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Quelle relation entre crise du système et révolution ?

samedi 19 octobre 2013, par Robert Paris

Quelle relation entre crise du système et révolution ?

Pour les révolutionnaires, la révolution sociale ne découle pas simplement du fait que l’oppression n’est plus supportée par ses victimes mais du fait que les oppresseurs ne parviennent plus à faire fonctionner leur système d’oppression et d’exploitation. Tant que le système social n’a pas atteint ses propres limites, l’insurrection reste révolte et ne permet pas de parvenir à autre chose qu’à un changement politique. Les seules révolutions sociales sont celles qui se déroulent à une époque où le système dominant est bloqué aux yeux des possédants eux-mêmes. Quant à la société qui peut sortir de cette révolution sociale, elle ne dépend pas seulement des aspirations des masses ou de leur conscience mais des conditions de fonctionnement de la société précédente, du niveau que cette dernière a atteint en termes de forces productives en particulier.

Le système a connu des crises périodiques conjoncturelles et d’autres crises que l’on peut qualifier de révolutionnaires. Ces dernières débouchent soit sur la révolution sociale soit sur la contre-révolution (fascisme, dictature, guerre, ...).


« À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure. »

Marx, Préface à Critique de l’économie politique

« Ce sont également ces conditions de vie, que trouvent prêtes les diverses générations, qui déterminent si la secousse révolutionnaire, qui se reproduit périodiquement dans l’histoire, est assez forte ou non pour renverser les bases de tout ce qui existe ; les éléments matériels d’un bouleversement total sont, d’une part, la formation d’une masse révolutionnaire qui fait la révolution, non seulement contre des conditions particulières de la société passée, mais contre la « production de la vie » antérieure elle-même, contre l’« ensemble de l’activité » qui en est le fondement ; si ces conditions n’existent pas, il est tout à fait indifférent pour le développement pratique que l’Idée de ce bouleversement ait déjà été exprimée mille fois… comme le prouve l’histoire du communisme. »

Marx, L’Idéologie allemande

« Dans cette prospérité générale, où les forces productives de la société bourgeoise se développent avec toute la luxuriance dont elles sont susceptibles dans le cadre des rapports bourgeois, il ne peut être question d’une véritable révolution. Une telle révolution n’est possible que dans des périodes où ces deux facteurs, les forces de production modernes et les formes de production bourgeoises, entrent en conflit. Les différentes querelles auxquelles se livrent présentement les représentants des diverses fractions des partis de l’ordre sur le continent et dans lesquelles ils se compromettent réciproquement, bien loin de donner l’occasion de révolutions nouvelles, ne sont au contraire possibles que parce que la base des rapports est momentanément si sûre et, ce que la réaction ne sait pas, si bourgeoise. Toutes les tentatives de réaction arrêtant le développement bourgeois s’y briseront aussi sûrement que toute indignation morale, ou toutes les proclamations enthousiastes des démocrates. Une nouvelle révolution ne sera possible qu’à la suite d’une nouvelle crise. Mais elle est aussi sûre que celle-ci. »

Marx, Neue Rheinische Zeitung, automne 1850

« Une nouvelle révolution ne sera possible qu’à la suite d’une nouvelle crise, mais l’une est aussi certaine que l’autre. »

Marx en 1848 dans « Les luttes de classe en France »

« Il était impossible en 1848 de conquérir la transformation sociale par un simple coup de main. »

Engels en 1848

« Si le prolétariat arrivait aujourd’hui au pouvoir, il ne mettrait pas en œuvre des mesures directement prolétariennes, mais des mesures petites bourgeoises… En France, le prolétariat n’arrivera pas seul au pouvoir, mais avec les paysans et les petits bourgeois, il se verra obligé de mettre en œuvre leurs mesures, non les siennes. »

Marx en septembre 1850

« Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d’époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d’une contradiction individuelle, mais d’une contradiction qui naît des conditions d’existence sociale des individus ; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s’achève donc la préhistoire de la société humaine. »

Marx, « Contribution à la Critique de l’économie politique »

