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Iran : la révolte des travailleurs

dimanche 19 mai 2013, par Robert Paris

Iran : la révolte des travailleurs

de : Marie-Anne

Le mouvement ouvrier iranien a une longue histoire derrière lui. Les ouvriers du pétrole, par exemple, ont joué un rôle non négligeable dans la chute du Shah en 1979. Les travailleurs engrangèrent ensuite des acquis avec le nouveau régime, comme la semaine de 40 h et la création d’un droit à l’allocation logement. Mais la guerre entre l’Iran et l’Irak entre 1980 et 1988 fit obstacle au développement de l’action syndicale, tandis que les partis de gauche qui avaient pris part à la révolution étaient démantelés, avec l’exécution de près de 30.000 opposants.

A la fin de la guerre, le gouvernement Rafsanjani inaugure le virage libéral du pays. Les importations ont mis à mal l’industrie locale, tandis que les programmes de privatisations ont profité aux membres du pouvoir et à leurs proches, sur fond de développement de la corruption. La politique libérale est poursuivie par les gouvernements qui se sont succédés ; Ahmadinéjad accélère la privatisation et s’attaque aux subventions des produits de première nécessité (essence, gaz, électricité, eau et aliments de base).

Répression et persistance des luttes

Le pouvoir favorise l’instauration de « Conseils islamiques du Travail » et de « Maisons des travailleurs », en lieu et place des syndicats qui n’ont plus droit de cité, même si leur création reste théoriquement possible selon la constitution. Le mouvement ouvrier est également affaibli par l’instauration de la précarité : les travailleurs sont embauchés sous des contrats temporaires, souvent par des entreprises de main-d’œuvre qui servent d’intermédiaire avec l’employeur réel.

Malgré une féroce répression, des syndicats indépendants font leur apparition pour répondre aux besoins des travailleurs de se défendre. Les leaders syndicaux sont emprisonnés, quelquefois libérés sous la pression internationale, suite aux campagnes de solidarité menés par le mouvement syndical international. C’est notamment le cas de Mansour Onsanlo, du syndicat des autobus de Téhéran (VAHED).

Plusieurs syndicalistes sont actuellement incarcérés, condamnés à de longues peines : Pedram Nasrollahi, Shahrokh Zamani, Reza Shahabi, Mohammad Jarahi, Behnam Ebrahimzadeh, Rasoul Bodaghi, Abdolreza Ghanbari, ce dernier étant passible de la peine de mort. Ces militants subissent mauvais traitements et tortures.

Récemment, des boulangers de la ville kurde de Sanandaj ont été arrêtés, pour avoir tenté d’organiser leurs collègues de travail. Plus couramment, les travailleurs qui tentent de porter des revendications collectives auprès de l’employeur sont purement et simplement licenciés.

Mais cette répression brutale n’a jamais suffi à étouffer totalement les efforts des travailleurs pour améliorer leur sort. A « Saaveh Rolled Tubes and Profile finally », une usine de composants métallurgiques, les travailleurs sont en lutte pour l’amélioration de leurs conditions de travail. Cette usine produit essentiellement pour l’exportation, se fait payer en devises fortes, et paye à ses ouvriers des salaires de misère. L’entreprise, qui fait des profits considérables, a ouvert de nouvelles usines en Iran, mais aussi en Grande-Bretagne et en Allemagne. En 1996, les travailleurs commencent à dénoncer leurs conditions de travail, responsables d’accidents du travail et de maladies professionnelles mortels. Une assemblée du personnel demande des améliorations techniques et de sécurité, ainsi que le droit d’avoir leur propre organisation. Douze représentants sont élus pour négocier ces revendications avec les propriétaires : ils sont licenciés dès le lendemain. Nouvelle tentative en 2006, après des mois de lutte, une pétition signée du personnel sur les mêmes revendications : les protestataires sont également licenciés immédiatement. Pour autant le combat n’est pas abandonné, mais déplacé sur un autre terrain : en octobre 2012, ils obtiennent des autorités qu’elles classent les 23 énormes ateliers de « Saaveh Rolled Tubes and Profile finally » dans la catégorie des établissements dangereux. Ce n’est qu’une étape dans la lutte, car l’employeur use de tous les moyens pour ne pas procéder aux aménagements nécessaires, et les travailleurs devront encore maintenir la pression pour parvenir à des résultats concrets.

