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Politique et morale

samedi 12 octobre 2013, par Robert Paris

Marx dans « Le Manifeste communiste » :

« Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de toutes les conditions sociales, cette insécurité et cette agitation perpétuelles distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Toutes les institutions traditionnelles et figées, avec leur cortège d’idées admises et de croyances vénérées, se dissolvent ; celles qui les remplacent deviennent caduques avant d’avoir pu s’ossifier. Tous les usages, anciens et nouveaux, se volatilisent, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés, enfin, de regarder d’un œil désabusé leurs positions dans la vie et leurs relations sociales... Les conditions d’existence de la vieille société sont déjà détruites dans les conditions d’existence du prolétariat. Le prolétaire est sans propriété ; ses relations avec sa femme et ses enfants n’ont plus rien de commun avec celles de la famille bourgeoise ; le travail industriel moderne, l’asservissement de l’ouvrier au capital, aussi bien en Angleterre qu’en France, en Amérique qu’en Allemagne, dépouillent le prolétaire de tout caractère national. Les lois, la morale, la religion sont à ses yeux autant de préjugés bourgeois derrière lesquels se cachent autant d’intérêts bourgeois. »

Marx dans « La sainte famille » :

« Voilà comme sont les moralistes, dit Fourier. Il faut être millionnaire pour pouvoir imiter leurs héros. La morale, c’est « l’impuissance mise en action ». Toutes les fois qu’elle s’attaque à un vice, elle a le dessous… Elle ne s’élève même pas au point de vue de la morale autonome, qui repose du moins sur la conscience de la dignité humaine. Sa morale repose, au contraire, sur la conscience de la faiblesse humaine. Il est la morale théologique. Les exploits qu’il accomplit avec ses idées fixes, ses idées chrétiennes, celles qui lui servent à jauger le monde : la « charité », le « dévouement », l’« abnégation », le « repentir », les « bons » et les « méchants », la « récompense » et la « punition », les « châtiments terribles », l’ « isolement », le « salut de l’âme », etc… »

Engels dans « l’Antidühring » :

« L’art d’écrire avec des gloses morales,… des coups de bâtons comme moyens de torture et pénalités, appartient encore entièrement à l’époque pré-révolutionnaire. »

Trotsky dans « Leur morale et la nôtre » :

« On voit, dans les époques de réaction triomphante, MM. les démocrates, sociaux-démocrates, anarchistes et autres représentants de la gauche, sécréter de la morale en quantité double, de même que les gens transpirent davantage quand ils ont peur. Répétant à leur façon les dix commandements ou le sermon sur la montagne, ces moralistes s’adressent moins à la réaction triomphante qu’aux révolutionnaires traqués, dont les "excès" et les principes "amoraux" "provoquent" la réaction et lui fournissent une justification morale. Il y aurait cependant un moyen élémentaire, mais sûr, d’éviter la réaction : l’effort intérieur, la renaissance morale. Des échantillons de perfection éthique sont distribués gratuitement dans toutes les rédactions intéressées. Cette prédication aussi ampoulée que fausse a sa base sociale — de classe — dans la petite bourgeoisie intellectuelle. Sa base politique est dans l’impuissance et le désarroi devant la réaction. Base psychologique : le désir de surmonter sa propre inconsistance en se mettant une fausse barbe de prophète. »

Politique et morale

Le monde actuel est pétri de discours moralisateurs et pourtant il commet tous ses crimes sans beaucoup s’en préoccuper. Les hommes politiques sont des spécialistes de l’hypocrisie morale. Ne vient-on pas de voir un pays, l’Italie, pratiquer un jour de deuil pour les victimes d’un naufrage au large de Lampedusa alors que chacun sait que les polices italiennes des côtes sont chargées de faire échouer toutes les tentatives d’aborder par voie maritime. Ce n’est pas la première fois que des réfugiés meurent dans les flots parce qu’ils n’ont pas été secourus par les gardes côtes et sociétés privées chargées de les empêcher d’aborder. Les autorités ont toujours refusé aux associations de défense l’accès aux documents concernant les appels à l’aide et les secours…

