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Le récit de la Commune par Edmond de Goncourt

lundi 16 septembre 2013, par Robert Paris

Edmond de Goncourt, dans son Journal en 1871 pendant la Commune de Paris, montre toute sa haine du peuple travailleur après que le peuple parisien ait pris le pouvir à Paris :

« Un sentiment de fatigue d’être Français, et le désir vague d’aller chercher une patrie, là, où l’artiste ait sa pensée tranquille, et non à tout moment troublée par les stupides agitations, les convulsions bêtes d’une tourbe destructive. Bien décidément la République est une belle chimère de cervelles grandement pensantes, généreuses, désintéressées ; elle n’est pas praticable avec les mauvaises et les petites passions de la populace française. Chez elle : Liberté, Égalité, Fraternité, ne veulent dire qu’asservissement ou mort des classes supérieures. Quel renversement de toute prévision humaine ! Et comme Dieu semble rire et se moquer, dans sa grande barbe blanche de vieux sceptique, des opérations de la logique d’ici-bas ! Comment s’est-il fait que les bataillons de Belleville, si mous devant l’ennemi, si mous devant les bataillons de l’ordre du 30 octobre, ont-ils pu s’emparer de Paris ? Comment la garde nationale de la bourgeoisie, si décidée à se battre, il y a quelques jours, s’est-elle dissoute, sans tirer un coup de fusil ? Tout, dans ces jours, semble arriver à plaisir pour montrer le néant de l’expérience humaine. Les conséquences des choses et des événements mentent. Enfin, pour le moment, la France et Paris sont sous la main et la coupe de la populace, qui nous a donné un gouvernement, uniquement fabriqué avec ses hommes. Combien cela durera-t-il ? On ne sait. L’invraisemblable règne. Et tout éveillé, l’on marche avec le sentiment d’un dormeur en proie à un mauvais rêve, et qui sent qu’il rêve. A tout moment le battement précipité du rappel. L’aspect des groupes a changé ! L’irritation fermente. La parole s’exalte, les coups de fusil sont proches. Les bataillons bellevillais commencent à être engueulés sur le boulevard. On est entouré comme du clapotement d’une grande mer soulevée, qui va se déchaîner dans une tempête. Ce qui arrive est tout uniment la conquête de la France par la population ouvrière, et l’asservissement, sous son despotisme, du noble, du bourgeois, du paysan. Le gouvernement quitte les mains de ceux qui possèdent, pour aller aux mains de ceux qui ne possèdent pas, de ceux qui ont un intérêt matériel à la conservation de la société, à ceux qui sont complètement désintéressés d’ordre, de stabilité, de conservation. Après tout, peut-être dans la grande loi du changement des choses d’ici-bas, pour les sociétés modernes, les ouvriers sont-ils, comme je l’ai déjà dit, dans IDÉES ET SENSATIONS, ce qu’ont été les barbares, pour les sociétés anciennes, de convulsifs agents de destruction et de dissolution. Les triomphes désastreux de la République tiennent à ceci, à ceci seul : c’est qu’à chacun de ces avènements, la République présente à la société rebellée et prête à en venir aux coups, un rideau de messieurs, presque lavés, presque peignés, presque costumés en gens du monde. Il est vrai que ces messieurs rassurants, ces messieurs du nouveau pouvoir, ne gardent le pouvoir que juste le temps nécessaire pour livrer la société, désarmée par leurs bonnes mines, leurs douces paroles et leurs blanches cravates, à la bêtise et à la férocité des gens groupés derrière eux. Alors, il se trouve que les hommes, pour lesquels les gens du premier plan ont obtenu de la conciliation idiote, de la sensiblerie humanitaire, avec le respect religieux de leur sale peau, ces hommes épargnés, pardonnés, amnistiés, ne parlent que de fusiller et de guillotiner. Je constate tristement, que dans les révolutions actuelles, le peuple ne se bat plus pour un mot, un drapeau, un principe, une foi quelconque, faisant de la mort des hommes un sacrifice désintéressé. Je constate que l’amour de la patrie est un sentiment démodé. Je constate que les générations contemporaines ne s’insurrectionnent que pour la satisfaction d’intérêts matériels tout bruts, et que la ripaille et la gogaille ont seules, aujourd’hui, la puissance de leur faire donner héroïquement leur sang. Canonnade, vers les dix heures, dans la direction de Courbevoie. Bon, la guerre civile est commencée ! Ma foi, quand les choses en sont là, c’est préférable aux égorgements hypocrites… La canonnade s’éteint… Versailles est-il battu ?… Hélas ! si Versailles éprouve le plus petit échec, Versailles est perdu ! Quelqu’un qui vient me voir, me dit que d’après des paroles qu’il a saisies dans les groupes, il craint une défaite. Je pars de suite pour Paris. J’étudie la physionomie des gens, qui est comme le baromètre des événements dans les révolutions ; j’y trouve comme un contentement caché, une joie sournoise. Enfin un journal m’apprend que les Bellevillais ont été battus. La canonnade comme au temps des Prussiens. La canonnade tonnant, au petit jour, au Mont-Valérien, puis s’étendant dans la journée autour de Meudon, où Versailles a placé ses canons, dans les travaux de fortifications des Prussiens. Un tir incessant, dont la fumée se rabattant sur les maisons de la plaine, et les montrant toutes grises, fait du coteau, dans l’indécision et le vague, comme l’étagement d’une ville d’ardoise, d’où s’élanceraient des feux et des détonations de cratères… Je me réveille tout triste. L’horizon est muet. Est-ce que Versailles serait battu, et serions-nous à la discrétion des hommes de la Commune ? Heureusement que j’entends bientôt un bruit de mitrailleuses, bruit lointain, si lointain, que je ne sais pas bien si ce n’est pas un charroiement de rails de chemins de fer. Ce bruit devient plus distinct, et c’est bien vite comme un déchaînement du pétillement homicide. Pourquoi, dans les guerres civiles, les courages grandissent-ils, et pourquoi des gens qui n’auraient pas tenu devant les Prussiens, se font-ils tuer héroïquement par leurs concitoyens ? Je lis aux rayons de la lune une affiche de cannibale, qui, parlant « des assassinats des bandits de Versailles », proclame une loi de représailles, annoncée dans cette ligne significative : « œil pour œil, dent pour dent. » Si Versailles ne se dépêche pas, nous verrons la rage de la défaite se tourner en massacres, fusillades et autres gentillesses de ces doux amis de l’humanité. Versailles