à mesure que les communautés s’enracinaient plus sûrement, les femmes se voyaient écartées de la vie publique et semblaient se comporter de manière plus timorée…

Pendant la Révolution, toujours selon Spruill, les nécessités de la guerre entraînèrent les femmes à s’intéresser aux affaires publiques. Elles formèrent des groupes patriotiques, menèrent des actions anti-britanniques et écrivirent des articles sur l’Indépendance. Elles participèrent activement aux campagnes contre le Tea Act. Fondant les Filles de la Liberté, elles boycottèrent les produits anglais et encouragèrent les femmes à fabriquer leurs propres vêtements et à n’acheter que des produits fabriqués en Amérique. En 1777, il y eut même une contrepartie féminine à la Tea Party de Boston, une Coffee Party, que relate Abigail Adams dans une lettre adressée à son mari, John Adams…

Certaines historiennes ont récemment fait remarquer que la contribution des femmes des classes laborieuses à la Révolution américaine a toujours été très largement passée sous silence, contrairement aux faits et gestes des si charmantes compagnes des chefs révolutionnaires (Dolly Madison, Martha Washington, Abigail Adams). En revanche, Margaret Corbin (surnommée « satanée Kate »), Deborah Sampson Garnet et « Molly Pitcher » étaient, elles, de rudes représentantes des classes laborieuses, élevée au rang de femmes du monde par les historiens. Les femmes des classes les plus pauvres qui, dans les dernières années de la guerre, rejoignirent les campements de l’armée révolutionnaire pour apporter leur soutien et même combattre furent considérées plus tard comme des prostituées, alors que Martha Washington occupe une place de choix dans les manuels d’histoire pour avoir rendu visite à son mari au campement de Valley Forge.

Lorsque l’opinion des femmes est évoquée, c’est presque toujours exclusivement au travers des écrits des plus privilégiées d’entre elles, que leur statut autorisait à s’exprimer librement et qui avaient l’opportunité de voir leurs écrits circuler…

Jefferson prononça, en marge de sa déclaration selon laquelle « tous les hommes naissent égaux », ce jugement sur les femmes américaines : elles « sont trop sages pour laisser la politique plisser leurs jolis fronts ». Enfin, après la Révolution, aucune des nouvelles constitutions d’Etat n’accorda le droit de vote aux femmes, excepté dans le new Jersey, qui abrogea finalement cette décision en 1807. Quant à la constitution de new York, elle rejetait clairement sa population féminine en utilisant explicitement le qualificatif de « masculin ».

Aux alentours de 1750, alors que près de 90% de la population blanche masculine était alphabétisée, 40% seulement des femmes savaient lire et écrire…

Pendant et après la Révolution, l’idée de l’égalité des femmes avait été assez largement discutée. Tom Paine se déclarait pour l’égalité des droits et l’ouvrage pionnier de l’écrivain anglais Mary Wollstonecraft, « A Vindication of the Right of Women », fut réimprimé aux Etats-Unis tout de suite après la guerre d’Indépenda nce…

L’Eglise, l’école et la famille furent chargées de véhiculer un certain nombre d’idées concernant la place des femmes au moment même où ladite place devenait de plus en plus floue… le dressage commençait très tôt, dès l’adolescence. L’obéissance préparait la jeune fille à se soumettre au premier compagnon qui lui serait destiné…

Le culte de la fonction domestique visait à faire accepter aux femmes des activités spécifiques soit disant aussi importantes… Le mariage enchaînait ; les enfants venaient ajouter aux fers… La nouvelle idéologie produisit ses fruits et permit de garantir la stabilité requise par une économie en pleine croissance…

Le « culte de la vraie féminité » ne suffisait pas à dissimuler les signes évidents du statut inférieur de la femme : elle ne pouvait pas voter ; elle ne possédait rien en propre ; lorsqu’elle travaillait, son salaire était, à travail identique, le quart ou la moitié de celui d’un homme. Les femmes étaient par ailleurs exclues des professions juridiques et médicales, des collèges et du ministère religieux.
Placer toutes les femmes dans la même catégorie –en leur donnant à toutes la même sphère domestique à organiser – revenait à mettre en place une classification (dont le critère était le sexe) qui, comme l’indique Nancy Cott, brouillait les distinctions de classes. Néanmoins, les questions de classes continuaient à travailler la société.

En 1789, Samuel Slater avait introduit le filature industrielle en Nouvelle-Angleterre. Il existait depuis une véritable demande pour le travail des jeunes filles dans cette industrie. En 1814, le métier à tisser mécanique fut introduit à Waltham (Massachusetts) et toutes les opérations qui transformaient le coton en vêtements se déroulaient désormais sous un même toit. 80 à 90% de leur personnel étaient constitués de femmes dont la plupart avaient entre quinze et trente ans.

Quelques unes des premières grèves industrielles eurent lieu, dans les années 1830, dans ces filatures…

C’est à Pawtucket (Rhode Island) qu’éclata, en 1824, la première grève connue d’ouvrières. Deux cent femmes se joignirent aux hommes dans leurs protestations contre les baisses de salaires et l’allongement du temps de travail. Cependant, elles tenaient des réunions séparées. Quatre ans plus tard, à Dover (New Hampshire), seules les femmes firent la grève. En 1834, à Lowell (Massachusetts), lorsqu’une femme fut licenciée, les autres femmes abandonnèrent leurs machines et l’une d’entre elles, montée sur la pompe à eau municipale, fit ce qu’un compte-rendu de l’événement paru dans la presse appelle un « discours enflammé à la Mary Wollstonecraft sur les droits des femmes et les injustices de l’aristocratie nantie » qui produisit un puissant effet sur les auditrices, qui décidèrent de suivre leur propre voie, dussent-elles en mourir »...

Dans les années 1840, il y eut d’autres grèves dans de nombreuses villes qui, bien que plus sérieusement organisées que ces premiers « rassemblements » de Nouvelle-Angleterre, ne remportèrent que peu de succès. Une succession de grèves dans les usines de l’Allegheny, près de Pittsburgh, exigeait des journées plus courtes. A plusieurs reprises, au cours de ces grèves, des femmes armées de bâtons et de pierres enfoncèrent les portails de certaines filatures et arrêtèrent les machines….

A Lowell, l’Association pour la réforme du travail des femmes fit imprimer des tracts. Le premier, titré « La vie à l’usine telle qu’elle est, par une ouvrière », compare les femmes dans les filatures « à des esclaves ni plus ni moins dans tous les sens du terme ! »

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