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Qu’est-ce que l’URSS

lundi 5 août 2013, par Robert Paris

Qu’est-ce que l’URSS

1936

RAPPORTS SOCIAUX

La propriété étatisée des moyens de production domine presque exclusivement l’industrie. Dans l’agriculture, elle n’est représentée que par les sovkhozes, qui n’embrassent pas plus de 10% des surfaces ensemencées. Dans les kolkhozes, la propriété coopérative ou celle des associations se combine en proportions variées avec celles de l’Etat et de l’individu. Le sol, appartenant juridiquement à l’Etat, mais donné en "jouissance perpétuelle" aux kolkhozes, diffère peu de la propriété des associations. Les tracteurs et les machines appartiennent à l’Etat [1] ; l’outillage de moindre importance à l’exploitation collective. Tout paysan de kolkhoze a, en outre, son entreprise privée. Environ 10% des cultivateurs demeurent isolés.

D’après le recensement de 1934, 28,1% de la population étaient des ouvriers et des employés de l’Etat. Les ouvriers d’industries et les ouvriers du bâtiment célibataires étaient environ 7,5 millions en 1935. Les kolkhozes et les métiers organisés par la coopération formaient à l’époque du recensement 45,9% de la population. Les étudiants, les militaires, les pensionnés et d’autres catégories dépendant immédiatement de l’Etat, 3,4%. Au total, 74% de la population se rapportaient au "secteur socialiste" et disposaient de 95,8% du capital du pays. Les paysans isolés et les artisans représentaient encore (en 1934) 22,5% de la population, mais ne possédaient qu’un peu plus de 4% du capital national.

Il n’y a pas eu de recensement depuis 1934 et le prochain aura lieu en 1937. On ne peut douter, cependant, que le secteur privé de l’économie ne se soit encore rétréci au profit du "secteur socialiste". Les cultivateurs individuels et les artisans forment aujourd’hui, d’après les organes officiels, 10% environ de la population, soit 17 millions d’âmes ; leur importance économique est tombée beaucoup plus bas que leur importance numérique, Andreiev, secrétaire du comité central, déclarait en avril 1936 : "Le poids spécifique de la production socialiste dans notre pays, en 1936, doit former 98,5%, de sorte qu’il ne reste au secteur non socialiste que quelque 1,5% insignifiant..." Ces chiffres optimistes semblent à première vue prouver irréfutablement la victoire "définitive et irrévocable" du socialisme. Mais malheur à celui qui, derrière l’arithmétique, ne voit pas la réalité sociale !

Ces chiffres mêmes sont un peu forcés. Il suffit d’indiquer que la propriété privée des membres des kolkhozes y est comprise dans le "secteur socialiste". Le noeud de la question ne gît cependant pas là. L’énorme supériorité statistique indiscutable des formes étatiques et collectives de l’économie, si importante qu’elle soit pour l’avenir, n’écarte pas un autre problème, non moins sérieux : celui de la puissance des tendances bourgeoises au sein même du "secteur socialiste", et non seulement dans l’agriculture, mais encore dans l’industrie. L’amélioration du standard de vie obtenue dans le pays suffit à provoquer un accroissement des besoins, mais ne suffit pas du tout à satisfaire ces besoins. Le dynamisme même de l’essor économique comporte donc un certain réveil des appétits petits-bourgeois et pas uniquement parmi les paysans et les représentants du travail "intellectuel", mais aussi parmi les ouvriers privilégiés. La simple opposition des cultivateurs individuels aux kolkhozes et des artisans à l’industrie étatisée ne donne pas la moindre idée de la puissance explosive de ces appétits qui pénètrent toute l’économie du pays et s’expriment, pour parler sommairement, dans la tendance de tous et de chacun à donner le moins possible à la société et à en tirer le plus possible.

La solution des questions de consommation et de compétition pour l’existence exige au moins autant d’énergie et d’ingéniosité que l’édification socialiste au sens propre du mot ; de là en partie le faible rendement du travail social. Tandis que l’Etat lutte sans cesse contre l’action moléculaire des forces centrifuges, les milieux dirigeants eux-mêmes forment le lieu principal de l’accumulation privée licite et illicite. Masquées par les nouvelles normes juridiques, les tendances petites-bourgeoises ne se laissent pas facilement saisir par la statistique. Mais la bureaucratie "socialiste", cette criante contradictio in adjecto, monstrueuse excroissance sociale toujours grandissante et qui devient à son tour la cause des fièvres malignes de la société, témoigne de leur nette prédominance dans la vie économique.

La nouvelle constitution, bâtie tout entière, comme nous le verrons, sur l’identification de la bureaucratie et de l’Etat — comme de l’Etat et du peuple par ailleurs — dit : "La propriété de l’Etat, en d’autres termes celle du peuple tout entier..." Sophisme fondamental de la doctrine officielle. Il est incontestable que les marxistes, à commencer par Marx lui-même, ont employé en ce qui concerne l’Etat ouvrier les termes de propriété "étatique", "nationale" ou "socialiste" comme des synonymes. A une grande échelle historique, cette façon de parler ne présentait pas d’inconvénients. Mais elle devient la source de fautes grossières et de duperies dès qu’il s’agit des premières étapes non encore assurées de l’évolution de la société nouvelle, isolée, et en retard au point de vue économique sur les pays capitalistes.