met de l’imprudence à ne pas frapper un grand coup. Les Parisiens, tenus dans l’ignorance de l’étendue de leurs défaites, par les mensonges officiels et semi-officiels, ne sont pas découragés. Ils commencent même, il faut l’avouer, à être pris par l’amusant de cette guerre ; derrière des remparts, comme à Issy, de cette guerre dans des maisons, comme à Neuilly. Les aberrations et les inventions de la cervelle de cette plèbe armée dépassent tout ce qu’on peut imaginer. En veut-on un exemple ? Ce matin, un innocent communard disait dans la villa : « A Versailles, ils fusillent tous les gardes nationaux, mais aujourd’hui, on change notre costume, on va nous donner l’uniforme de la troupe, et alors si les Versaillais continuaient, les puissances étrangères interviendraient ! » Une bonne affiche est celle qui met au compte de la société actuelle : la prostitution des femmes et l’inscription à la police des hommes. S’il y a des p… et même des mouchards, c’est la faute à la bourgeoisie ! Vendredi 7 avril : la sixième journée, qu’on se canonne, qu’on se fusille, qu’on se tue. Dans un coin, des groupes de femmes immobiles et idiotisées, disant qu’elles attendent, là, leurs maris, qu’on a forcé de marcher. En tout ce bas monde, un sentiment irraisonné rend Versailles responsable de tout le mal qu’a fait le Comité, — un sentiment très difficile à détruire, et qui fait regarder les Versaillais comme des Prussiens. Une affiche annonce que tout citoyen qui ne se sera pas fait inscrire, dans les vingt-quatre heures, sur les registres de la garde nationale, sera désarmé et arrêté, s’il y a lieu. Cette loi, jointe à celle sur les propriétaires, me semble un joli préambule de la Terreur. Quelqu’un vivant en contact avec les gouvernants de l’heure présente, et que je rencontre, me dit négligemment : « Il se pourrait bien que, cette nuit, on fusillât l’archevêque ! » En cette durée de la lutte, et dans le rien, qui peut donner la victoire à l’un ou à l’autre parti, on passe par des alternatives terribles de crainte ou d’espérance, avec tout ce qui s’annonce, tout ce qui se dit, tout ce qui s’imprime, tout ce qui ment. l semble planer sur Paris de mauvaises nouvelles. Les journaux annoncent un échec des Versaillais à Asnières. Un rien d’animation seulement autour du passage Jouffroy. Je reviens, voyant aux portes et aux fenêtres, tous les habitants des quais, les yeux dirigés vers Issy. La canonnade est effroyable. Un bruit comme si le ciel s’écroulait. De la fenêtre de la chambre de mon frère, de Bicêtre au plateau de Châtillon, c’est une ligne d’éclairs, et comme le tir régulier et mécanique d’une mitrailleuse de canons, large comme l’horizon. Cela dure deux heures, mêlé au crépitement de la fusillade, et coupé à la fin d’effrayants silences, au milieu desquels s’élève le gémissement d’un petit chien de la maison voisine, épouvanté de ce long tonnerre. En me réveillant ce matin, je vois le fort d’Issy, que je croyais pris, je le vois avec son drapeau rouge. Les troupes de Versailles ont donc été repoussées ? Pourquoi cet acharnement dans la défense, que n’ont pas rencontré des Prussiens ? Parce que l’idée de la Patrie est en train de mourir ! Parce que la formule « les peuples sont des frères », a fait son chemin, même en ce temps d’invasion et de cruelle défaite. Parce que les doctrines d’indifférence de l’Internationale, au point de vue de la nationalité, ont filtré dans les masses. Pourquoi encore cet acharnement dans la défense ? C’est que, dans cette guerre, le peuple fait, lui-même, la cuisine de sa guerre, la mène lui-même, n’est pas sous le joug du militarisme. Cela amuse ces hommes, les intéresse. Alors, rien ne les fatigue, rien ne les décourage, rien ne les rebute. On obtient tout d’eux, — même d’être héroïques. Vraiment, la cervelle humaine est dans ce moment détraquée, comme le reste. Il y a entre autres de prétendues idées fortes, qui font dire aux plus intelligents des bêtises grosses comme des maisons. Mon ami, aux opinions sang de bœuf, soutenait, ce soir, que tout doit s’incliner devant l’instinct des masses. Les instinctifs, — c’est ainsi qu’il les appelle, — sans conscience du sentiment qui les mène, doivent commander une obéissance, qui n’est pas due à la science, à la connaissance, à l’étude, à la réflexion. C’est vraiment une déclaration de droits en faveur de l’inintelligence, un peu trop énorme. Au fond, il n’y a pas à se le dissimuler, les choses vont bien lentement, si elles ne vont pas mal. Voici deux ou trois tentatives qui n’ont pas réussi contre Vanves et Issy, et les fédérés semblent passer de la défensive à l’offensive, du côté d’Asnières. Une affiche blanche appelle les citoyens à faire des barricades dans le premier et le vingtième arrondissement. On offre quatre francs de paye par jour aux barricadeurs… Une affiche rose invite les citoyens à s’emparer des quarante milliards, appartenant aux impérialistes. Et comme si le signataire de cette affiche trouvait cette somme assez minime pour les appétits de la populace, il établit qu’il y a un groupe de 7 500 000 ménages, ne possédant que dix milliards, tandis qu’il y a un autre groupe de 450 000 ménages de financiers et de gros industriels possédant quatre cents milliards, acquis bien certainement par de la canaillerie. Cette affiche, c’est le fin fond du programme secret de la Commune ! Et ne vois-je pas déjà ses hommes assis, avec leurs épouses, sur mon boulevard, et disant tout haut, en regardant nos villas : « Quand la Commune sera fondée, nous serons joliment bien, là dedans ! » Un tragique épisode de ces temps-ci. En tête de la rue Saint-Antoine, ébauches de barricades, ancien système. Et à tout moment, le retour d’une garde nationale harassée, ou le départ des compagnies, portant leurs victuailles dans des mouchoirs, attachés à leurs baïonnettes. Des compagnies composées de vieillards en cheveux blancs, et de garçonnets qui semblent des enfants. J’en vois un, porteur d’un long fusil, dont la mine gamine fait retourner les passants, dans un mouvement de pitié. Groupe d’ouvriers qui causent en tête des Champs-Elysées. Toute la causerie est sur la cherté de la vie, et l’orateur du groupe conte qu’il a eu un père qui tournait la meule : « Il ne gagnait que cinquante sous par jour, dit-il, et cependant il a pu nourrir trois enfants, tandis que moi qui gagnais cinq francs sous l’Empire, j’ai eu toutes les peines à en