Dans la pétrochimie, les salariés ont mené en octobre une grève d’avertissement pour obtenir la concrétisation des promesses qui leur ont été faites : la suppression des intermédiaires et des entreprises de main-d’œuvre « parasites ». En novembre, Bandar Imam Petrochemical Complex accepte la revendication des travailleurs de se passer d’intermédiaires et de signer des contrats directement avec les travailleurs.

Fin avril, la police intervient pour débloquer l’entrée d’une usine de cuivre : les salariés entendent protester contre le non respect des promesses qui leur sont faites, à savoir l’embauche directe et pérenne des travailleurs sous contrat précaire. Dix-huit mois plus tard rien n’a bougé. La lutte continue désormais à l’intérieur de l’usine.

Les coupeurs de canne saisonniers sont également dans une bataille de longue durée pour la reconnaissance de leurs droits. En octobre, 2000 coupeurs se mettent en grève, faisant suite à d’autres actions menées au cours de l’année, pour protester contre la faiblesse de leur salaire et le retrait de leur assurance retraite, et exiger la prise en compte de leur métier dans la classification nationale du travail, et. La revendication de la retraite est d’ailleurs commune à l’ensemble des 12.000 salariés de « Karoon Industrial Agriculture », de la région du Khouzistan, et de bien des travailleurs en Iran !

Signe de la crainte du pouvoir : depuis 2007 le pouvoir n’a plus autorisé aucun défilé pour le premier mai.

L’explosion du chômage et des arriérés de salaire

L’économie iranienne est prise en étau entre l’extraversion de son économie et les sanctions dont elle fait l’objet par la communauté internationale. L’inflation monte dangereusement depuis plusieurs mois.

Les salariés sont confrontés à des baisses de salaires et à des licenciements. Selon une étude du centre de recherche du parlement iranien, la production des entreprises a décru de 40% et l’emploi a diminué de 36%, tandis que le coût des matières premières a augmenté considérablement.­­ Les impayés de salaires explosent actuellement en Iran, déclenchant la colère des travailleurs qui n’ont plus désormais rien à perdre. L’Etat se révèle aussi mauvais payeur que le privé. Tous les secteurs et toutes les régions sont concernés. Les centres industriels, comme celui de Kaveh à proximité de Téhéran, sont sérieusement affectés.

Dix- huit mois de retard pour les ouvriers de l’usine à sucre d’Ahwaz, qui vient d’arrêter la production et de licencier ses ouvriers, à l’exception des techniciens de maintenance. Cette usine appartient à une banque, et pour l’instant personne ne se soucie des 500 salariés de l’usine, pas plus que de l’avenir des 2000 emplois induits. Absence de salaires également depuis 28 mois à l’usine textile de Mazanadaran : les salariés mettent en cause une « privatisation incontrôlée ». Les situations de salaires impayés se multiplient dans toute l’industrie manufacturière, le secteur de la métallurgie n’est pas épargné.

Des arriérés de salaires provoquant des arrêts de travail et des manifestations sont signalés l’agriculture et l’agro-alimentaire.

Les impayés provoquent l’arrêt des chantiers de travaux publics, en autre de construction de barrages, à Azad dans le Kurdistan, à Banir dans le Marivan, à Derek.

Les travailleurs afghans pris en otages

De nombreux afghans se sont établis en Iran, soit pour trouver un travail, soit pour fuir la guerre. Ils seraient 2,4 millions à occuper dans ce pays les postes les plus précaires et les plus dangereux. Certains sont arrivés illégalement, en payant de fortes sommes à des passeurs qui les aident à traverser la frontière.