La propriété privée, pour devenir sociale, doit inéluctablement passer par l’étatisation, de même que la chenille, pour devenir papillon, doit passer par la chrysalide. Mais la chrysalide n’est pas un papillon. Des myriades de chrysalides périssent avant de devenir papillons. La propriété de l’Etat ne devient celle du "peuple entier" que dans la mesure ou disparaissent les privilèges et les distinctions sociales et où, par conséquent, l’Etat perd sa raison d’être. Autrement dit : la propriété de l’Etat devient socialiste au fur et à mesure qu’elle cesse d’être propriété d’Etat. Mais, au contraire, plus l’Etat soviétique s’élève au-dessus du peuple, plus durement il s’oppose comme le gardien de la propriété au peuple qui la dilapide, et plus clairement il témoigne contre le caractère socialiste de la propriété étatique.

"Nous sommes encore loin de la suppression des classes", reconnait la presse officielle, et elle se réfère aux différences qui subsistent entre la ville et la campagne, entre le travail intellectuel et le travail manuel. Cet aveu purement académique offre l’avantage de justifier par le travail "intellectuel" les revenus de la bureaucratie. Les "amis", auxquels Platon est bien plus cher que la vérité, se bornent aussi à admettre en style académique l’existence des vestiges de l’inégalité. Les vestiges ont bon dos, mais sont loin de suffire à l’explication de la réalité soviétique. Si la différence entre la ville et la campagne s’est atténuée sous certains rapports, elle s’est approfondie sous d’autres, du fait de la rapide croissance de la civilisation et du confort dans les villes, c’est-à-dire pour la minorité citadine. La distance sociale entre le travail manuel et intellectuel s’est accrue au cours des dernières années au lieu de diminuer, en dépit de la formation de cadres scientifiques venant du peuple. Les barrières millénaires de castes isolant l’homme de toutes parts — le citadin policé et le moujik inculte, le mage de la science et le manoeuvre — ne se sont pas seulement maintenues sous des formes plus ou moins affaiblies, elles renaissent largement et revêtent un aspect provocant.

Le mot d’ordre fameux : "Les cadres décident de tout" caractérise, beaucoup plus franchement que ne le voudrait Staline, la société soviétique. Les cadres sont, par définition, appelés à exercer l’autorité. Le culte des cadres signifie avant tout celui de la bureaucratie. Dans la formation et l’éducation des cadres, comme dans d’autres domaines, le régime soviétique en est à accomplir une oeuvre que la bourgeoisie a depuis longtemps terminée. Mais comme les cadres soviétiques paraissent sous le drapeau du socialisme, ils exigent des honneurs presque divins et des émoluments de plus en plus élevés. De sorte que la formation de cadres "socialistes" s’accompagne d’une renaissance de l’inégalité bourgeoise.

Il peut sembler qu’aucune différence n’existe sous l’angle de la propriété des moyens de production entre le maréchal et la domestique, le directeur de trust et le manoeuvre, le fils du commissaire du peuple et le jeune clochard. Pourtant, les uns occupent de beaux appartements, disposent de plusieurs villas en divers coins du pays, ont les meilleures automobiles et, depuis longtemps, ne savent plus comment on cire une paire de bottes ; les autres vivent dans des baraques où manquent même souvent les cloisons, la faim leur est familière et, s’ils ne cirent pas de bottes, c’est parce qu’ils vont nu-pieds. Le dignitaire tient cette différence pour négligeable. Le manoeuvre la trouve, non sans raison, des plus sérieuses.

Des "théoriciens" superficiels peuvent se consoler en se disant que la répartition des biens est un facteur de second plan par rapport à la production. La dialectique des influences réciproques garde pourtant toute sa force. Le destin des moyens nationalisés de production sera décidé en fin de compte par l’évolution des différentes conditions personnelles. Si un paquebot est déclaré propriété collective, les passagers restant divisés en première, deuxième et troisième classes, il est bien compréhensible que la différence des conditions réelles finira par avoir, aux yeux des passagers de troisième, une importance beaucoup plus grande que le changement juridique de propriété. Les passagers de première, au contraire, exposeront volontiers, entre café et cigare, que la propriété collective est tout, le confort des cabines n’étant rien en comparaison. Et l’antagonisme résultant de ces situations infligera de rudes secousses à une collectivité instable.