« Le communisme n’est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses »

Marx, « Idéologie allemande »

« Ce socialisme est la déclaration permanente de la révolution, la dictature de classe du prolétariat comme point de transition nécessaire pour arriver à la suppression des différences de classe en général, à la suppression de tous les rapports de production sur lesquels elles reposent, à la suppression de toutes les relations sociales qui correspondent à ces rapports de production, au bouleversement de toutes les idées qui émanent de ces relations sociales »

Marx, « Les luttes de classe en France »

Mais peut-être les socialistes sincères se sont-ils prononcés pour la résolution de Bâle en supposant que la guerre créerait une situation révolutionnaire, et que les événements les ont démentis en montrant que la révolution s’est révélée impossible ?

C’est par ce sophisme que Cunow (dans sa brochure Faillite du Parti ? et dans une série d’articles) cherche à justifier son passage dans le camp de la bourgeoisie ; et nous rencontrons ce genre d’"arguments", sous forme d’allusions, chez presque tous les social-chauvins, Kautsky en tête. L’espoir d’une révolution s’est révélé illusoire ; or, il ne convient pas à un marxiste de défendre les illusions, c’est ainsi que raisonne Cunow. Ce faisant, ce disciple de Strouvé ne dit pas un mot des "illusions" de tous ceux qui ont signé le manifeste de Bâle ; mais, par un procédé plein de noblesse, il s’efforce d’en rejeter la faute sur les hommes d’extrême-gauche, tels que Pannekoek et Radek !

Examinons quant au fond l’argument suivant lequel les auteurs du manifeste de Bâle avaient sincèrement supposé l’avènement de la révolution, mais se sont trouvés déçus dans leur attente par les événements. Le manifeste de Bâle dit

1) que la guerre engendrera une crise économique et politique ;

2) que les ouvriers considéreront comme un crime de participer à la guerre, de "tirer les uns sur les autres pour le profit des capitalistes ou l’orgueil des dynasties, ou les combinaisons des traités secrets" ; que la guerre suscite parmi les ouvriers "l’indignation et la colère" ;

3) que cette crise et cet état d’esprit des ouvriers doivent être utilisés par les socialistes pour "agiter les couches populaires" et "précipiter la chute de la domination capitaliste"

4) que les "gouvernements" - tous sans exception - ne peuvent déclencher la guerre "sans péril pour eux-mêmes" ;

5) que les gouvernements "ont peur" de la "révolution prolétarienne" ;

6) que les gouvernements "feraient bien de se rappeler" la Commune de Paris (c’est-à-dire la guerre civile), la révolution de 1905 en Russie, etc.

Autant d’idées parfaitement claires ; elles ne contiennent pas la garantie que la révolution viendra ; l’accent y est mis sur la caractéristique exacte des faits et des tendances. Quiconque, à propos de ces idées et raisonnements, déclare que l’avènement attendu de la révolution s’est révélé une illusion, fait preuve à l’égard de la révolution d’une attitude non pas marxiste mais strouviste [1], une attitude de policier et de renégat.

Pour un marxiste, il est hors de doute que la révolution est impossible sans une situation révolutionnaire, mais toute situation révolutionnaire n’aboutit pas à la révolution. Quels sont, d’une façon générale, les indices d’une situation révolutionnaire ? Nous sommes certains de ne pas nous tromper en indiquant les trois principaux indices que voici :

1) Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du "sommet", crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l’indignation des classes opprimées se fraient un chemin. Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas, habituellement, que "la base ne veuille plus" vivre comme auparavant, mais il importe encore que "le sommet ne le puisse plus".

2) Aggravation, plus qu’à l’ordinaire, de la misère et de la détresse des classes opprimées.

3) Accentuation marquée, pour les raisons indiquées plus haut, de l’activité des masses, qui se laissent tranquillement piller dans les périodes "pacifiques", mais qui, en période orageuse, sont poussées, tant par la crise dans son ensemble que par le "sommet" lui-même, vers une action historique indépendante.