Mais du fait de l’influence américaine en Afghanistan, de la rivalité régionale des deux pays, et du délabrement de l’économie iranienne, ces migrants ne sont plus vus d’un bon œil par le pouvoir qui n’hésite pas à en faire une monnaie d’échange. En mai 2012, l’Iran a menacé l’Afghanistan d’expulser tous ses ressortissants présents sur son territoire si ce pays signait un pacte de sécurité stratégique avec les Etats-Unis.

En attendant, tous les Afghans sans papier sont en voie d’expulsion ; selon l’agence de l’ONU qui les assiste à leur retour en Afghanistan, ils seraient près de 200.000 à être rentrés dans leur pays d’origine contraints et forcés. Sur les chantiers de construction où ils étaient employés en Iran, il arrivait qu’ils soient payés en opium ; certains en sont devenus dépendants, d’autres se livrent au trafic de drogue une fois rentrés au pays.

En Iran, les afghans doivent faire face à de nombreuses restrictions : ils ne peuvent résider que dans certaines provinces (12 sur 31), certains métiers leur sont interdits.

Par ailleurs, le gouvernement iranien a décidé de mettre fin au statut de réfugiés pour 700.000 afghans à l’horizon de mars 2015.

La résistance s’organise

En 2004 se crée le « Comité de coordination pour aider à la création d’organisations ouvrières » à partir de syndicats actifs engagés dans des luttes, comme le syndicat des autobus de Téhéran ou le syndicat de la sucrerie Haft-Tappeh. En 2012, ce comité dénonce des projets visant à réduire la protection sociale : recul de 5 ans de l’âge de départ à la retraite, augmentation des cotisations salariales, et d’autres mesures qui n’ont pas encore filtré de l’opacité où ces plans s’élaborent. Le Comité alerte les travailleurs et les appelle à se mobiliser.

Durant le deuxième semestre 2012, une pétition demandant une augmentation immédiate des salaires pour faire face à l’inflation et la suppression des articles régressifs de la nouvelle loi sur le travail recueille 30.000 signatures. Les organisateurs de la pétition ont organisé un sit-in aux abords du parlement. Ils ont pu être reçus par le président de la commission des affaires économiques du parlement pour discuter de la situation désastreuse à laquelle les travailleurs doivent faire face.

Cette détermination semble porter ses fruits. Le 24 avril, la plainte déposée par les travailleurs relative au salaire minimum fixé par le ministre du travail a été reçue par la Cour suprême d’administration (l’équivalent de notre conseil d’Etat). Les travailleurs font valoir que le salaire minimum doit être fixé en fonction de l’inflation, or celle-ci est de 30% selon la Banque centrale iranienne, alors que l’augmentation prévue pour le salaire minimum n’est que de 25%. Cette revendication est d’autant plus sensible que pour les travailleurs le taux réel de l’inflation est bien supérieur à celui fixé par la Banque centrale. Pour la soutenir, cent conseillers municipaux ont lancé une pétition demandant au gouvernement de reconnaître les légitimes revendications des travailleurs.

Une campagne très active à l’encontre du projet de loi sur le droit du travail, très défavorable aux travailleurs, a été menée tambour battant par des militants et les syndicats les pus actifs. Le texte a été décortiqué et sa nocivité démontrée, et l’opinion publique est convaincue de la dangerosité de ce projet. Le parlement iranien en a tenu compte en rejetant ce texte en l’état. C’est déjà une victoire ! Mais ce n’est qu’une étape du combat : ce texte est destiné à être représenté au parlement après que le ministre du travail lui ait apporté des modifications. Les militants iraniens sont vigilants et de nouvelles mobilisations sont à prévoir.

Le mouvement ouvrier iranien est fort de son histoire –une centrale syndicale s’est constitué dès 1917-, avec une longue habitude de la clandestinité et de la répression. Les militants syndicaux font preuve d’une infinie détermination et savent remettre sur le tapis des revendications que le pouvoir patronal et l’Etat tentent de balayer définitivement, sous les coups d’une répression qui ne fait pas dans la demi-mesure.