nourrir deux. » La hausse des salaires ne correspondant pas au surenchérissement de la vie ; voilà au fond le grand et le juste grief de l’ouvrier contre la société actuelle… Ici je me rappelle que mon frère et moi, avons écrit quelque part que la disproportion entre le salaire et la cherté de la vie tuerait l’Empire… Et l’ouvrier ajoute : « Qu’est-ce que ça me fait à moi, qu’il y ait des monuments, des opéras, des cafés-concerts, où je n’ai jamais mis le pied, parce que je n’avais pas d’argent. » Et il se réjouit de ce qu’il n’y aura plus, dorénavant, de gens riches à Paris, persuadé qu’il est, que la réunion des gens riches, en un endroit, y fait monter la vie. Cet ouvrier est à la fois stupide et plein de bon sens. La VÉRITÉ annonce, que demain ou après-demain, doit paraître à l’OFFICIEL, une loi en vertu de laquelle sera enrôlé et condamné à marcher contre les Versaillais, tout homme marié, ou non marié, de dix-neuf à cinquante-cinq ans. Me voilà sous la menace de cette loi. Me voilà, dans quelques jours, obligé de me cacher, comme au temps de la Terreur. Le passage est encore libre, à la rigueur, mais je n’ai pas la volonté de m’en aller. Quelle partialité dans les hommes de parti ! Dire que j’entendais, ces jours-ci, des Français déclarer qu’ils préféreraient l’occupation prussienne à l’occupation versaillaise ! Ce sont les mêmes hommes qui s’indignent contre les émigrés. Ceux-ci, cependant, avaient, pour appeler l’étranger à leur aide, les circonstances atténuantes de la confiscation de leurs propriétés, et du cou coupé de leurs femmes, de leurs sœurs, de leurs filles. Les survivants au bombardement, à la menace de la mort à toute minute, ont quelque chose de l’apparence des somnambules, faisant des actions dans le sommeil et la nuit. Il y en a qui portent sur eux la résignation du fatalisme. La foule, qui vague dans cette destruction, est coléreuse. Et devant le spectacle de cette dévastation, un petit vieux, dont les yeux semblent deux jets de gaz, parle de supplices effroyables à infliger à Thiers, avec des mouvements de mains assassines, qui ont devant lui des contractions d’étrangleur. Des corbillards qui vont chercher des morts, parcourent le boulevard, ornés de leurs huit drapeaux rouges flottant au vent, et enveloppant dans leurs plis sinistres, les trognes macabres des cochers. Oui, je persiste à le croire, la Commune périra, pour n’avoir pas donné satisfaction au sentiment qui fait sa puissance incontestable. Les franchises municipales, l’autonomie de la Commune, etc., etc. : tout le nuage métaphysique dans lequel elle se tient, propre à satisfaire quelques idéologues de cabaret, n’est pas cela qui lui donne une action sur les masses. Sa force lui vient absolument de la conscience, que le peuple a d’avoir été incomplètement et incapablement défendu par le gouvernement de la Défense nationale. Si donc la Commune, au lieu de se montrer plus complaisante aux exigences prussiennes que Versailles lui-même, avait rompu le traité qu’elle reproche à l’Assemblée, si elle avait déclaré la guerre à la Prusse, dans une folie furieuse de l’héroïsme, M. Thiers était dans l’impossibilité de commencer son attaque, il ne pouvait travailler à la reddition de Paris avec le concours de l’étranger. Maintenant, si la résistance avait été énergique, si deux ou trois petits succès de rien avaient inauguré cette tentative — dira-t-on impossible — savez-vous ce qui serait arrivé ? M. Thiers, pas plus que ses généraux, n’eût été maître de ce mouvement, et tout le pays aurait été entraîné dans une reprise à outrance de la guerre. En tous cas, la mort de la Commune, dans ces conditions, eût été une grande mort, une mort qui eût fait faire un rude chemin aux idées, qu’elle abritait sous son drapeau. En lisant la CONFESSION D’UN ENFANT DU SIÈCLE, je suis frappé de l’action que certains livres exercent sur certains hommes, et comme ces hommes, chez lesquels le père n’a pas imprimé une marque de fabrique, sortent tout entiers des entrailles d’un bouquin. Toute la méchanceté trouble de ce livre, je l’ai sentie, je l’ai touchée chez quelques jeunes gens, mais encore accrue, développée, mise en pratique fielleuse par une basse naissance. Alors je me demandais curieusement, si ces jeunes tiraient tout cela de leur propre fonds. Aujourd’hui je m’aperçois que cette méchanceté n’était qu’un plagiat, un plagiat littéraire, qui, avec l’aide de détestables instincts, est devenu à la fin un tempérament. En sorte que l’Octave de la fiction a vraiment fait, comme dans une matrice humaine, des tas de petits Octaves, en chair et en os. Fatigué du spectacle de la rue, de la vue des gardes nationaux toujours saouls, de la canaille en plein épanouissement, je me sauve au Jardin des Plantes. Thiers et Dufaure, en repoussant la conciliation, sont parfaitement logiques. Que dire des journalistes demandant, dans une colonne, la conciliation avec des gens, contre lesquels, dans une autre colonne, ils réclament l’application de tel ou tel article du Code pénal. Du reste, la guerre civile fait grandement les choses. Ce soir, canons et mitrailleuses ne s’interrompent pas une minute. Dans le ciel pluvieux, au-dessus des ormes sans feuilles des Champs-Elysées, dans la direction des Ternes, se déroule un grand nuage rouge, que colorent, d’un feu renaissant, trois incendies dévorant des maisons. Sous l’impression lugubre, dans les groupes noirs, les femmes maudissent les Prussiens de Versailles ; des orateurs parlent, avec des cuirs et des larmes dans la voix, de l’exploitation de l’ouvrier ; et des ivrognes crient : A bas les voleurs ! en regardant les bourgeois dans le nez. L’avachissement, l’indifférence de cette population vivant sous la main de cette canaille triomphante, m’exaspère. Je ne puis, sans entrer en rage, la voir continuer, sa vie badaudante. Que de ce vil troupeau d’hommes et de femmes, il ne sorte pas une indignation, une colère qui atteste le sens dessus dessous des choses humaines et divines ! Non, Paris a tout simplement l’aspect d’un Paris, au mois d’août, par une année très chaude. Oh ! les Parisiens de maintenant, on leur violerait leurs femmes entre les bras… on leur ferait pis, on leur prendrait leur bourse dans la poche, qu’ils seraient ce qu’ils sont, les plus lâches êtres moraux que j’aie vus. Ce soir, dans les groupes, les communards se montrent pleins d’ironie à l’endroit de la charité. Ils rejettent