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L’écroulement d’une usine au Bangladesh et la course au profit

jeudi 2 mai 2013, par Robert Paris

L’écroulement d’une usine au Bangladesh et la course au profit

Par K. Ratnayake

Plus de trois cent personnes sont mortes, et bien plus encore furent blessées, parmi lesquelles de nombreux ouvriers du textile, lorsqu’un bloc de huit étages s’est effondré à Savar, à 30 km de Dacca, au Bangladesh la semaine dernière.
Cette tragédie est l’une des pires catastrophes industrielles qui se soit jamais produite. Elle ne sera pas la dernière étant donné la course permanente menée par les sociétés transnationales pour obtenir des profits de plus en plus élevés grâce à l’exploitation du travail dans des conditions de misère.

Le complexe du Rana Plaza était typique des bâtiments à nombreux étages érigés à toute vitesse au Bangladesh dans le cadre d’une expansion massive de l’industrie textile – la seconde en importance derrière celle de la Chine – sans grande considération pour les règlements de sécurité et les codes de construction, peu contraignants, du pays. Il abritait cinq usines textiles employant des milliers de travailleurs ainsi qu’une multitude de magasins.

Le propriétaire, un politicien local ayant des relations avec la Ligue Awami, le parti gouvernemental, n’avait la permission de construire qu’un immeuble de cinq étages, mais on ne l’empêcha pas d’y ajouter trois étages de plus.

Il y avait déjà eu une évacuation temporaire le mardi 23 avril, lorsque des ouvriers avaient remarqué de larges fissures dans le bâtiment. Mais le propriétaire, Sohel Rana, déclara que le site était sûr, malgré des mises en gardes indiquant le contraire. Les directions des diverses usines, déterminées à remplir les objectifs de production, ont forcé les ouvriers à reprendre le travail. Le lendemain matin, le bâtiment s’effondrait subitement et plus de trois jours après, les sauveteurs extrayaient encore les corps de victimes d’un enchevêtrement instable de gravats.

Comme dans d’autres catastrophes, le gouvernement du Bengladesh, les milieux d’affaires et les entreprises mondiales d’habillement qui profitent de la main d’œuvre à bon marché du pays sont rapidement passés à l’action pour limiter les dégâts politiques et économiques.

La premier ministre Sheikh Hasina a placé l’opération de sauvetage « sur un pied de guerre », dépêchant l’armée et la police, y compris des unités du notoire Rapid Action Battalion, afin de réprimer les travailleurs en colère. Les 25 et 26 avril, des centaines de milliers de travailleurs du textile sont descendus dans la rue à Dacca, la capitale, et dans les centres industriels voisins.

La premier ministre a fait porter la responsabilité de l’effondrement au propriétaire du bâtiment, déclarant qu’il allait être puni. En même temps, elle a été nette sur le fait que rien ne serait entrepris pour empêcher des catastrophes similaires. Elle reconnut que 90 pour cent des bâtiments dans le pays étaient construits sans répondre aux codes de construction officiels, mais se débarrassa de la question en déclarant : « Faut-il, à ce moment précis, démolir tous les bâtiments ? »

L’association des producteurs et exportateurs d’habillement du Bengladesh (BEGMA) a cessé de compter les sociétés opérant dans le Plaza Rana parmi leurs membres et ont demandé que ceux qui étaient responsables de l’effondrement de l’immeuble soient poursuivis. Mais comme le gouvernement, les associations d’employeurs ne savent que trop bien que l’absence de sécurité est endémique dans toute l’industrie.

En novembre dernier, cent douze travailleurs sont morts dans ce qui fut le pire incendie dans une usine du pays et qui eut lieu à l’usine textile Tazreen, dans la zone industrielle d’Ashulia. Les cadres ordonnèrent aux ouvriers de retourner au travail après que la sirène se soit mis en route, laissant les ouvriers pris au piège dans les étages supérieurs. Quelques 700 ouvriers sont morts dans des incendies industriels au Bengladesh depuis 2005. L’effondrement d’usines textiles a fait soixante dix-neuf victimes entre 2005 et 2010.