Les discours moralisateurs, les bouches des politiciens et des classes dirigeantes en sont pleins mais ce ne sont que des mensonges. On peut même dire que plus ils ont de tels discours plus ils mentent…

Le système capitaliste qui a longtemps dominé le monde ne s’est jamais réellement préoccupé d’aucune sorte de morale. Sa loi est celle du profit. La loi des Etats qui le soutiennent est celle du pouvoir qui n’a rien à voir avec aucune morale humaine. Nous ne le leur reprochons même pas car cela n’aurait aucun sens. Appliquer un discours moralisateur au capitalisme et à ses institutions ne servirait qu’à cacher la réalité de leur fonctionnement qu’il ne s’agit pas juger mais de critiquer par... la révolution sociale.

Les dirigeants religieux, eux aussi, sont des spécialistes des discours moraux qu’ils se gardent bien d’appliquer…

Le monde n’est pas sans règles mais celles-ci n’ont rien de commun avec une morale du bien et du mal. Les gouvernants et les classes dirigeantes changent d’alliés, de soutiens, de discours en fonction de leurs intérêts eux-mêmes changeants et non pas au nom de principes inébranlables. Les leçons de morale, ils les réservent pour le bon peuple qu’il faut traiter comme des enfants…

Ainsi, ils disent à la population qu’elle ne devrait pas trop s’endetter, qu’elle exagère en vivant au dessus de ses moyens, que les Grecs ont abusé mais les Etats et les classes dirigeantes sont les premiers à faire fonctionner leurs économies sur la base de dettes folles…

Le grand public, cependant, raffole des discours moraux aux quatre coins de la planète. Un discours d’un président américain qui n’aurait pas ce type de déclamations sentimentalo-religieuse serait très mal reçu. Quand un pape a ce type de tonalité, son discours est apprécié de son public. Quand un chef d’Etat tient un discours sur le travail comme seule véritable valeur, les bonnes gens sont bien contents alors que c’est du pipeau : la véritable valeur qui a cours dans ce monde, la seule respectée y compris par ce chef d’Etat, est celle du capital.

Et, justement au moment où la société distribue des quantités de richesses sans rapport avec de la valeur créée par le travail humain, elle prétend que la seule valeur… morale est le travail !

Tout cela ne gène pas les moralistes qui prétendent justement que c’est cela qui doit changer et qu’il faut moraliser le système. A la suite de l’effondrement de 2007-2008, ils ont prétendu que la leçon était tirée et qu’ils allaient enfin donner une base morale au système. Quelle baliverne ! Comme si cela était possible. Comme ci cela avait un sens.

Partout dans le monde, sous toutes les latitudes, sous toutes les sortes de régimes, de gouvernement, de sortes de croyances religieuses et de traditions, on retrouve le fait que le discours moralisateur est là pour cacher aux yeux des peuples les réalités du fonctionnement du système dominant et de ses rouages. Mais qu’on soit sous la morale bouddhiste ou sous celle de l’Islam, le fonctionnement du capitalisme est exactement le même...

Le rôle de l’Etat est lui-même décrit en termes moraux. Le fonctionnement économique l’est également. Les relations humaines, sociales, l’éducation, l’ordre public le sont également. Or, dans tous ces domaines, la morale est le cadet des soucis de ceux qui dirigent la société.

Certains politiciens prétendent justement qu’il convient de les dénoncer et de les livrer à la vindicte publique au nom de la morale. Mais c’est encore des balivernes. Même si le grand public s’indigne, croit à ces discours, que ce soient ceux des politiciens classiques, ceux de l’extrême-droite, ceux des intégristes, ces discours sont mensongers et cachent d’autres objectifs sociaux et politiques. Et ce sont toujours des objectifs de politiques contre les peuples travailleurs.