théoriquement, avec dédain, les secours des bureaux de bienfaisance. L’un proclame que la société doit des rentes à tous les hommes, en vertu de l’aphorisme : « Je vis, donc je dois exister ! » Et le refrain général est : « Nous ne voulons plus de riches ! » Il y a incontestablement un enragement parmi la population parisienne. Je vois aujourd’hui une femme, qui n’est pas du peuple, qui a un âge vénérable, une bourgeoise mûre enfin, je la vois donner, sans provocation, un soufflet à un homme qui se permettait de lui dire : « de laisser en paix les Versaillais. » Je pénètre, ce soir, à Saint-Eustache, où a lieu l’ouverture d’un club. Au banc d’œuvre, entre deux lampes est un verre d’eau sucré, entouré de quatre ou cinq silhouettes d’avocats. Dans les bas côtés, debout ou sur des chaises, un public de curieux amenés, par la nouveauté du spectacle. Rien de sacrilège dans l’attitude de ces hommes, dont beaucoup, en entrant, portent instinctivement la main à leur casquette, et ne la laissent qu’à la vue des chapeaux qui sont sur les têtes. Non, ce n’est point la profanation de Notre-Dame, en 93, ce ne sont point encore les harengs, grillés sur les patènes, seulement une forte odeur d’ail monte sous les voûtes sacrées. La sonnette, la sonnette au tintement argentin de la messe, annonce que la séance est ouverte. A ce moment surgit dans la chaire, une barbe blanche, qui, après s’être gargarisé avec quelques phrases puritaines, demande à l’assemblée de voter la proposition suivante : « Les membres de l’Assemblée nationale, et aussi bien Louis Blanc, Schœlcher, que les autres, les membres de l’Assemblée nationale, ainsi que les autres fonctionnaires, sont déclarés responsables, sur leur fortune privée, de tous les malheurs de cette guerre, et tout autant pour ceux qui périssent du côté de Versailles, que du côté de Paris. En sorte, dit-il, en entrant dans des explications, qu’un représentant de province sera très désagréablement surpris, quand le paysan, chez lequel on aura rapporté le corps de son fils, viendra lui réclamer, sur sa fortune, la pension qui lui est due. » La proposition mise aux voix n’est pas votée, je ne sais par quel empêchement. A la barbe blanche succède un pantalon gris-perle qui déclare d’une voix rageuse, que pour vaincre, il n’y a que la terreur. Il réclame, celui-là, l’installation d’un troisième pouvoir, d’un tribunal révolutionnaire, avec la roulée immédiate sur la place publique de la tête des traîtres. La proposition est frénétiquement applaudie par une claque, groupée sur les chaises autour de la chaire. Un troisième prédicateur, qui a toute la phraséologie de 93, apprend qu’on a trouvé 10 000 bouteilles de vin chez les calotins du séminaire de Saint-Sulpice, et demande que des perquisitions soient faites chez les bourgeois, où doivent être cachés de grands approvisionnements. Ici — je veux être impartial — monte à la tribune un membre de la Commune, en costume de la garde nationale, et qui parle bonhommement, carrément. Tout d’abord, il affiche son mépris pour les phrases ronflantes, avec lesquelles on se fait une popularité facile, et déclare que le décret du Mont-de-Piété, dont le précédent orateur avait demandé l’extension, n’a pas été étendu au delà des objets de 20 francs, parce qu’il ne s’agit pas de prendre, sans savoir comment on payera. Il ajoute que le Mont-de-Piété est une propriété privée ; qu’il faut pouvoir être sûr de lui rembourser, ce dont on le dépossède, que la Commune n’est pas un gouvernement de spoliation, qu’il est nécessaire qu’on le sache bien, et que ce sont les maladresses d’orateurs pareils à celui qui l’a précédé, qui répandent dans le public l’idée, que les hommes de la Commune sont des partageux, et que tout individu qui a quatre sous, sera obligé d’en donner deux. Puis parlant des hommes de 93, que, selon son expression, on leur jette sans cesse entre les jambes, il déclare que ces hommes n’ont trouvé devant eux que l’action militaire, mais que s’ils avaient eu à résoudre les énormes et difficiles problèmes du temps présent, ces fameux hommes de 93 n’auraient peut-être pas été plus adroits, que les hommes de 1871. Et là-dessus il lance un assez beau et assez brave : « Qu’est-ce ça me fait que nous soyons victorieux de Versailles, si nous ne trouvons pas la solution du problème social, si l’ouvrier demeure dans les mêmes conditions ! » On dit, autour de moi, que l’orateur s’appelle Jacques Durand. La maison de Thiers n’est pas encore démolie, mais déjà le drapeau rouge flotte au-dessus du petit cadre bleu, où se trouve le fameux numéro 27. La place est occupée militairement par des Vengeurs de la Patrie, de blêmes voyous, un ramassis de cette crapuleuse enfance de Paris, dont le métier est d’ouvrir les portières aux théâtres du boulevard du Crime. La démolition de l’hôtel Thiers est commencée, et le toit mis à jour laisse voir les voliges de bois blanc d’une économique construction. Au fond, cette attaque à la propriété, la plus significative qui soit, fait un excellent mauvais effet. Lamentable, le spectacle de tout ce quartier, où l’on traque les réfractaires, et où l’on voit les sbires nationaux se lancer, la baïonnette en avant, sur les pas d’un adolescent, qui fuit, et cherche à leur échapper avec ses jeunes jambes. Tout ce qui reste encore à Paris de population, se tient au bas des Champs-Elysées, où le rire joliment bruyant des enfants, assis devant le guignol, monte parfois sur le grondement de la canonnade lointaine. La brute nationale commence à entrer en fureur. Je vois un de ces ignobles gardes nationaux, faisant d’office le métier d’agent de police, vouloir entraîner de force un homme qui n’est pas de son avis. Il ne parle rien moins que de « l’emballer pour l’École-Militaire et de le faire fusiller ». Il faut entendre les gens des groupes pour avoir une idée de la bêtise incommensurable du peuple le plus intelligent de la terre. Et il y a encore une chose plus triste que la bêtise : c’est que dans tout ce qui se dit, tout ce qui se crie, tout ce qui se gueule, vous ne touchez qu’une idiote envie, un désir homicide de ravalement. Toujours l’attente de l’assaut, de la délivrance qui ne vient pas. On ne peut se figurer la souffrance qu’on éprouve, au milieu du despotisme sur le pavé, de cette racaille déguisée en soldats. Cette garde nationale ! elle ne mérite vraiment ni clémence ni merci. Aujourd’hui, ce qui reste de la