La presse soviétique a relaté avec satisfaction qu’un garçonnet visitant le jardin d’acclimatation de Moscou et ayant demandé à qui appartenait l’éléphant, s’est entendu répondre : "A l’Etat" et a aussitôt conclu : "Il est donc un petit peu à moi aussi." S’il fallait en réalité partager l’éléphant, les bons morceaux iraient aux privilégiés, quelques heureux apprécieraient le jambon du pachyderme et les plus nombreux n’en connaîtraient que les tripes et abattis. Les petits garçons lésés seraient vraisemblablement peu enclins à confondre leur propriété avec celle de l’Etat. Les jeunes clochards ne tiennent pour leur appartenant que ce qu’ils viennent de voler à l’Etat. Le garçonnet du jardin d’acclimatation était fort probablement le fils d’un personnage influent habitué à procéder de l’idée que "l’Etat, c’est moi".

Si nous traduisons, pour nous exprimer, plus clairement, les rapports socialistes en termes de Bourse, nous dirons que les citoyens pourraient être les actionnaires d’une entreprise possédant les richesses du pays. Le caractère collectif de la propriété suppose une répartition "égalitaire" des actions et, partant, un droit à des dividendes égaux pour tous les "actionnaires". Les citoyens, cependant, participent à l’entreprise nationale et comme actionnaires et comme producteurs. Dans la phase inférieure du communisme, que nous avons appelée socialisme, la rémunération du travail se fait encore selon les normes bourgeoises, c’est-à-dire selon la qualification du travail, son intensité, etc. Le revenu théorique d’un citoyen se forme donc de deux parties, a + b, le dividende plus le salaire. Plus la technique est développée, plus l’organisation économique est perfectionnée, et plus grande sera l’importance du facteur a par rapport au facteur b — et moindre sera l’influence exercée sur la condition matérielle par les différences individuelles du travail. Le fait que les différences de salaires sont en U.R.S.S. non moindres, mais plus considérables que dans les pays capitalistes, nous impose de conclure que les actions sont inégalement réparties et que les revenus des citoyens comportent en même temps qu’un salaire inégal des parts inégales de dividendes. Tandis que le manoeuvre ne reçoit que b, salaire minimum que, toutes autres conditions étant égales, il recevrait aussi dans une entreprise capitaliste, le stakhanoviste et le fonctionnaire reçoivent 2a + b ou 3a + b et ainsi de suite, b pouvant d’ailleurs devenir aussi 2b, 3b, etc. La différence des revenus est, en d’autres termes, déterminée non par la seule différence du rendement individuel, mais par l’appropriation masquée du travail d’autrui. La minorité privilégiée des actionnaires vit au détriment de la majorité bernée.

Si l’on admet que le manoeuvre soviétique reçoit davantage qu’il ne recevrait, le niveau technique et culturel demeurant le même, en régime capitaliste, c’est-à-dire qu’il est tout de même un petit actionnaire, son salaire doit être considéré comme a + b. Les salaires des catégories mieux payées seront en ce cas exprimés par la formule 3a + 2b ; 10a + 15b, etc., ce qui signifiera que le manoeuvre ayant une action, le stakhanoviste en a trois et le spécialiste dix ; et qu’en outre leurs salaires, au sens propre du mot, sont dans la proportion de 1 à 2 et à 15. Les hymnes à la propriété socialiste sacrée paraissent dans ces conditions bien plus convaincants au directeur d’usine ou au stakhanoviste qu’à l’ouvrier ordinaire ou au paysan kolkhozien. Or, les travailleurs du rang forment l’immense majorité dans la société, et le socialisme doit compter avec eux et non avec une nouvelle aristocratie.

"L’ouvrier n’est pas, dans notre pays, un esclave salarié, un vendeur de travail-marchandise. C’est un libre travailleur." (Pravda.) A l’heure actuelle, cette formule éloquente n’est qu’inadmissible fanfaronnade. Le passage des usines à l’Etat n’a changé que la situation juridique de l’ouvrier ; en fait, il vit dans le besoin tout en travaillant un certain nombre d’heures pour un salaire donné. Les espérances que l’ouvrier fondait auparavant sur le parti et les syndicats, il les a reportées depuis la révolution sur l’Etat qu’il a créé. Mais le travail utile de cet Etat s’est trouvé limité par l’insuffisance de la technique et de la culture. Pour améliorer l’une et l’autre, le nouvel Etat a eux recours aux vieilles méthodes : l’usure des muscles et des nerfs des travailleurs. Tout un corps d’aiguillonneurs s’est formé. La gestion de l’industrie est devenue extrêmement bureaucratique. Les ouvriers ont perdu toute influence sur la direction des usines. Travaillant aux pièces, vivant dans une gêne profonde, privé de la liberté de se déplacer, subissant à l’usine même un terrible régime policier, l’ouvrier pourrait malaisément se sentir un "travailleur libre". Le fonctionnaire est pour lui un chef, l’Etat un maître. Le travail libre est incompatible avec l’existence de l’Etat bureaucratique.