La principale inquiétude du gouvernement et des employeurs est d’assurer que les milliers d’usines textiles du pays, qui représentent 80 pour cent des exportations du Bengladesh, continuent de fonctionner normalement. Ils savent parfaitement que toute amélioration des salaires (37 dollars ou 29 euros en moyenne par mois), ou des épouvantables conditions auxquelles font face des millions de travailleurs du textile, pourrait menacer la compétitivité du pays.

Les géants mondiaux de la distribution ont enclenché leur programme bien huilé de ‘limitation des dégâts’ – quelques larmes de crocodile et, là où c’était possible, la dénégation de toute association, ou association présente, avec les fournisseurs opérant dans le complexe du Rana Plaza, ajoutant ensuite quelques promesses creuses d’amélioration des conditions à l’avenir.

On a trouvé dans les décombres des étiquettes du plus grand distributeur mondial, Wall Mart, de la marque espagnole El Corte Ingles, et de PC Penney. Les sites Internet des usines opérant dans le bâtiment sinistré indiquent qu’elles fournissent aussi la société allemande Kik, C&A de Belgique, Benetton UK, Mango d’Espagne, Trimark du Canada et Premark d’Irlande, pour n’en nommer que quelques-unes.

Les formules utilisées par les sociétés pour exprimer leur « choc » vis-à-vis de la catastrophe sont particulièrement cyniques. Toutes ces sociétés connaissent fort bien les conditions de misère exigées pour produire des vêtements aux prix où elles les vendent. Elles opèrent à travers un système complexe d’intermédiaires et de sous-traitants pour prendre leurs distances vis-à-vis du processus effectif de la production. Beaucoup ont un système d’audits en usine, non pas dans le but d’améliorer la sécurité et les conditions mais pour bénéficier d’une façade leur permettant de sauver la face et de protéger leur image et leurs marques.

A la suite de la tragédie, les gouvernements, les medias, les syndicats et les diverses ONG ont déclaré d’une manière ou d’une autre, qu’on devait faire quelque chose et ils ont promu l’illusion qu’on pouvait faire pression sur les sociétés transnationales et le gouvernement du Bengladesh pour qu’ils améliorent la sécurité et le niveau de vie des ouvriers du textile. La réalité est que le gouvernement ne fera rien qui mette en danger les exportations et les profits. Dans les conditions ou l’effondrement du capitalisme mondial est de plus en plus prononcé, les normes de sécurité vont baisser, et non pas améliorer cette dernière.

Les mêmes processus se déroulent au niveau international. En septembre dernier, près de trois cents ouvriers ont été tués dans ce qui était le pire incendie d’usine au monde, lorsque Ali Enterprises devint la proie des flammes dans la ville pakistanaise de Karachi. En Chine, des milliers d’ouvriers sont tués chaque année par les explosions et les éboulements dans les mines du pays où l’absence de sécurité est notoire. Le mois dernier, trente quatre mineurs furent tués dans deux explosions à la mine de Babao. Quatre vingt-trois mineurs périrent dans un glissement de terrain dans une mine de cuivre du Tibet.

La santé, le bien-être et la vie des travailleurs est constamment sacrifiée à la course incessante au profit, non seulement dans les ateliers de misère d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine, mais aussi dans les pays capitalistes avancés. Il y a un peu plus d’une semaine une usine d’engrais du Texas explosait, tuant quatorze personnes et en blessant deux cents. En avril 2011, onze ouvriers mourraient dans l’explosion de la plate-forme de forage Deepwater Horizon, dans le Golfe de Mexico, qui entraîna la pire catastrophe environnementale de l’histoire des Etats-Unis.

Ces tragédies sont des crimes qui en fin de compte ont leurs racines dans le système du profit. La production mondialisée qui possède le potentiel de fournir à chaque personne sur la terre un niveau de vie décent, conduit sous le capitalisme à d’énormes profits pour quelques riches et à la misère pour les travailleurs du monde entier.