La politique prétendue moralisatrice a toujours un objectif : cacher les lois de la lutte des classes et les oppositions réelles entre le peuple travailleur et les classes dirigeantes, opposition qui se situe sur le terrain réel et pas sur celui de la morale.

Est-ce que cela signifie que les hommes ne devraient avoir aucune règle morale, que les travailleurs, individuellement ou collectivement, n’en ont aucune, que les révolutionnaires et le parti du prolétariat révolutionnaire n’en ont aucune ?

Non ! Cela signifie d’abord que nous ne prétendons pas moraliser les classes dirigeantes et leurs Etats. Cela signifie que nous considérons l’exploitation et l’oppression comme un constat de lois objectives nécessaires, indispensables même, à une société donnée. Nous refusons tous les discours selon lesquels il faudrait que le capitalisme soit réglée par des lois morales.

On nous dit ainsi qu’il faudrait contrôler la spéculation, les paradis fiscaux, les dettes exagérées, les financiers, les banques, les trusts, les ententes illicites, les détournements de fonds, les circuits cachés, les délits d’initiés, les profits fondés sur la surexploitation, sur le travail des enfants, sur la drogue, sur la prostitution, sur le blanchiment d’argent sale, etc…

Mais le capitalisme sera toujours fondé sur tout cela. Un tel discours n’est qu’un mensonge pour naïfs…

Une classe peut se donner des règles mais ces règles ne seront certainement pas les mêmes que celles d’une classe aux intérêts complètement inverses comme c’est le cas du prolétariat et de la bourgeoisie. Faire semblant qu’un pays, qu’une religion, qu’un peuple, qu’un Etat peut à la fois obéir à la morale des capitalistes et à celle du peuple travailleurs, c’est travestir la réalité.

On est accoutumés à entendre les partis de la gauche, de la gauche de la gauche et même d’une certaine extrême gauche commenter l’actualité en termes moralisateurs. Cela a un petit air dénonciateur et, pourtant, c’est cacher les lois réelles de la société…

En politique, l’indignation purement morale qui se refuse à dévoiler les rouages réels du monde n’est qu’un camouflage mensonger. On reçoit tellement cela tous les jours qu’on n’est même pas étonnés…

Cependant, le résultat d’un tel discours, c’est qu’on ne se pose même plus de question sur les véritables intérêts qui se nichent dans les faits que l’on prétend dénoncer avec une grande indignation morale.

Par exemple, on reçoit une tonne de documents qui dénoncent le génocide des Juifs sans jamais se poser la question : quel intérêt avaient les classes dirigeantes à faire un tel massacre ?

On dénonce moralement le nazisme ou le fascisme sans jamais se demander ce qui y mène dans la réalité de la société.

On dénonce moralement les financiers qui ont provoqué la crise de 2007 sans demander pourquoi le système en est arrivé là et ce que cela signifie pour sa pérennité.

On dénonce telle ou telle guerre au nom de la morale mais on la justifie aussi au nom d’une autre morale. Dans les deux cas, on ment. Les Etats ne se lancent jamais dans des guerres au nom de principes moraux ni contre des principes moraux…

Faire de la politique d’un point de vue révolutionnaire, ce n’est pas agiter le bon peuple avec de simples dénonciations au nom de la morale que croit soutenir le peuple travailleur.

C’est, au contraire, étudier les conditions objectives de l’exploitation, du fonctionnement du système comme on étudierait un système physique ou chimique ou encore biologique ou animal…

Qui songerait, en étudiant les chacals, s’indigner des manières brutales et sanglantes de ceux-ci ? Qui penserait à faire un discours sur la morale à propos des serpents qui se planquent dans les lianes pour piquer et tuer des enfants de passage dans la savane africaine ?