Sans ces changements objectifs, indépendants de la volonté non seulement de tels ou tels groupes et partis, mais encore de telles ou telles classes, la révolution est, en règle générale, impossible. C’est l’ensemble de ces changements objectifs qui constitue une situation révolutionnaire. On a connu cette situation en 1905 en Russie et à toutes les époques de révolutions en Occident mais elle a existé aussi dans les années 60 du siècle dernier en Allemagne, de même qu’en 1859-1861 et 1879-1880 en Russie, bien qu’il n’y ait pas eu de révolutions à ces moments-là.

Pourquoi ? Parce que la révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs ci-dessus énumérés, vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir : la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement (ou partiellement) l’ancien gouvernement, qui ne "tombera" jamais, même à l’époque des crises, si on ne le "fait choir".

Telle est la conception marxiste de la révolution, conception maintes et maintes fois développée et reconnue indiscutable par tous les marxistes et qui, pour nous autres Russes, a été confirmée avec un relief tout particulier par l’expérience de 1905. La question est de savoir ce que présumait à cet égard le manifeste de Bâle de 1912 et ce qui est advenu en 1914-1915.

On présumait une situation révolutionnaire, brièvement décrite par l’expression "crise économique et politique". Cette situation est-elle survenue ? Oui, sans nul doute. Le social-chauvin Lensch (qui assume la défense du chauvinisme avec plus de droiture, de franchise et de loyauté que les hypocrites Cunow, Kautsky, Plékhanov et consorts) s’est même exprime ainsi :

"Nous assistons à ce qu’on pourrait appeler une révolution" (page 6 de sa brochure : La social-démocratie allemande et la guerre, Berlin 1915). La crise politique est là : pas un des gouvernements n’est sûr du lendemain, pas un qui ne soit exposé à subir un krach financier, à être dépossédé de son territoire et expulsé de son pays (comme le gouvernement de Belgique s’est vu expulser du sien). Tous les gouvernements vivent sur un volcan ; tous en appellent eux-mêmes à l’initiative et à l’héroïsme des masses. Le régime politique européen se trouve entièrement ébranlé, et nul ne s’avisera, à coup sûr, de nier que nous sommes entrés (et que nous entrons de plus en plus profondément - j’écris ces lignes le jour de la déclaration de guerre de l’Italie) dans une époque de grands ébranlements politiques. Si, deux mois après la déclaration de guerre (le 2 octobre 1914), Kautsky écrivait dans la Neue Zeit [2] que "jamais un gouvernement n’est aussi fort et jamais les partis ne sont aussi faibles qu’au début d’une guerre", ce n’était qu’un des exemples de la façon dont Kautsky falsifie la science historique pour complaire aux Südekum et autres opportunistes. Jamais le gouvernement n’a autant besoin de l’entente entre tous les partis des classes dominantes et de la soumission "pacifique" des classes opprimées a cette domination que pendant la guerre. Ceci, en premier lieu. En second lieu, Si "au début d’une guerre", surtout dans un pays qui attend une prompte victoire, le gouvernement parait omnipotent, personne n’a jamais et nulle part au monde associé l’attente d’une situation révolutionnaire exclusivement au "début" d’une guerre et, à plus forte raison, n a identifié l’"apparence" avec la réalité.

Que la guerre européenne serait plus dure que toutes les autres, tout le monde le savait, le voyait et le reconnaissait. L’expérience de la guerre le confirme toujours davantage. La guerre s’étend. Les assises politiques de l’Europe sont de plus en plus ébranlées. La détresse des masses est affreuse, et les efforts déployés par les gouvernements, la bourgeoisie et les opportunistes pour faire le silence autour de cette détresse échouent de plus en plus souvent. Les profits que certains groupes de capitalistes retirent de la guerre sont exorbitants, scandaleux. Les contradictions s’exacerbent au plus haut point. La sourde indignation des masses, l’aspiration confuse des couches opprimées et ignorantes à une bonne petite paix ("démocratique"), la "plèbe" qui commence à murmurer, - tout cela est un fait. Et plus la guerre se prolonge et s’aggrave, plus les gouvernements eux-mêmes développent et sont forcés de développer l’activité des masses, qu’ils appellent à une tension extraordinaire de leurs forces et à de nouveaux sacrifices. L’expérience de la guerre, comme aussi l’expérience de chaque crise dans l’histoire, de chaque grande calamité et de chaque tournant dans la vie de l’homme, abêtit et brise les uns, mais par contre instruit et aguerrit les autres, et, dans l’histoire mondiale, ces derniers, sauf quelques exemples isolés de décadence et de ruine de tel ou tel Etat, ont toujours été en fin de compte plus nombreux et plus forts que les premiers.