Tout ce que nous venons de dire s’applique aux campagnes avec quelques correctifs nécessaires. La théorie officielle érige la propriété des kolkhozes en propriété socialiste. La Pravda écrit que les kolkhozes sont déjà en réalité comparables à des "entreprises d’Etat du type socialiste". Elle ajoute aussitôt que la "garantie du développement socialiste de l’agriculture réside dans la direction des kolkhozes par le parti bolchevique" ; c’est nous renvoyer de l’économie à la politique. C’est dire que les rapports socialistes sont pour le moment établis non dans les relations véritables entre les hommes, mais dans le coeur tutélaire des supérieurs. Les travailleurs feront bien de se défier de ce coeur-là. La vérité est que l’économie des kolkhozes est à mi-chemin entre l’agriculture parcellaire individuelle et l’économie étatique ; et que les tendances petites-bourgeoises au sein des kolkhozes sont on ne peut mieux affermies par la rapide croissance de l’avoir individuel des paysans.

N’occupant que 4 millions d’hectares contre 108 millions d’hectares d’emblavures collectives, soit moins de 4%, les parcelles individuelles des membres de kolkhozes, soumises à une culture intensive, surtout maraîchère, fournissent au paysan les articles les plus indispensables à sa consommation. La majeure partie du gros bétail, des moutons et des porcs appartient aux membres des kolkhozes, non aux kolkhozes. Il arrive constamment que les paysans fassent de leurs parcelles individuelles le principal et relèguent au second plan les kolkhozes d’un faible rapport. Les kolkhozes qui paient mieux la journée de travail gravissent par contre un échelon en formant une catégorie de fermiers aisés. Les tendances centrifuges ne disparaissent pas, elles se fortifient et s’étendent au contraire. En tout cas, les kolkhozes n’ont réussi pour le moment qu’à transformer les formes juridiques de l’économie dans les campagnes et en particulier le mode de répartition des revenus ; ils n’ont presque pas touché à l’ancienne isba, au potager, à l’élevage, au rythme du pénible travail de la terre, et même à l’ancienne façon de considérer l’Etat qui, s’il ne sert plus les propriétaires fonciers et la bourgeoisie, prend néanmoins trop aux campagnes pour donner aux villes et entretient trop de fonctionnaires voraces.

Les catégories suivantes figureront sur les feuilles du recensement du 6 janvier 1937 : ouvriers, employés, travailleurs de kolkhozes, cultivateurs individuels, artisans, profession libres, desservants du culte, non-travailleurs. Le commentaire officiel précise que la feuille ne comporte pas d’autres rubriques parce qu’il n’y a pas de classes en U.R.S.S. La feuille est en réalité conçue de manière à dissimuler l’existence de milieux privilégiés et de bas-fonds déshérités. Les véritables couches sociales que l’on eût dû repérer sans peine à l’aide d’un recensement honnête sont plutôt celles-ci : hauts fonctionnaires, spécialistes et autres personnes vivant bourgeoisement ; couches moyennes et inférieures de fonctionnaires et spécialistes vivant comme de petits bourgeois ; aristocratie ouvrière et kolkhozienne placée à peu près dans les mêmes conditions que les précédents ; ouvriers moyens ; paysans moyens des kolkhozes ; ouvriers et paysans voisinant avec le Lumpen proletariat ou prolétariat déclassé ; jeunes clochards, prostituées et autres.

La nouvelle constitution, quand elle déclare que "l’exploitation de l’homme par l’homme est abolie en U.R.S.S.", dit le contraire de la vérité. La nouvelle différenciation sociale a créé les conditions d’une renaissance de l’exploitation sous ses formes les plus barbares qui sont celles de l’achat de l’homme pour le service personnel d’autrui. La domesticité ne figure pas dans les feuilles de recensement, devant évidemment être comprise dans la rubrique "ouvriers". Les questions suivantes ne sont pas posées : Le citoyen soviétique a-t-il des domestiques et lesquels ? (bonne, cuisinière, nourrice, gouvernante, chauffeur) ; a-t-il une auto à son service ? de combien de chambres dispose-t-il ? Il n’est pas question non plus du montant de son salaire ! Si l’on remettait en vigueur la règle soviétique qui prive de droits politiques quiconque exploite le travail d’autrui, il apparaîtrait tout à coup que les sommets dirigeants de la société soviétique devraient être privés du bénéfice de la constitution ! Par bonheur, une égalité complète des droits est établie... entre le maître et les domestiques.

Deux tendances opposées grandissent au sein du régime : développant les forces productives — au contraire du capitalisme stagnant — il crée les fondements économiques du socialisme ; et poussant à l’extrême, dans sa complaisance envers les dirigeants, les normes bourgeoises de la répartition, il prépare une restauration capitaliste. La contradiction entre les formes de la propriété et les normes de la répartition ne peut pas croître indéfiniment. Ou les normes bourgeoises devront, d’une façon ou d’une autre, s’étendre aux moyens de production, ou les normes socialistes devront être accordées à la propriété socialiste.