Quel intérêt cela peut-il avoir de prétendre opposer une morale humaine à propos de l’Etat et des classes dirigeantes ? Sinon de faire croire que le système social et économique serait fondé sur les buts humains ! De faire croire aussi que l’Etat obéirait à des buts humains ! Alors que l’on a en face de soi une machine complètement détachée des objectifs de simples individus. Une banque, un trust, une armée, ce ne sont pas simplement des hommes. Ce sont des machines…

Dénoncer les capitalistes qui s’enrichissent pendant que les peuples subissent l’austérité, c’est aussi ridicule que de dénoncer des crocodiles qui enlèvent des enfants au bord des fleuves et les noient avant de les manger…

Dire que « ce n’est pas normal » est le propre de ceux qui ne comptent pas agir mais seulement se plaindre…

Bien sûr, nous pouvons être solidaires des peuples qui subissent des exactions et comprendre leurs plaintes. Mais quand celles-ci les mènent à se tourner vers des ennemis politiques et sociaux qui sont capables de lancer tout haut leurs plaintes, nous devons les démasquer.

Quel sens cela peut-il avoir de dénoncer tel ou tel acte réprouvable des classes dirigeantes sans en expliquer le sens réel ? Cela a le sens de l’opportunisme consistant à ne pas trop se heurter aux préjugés dominants imposés par les mêmes classes dirigeantes. Bien sûr, l’opinion dominante, y compris parmi les opprimés et les exploités, est presque toujours celle imposée par les classes dirigeantes. Mais, justement, tout ce qui caractérise fondamentalement des révolutionnaires est de ne pas y céder, même sous le prétexte d’être compris des travailleurs, de tenir compte de leur niveau de conscience, etc…

Devons-nous dire que les crocodiles capitalistes ne devraient pas se comporter ainsi, que ce n’est pas normal, que ce n’est pas juste ? Non, cela n’a aucun sens, à part celui de tromper, de cacher les raisons qui poussent ces classes dirigeantes à agir ainsi. Et elles ont des raisons réelles de le faire, qui ne sont pas les raisons d’abandon de règles morales…

L’extrême gauche n’est parfois pas la dernière à développer un discours moralisateur en politique. Tel fait, telle politique, telle exploitation n’est pas normal. Ah bon ! Où est cette norme ? Quand a-t-elle été appliquée sous le capitalisme ou sous un autre système social ?

Pourquoi ne pas chercher, au contraire, en fonction de quels critères objectifs de tels actes sont non seulement normaux mais logiques, nécessaires, indispensables aux classes dirigeantes ?

Le fait qu’un acte apparaisse très étonnant n’est-il pas, au contraire, important pour la compréhension ? Dès qu’un acte de grande importance semble étrange, n’est-il pas fondamental pour une compréhension d’ensemble du système, en politique comme en sciences ?

Par exemple, l’Etat français dit démocratique organiser au sommet le génocide rwandais. Voilà un acte étonnant. Ne doit-il pas être analysé au-delà de la simple condamnation des décisions de Mitterrand et de son gouvernement de cohabitation ? Dire que c’est un crime de l’Etat français, est-ce bien suffisant ? N’est-ce pas un camouflage des vrais raisons de cet acte ? Suffit-il de parler de logique coloniale ou de concurrence avec les intérêts anglo-américains ?

Le rôle des révolutionnaires n’est certainement pas de dire « cela est scandaleux », « cela n’est pas normal », « ce n’est pas juste » mais d’analyser, au-delà de ce que tout le monde voit, les raisons de cet acte, son caractère rationnel qui n’apparaît pas à première vue, son caractère nécessaire, indispensable même aux classes dirigeantes. C’est seulement sur de telles bases qu’une politique raisonnée des exploités peut être conçue.