Non seulement la conclusion de la paix ne peut mettre fin "d’emblée" à toute cette détresse et à toute cette accentuation des contradictions, mais, au contraire, elle rendra sous bien des rapports cette détresse encore plus sensible et particulièrement évidente pour les masses les plus retardataires de la population.

En un mot, la situation révolutionnaire est un fait acquis dans la plupart des pays avancés et des grandes puissances d’Europe. »

Lénine, « La faillite de la deuxième internationale »

« Dans une société prise de révolution, les classes sont en lutte. Il est pourtant tout à fait évident que les transformations qui se produisent entre le début et la fin d’une révolution, dans les bases économiques de la société et dans le substratum social des classes, ne suffisent pas du tout à expliquer la marche de la révolution même, laquelle, en un bref laps de temps, jette à bas des institutions séculaires, en crée de nouvelles et les renverse encore. La dynamique des événements révolutionnaires est directement déterminée par de rapides, intensives et passionnées conversions psychologiques des classes constituées avant la révolution.

C’est qu’en effet une société ne modifie pas ses institutions au fur et à mesure du besoin, comme un artisan renouvelle son outillage. Au contraire : pratiquement, la société considère les institutions qui la surplombent comme une chose à jamais établie. Durant des dizaines d’années, la critique d’opposition ne sert que de soupape au mécontentement des masses et elle est la condition de la stabilité du régime social : telle est, par exemple, en principe, la valeur acquise par la critique social-démocrate. Il faut des circonstances absolument exceptionnelles, indépendantes de la volonté des individus ou des partis, pour libérer les mécontents des gênes de l’esprit conservateur et amener les masses à l’insurrection.

Les rapides changements d’opinion et d’humeur des masses, en temps de révolution, proviennent, par conséquent, non de la souplesse et de la mobilité du psychique humain, mais bien de son profond conservatisme. Les idées et les rapports sociaux restant chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives, jusqu’au moment où celles-ci s’abattent en cataclysme, il en résulte, en temps de révolution, des soubresauts d’idées et de passions que des cerveaux de policiers se représentent tout simplement comme l’œuvre de " démagogues ".

Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l’âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l’ancien régime. C’est seulement le milieu dirigeant de leur classe qui possède un programme politique, lequel a pourtant besoin d’être vérifié par les événements et approuvé par les masses. Le processus politique essentiel d’une révolution est précisément en ceci que la classe prend conscience des problèmes posés par la crise sociale, et que les masses s’orientent activement d’après la méthode des approximations successives. Les diverses étapes du processus révolutionnaire, consolidées par la substitution à tels partis d’autres toujours plus extrémistes, traduisent la poussée constamment renforcée des masses vers la gauche, aussi longtemps que cet élan ne se brise pas contre des obstacles objectifs. Alors commence la réaction : désenchantement dans certains milieux de la classe révolutionnaire, multiplication des indifférents, et, par suite, consolidation des forces contre-révolutionnaires. Tel est du moins le schéma des anciennes révolutions.

C’est seulement par l’étude des processus politiques dans les masses que l’on peut comprendre le rôle des partis et des leaders que nous ne sommes pas le moins du monde enclin à ignorer. Ils constituent un élément non autonome, mais très important du processus. Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur.