La seule solution est une lutte unifiée de la classe ouvrière internationale pour abolir cet ordre social dépassé et réactionnaire et d’ériger une économie socialiste rationnellement planifiée au niveau mondial afin de répondre aux besoins pressants de l’humanité toute entière.

K. Ratnayake

Messages

  • Le sort des prolétaires de la confection ne s’améliore pas !
    Le 24 avril 2013, les rêves de sortir de la pauvreté en passant par les ateliers de confection ont subi un sacré revers. Ce matin-là, un immeuble de huit étages abritant cinq usines de confection de vêtements s’est effondré, tuant 1.134 hommes et femmes dont la plupart sont morts écrasés sous des tonnes de béton et de ferraille tandis qu’ils fabriquaient des vêtements pour des dizaines de marques internationales. Selon une couturière d’Ayesha Clothing, « la mort de Taslima Aktar est la conséquence logique » des conditions de travail imposées aux employés. En octobre, elle et ses collègues venaient de passer des mois à travailler sur une grosse commande de hoodies pour Old Navy. Elle m’a confié qu’elles devaient fabriquer entre 120 et 150 pièces à l’heure, toutes les heures, 14 heures par jour, jusqu’à ce que la commande soit entièrement exécutée. Un homme de 20 ans à la voix douce a qualifié « d’inhumaines » les pressions de la production. Les femmes ont confié que lorsqu’elles n’atteignaient pas leurs objectifs horaires –ce qui arrivait souvent, m’ont-elles expliqué– elles étaient insultées, humiliées en public ou moins payées. Certains contremaîtres, lorsqu’ils approchent les ouvrières pour les motiver à atteindre les objectifs, les touchent de façon inappropriée. « Nous n’avions même pas le temps d’aller aux toilettes, parce que nous devions remplir nos quotas », m’a raconté une autre femme.
    Les journalistes et les activistes du travail qui ont fouillé les décombres ont retrouvé des liens avec Benetton, JCPenney, Joe Fresh et The Children’s Place, entre autres ; plus tard, des documents ont révélé la présence d’autres grandes marques comme Walmart. Le carnage du Rana Plaza a fait les gros titres dans le monde entier et fini par forcer le secteur de l’habillement, dont le chiffre mondial tourne autour de 3.000 milliards de dollars, à faire face aux coûts mortels de la mode bon marché.

    L’année 2017 a été marquée par la répression massive de travailleurs dans l’industrie exportatrice du Bangladesh, qui a résulté dans l’emprisonnement de 35 responsables syndicaux, la fermeture définitive des bureaux de syndicats et le licenciement illégal de plus de 1 000 travailleurs ayant collectivement fait entendre leurs voix pour obtenir de meilleurs salaires et conditions de travail.

    Au moins 11 dirigeants syndicaux du secteur du vêtement sont détenus au Bangladesh dans un recul alarmant sur les droits sociaux et la démocratie du pays. Depuis une manifestation des ouvriers de l’habillement en décembre pour réclamer une hausse des salaires, plus de 1 600 licenciements ont été prononcés et la police a déposé des plaintes contre 600 syndicalistes. Les forces de l’ordre ont perpétré des raids aux domiciles des leaders syndicaux et des activistes.
    Des clients d’un magasin de mode Zara à Istanbul ont trouvé des étiquettes inhabituelles dans leurs vêtements. Celles-ci délivrent des plaintes d’ouvriers turcs affirmant ne pas avoir été payés pour leur travail, révèle l’agence de presse Associated Press (AP). Les étiquettes, qui incitent les clients à faire pression sur Zara, révèlent que ces ouvriers étaient des employés par Bravo Tekstil, un sous-traitant de Zara. Cette société aurait fermé du jour au lendemain. Les travailleurs affirment que ce fabricant leur doit trois mois de salaire et une indemnité de départ.

    A l’autre bout du monde, au Nicaragua, des travailleurs ont été licenciés et emprisonnés pour avoir fait grève.

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