Analyser la situation économique, sociale et politique de manière objective est indispensable pour développer une politique des exploités dans le sens de leur rôle de transformation historique du monde. Pleurnicher, protester, dénoncer n’est bon que pour quémander, faire du réformisme, faire croire à des arrangements par des biais syndicaux ou politiciens, en votant bien ou en protestant gentiment…

Les lois du capitalisme existent. Elles déterminent toutes les politiques des classes dirigeantes et des Etats, bien au-delà des volontés individuels ou des intérêts particuliers de tel ou tel capitaliste, de tel ou tel trust ou banque. Et bien au-delà des croyances, morales ou pas, de tel ou tel peuple. Il y a belle lurette que le capitalisme a franchi toutes les barrières idéologiques que l’on prétendait lui mettre en travers. Les règles réelles du capital se moquent bien des traditions, des croyances, des morales locales des pays et régions qu’il traverse. Il a inondé la planète en renversant sans difficulté ces limites imaginaires. Le capitalisme n’est pas pour ou contre la morale protestante, catholique, bouddhiste, juive ou islamique. Il n’est pas pour ou contre la dictature politique, la démocratie, la royauté ou la république. Il s’accommode très bien de tout cela selon les circonstances. Ce qui l’occupe c’est la conservation des bases du système à savoir la propriété privée du capital sur les moyens de production et le monopole de la direction politique de la société dont l’Etat. Cela, il le défend dans le sang s’il le faut. Par la tromperie si cela suffit…

Ce que les Etats défendent religieusement ce ne sont pas des morales religieuses mais les intérêts de la classe capitaliste. Et cela même n’est pas à dénoncer mais à analyser, à comprendre. Ce n’est pas l’indignation seule qui, un beau jour, mènera à la révolution sociale. Non, ce sont les contradictions internes des classes dirigeantes et du fonctionnement de leur système qui donnent les bases d’un effondrement du système et des révolutions qui en découlent.

Faire croire qu’en changeant l’opinion publique des démunis, par la dénonciation sociale, on prépare la révolution sociale, c’est aussi erroné que se défendre contre les lions en les dénonçant plutôt qu’en s’armant !

Bien sûr, les peuples croient se défendre à l’aide de leurs critères moraux et ils meurent parfois en croyant défendre leurs traditions, leurs religions, leurs conceptions mystiques. Mais, comme le dit l’adage, on croit mourir pour la patrie, on meurt pour les banquiers et les capitalistes.

La tromperie consiste à faire croire que la crise du monde actuel serait morale, qu’elle dévoilerait un manque de foi, un manque de respect, un manque de moralité des mœurs, un manque de religiosité, et autres balivernes.

Une autre tromperie consiste à faire croire que c’est un manque de solidarité, un manque d’humanité, de charité, de sens des intérêts collectifs des êtres humains, de bonnes et belles pensées en somme… On le voit par exemple dans le slogan du PCF : « L’humain d’abord », slogan que pourrait très bien reprendre le pape tant il est trompeur !

Tout cela provient d’une tromperie fondamentale selon laquelle tous les êtres humains sont individuellement responsables de tout ce que fait cette société et que celle-ci serait une somme de comportements individuels et d’opinions individuelles. De même, on essaie de nous faire croire que les actes des gouvernants sont autant de comportements et de choix purement individuels alors qu’en réalité, c’est une machine inhumaine, l’Etat, qui dicte ces actes…

Fondamentalement, réprouver moralement les actes des classes dirigeantes et de leurs serviteurs étatiques, c’est faire croire qu’ils auraient pu faire autre chose, que ce ne sont pas des nécessités sociales et politiques qui les guident et qu’on pourrait influer sur ces choix, simplement en les dénonçant à l’opinion publique qui, prétend-on, aurait le pouvoir de faire pression sur les choix de classe des possédants. C’est quasiment l’inverse de ce que des révolutionnaires communistes souhaitent développer comme conscience de classe…

Le rôle des révolutionnaires n’est pas d’indigner les peuples travailleurs. Les actes des classes dirigeantes s’en chargent.

Leur rôle consiste à rendre conscients les rouages du système, ce qui est très différent et beaucoup moins apparent.

Encore une fois cela n’a rien à voir avec le fait que pour eux-mêmes les individus, révolutionnaires ou pas, aient une morale dans leur propre comportement, que les classes elles-mêmes en aient un. Mais ce n’est pas une morale qui transcende les classes….