Les difficultés que l’on rencontre dans l’étude des modifications de la conscience des masses en temps de révolution sont absolument évidentes. Les classes opprimées font de l’histoire dans les usines, dans les casernes, dans les campagnes, et, en ville, dans la rue. Mais elles n’ont guère l’habitude de noter par écrit ce qu’elles font. Les périodes où les passions sociales atteignent leur plus haute tension ne laissent en générai que peu de place à la contemplation et aux descriptions. Toutes les Muses, même la Muse plébéienne du journalisme, bien qu’elle ait les flancs solides, ont du mal à vivre en temps de révolution. Et pourtant la situation de l’historien n’est nullement désespérée. Les notes prises sont incomplètes, disparates, fortuites. Mais, à la lumière des événements, ces fragments permettent souvent de deviner la direction et le rythme du processus sous-jacent. Bien ou mal, c’est en appréciant les modifications de la conscience des masses qu’un parti révolutionnaire base sa tactique. La voie historique du bolchevisme témoigne que cette estimation, du moins en gros, était réalisable. Pourquoi donc ce qui est accessible à un politique révolutionnaire, dans les remous de la lutte, ne serait-il pas accessible à un historien rétrospectivement ?

Cependant, les processus qui se produisent dans la conscience des masses ne sont ni autonomes, ni indépendants. N’en déplaise aux idéalistes et aux éclectiques, la conscience est néanmoins déterminée par les conditions générales d’existence. Dans les circonstances historiques de formation de la Russie, avec son économie, ses classes, son pouvoir d’État, dans l’influence exercée sur elle par les puissances étrangères, devaient être incluses les prémisses de la Révolution de Février et de sa remplaçante - celle d’octobre. En la mesure où il semble particulièrement énigmatique qu’un pays arriéré ait le premier porté au pouvoir le prolétariat, il faut préalablement chercher le mot de l’énigme dans le caractère original dudit pays, c’est-à-dire dans ce qui le différencie des autres pays.

Les particularités historiques de la Russie et leur poids spécifique sont caractérisés dans les premiers chapitres de ce livre qui contiennent un exposé succinct du développement de la société russe et de ses forces internes. Nous voudrions espérer que l’inévitable schématisme de ces chapitres ne rebutera pas le lecteur. Dans la suite de l’oeuvre, il retrouvera les mêmes forces sociales en pleine action.

Léon TROTSKY
, préface à l’histoire de la révolution russe - Tome février

« Pour réussir, l’insurrection doit s’appuyer non pas sur un complot, non pas sur un parti, mais sur la classe d’avant-garde. Voilà un premier point. L’insurrection doit s’appuyer sur l’élan révolutionnaire du peuple. Voilà le second point. L’insurrection doit surgir à un tournant de l’histoire de la révolution ascendante où l’activité de l’avant garde du peuple est la plus forte, où les hésitations sont les plus fortes (dans les rangs de l’ennemi et dans ceux des amis de la révolution faibles, indécis, pleins de contradictions ; voilà le troisième point. Telles sont les trois conditions qui font que, dans la façon de poser la question de l’insurrection, le marxisme se distingue du blanquisme. Mais, dès lors que ces conditions se trouvent remplies, refuser de considérer l’insurrection comme un art, c’est trahir le marxisme, c’est trahir la révolution. »

Lénine, « Marxisme et insurrection »

« La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque "ceux d’en bas" ne veulent plus et que "ceux d’en haut" ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. Cette vérité s’exprime autrement en ces termes : la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs). Ainsi donc, pour qu’une révolution ait lieu, il faut : premièrement, obtenir que la majorité des ouvriers (ou, en tout cas, la majorité des ouvriers conscients, réfléchis, politiquement actifs) ait compris parfaitement la nécessité de la révolution et soit prête à mourir pour elle ; il faut ensuite que les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politique jusqu’aux masses les plus retardataires (l’indice de toute révolution véritable est une rapide élévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique, parmi la masse laborieuse et opprimée, jusque-là apathique), qui affaiblit le gouvernement et rend possible pour les révolutionnaires son prompt renversement. »

Lénine, « La maladie infantile du communisme »