La bureaucratie redoute la révélation de cette alternative. Partout, dans la presse, à la tribune, dans la statistique, dans les romans de ses écrivains et les vers de ses poètes, dans le texte enfin de sa nouvelle constitution, elle emploie les abstractions du vocabulaire socialiste pour voiler les rapports sociaux dans les villes et les campagnes. Et c’est ce qui rend si fausse, si médiocre et si artificielle l’idéologie officielle.
CAPITALISME D’ETAT ?

En présence de nouveaux phénomènes les hommes cherchent souvent un refuge dans les vieux mots. On a tenté de camoufler l’énigme soviétique à l’aide du terme "capitalisme d’Etat", qui a l’avantage de n’offrir à personne de signification précise. Il servit d’abord à désigner les cas où l’Etat bourgeois assume la gestion des moyens de transports et de certaines industries. La nécessité de semblables mesures est un des symptômes de ce que les forces productives du capitalisme dépassent le capitalisme et l’amènent à se nier partiellement lui-même dans la pratique. Mais le système, se survivant, demeure capitaliste en dépit des cas où il en arrive à se nier lui-même.

On peut, sur le plan de la théorie, se représenter une situation dans laquelle la bourgeoisie tout entière se constituerait en société par actions pour administrer, avec les moyens de l’Etat, toute l’économie nationale. Le mécanisme économique d’un régime de ce genre n’offrirait aucun mystère. Le capitaliste, on le sait, ne reçoit pas, sous forme de bénéfices, la plus-value créée par ses propres ouvriers, mais une fraction de la plus-value du pays entier proportionnelle à sa part de capital. Dans un "capitalisme d’Etat" intégral, la loi de la répartition égale des bénéfices s’appliquerait directement, sans concurrence des capitaux, par une simple opération de comptabilité. Il n’y a jamais eu de régime de ce genre et il n’y en aura jamais par suite des profondes contradictions qui divisent les possédants entre eux — d’autant plus que l’Etat, représentant unique de la propriété capitaliste, constituerait pour la révolution sociale un objet vraiment trop tentant.

Depuis la guerre, et surtout depuis les expériences de l’économie fasciste, on entend le plus souvent par "capitalisme d’Etat" un système d’intervention et de direction économique de l’Etat. Les Français usent en pareil cas d’un terme beaucoup plus approprié : l’étatisme. Le capitalisme d’Etat et l’étatisme ont certainement des points communs ; mais en tant que systèmes, ils seraient plutôt opposés qu’identiques. Le capitalisme d’Etat signifie la substitution de la propriété étatique à la propriété privée et conserve par cela même un caractère radical. L’étatisme, que ce soit dans l’Italie de Mussolini, l’Allemagne de Hitler, les Etats-Unis de Roosevelt ou la France de Léon Blum signifie l’intervention de l’Etat sur les bases de la propriété privée, pour sauver celle-ci. Quels que soient les programmes des gouvernements, l’étatisme consiste inévitablement à reporter des plus forts aux plus faibles les charges du système croupissant. Il n’épargne aux petits propriétaires un désastre complet que parce que leur existence est nécessaire au maintien de la grande propriété. L’étatisme, dans ses efforts pour diriger l’économie, ne s’inspire pas du besoin de développer les forces productives, mais du souci de maintenir la propriété privée au détriment des forces productives qui s’insurgent contre elle. L’étatisme freine l’essor de la technique en soutenant des entreprises non viables et en maintenant des couches sociales parasitaires ; il est en un mot profondément réactionnaire.

La phrase de Mussolini : "Les trois quarts de l’économie italienne, industrielle et agricole, sont entre les mains de l’Etat" (26 mai 1934) ne doit pas être prise à la lettre. L’Etat fasciste n’est pas propriétaire des entreprises, il n’est qu’un intermédiaire entre les capitalistes. Différence appréciable ! Le Popolo d’Italia dit à ce sujet : "L’Etat corporatif unifie et dirige l’économie, mais ne la gère pas (dirige e porta alla unità l’economia, ma non fa l’economia, non gestice), ce qui ne serait pas autre chose, avec le monopole de la production, que le collectivisme" (11 juin 1936). A l’égard des paysans et en général des petits propriétaires, la bureaucratie intervient comme un puissant seigneur ; à l’égard des magnats du capital, comme leur premier fondé de pouvoir. "L’Etat corporatif, écrit fort justement le marxiste italien Ferocci, n’est que le commis du capital des monopoles... Mussolini fait assumer à l’Etat tous les risques des entreprises et laisse aux capitalistes tous les bénéfices de l’exploitation." Hitler marche, sous ce rapport, sur les traces de Mussolini. La dépendance de classe de l’Etat fasciste détermine les limites de la nouvelle économie dirigée et aussi son contenu réel ; il ne s’agit pas d’augmenter le pouvoir de l’homme sur la nature dans l’intérêt de la société, il s’agit de l’exploitation de la société dans l’intérêt d’une minorité. "Si je voulais, se flattait Mussolini, établir en Italie le capitalisme d’Etat ou le socialisme d’Etat, ce qui n’est pas en question, je trouverais aujourd’hui toutes les conditions requises." Sauf une : l’expropriation de la classe capitaliste. Et pour réaliser cette condition-là le fascisme devrait se placer de l’autre côté de la barricade, "ce dont il n’est pas question", se hâte d’ajouter Mussolini, et ce dont il ne sera certainement pas question, car l’expropriation des capitalistes nécessite d’autres forces, d’autres cadres et d’autres chefs.