Commune, du Comité de Salut Public, serait remplacé par dix forçats bien avérés, bien connus d’elle, qu’elle exécuterait servilement, et sans une protestation, leurs décrets de bagne. Nous sommes perdus, du moment où l’OFFICIEL, écrit si révolutionnairement mal, a des phrases comme celle-ci : « Une rétrogradation effroyable dans toutes les orgies du royalisme. » Cette littérature m’annonce que nous sommes au bord des massacres. En ce moment apparaît une escouade d’ouvriers, qui ont reçu l’ordre de barrer le boulevard à la hauteur de la rue Vivienne, et de faire une barricade sous nos fenêtres. Ils n’ont pas grand cœur à la chose. Les uns dérangent deux ou trois pavés de la chaussée, les autres donnent, comme par acquit de conscience, une dizaine de coups de pioche dans l’asphalte du trottoir. Mais presque aussitôt, devant les balles qui enfilent le boulevard, et leur passent sur la tête, ils abandonnent l’ouvrage. Nous les voyons, Burty et moi, disparaître par la rue Vivienne avec un soupir de soulagement. Nous pensions tous deux aux gardes nationaux, qui allaient monter dans la maison et tirailler aux fenêtres, au milieu de nos collections, mêlées et confondues, sous leurs pieds. Alors une troupe nombreuse de gardes nationaux se repliant avec leurs officiers, lentement et en bon ordre. D’autres venant après, qui marchent d’un pas plus pressé. D’autres, enfin, se bousculant dans une débandade, au milieu de laquelle on voit un mort, à la tête ensanglantée, que quatre hommes portent par les bras et les jambes, à la façon d’un paquet de linge sale, le menant de porte en porte, qui ne s’ouvrent pas. Malgré cette retraite, ces abandons, ces fuites, la résistance est encore très longue à la barricade Drouot. La fusillade n’y décesse pas. Peu à peu, cependant, le feu baisse d’intensité. Ce ne sont bientôt plus que des coups isolés. Enfin, deux ou trois derniers crépitements, et presque aussitôt nous voyons fuir la dernière bande des défenseurs de la barricade, quatre ou cinq garçonnets d’une quinzaine d’années, dont j’entends l’un dire : « Je rentrerai un des derniers ! » La barricade est prise. Les Versaillais se répandent en ligne sur la chaussée, et ouvrent un feu terrible dans la direction du boulevard Montmartre. Dans l’encaissement des deux hautes façades de pierre enfermant le boulevard, les chassepots tonnent comme des canons. Les balles éraflent la maison, et ce ne sont aux fenêtres que sifflements, ressemblant au bruit que fait de la soie qu’on déchire. Toute l’avenue est remplie d’une foule confuse, entre deux lignes de cavaliers. Aussitôt descendu, je suis avec les gens qui courent. Ce sont les prisonniers qui viennent d’être faits aux Buttes Chaumont, et qui marchent, cinq par cinq, avec quelques rares femmes au milieu d’eux. « Ils sont six mille ; cinq cents ont été fusillés dans le premier moment ! » me dit un cavalier de l’escorte. Malgré l’horreur qu’on a pour ces hommes, le spectacle est douloureux de ce lugubre défilé, au milieu duquel, on entrevoit des déserteurs, portant leurs tuniques retournées, avec leurs poches de toiles grises ballantes autour d’eux, et qui semblent déjà à demi déshabillés pour la fusillade. Soudain, je vois la foule se mettre à courir, comme une foule chargée, un jour d’émeute. Des cavaliers apparaissent, menaçants, le sabre au poing, faisant cabrer leurs chevaux, dont les ruades rejettent les promeneurs de la chaussée sur les trottoirs. Au milieu d’eux s’avance une troupe d’hommes, en tête desquels marche un individu à la barbe noire, au front bandé d’un mouchoir. J’en remarque un autre, que ses deux voisins soutiennent sous les bras, comme s’il n’avait pas la force de marcher. Ces hommes ont une pâleur particulière, avec un regard vague qui m’est resté dans la mémoire. J’entends une femme s’écrier, en se sauvant : « Quel malheur pour moi d’être venue jusqu’ici ! » A côté de moi, un placide bourgeois compte un, deux, trois… Ils sont vingt-six. L’escorte fait marcher ces hommes au pas de course, jusqu’à la caserne Lobau, où la porte se renferme sur tous, avec une violence, une précipitation étranges.
Je ne comprenais pas encore, mais j’avais en moi une anxiété indéfinissable. Mon bourgeois, qui venait de compter, dit alors à son voisin :
— Ça ne va pas être long, vous allez bientôt entendre le premier roulement.
— Quel roulement ?
— Eh bien, on va les fusiller !
Presque au même instant, fait explosion, comme un bruit violent enfermé dans des murs, une fusillade ayant quelque chose de la mécanique réglée d’une mitrailleuse. Il y a un premier, un second, un troisième, un quatrième, un cinquième rrara homicide — puis un grand intervalle — et encore un sixième, et encore deux roulements précipités l’un sur l’autre. Ce bruit ne semble jamais finir. Enfin ça se tait. Chez tous, il y a un soulagement, et l’on respire, quand éclate un coup fracassant qui remue, sur ses gonds ébranlés, la porte disjointe de la caserne, puis un autre, puis enfin le dernier. Ce sont, dit-on, les coups de grâce donnés par un sergent de ville à ceux qui ne sont pas morts. A ce moment, ainsi qu’une troupe d’hommes ivres, sort de la porte le peloton d’exécution, avec du sang au bout de quelques-unes de ses baïonnettes. Et pendant que deux fourgons fermés entrent dans la cour, se glisse dehors un ecclésiastique, dont on voit, un certain temps, le long du mur extérieur de la caserne, le dos maigre, le parapluie, les jambes molles à marcher. Je lis, affichée sur les murs, la proclamation de Mac-Mahon, annonçant que tout était fini hier, à quatre heures. Ah ! ce monsieur Thiers est, il me semble, un sauveur de société, à bien courte échéance. Il s’imagine sauver la France actuelle, avec du dilatoire, de la temporisation, de l’habileté, de la filouterie politique, de petits moyens pris sur la mesure de sa petite taille. Non, c’est avec l’audace des grandes mesures, avec un remaniement d’institutions, que la France, si elle ne doit pas mourir, pourra vivre. Flaubert me parle encore de cette ambassade chinoise, tombée au milieu de notre siège et de notre Commune, dans notre cataclysme, et à laquelle on disait, en s’excusant :
— « Ça doit bien vous étonner ce qui se passe ici dans le moment ? »
— « Mais non, mais non… vous êtes jeunes, vous les Occidentaux… vous n’avez presque pas d’histoire… mais c’est toujours comme ça… et le siège et la Commune : c’est l’histoire normale de l’humanité. »