« Les révolutions bourgeoises, comme celles du XVIII° siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamants, l’enthousiasme extatique est l’état permanent de la société, mais elles sont de courte durée. Rapidement, elles atteignent leur point culminant, et un long malaise s’empare de la société avant qu’elle ait appris à s’approprier d’une façon calme et posée les résultats de sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du XIX° siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient :

Hic Rhodus, hic salta !
C’est ici qu’est la rose, c’est ici qu’il faut danser ! »

Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte

« On ne doit pas oublier que les guerres et les révolutions de notre époque découlent, non des crises de conjoncture, mais d’un antagonisme parvenu à une extrême acuité entre le développement des forces productives d’une part, la propriété bourgeoise et l’Etat national d’autre part. La guerre impérialiste et la révolution d’Octobre sont déjà arrivées à montrer l’intensité de ces antagonismes. Le rôle nouveau de l’Amérique les a encore aggravés. Or, plus le développement des forces productives dans tel ou tel pays, ou dans plusieurs pays, prendra d’importance, plus tôt le nouvel essor s’enfermera dans les contradictions fondamentales de l’économie mondiale et plus violente sera la réaction économique, politique, intérieure et extérieure. Un important essor industriel serait, dans tous les cas, non pas un inconvénient, mais un immense avantage pour le communisme français en donnant un puissant tremplin de grèves à l’offensive politique. Conclusion : les situations révolutionnaires ne manqueront pas. En revanche, ce qui fera peut-être défaut, c’est l’aptitude à les exploiter. »

Trotsky, Crise de conjoncture et crise révolutionnaire du capitalisme

22 décembre 1929

« A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. »

Lénine, La doctrine de Karl Marx

Les enseignements de la révolution

Lien entre crise économique et révolution pour Marx et Engels

Messages

  • Les conditions objectives sont plus fondamentales que les idées préexistantes :

    « Ce sont également ces conditions de la vie, trouvées par, les générations successives, qui déterminent si l’ébranlement révolutionnaire, revenant périodiquement dans l’histoire, est ou n’est pas assez puissant pour renverser totalement les fondements de l’ordre établi entier - Et si ces éléments matériels d’un bouleversement total - d’une part, les forces productives existantes et d’autre part la formation d’une masse révolutionnaire qui se révolte, non seulement contre certaines conditions de la société passée, mais aussi contre l’ancienne « production de la vie », contre cette « activité totale qui est à sa base – n’existent pas, il est tout à fait indifférent pour le développement pratique que l’idée de ce bouleversement ait déjà été formulée cent fois : l’histoire du communisme le montre ».

    Karl Marx, Idéologie Allemande

  • « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de la production existante, ou ce qui n’en est que l’expression juridique avec les rapports de propriété au sein desquelles elles s’étaient mues jusqu’alors. Des formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves, alors s’ouvre une époque de révolutions sociales »

    Karl Marx, Préface à la critique de l’économie politique de 1859

  • Les conditions fondamentales pour la victoire de la révolution prolétarienne ont été établies par l’expérience historique et sur le plan théorique :
    1. L’impasse bourgeoise et la confusion de la classe dominante qui en résulte,
    2. le vif mécontentement et l’aspiration à des changements décisifs dans les rangs de la petite bourgeoisie sans le soutien de laquelle la grande bourgeoisie ne peut pas se maintenir,
    3. La conscience du caractèrere intolérable de la situation et le fait qu’on soit, dans les rangs du prolétariat, prêts à des actions révolutionnaires,
    4. Un programme clair et une direction ferme de l’avant‑garde prolétarienne ‑ telles sont les quatre conditions pour la victoire de la révolution prolétarienne.

    La principale raison des défaites de nombreuses révolutions a sa racine dans le fait que ces quatre conditions n’atteignent que rarement le nécessaire degré de maturité au même moment. En histoire, la guerre est souvent la mère de la révolution précisément parce qu’elle secoue jusque dans leurs fondations des régimes totalement surannés, affaiblit la classe dirigeante, et hâte la montée de l’agitation révolutionnaire dans les classes opprimées.

    Léon Trotsky, Manifeste d’alarme de la IV° Internationale

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