La première concentration des moyens de production entre les mains de l’Etat que l’histoire connaisse a été accomplie par le prolétariat au moyen de la révolution sociale et non par les capitalistes au moyen des trusts étatisés. Cette brève analyse suffit à montrer combien sont absurdes les tentatives faites pour identifier l’étatisme capitaliste et le système soviétique. Le premier est réactionnaire, le second réalise un grand progrès.
LA BUREAUCRATIE EST-ELLE UNE CLASSE DIRIGEANTE ?

Les classes sont définies par leur place dans l’économie sociale et avant tout par rapport aux moyens de production. Dans les sociétés civilisées, la loi fixe les rapports de propriété. La nationalisation du sol, des moyens de production, des transports et des échanges, et aussi le monopole du commerce extérieur forment les bases de la société soviétique. Et cet acquis de la révolution prolétarienne définit à nos yeux l’U.R.S.S. comme un Etat prolétarien.

Par sa fonction de régulatrice et d’intermédiaire, par le souci qu’elle a de maintenir la hiérarchie sociale, par l’exploitation à ses propres fins de l’appareil de l’Etat, la bureaucratie soviétique ressemble à toute autre bureaucratie et surtout à celle du fascisme. Mais elle s’en distingue aussi par des traits d’une extrême importance. Sous aucun autre régime, la bureaucratie n’atteint à une pareille indépendance. Dans la société bourgeoise, la bureaucratie représente les intérêts de la classe possédante et instruite qui dispose d’un grand nombre de moyens de contrôle sur ses administrations. La bureaucratie soviétique s’est élevée au-dessus d’une classe qui sortait à peine de la misère et des ténèbres et n’avait pas de traditions de commandement et de domination. Tandis que les fascistes, une fois arrivés à la mangeoire, s’unissent à la bourgeoisie par les intérêts communs, l’amitié, les mariages, etc., la bureaucratie de l’U.R.S.S. s’assimile les moeurs bourgeoises sans avoir à côté d’elle une bourgeoisie nationale. En ce sens on ne peut nier qu’elle soit quelque chose de plus qu’une simple bureaucratie. Elle est la seule couche sociale privilégiée et dominante, au sens plein des termes, dans la société soviétique.

Une autre particularité n’est pas moins importante. La bureaucratie soviétique a politiquement exproprié le prolétariat pour défendre par ses propres méthodes les conquêtes sociales du prolétariat. Mais le fait même qu’elle se soit approprié le pouvoir dans un pays où les moyens de production les plus importants appartiennent à l’Etat, crée entre elle et les richesses de la nation des rapports entièrement nouveaux. Les moyens de production appartiennent à l’Etat. L’Etat "appartient " en quelque sorte à la bureaucratie. Si ces rapports, encore tout à fait récents, se stabilisaient, se légalisaient, devenaient normaux sans résistance ou contre la résistance des travailleurs, ils finiraient par la liquidation complète des conquêtes de la révolution prolétarienne. Mais cette hypothèse est encore prématurée. Le prolétariat n’a pas encore dit son dernier mot. La bureaucratie n’a pas créé de base sociale à sa domination, sous la forme de conditions particulières de propriété. Elle est obligée de défendre la propriété de l’Etat, source de son pouvoir et de ses revenus. Par cet aspect de son activité, elle demeure l’instrument de la dictature du prolétariat.

Les tentatives faites pour présenter la bureaucratie soviétique comme une classe "capitaliste d’Etat" ne résistent visiblement pas à la critique. La bureaucratie n’a ni titres ni actions. Elle se recrute, se complète et se renouvelle grâce à une hiérarchie administrative, sans avoir de droits particuliers en matière de propriété. Le fonctionnaire ne peut pas transmettre à ses héritiers son droit à l’exploitation de l’Etat. Les privilèges de la bureaucratie sont des abus. Elle cache ses revenus. Elle feint de ne pas exister en tant que groupement social. Sa mainmise sur une part énorme du revenu national est un fait de parasitisme social. Voilà ce qui rend la situation des dirigeants soviétiques au plus haut point contradictoire, équivoque et indigne, en dépit de la plénitude de leur pouvoir et de l’écran de fumée de la flagornerie.

La société bourgeoise a maintes fois changé, au cours de sa carrière, de régimes et de castes bureaucratiques sans modifier ses assises sociales. Elle a été prémunie contre la restauration de la féodalité et des corporations par la supériorité de son mode de production. Le pouvoir ne pouvait que seconder ou entraver le développement capitaliste ; les forces productives, fondées sur la propriété privée et la concurrence, travaillaient pour leur propre compte. Au contraire, les rapports de propriété établis par la révolution socialiste sont indissolublement liés au nouvel Etat qui en est le porteur. La prédominance des tendances socialistes sur les tendances petites-bourgeoises est assurée non par l’automatisme économique — nous en sommes encore loin — mais par la puissance politique de la dictature. Le caractère de l’économie dépend donc entièrement de celui du pouvoir.