Non ! Nous ne prétendons nullement nous opposer aux classes dirigeantes sur les bases d’un moralisme prolétarien ni révolutionnaire. Il est beaucoup plus juste, et du coup efficace, de le faire clairement au nom des oppositions réelles entre les intérêts économiques, sociaux et politiques, des perspectives réelles, des prolétaires et des capitalistes.

Tous les prétendus débats moraux entre les systèmes socialiste et capitaliste ne font qu’embrouiller la question. La validité historique du socialisme provient d’ailleurs : de la limite qu’impose la propriété privée des moyens de production au développement des capacités de l’homme, limite qui a amené le système, parvenu à son plus haut niveau de capitalisation historique, à l’effondrement de 2007 dont il n’est pas sorti ni ne sortira.

Que l’opinion ouvrière ou populaire n’intègre pas de tels critères ne les empêche pas d’être des critères scientifiques d’étude du système et des bases indispensables pour concevoir et défendre une politique révolutionnaire. Le capitalisme ne s’effondre pas parce qu’il est trop méchant, trop injuste, en fonction de critères humains, mais parce qu’il bloque en fonction de ses propres critère, l’accroissement du profit…

Est-ce que les règles du droit, de la justice, de la morale, du respect de principes abstraits et purement idéologiques ont jamais dicté l’évolution des sociétés humaines ? Jamais ! Ces conceptions n’ont fait que masquer aux yeux des hommes la réalité du monde où ils vivaient.

Est-ce qu’il suffit de souligner que les actions des classes dirigeantes sont nuisibles à la majorité de la population, à commencer par les prolétaires, pour faire œuvre de révolutionnaires, de communistes ? Absolument pas ! Tel n’était nullement l’orientation qu’a initiée Karl Marx. Son ouvrage « Le Capital » n’a aucun caractère de simple dénonciation morale. Quand Marx parle des critères moraux abstraits des sociétés pré-capitalistes foulés aux pieds par la société bourgeoise, dans son « Manifeste communiste », loin de s’en plaindre il s’en félicite, se réjouissant que le caractère de classe des intérêts des possédants soient ainsi plus ouvertement défendus et plus faciles à dévoiler et à combattre. Loin de regretter les illusions paternalistes, humanistes, tribales, féodales, mystiques et religieuses, Marx félicite la capitalisme de les avoir balayés par l’intérêt matériel sordide des propriétaires de capitaux…

Cela permet à la classe exploitée de remplacer les objectifs imaginaires des utopistes par l’analyse des forces motrices économiques et sociales de la société. Ce qui a constitué la force dynamique du capital, c’est la nécessité de développer la propriété privée des moyens de production par le grand capital. Ce qui constitue son blocage actuel, c’est la limitation dans le cadre de cette propriété privée des capacités de capitaliser avec profit. C’est le mur auquel se heurte aujourd’hui le capitalisme. C’est cela qui fonde l’avenir du socialisme, de la propriété collective des moyens de production.

Croire que c’est en dénonçant le fait que les capitalistes s’enrichissent pendant que les pauvres subissent austérité et licenciements qu’on défend les intérêts des travailleurs et des milieux populaires, c’est au mieux confondre les aspirations des travailleurs avec leur rôle historique. C’est le plus souvent se fonder sur leurs illusions réformistes en espérant ainsi renforcer les luttes sociales comme si on pouvait réellement les renforcer sans renforcer en même temps la conscience des objectifs sociaux et l’organisation de classe nécessaire en fonction de ces objectifs.

Etre révolutionnaire, c’est préparer les travailleurs aux conditions de la lutte révolutionnaire de demain et pas les pousser à lutter aveuglément en semant des illusions sur les luttes réformistes comme si le simple accroissement quantitatif des luttes réformistes allaient faire avancer les révolutions sociales.

Pour les révolutionnaires, est fondamentale le précepte de Hegel selon lequel « la liberté est la conscience de la nécessité ».