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  • Qui était Edmond de Goncourt ?

    Flaubert a croqué les deux frères Goncourt dans « Bouvard et Pécuchet » et on ne peut qu’engager à relire ce roman pour mieux les comprendre… voir ici

    Son journal révèle un Edmond de Goncourt antisémite, antirépublicain, antifemmes et antipopulaire violent…

    « Il n’y a que deux grands courants dans l’histoire de l’humanité : la bassesse qui fait les conservateurs et l’envie qui fait les révolutionnaires. »

    de Edmond et Jules de Goncourt

    « La sauvagerie est nécessaire tous les quatre ou cinq cents ans, pour retremper le monde. Le monde mourrait de civilisation. Quand les estomacs sont pleins et que les hommes ne peuvent plus baiser, il leur tombe des bougres de six pieds, du Nord. Maintenant qu’il n’y a plus de sauvages, ce sont les ouvriers qui feront cet ouvrage-là dans une cinquantaine d’années. On appellera cela la Révolution sociale. » (Edmond de Goncourt : Journal - 1855)
    C’est bien restreint le nombre de femmes qui ne méritent pas d’être enfermées dans une maison de fous. Au fond la femme, et la femme la plus intelligente du monde, n’a pas plus d’idées à elle que les enfants intelligents : elle n’est que le gracieux perroquet des imaginations, des pensées, des paroles de l’homme, et le joli petit singe de ses goûts et de ses manies. »

    (Goncourt : Journal )

    Et aussi l’antisémitisme exacerbé…

    « Le Juif parle des choses sales d’une manière plus cochonne que les autres races : il a dans ses paroles, l’expression de son visage, la tombée de sa bouche, quelque chose de l’entremetteur ». (Edmond de Goncourt in Journal 13 février 1889)
    « … les Juifs, les Juifs seuls, sont capables d’actes d’une lâcheté inqualifiable et comme aucun chrétien n’est susceptible d’en commettre. » (Edmond de Goncourt in Journal 21 mars 1876).
    Songe-t-on qu’au jour d’aujourd’hui, nous avons soixante-huit préfets et sous-préfets juifs et que cette prépotence de la race dans l’administration française n’est rien auprès de l’influence occulte des petits conseillers sémitiques, en permanence dans chaque cabinet de chacun de nos ministres ? Et dire que nous devons le bienfait de cette domination judaïque au grand Français Gambetta, que, sur le souvenir de son physique, je continue à croire un Juif ? »

    (Edmond de Goncourt in Journal 4 octobre 1889)

    « Si dans cinquante ans vous ne nous avez pas pendus, il ne vous restera plus de quoi acheter la corde pour le faire. » (Journal des Goncourt, 28 décembre 1880)
    Par mes contacts avec les Juifs de chez Bing et d’ailleurs je sens que les Juifs n’aiment pas les natures propres, droites, franches, et que leurs secrètes tendresses sont pour les êtres troubles, louches, douteux, et je sens combien ils se trouvent plus à l’aise avec un Burty qu’avec un Goncourt. (Edmond de Goncourt in Journal 1er juin 1890)
    A propos du juif qui, pendant la guerre, avait demandé à être décoré, et avait offert pour ce, de verser 30 000 francs, à la souscription de chaussures, lancée par Thiers, quelqu’un disait ce soir, que le caractère de la race juive diffère absolument du caractère de la race aryenne, en ce que chez cette race, toute chose au monde a une évaluation en argent. Or, pour le juif, la croix c’est telle somme, l’amour d’une femme du monde c’est telle somme, une vieille savate, c’est telle autre somme. Ainsi dans une cervelle sémite tout est tarifé : choses honorifiques, choses de coeur, choses quelconques. »

    (Journal des Goncourt, 1er mai 1893)

    « Chez les Sémites, le cerveau ne se développe que jusqu’à 25 ans ; chez les Aryens, le développement dépasserait de beaucoup cet âge. Cette particularité du cerveau s’appellerait : le mur. »

    (Journal des Goncourt, 3 octobre 1893)

    « Quant aux dessins à la plume, représentant des types juifs, Tissot nous les montre portraiturés dans la vérité du type juif autochtone, et donnant très exactement ces grands nez courbes, ces sourcils broussailleux, ces barbes en éventail, ces regards précautionneux soulevant de lourdes paupières, et les pensées calculatrices, et les jovialités mauvaises, et la perfide cautèle, sous la bouffisssure de graisse de ces faces. »

    (Journal des Goncourt, 18 juin 1894)

  • Comparons Goncourt à Victor Hugo qui n’a rien d"un communard et écrit à la même époque :