La chute du régime soviétique amènerait infailliblement celle de l’économie planifiée et, dès lors, la liquidation de la propriété étatisée. Le lien obligé entre les trusts et entre les usines au sein des trusts se romprait. Les entreprises les plus favorisées seraient livrées à elles-mêmes. Elles pourraient devenir des sociétés par actions ou adopter toute autre forme transitoire de propriété telle que la participation des ouvriers aux bénéfices. Les kolkhozes se désagrègeraient également, plus facilement encore. La chute de la dictature bureaucratique actuelle sans son remplacement par un nouveau pouvoir socialiste annoncerait ainsi le retour au système capitaliste avec une baisse catastrophique de l’économie et de la culture.

Mais si le pouvoir socialiste est encore absolument nécessaire à la conservation et au développement de l’économie planifiée, la question de savoir sur qui s’appuie le pouvoir soviétique d’aujourd’hui et dans quelle mesure l’esprit socialiste de sa politique est assuré n’en est que plus sérieuse.

Lénine, parlant au XIe congrès du parti, comme s’il lui faisait ses adieux, disait à l’adresse des milieux dirigeants : "L’histoire connaît des transformations de toutes sortes ; il n’est pas sérieux du tout en politique de compter sur les convictions, le dévouement et les belles qualités de l’âme..." La condition détermine la conscience. En une quinzaine d’années, le pouvoir a modifié la composition sociale des milieux dirigeants plus profondément que ses idées. La bureaucratie étant, de toutes les couches de la société soviétique, celle qui a le mieux résolu sa propre question sociale, elle est pleinement satisfaite de ce qui est et cesse dès lors de donner quelque garantie morale que ce soit de l’orientation socialiste de sa politique. Elle continue à défendre la propriété étatisée par crainte du prolétariat. Cette crainte salutaire est nourrie et entretenue par le parti illégal des bolcheviks-léninistes, qui est l’expression la plus consciente du courant socialiste contre l’esprit de réaction bourgeoise dont est profondément pénétrée la bureaucratie thermidorienne. En tant que force politique consciente la bureaucratie a trahi la révolution. Mais la révolution victorieuse, fort heureusement, n’est pas seulement un programme, un drapeau, un ensemble d’institutions politiques, c’est aussi un système de rapports sociaux. Il ne suffit pas de la trahir, il faut encore la renverser. Ses dirigeants ont trahi la révolution d’Octobre, mais ne l’ont pas encore renversée. La révolution a une grande capacité de résistance, qui coïncide avec les nouveaux rapports de propriété, avec la force vive du prolétariat, avec la conscience de ses meilleurs éléments, avec la situation sans issue du capitalisme mondial, avec l’inéluctabilité de la révolution mondiale.
LA QUESTION DU CARACTERE SOCIAL DE L’U.R.S.S. N’EST PAS ENCORE TRANCHEE PAR L’HISTOIRE

Formulons, pour mieux comprendre le caractère social de l’U.R.S.S. d’aujourd’hui, deux hypothèses d’avenir. Supposons la bureaucratie soviétique chassée du pouvoir par un parti révolutionnaire ayant toutes les qualités du vieux bolchevisme et enrichi, en outre, de l’expérience mondiale de ces derniers temps. Ce parti commencerait par rétablir la démocratie dans les syndicats et les soviets. Il pourrait et devrait rétablir la liberté des partis soviétiques. Avec les masses, à la tête des masses, il procéderait à un nettoyage sans merci des services de l’Etat. Il abolirait les grades, les décorations, les privilèges et ne maintiendrait de l’inégalité dans la rétribution du travail que ce qui est nécessaire à l’économie et à l’Etat. Il donnerait à la jeunesse la possibilité de penser librement, d’apprendre, de critiquer, en un mot, de se former. Il introduirait de profondes modifications dans la répartition du revenu national, conformément à la volonté des masses ouvrières et paysannes. Il n’aurait pas à recourir à des mesures révolutionnaires en matière de propriété. Il continuerait et pousserait à fond l’expérience de l’économie planifiée. Après la révolution politique, après le renversement de la bureaucratie, le prolétariat aurait à accomplir dans l’économie de très importantes réformes, il n’aurait pas à faire une nouvelle révolution sociale.