Cela signifie que la transformation sociale n’est pas déterminée par les seules aspirations des opprimés mais d’abord par les conditions objectives définies par les contradictions de la domination des classes dirigeantes.

Ces dernières sont arrivées à un stade où la défense de la plus-value fondée sur l’exploitation du travail les amène à détruire l’exploitation du travail humain lui-même, au stade où la défense de la propriété privée des moyens de production les amène à détruire cette propriété privée (et même à détruire ces moyens de production).

Ce sont ces conditions historiques qui doivent guider les prolétaires pour conditionner le niveau de leur action, de leur organisation et de leurs tâches politiques et sociales.

Prendre conscience de cette situation nouvelle est la tâche des révolutionnaires communistes et il faut réaliser qu’ils doivent, pour cela, combattre l’ancienne conscience prolétarienne réformiste et donc se confronter aux travailleurs eux-mêmes et aux militants ouvriers.

S’en tenir aux considérations de l’indignation morale, c’est se détourner, inconsciemment ou par calcul, de cette tâche essentielle des révolutionnaires communistes.

L’étude des conditions de la libération de toute exploitation et de toute oppression, telle est la tâche particulière qu’assignait Marx aux communistes révolutionnaires. Ils ne défendaient pas ainsi une utopie mais une conception scientifique fondée sur l’étude des lois de la transformation sociale. Pas en vue de ce qui devrait être normalement, pas de ce qui serait juste, pas ce qui serait humainement souhaitable, pas de ce qui est moralement justifié, pas de ce qui est bon pour la majorité de la population, mais ce qui est nécessaire en fonction des lois de la transformation historique et sociale….

Quand un groupe d’extrême gauche bascule dans le moralisme, n’hésitez pas à qualifier ce qui lui arrive : il se détourne de l’audace révolutionnaire et est gagné par le prétendu réalisme, le pragmatisme, l’opportunisme, les petits calculs de groupe, l’adaptation aux conditions momentanées de la lutte et se détourne des objectifs historiques du prolétariat révolutionnaire….

Trotsky et le prétendu amoralisme des révolutionnaires

Moralistes et sycophantes
contre le Marxisme

Messages

  • Mélenchon : notre politique, l"humain d ’abord, est un acte de résistance morale.

  • « La morale est la faiblesse de la cervelle. »

    Une saison en Enfer, Arthur Rimbaud

  • « Dès l’instant où la propriété privée des objets mobiliers s’était développée, il fallait bien que toutes les sociétés où cette propriété privée prévalait eussent en commun le commandement moral : tu ne voleras point. Est-ce que par là ce commandement devient un commandement moral éternel ? Nullement. Dans une société où les motifs de vol sont éliminés, où par conséquent, à la longue, les vols ne peuvent être commis que par des aliénés, comme on rirait du prédicateur de morale qui voudrait proclamer solennellement la vérité éternelle : Tu ne voleras point ! »

    Anti-Dühring, Friedrich Engels

  • « Les plus calomniés, ce sont toujours les révolutionnaires »

    LT

  • « La révolution est elle-même le produit de la société divisée en classes dont elle porte nécessairement les marques. Du point de vue des "vérités éternelles" la révolution est naturellement "immorale". Ce qui nous apprend seulement que la morale idéaliste est contre-révolutionnaire, c’est-à-dire au service des exploiteurs. "Mais la guerre civile, — dira peut-être le philosophe, pris de court — est une pénible exception. En temps de paix, un mouvement socialiste sain doit se passer de mensonge et de violence." Ce n’est que piteuse dérobade. Il n’y a pas de frontières infranchissables entre la pacifique lutte des classes et la révolution. Chaque grève contient en germe tous les éléments de la guerre civile. Les deux partis en présence s’efforcent de se donner mutuellement une idée exagérée de leur degré de résolution et de leurs ressources. Grâce à leur presse, à leurs agents et à leurs mouchards, les capitalistes cherchent à intimider et démoraliser les grévistes. Lorsque la persuasion se révèle inopérante, les piquets de grève sont, de leur côté, réduits à recourir à la force. On voit ainsi que "le mensonge et pire encore" sont inséparables de la lutte des classes dès sa forme embryonnaire. Il reste à ajouter que les notions de vérité et de mensonge sont nées des contradictions sociales. »