    « Je suis pour la Commune en principe, et contre la Commune dans l’application.
    Certes le droit de Paris est patent. Paris est une commune, la plus nécessaire de toutes, comme la plus illustre. Paris commune est la résultante de la France république. Comment ! Londres est une commune, et Paris n’en serait pas une ! Londres, sous l’oligarchie, existe, et Paris, sous la démocratie, n’existerait pas ! La cité de Londres a de tels droits qu’elle arrête tout net devant sa porte le roi d’Angleterre. A Temple-Bar le roi finit et le peuple commence. La porte se ferme, et le roi n’entre qu’en payant l’amende. La monarchie respecte Londres, et la république violerait Paris ! Énoncer de telles choses suffit ; n’insistons pas. Paris est de droit commune, comme la France est de droit république, comme je suis de droit citoyen. La vraie définition de la république, la voici : moi souverain de moi.
    C’est ce qui fait qu’elle ne dépend pas d’un vote. Elle est de droit naturel, et le droit naturel ne se met pas aux voix. Or une ville a un moi comme un individu ; et Paris, parmi toutes les villes, a un moi suprême. C’est ce moi suprême qui s’affirme par la Commune.
    L’Assemblée n’a pas plus la faculté d’ôter à Paris la Commune que la Commune n’a la faculté d’ôter à la France l’Assemblée.
    Donc aucun des deux termes ne pouvant exclure l’autre, il s’ensuit cette nécessité rigoureuse, absolue, logique : s’entendre.
    Le moi national prend cette forme, la république ; le moi local prend cette forme, la commune ; le moi individuel prend cette forme, la liberté.
    Mon moi n’est complet et je ne suis citoyen qu’à cette triple condition : la liberté dans ma personne, la commune dans mon domicile, la république dans ma patrie.
    Est-ce clair ?
    Le droit de Paris de se déclarer Commune est incontestable.
    Mais à côté du droit, il y a l’opportunité.
    Ici apparaît la vraie question.
    Faire éclater un conflit à une pareille heure ! la guerre civile après la guerre étrangère ! Ne pas même attendre que les ennemis soient partis ! amuser la nation victorieuse du suicide de la nation vaincue ! donner à la Prusse, à cet empire, à cet empereur, ce spectacle, un cirque de bêtes s’entre-dévorant, et que ce cirque soit la France !
    En dehors de toute appréciation politique, et avant d’examiner qui a tort et qui a raison, c’est là le crime du 18 mars. Le moment choisi est épouvantable.
    Mais ce moment a-t-il été choisi ?
    Choisi par qui ?
    Qui a fait le 18 mars ?
    Examinons.
    Est-ce la Commune ?
    Non. Elle n’existait pas.
    Est-ce le comité central ?
    Non. Il a saisi l’occasion, il ne l’a pas créée.
    Qui donc a fait le 18 mars ?
    C’est l’Assemblée ; ou pour mieux dire la majorité.
    Circonstance atténuante : elle ne l’a pas fait exprès.
    La majorité et son gouvernement voulaient simplement enlever les canons de Montmartre. Petit motif pour un si grand risque.
    Soit. Enlever les canons de Montmartre.
    C’était l’idée ; comment s’y est-on pris ?
    Adroitement.
    Montmartre dort. On envoie la nuit des soldats saisir les canons. Les canons pris, on s’aperçoit qu’il faut les emmener. Pour cela il faut des chevaux. Combien ? Mille. Mille chevaux ! où les trouver ? On n’a pas songé à cela. Que faire ? On les envoie chercher, le temps passe, le jour vient, Montmartre se réveille ; le peuple accourt et veut ses canons ; il commençait à n’y plus songer, mais puisqu’on les lui prend il les réclame ; les soldats cèdent, les canons sont repris, une insurrection éclate, une révolution commence. Qui a fait cela ?
    Le gouvernement, sans le vouloir et sans le savoir.
    Cet innocent est bien coupable.
    Si l’Assemblée eût laissé Montmartre tranquille, Montmartre n’eût pas soulevé Paris. Il n’y aurait pas eu de 18 mars.
    Ajoutons ceci : les généraux Clément Thomas et Lecomte vivraient.
    J’énonce les faits simplement, avec la froideur historique.
    Quant à la Commune, comme elle contient un principe, elle se fût produite plus tard, à son heure, les prussiens partis. Au lieu de mal venir, elle fût bien venue.
    Au lieu d’être une catastrophe, elle eût été un bienfait.
    Dans tout ceci à qui la faute ? au gouvernement de la majorité.
    Être le coupable, cela devrait rendre indulgent.
    Eh bien, non.
    Si l’Assemblée de Bordeaux eût écouté ceux qui lui conseillaient de rentrer à Paris, et notamment la haute et intègre éloquence de Louis Blanc, rien de ce que nous voyons ne serait arrivé, il n’y eût pas eu de 18 mars.
    Du reste, je ne veux pas aggraver le tort de la majorité royaliste.
    On pourrait presque dire : c’est sa faute, et ce n’est pas sa faute.
    Qu’est-ce que la situation actuelle ? un effrayant malentendu.
    Il est presque impossible de s’entendre. »

  • Après la défaite de la Commune, le massacre des communards...

    Alors que des pays comme la Belgique refuse de les accueillir, Hugo prend partie pour qu’on les protège des persécutions :

    « Cet asile, que le gouvernement belge refuse aux vaincus, je l’offre.
    Où ? en Belgique.
    Je fais à la Belgique cet honneur.
    J’offre l’asile à Bruxelles.
    J’offre l’asile place des Barricades, n° 4.
    Qu’un vaincu de Paris, qu’un homme de la réunion dite Commune, que Paris a fort peu élue et que, pour ma part, je n’ai jamais approuvée, qu’un de ces hommes, fût-il mon ennemi personnel, surtout s’il est mon ennemi personnel, frappe à ma porte, j’ouvre. Il est dans ma maison ; il est inviolable.
    Est-ce que, par hasard, je serais un étranger en Belgique ? je ne le crois pas. Je me sens le frère de tous les hommes et l’hôte de tous les peuples.
    Dans tous les cas, un fugitif de la Commune chez moi, ce sera un vaincu chez un proscrit ; le vaincu d’aujourd’hui chez le proscrit d’hier. Je n’hésite pas à le dire, deux choses vénérables.
    Une faiblesse protégeant l’autre.
    Si un homme est hors la loi, qu’il entre dans ma maison. Je défie qui que ce soit de l’en arracher.
    Je parle ici des hommes politiques.
    Si l’on vient chez moi prendre un fugitif de la Commune, on me prendra. Si on le livre, je le suivrai. Je partagerai sa sellette. Et, pour la défense du droit, on verra, à côté de l’homme de la Commune, qui est le vaincu de l’Assemblée de Versailles, l’homme de la République, qui a été le proscrit de Bonaparte.
    Je ferai mon devoir. Avant tout les principes. »

  • Des manifestants anticommunards attaquent alors le domicile d’Hugo :