Celle-ci est toujours aussi redoutable, mais face à la situation économique de l’Iran, elle peut de moins en moins fonctionner comme le couvercle qui étouffe de façon efficace la colère populaire. La révolte devient plus forte que la peur. Les salariés qui sont sans salaires depuis de longs mois, voire des années, ne se posent plus la question de perdre un emploi qui ne les nourrit plus depuis longtemps. Quand dans une entreprise, un militant appelle à la rébellion, il trouve en face de lui un écho immédiat ; dans des entreprises, ses collègues empêchent les vigiles d’intervenir ; dans d’autres ce sont ces mêmes vigiles qui s’empressent de laisser faire. Le sentiment de ne plus avoir rien à perdre renforce les luttes, qui finissent par marquer des points. Dans les entreprises, des gains –toujours à défendre-, comme la remise en cause des intermédiaires entre le travailleur et l’entreprise utilisatrice de son travail, sont des avancées particulièrement significatives, même si elles ne sont actuellement le fait que de quelques entreprises. Dans le rapport avec le pouvoir politique, quelque chose semble bouger également, même si le rapport de forces reste fragile.

Il convient d’être attentif à ce qui se passe en Iran, grand pays de 78 millions d’habitants, pris dans des enjeux économiques et géopolitiques cruciaux : l’irruption d’une classe ouvrière en voie d’organisation peut changer la donne.

Le libéralisme est un totalitarisme

Messages

  • Plus d’un millier de travailleurs de la compagnie iranienne industrielle de la marine, à Bouchehr se sont mis en grève.
    Ils protestent contre un retard de salaires de trois mois. La grève a commencé le 30 avril. En dépit des sévères pressions des agents du régime pour briser la grève, les travailleurs maintiennent leur mouvement.

  • La première révolte a eu lieu jeudi à Mashhad, la deuxième ville du pays. Le mot d’ordre est alors essentiellement économique, contre la vie chère et le chômage. Trois décisions récentes nourrissent ce mécontentement. Le gouvernement a décidé de fermer plusieurs établissements de crédit qui croulaient sous les dettes. « La région du Khorassan (celle de Mashhad) a été très touchée par ces fermetures. Les Iraniens ont eu le sentiment d’avoir été volés par l’Etat. Sous Ahmadinejad, le gouvernement sauvait coûte que coûte ces établissements « pourris ». Plus prosaïquement, le prix des œufs et de la volaille a de nouveau augmenté en décembre, atteignant une hausse de 50% en un an. Le 10 décembre, le président Hassan Rohani, réélu en mai sur la promesse d’améliorer la situation économique du pays, a présenté son budget au parlement, qui concrétise ses engagements d’assainir les finances de l’Etat. Pour la première fois, celui-ci faisait apparaître les dépenses pour les fondations religieuses, les centres de recherche et d’autres institutions non élues liées au régime. « Les gens ont appris que les religieux se taillaient la part du lion dans le budget, sans devoir rendre de comptes...

  • Depuis le 28 décembre dernier, des milliers d’Iraniens manifestent pour dénoncer la vie chère. C’est la hausse du prix des œufs et de l’essence qui a d’abord conduit le peuple à descendre dans la rue. Comme en témoigne cette Iranienne, « la vie est vraiment dure, les prix élevés nous étranglent. » En Iran, l’inflation s’élève aux alentours de 10% et le pays est frappé par un chômage très élevé. Les jeunes, surtout les jeunes diplômés, sont particulièrement touchés et c’est cette population que l’on retrouve majoritairement dans les contestations.

    Mais ces rassemblements débutés à Mashhad ont rapidement dépassé la question économique. Hassan Rohani, le président de la République islamique d’Iran, est devenu la principale cible des manifestants. Des slogans anti-régime ont été entendus et plusieurs bâtiments publics ont été attaqués. Cette vague d’émeutes est marquée par une centaine d’arrestations et des violences meurtrières. Une vingtaine de personnes a déjà été tuée.

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