    Léon Trotsky, Leur morale et la nôtre

  • « Il ne manque pas, parmi les libéraux et les radicaux, de gens ayant assimilé les méthodes matérialistes de l’interprétation des événements et qui se considèrent comme marxistes, ce qui ne les empêche pas de demeurer des journalistes, des professeurs ou des hommes politiques bourgeois. Le bolchevik ne se conçoit pas, cela va sans dire, sans méthode matérialiste, en morale comme ailleurs. Mais cette méthode ne lui sert pas seulement à interpréter les événements, elle lui sert aussi à former le parti révolutionnaire du prolétariat, tâche qui ne peut être accomplie que dans une indépendance complète à l’égard de la bourgeoisie et de sa morale. »

    Trotsky, Leur morale et la nôtre

  • Vendredi, devant les pompiers, manuel Valls déclare : "Il y a une crise d’identité, avec le sentiment que la France n’est plus la France que certains connaissaient il y a quelques années. Et pourtant, il y a tant d’atouts". Dans la foulée, il dit vouloir s’engager pour "le redressement moral" du pays. Il précise : "Il y a aussi un problème moral : il faut retrouver des repères". Et, bien entendu, selon lui la crise actuelle est d’abord morale. Il faut d’abord redresser la population par une morale policière et des moeurs, sous-entendu contre la jeunesse des banlieue "qui ne respecte rien", contre la "civilisation musulmane", contre ceux qui ne s’adaptent pas à "nos valeurs". En somme, on se rapproche à grands pas du discours fasciste...

  • « La morale, c’est « l’impuissance mise en action ». »

    Marx, « La Sainte Famille »

    « C’est pourquoi nous repoussons toute prétention de nous imposer quelque dogmatisme moral que ce soit comme loi éthique éternelle, définitive, désormais immuable, sous le prétexte que le monde moral a lui aussi ses principes permanents qui sont au-dessus de l’histoire et des différences nationales. Nous affirmons, au contraire, que toute théorie morale du passé est, en dernière analyse, le produit de la situation économique de la société de son temps. Et de même que la société a évolué jusqu’ici dans des oppositions de classes, la morale a été constamment une morale de classe ; ou bien elle justifiait la domination et les intérêts de la classe dominante, ou bien elle représentait, dès que la classe opprimée devenait assez puissante, la révolte contre cette domination et les intérêts d’avenir des opprimés. »

    Engels, « Anti-Dühring »

  • La morale d’Aristote ? Un choix de classe !

    « Il est évident qu’il y a par nature des gens qui sont libres, d’autres qui sont esclaves et que, pour ces derniers, demeurer dans l’esclavage est à la fois bienfaisant et juste. »

    (Aristote, "Politique")

    Certains philosophes ne voient la politique que comme une morale :

    « La politique, espèce de morale d’un genre particulier et supérieur, à laquelle les principes de la morale ordinaire ne peuvent quelquefois s’accommoder qu’avec beaucoup de finesse. »

    Jean le Rond d’Alembert - 1717-1783 - Discours préliminaire à l’"Encyclopédie"

    Certains philosophes n’emploient la morale que comme remplacement de la religion :

    « Dieu n’est pas une substance extérieure mais une relation morale en nous. »

    Emmanuel Kant

    Mais la morale n’est pas indépendante des choix de société qui correspondent au mode de production et aux relations de classe :

    « En pays cannibale, le cannibalisme est moral. »

    Samuel Butler

  • Il y avait des politiciens en 2009 qui parlaient de « moraliser le capitalisme », et chacun d’essayer de comprendre ce que voulait dire véritablement cette phrase un peu étrange. Comme si le système capitaliste était pourvu d’une « morale ».

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