Si, à l’inverse, un parti bourgeois renversait la caste soviétique dirigeante, il trouverait pas mal de serviteurs parmi les bureaucrates d’aujourd’hui, les techniciens, les directeurs, les secrétaires du parti, les dirigeants en général. Une épuration des services de l’Etat s’imposerait aussi dans ce cas ; mais la restauration bourgeoise aurait vraisemblablement moins de monde à jeter dehors qu’un parti révolutionnaire. L’objectif principal du nouveau pouvoir serait de rétablir la propriété privée des moyens de production. Il devrait avant tout donner aux kolkhozes faibles la possibilité de former de gros fermiers et transformer les kolkhozes riches en coopératives de production du type bourgeois, on en sociétés par actions. Dans l’industrie, la dénationalisation commencerait par les entreprises de l’industrie légère et de l’alimentation. Le plan se réduirait dans les premiers temps à des compromis entre le pouvoir et les "corporations", c’est-à-dire les capitaines de l’industrie soviétique, ses propriétaires potentiels, les anciens propriétaires émigrés et les capitalistes étrangers. Bien que la bureaucratie soviétique ait beaucoup fait pour la restauration bourgeoise, le nouveau régime serait obligé d’accomplir sur le terrain de la propriété et du mode de gestion non une réforme mais une véritable révolution.

Admettons cependant que ni le parti révolutionnaire ni le parti contre-révolutionnaire ne s’emparent du pouvoir. La bureaucratie demeure à la tête de l’Etat. L’évolution des rapports sociaux ne cesse pas. On ne peut certes pas penser que la bureaucratie abdiquera en faveur de l’égalité socialiste. Dès maintenant, elle a dû malgré les inconvénients évidents de cette opération, rétablir les grades et les décorations ; il faudra inévitablement qu’elle cherche appui par la suite dans des rapports de propriété. On objectera peut-être que peu importe au gros fonctionnaire les formes de propriété dont il tire ses revenus. C’est ignorer l’instabilité des droits du bureaucrate et le problème de sa descendance. Le culte tout récent de la famille soviétique n’est pas tombé du ciel. Les privilèges que l’on ne peut léguer à ses enfants perdent la moitié de leur valeur. Or, le droit de tester est inséparable du droit de propriété. Il ne suffit pas d’être directeur de trust il faut être actionnaire. La victoire de la bureaucratie dans ce secteur décisif en ferait une nouvelle classe possédante. Au contraire, la victoire du prolétariat sur la bureaucratie marquerait la renaissance de la révolution socialiste. La troisième hypothèse nous ramène ainsi aux deux premières, par lesquelles nous avions commencé pour plus de clarté et de simplicité.

Qualifier de transitoire ou d’intermédiaire le régime soviétique, c’est écarter les catégories sociales achevées comme le capitalisme (y compris le "Capitalisme d’Etat") et le socialisme. Mais cette définition est en elle-même tout à fait insuffisante et risque de suggérer l’idée fausse que la seule transition possible pour le régime soviétique actuel mène au socialisme. Un recul vers le capitalisme reste cependant parfaitement possible. Une définition plus complète sera nécessairement plus longue et plus lourde.

L’U.R.S.S. est une société intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme, dans laquelle : a)les forces productives sont encore trop insuffisantes pour donner à la propriété d’Etat un caractère socialiste ; b)le penchant à l’accumulation primitive, né du besoin, se manifeste à travers tous les pores de l’économie planifiée ; c)les normes de répartition, de nature bourgeoise, sont à la base de la différenciation sociale ; d)le développement économique, tout en améliorant lentement la condition des travailleurs, contribue à former rapidement une couche de privilégiés ; e)la bureaucratie, exploitant les antagonismes sociaux, est devenue une caste incontrôlée, étrangère au socialisme ; f)la révolution sociale, trahie par le parti gouvernant, vit encore dans les rapports de propriété et dans la conscience des travailleurs ; g)l’évolution des contradictions accumulées peut aboutir au socialisme ou rejeter la société vers le capitalisme ; h)la contre-révolution en marche vers le capitalisme devra briser la résistance des ouvriers ; i)les ouvriers marchant vers le socialisme devront renverser la bureaucratie. La question sera tranchée en définitive par la lutte de deux forces vives sur les terrains national et international.

Les doctrinaires ne seront naturellement pas satisfaits par une définition aussi vague. Ils voudraient des formules catégoriques ; oui et oui, non et non. Les questions de sociologie seraient bien plus simples Si les phénomènes sociaux avaient toujours des contours précis. Mais rien n’est plus dangereux que d’eliminer, en poursuivant la précision logique, les éléments qui contrarient dès maintenant nos schémas et peuvent demain les réfuter. Nous craignons par-dessus tout, dans notre analyse, de faire violence au dynamisme d’une formation sociale qui n’a pas de précédent et ne connaît pas d’analogue. La fin scientifique et politique que nous poursuivons nous interdit de donner une définition achevée d’un processus inachevé, elle nous impose d’observer toutes les phases du phénomène, d’en faire ressortir les tendances progressistes et réactionnaires, de révéler leur interaction, de prévoir les diverses variantes du développement ultérieur et de trouver dans cette prévision un point d’appui pour l’action.
Notes

[1] En 1959, les stations de tracteurs et machines ont été dissoutes, et ceux-ci vendus aux kolkhozes.

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