    Dans cette nuit de samedi à dimanche, M. Victor Hugo, après avoir travaillé et écrit, venait de se coucher. La chambre qu’il occupe est située au premier étage et sur le devant de la maison. Elle n’a qu’une seule fenêtre, qui donne sur la place. M. Victor Hugo, s’éveillant et travaillant de bonne heure, a pour habitude de ne point baisser les persiennes de la fenêtre.
    « Il était minuit un quart, il venait de souffler sa bougie et il allait s’endormir. Tout à coup un coup de sonnette se fait entendre.
    M. Victor Hugo, réveillé à demi, écoute, croit à une erreur d’un passant et se recouche. Nouveau coup de sonnette, plus fort que le premier. M. Victor Hugo se lève, passe une robe de chambre, va à la fenêtre, l’ouvre et demande : Qui est là ? Une voix répond : Dombrowski.
    M. Victor Hugo, encore presque endormi, et ne distinguant rien dans les ténèbres, songe à l’asile offert par lui le matin même aux fugitifs, pense qu’il est possible que Dombrowski n’ait pas été fusillé et vienne en effet lui demander un asile, et se retourne pour descendre et ouvrir sa porte. En ce moment, une grosse pierre, assez mal dirigée, vient frapper la muraille à côté de la fenêtre. M. Victor Hugo comprend alors, se penche à la fenêtre ouverte, et aperçoit une foule d’hommes, une cinquantaine au moins, rangés devant sa maison et adossés à la grille du square. Il élève la voix et dit à cette foule :
    Vous êtes des misérables ! Puis il referme la fenêtre. Au moment où il la refermait, un fragment de pavé, qui est encore aujourd’hui dans sa chambre, crève la vitre à un pouce au-dessus de sa tête, y fait un large trou et roule à ses pieds en le couvrant d’éclats de verre, qui, par un hasard étrange, ne l’ont pas blessé. En même temps, dans la bande groupée au-dessous de la fenêtre, ces cris éclatent : A mort Victor Hugo ! A bas Victor Hugo ! A bas Jean Valjean ! A bas lord Clancharlie ! A bas le brigand !
    « Cette explosion violente avait réveillé la maison. Deux femmes sorties précipitamment de leurs lits, l’une, la maîtresse de la maison, M’me veuve Charles Hugo, l’autre la bonne des deux petits enfants, Mariette Léclanche, entrent dans la chambre.- Père, qu’y a-t-il ? demande M’me Charles Hugo. Qu’est-ce que cela ? M. Victor Hugo répond : Ce n’est rien ; cela me fait l’effet d’être des assassins.
    Puis il ajoute : Soyez tranquilles, rentrez dans vos chambres, il est impossible que d’ici à quelques instants une ronde de police ne passe pas, et cette bande prendra la fuite. Et il rentre lui-même, accompagné de M’me Charles Hugo, et suivi de Mariette, dans la nursery, chambre d’enfants contiguë à la sienne, mais située sur l’arrière de la maison, et ayant vue sur le jardin.
    « Mariette, cependant, venait de rentrer dans la chambre de son maître, afin de voir ce qui se passait. Elle s’approcha de la fenêtre, fut aperçue, et immédiatement une troisième pierre, dirigée sur cette femme, creva la vitre et arracha les rideaux.
    « A partir de ce moment, une grêle de projectiles tomba furieusement sur la fenêtre et sur la façade de la maison. On entendait distinctement les cris : A mort Victor Hugo ! A la potence ! A la lanterne le brigand ! D’autres cris moins intelligibles se faisaient entendre : A Cayenne ! A Mazas ! Toutes ces clameurs étaient dominées par celle-ci : Enfonçons la porte ! M. Victor Hugo, en rentrant chez lui, avait simplement repoussé la porte qui n’était fermée qu’au loquet. On entendait distinctement des efforts pour crocheter ce loquet. Mariette descendit et ferma la porte au verrou.
    « Ceci avait duré environ vingt-cinq minutes. Tout à coup le silence se fit, les pierres cessèrent de pleuvoir et les clameurs se turent. On se hasarda à regarder dans la place ; on n’y vit plus personne. M. Victor Hugo dit alors à M’me Charles Hugo : C’est fini ; ils auront vu quelque patrouille arriver, et les voilà partis. Couchez-vous tranquillement.
    « Il alla se recoucher lui-même, quand la vitre brisée éclata de nouveau et vint tomber jusque sur son lit, avec une grosse pierre que l’agent de police venu plus tard y a vue. L’assaut venait de recommencer. Les cris : A mort ! étaient plus furieux que jamais. De l’étage supérieur on regarda dans la place, et l’on vit une quinzaine d’hommes, vingt tout au plus, dont quelques-uns portaient des seaux probablement remplis de pierres. La pluie de pierres sur la façade de la maison ne discontinuait plus, et la fenêtre en était criblée. Nul moyen de rester dans la chambre. Des coups violents retentissaient contre la porte. Il est probable qu’un essai fut tenté pour arracher la grille de fer du soupirail qui est au-dessus de la porte. Un pavé lancé contre cette grille ne réussit qu’à briser la vitre.
    « Les deux petits enfants, âgés l’un de deux ans et demi, l’autre de vingt mois, venaient de s’éveiller et poussaient des cris. Les deux autres servantes de la maison s’étaient levées et l’on songea au moyen de fuir. Cela était impossible. La maison de M. Victor Hugo n’a qu’une issue, la porte sur la place. Mme Charles Hugo monta, au péril de sa vie, sur le châssis de la serre du jardin, et, tandis que les vitres se cassaient sous ses pieds, parvint, en s’accrochant au mur, à proximité d’une fenêtre de la maison voisine. Elle cria au secours et les trois femmes épouvantées crièrent avec elle : Au secours ! au feu !
    M. Victor Hugo gardait le silence. Les enfants pleuraient. La petite fille Jeanne est malade. L’assaut frénétique continuait. Aucune fenêtre ne s’ouvrit, personne dans la place n’entendit ou ne parut entendre ces cris de femmes désespérées. Cela s’est expliqué plus tard par l’épouvante qui, à ce qu’il paraît, était générale. Tout à coup on entendit le cri : Enfonçons la porte ! et, chose qui parut en ce moment singulière, le silence se fit :
    « M. Victor Hugo pensa de nouveau que tout était fini, engagea M’me Charles Hugo à se calmer, et pendant que deux des servantes se mettaient en prière, il prit sa petite-fille malade dans ses bras.
    Et comme dix minutes de silence environ s’étaient écoulées, il crut pouvoir rentrer dans sa chambre. En ce moment-là un caillou aigu et tranchant, lancé avec force, s’abattit dans la chambre, et passa près de la tête de l’enfant. L’assaut recommençait pour la troisième fois.
    Le troisième effort fut le plus forcené de tous. Un essai d’escalade parvint presque à réussir. Des mains s’efforcèrent d’arracher les volets du salon au rez-de-chaussée. Ces volets revêtus de fer à l’extérieur, et barrés de fer à l’intérieur, résistèrent. Les traces de cette escalade sont visibles sur la muraille et ont été constatées par la police. Les cris : A la potence ! A la lanterne Victor Hugo ! étaient poussés avec plus de rage que jamais. Un moment, en voyant la porte battue et les volets escaladés, le vieillard qui était dans la maison avec quatre femmes et deux petits enfants et sans armes, put croire que le danger, si la maison était forcée, pourrait s’étendre jusqu’à eux. Cependant la porte avait résisté, les volets restaient inébranlables, on n’avait pas d’échelles, et le jour parut. Le jour sauva cette maison. La bande comprit sans doute que des actes de ce genre sont essentiellement nocturnes, et, devant la clarté qui allait se faire, elle s’en alla. Il était deux heures un quart du matin.
    L’assaut, commencé à minuit et demi, interrompu par deux intervalles d’environ dix minutes chacun, avait duré près de deux heures.

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