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Romain Rolland et Trotsky

mercredi 29 janvier 2014, par Robert Paris

Romain Rolland et Léon Trotsky

Grand écrivain français, Romain Rolland passe du pacifisme à un soutien relatif de la révolution russe puis au stalinisme.

Pendant la guerre, Romain Rolland soutient Lénine et Trotsky. Pierre Monatte écrit en mars 1929, « dès les premiers jours de la guerre, « La Vie Ouvrière » refusa de participer à l’union sacrée, qu’en octobre 1914 nous fûmes de ceux qui passèrent des nuits à recopier ce long et poignant cri d’humanité lancé par Romain Rolland sous le titre d’"Au-dessus de la mêlée ", que, vers la même époque, sortes d’épaves dans le naufrage du socialisme, noyés, ballotés, survivants se cherchant, nous nous sommes rapprochés des socialistes russes et liés avec Trotsky. Rolland et Trotsky : ces deux hommes nous ont sauvés du dégoût, du désespoir ; ils ont sauvegardé nos raisons de vivre et ranimé notre confiance dans l’humanité et dans la révolution. Un an après, les épaves reprenaient la haute mer. C’était Zimmerwald. »

Pendant la guerre, Rolland, en se plaçant " au-dessus de la mêlée ", suscita un légitime respect pour son courage personnel. C’était l’époque où l’héroïsme grégaire couvrait de cadavres les montagnes et les plaines de l’Europe, tandis que le courage personnel, même à la dose la plus modeste, se rencontrait bien rarement, surtout parmi les " aristocrates de la pensée ".

Rolland refusait de hurler avec les loups de sa patrie ; il s’éleva " au-dessus de la mêlée ", ou plus exactement il s’en détourna il se retrancha en terrain neutre. Il continua, dans le grondement de la guerre, très assourdi, il est vrai, dans la Suisse neutre, à apprécier la science allemande et l’art allemand et à prêcher la collaboration des deux peuples.

Ce programme n’était certes pas d’une effrayante audace, mais pour le proclamer alors, en plein déchaînement de chauvinisme universel, il n’en fallait pas moins une certaine indépendance personnelle. Et cela séduisait.

Cependant, dès ce moment, s’apercevaient bien l’étroitesse de la philosophie de Rolland, et, si j’ose ainsi m’exprimer, l’égoïsme de son humanisme. Rolland, lui, s’était retranché en Suisse neutre, mais tous les autres ? Un peuple ne peut pas se placer au-dessus de la mêlée, puisqu’il est la chair à canon de cette mêlée. Le prolétariat français ne pouvait pas s’en aller en Suisse. Le drapeau de Rolland était destiné exclusivement à son usage personnel : c’était le drapeau d’un grand artiste, nourri des littératures française et allemande, ayant dépassé l’âge du service militaire, et muni des ressources nécessaires pour se transporter d’un pays dans un autre.

L’étroitesse de l’humanisme rollandiste se manifesta pleinement plus tard, lorsque le problème de la guerre, de la paix, et de la collaboration intellectuelle devint le problème de la révolution. Ici encore, Rolland résolut de rester au-dessus de la mêlée. Il ne reconnaît ni dictature, ni violence, ni de droite, ni de gauche. Certes, les événements historiques ne dépendent pas d’une telle reconnaissance ; mais le poète n’en a pas moins le droit de porter sur eux un jugement moral ou esthétique, et au poète, à l’égocentriste humanitaire, cela suffit.

Mais les masses populaires ? Si elles supportent servilement la dictature du capital, Rolland condamnera poétiquement et esthétiquement la bourgeoisie ; si au contraire les travailleurs tentent de, renverser la violence des exploiteurs par le seul moyen à leur disposition, la violence révolutionnaire, ils se heurteront à la condamnation éthique et esthétique de Rolland.

Ainsi l’histoire humaine n’est en somme qu’une matière à interprétation artistique ou à jugement moral.

La prétention individualiste de Rolland appartient au passé.

(extrait de Trotsky dans « Le drame du prolétariat français », 1922)

Romain Rolland - Journal -Septembre 1916

« Le gouvernement français, qui compte trois socialistes, dont Guesde et Sembat, vient de supprimer le quotidien russe de Paris, « Nache Slovo », et d’expulser un des principaux rédacteurs, Léon Trotsky, l’un des chefs de la révolution russe en 1905, un des présidents du conseil des députés ouvriers (sorte de gouvernement révolutionnaire provisoire), condamné à quatre ans de prison. Théoricien du marxisme, il avait écrit, au début de la guerre, une brochure où il dénonçait l’impérialisme allemand aussi bien que celui des autres pays. Cette brochure lui valut une condamnation à l’emprisonnement par contumace en Allemagne. On a prétendu l’inculper ici dans des troubles qui se sont produits à Marseille parmi les troupes russes. Trotsky, le « Nache Slovo » et le « Comité (français) pour la reprise des relations internationales (siège social 33, rue Grange-aux-Belles, Paris Xe), qui prend leur défense, protestent contre cette accusation.

« La vérité, c’est qu’on a supprimé « Nache Slovo » parce qu’il était l’organe des internationalistes russes. La vérité, c’est qu’on expulse Trotsky parce qu’il est un des plus ardents défenseurs de ces idées ; et ce double acte d’arbitraire prouve, une fois de plus, toute l’hypocrisie et le mensonge des phrases sur la Liberté, le Droit et la Justice, qui ne servent qu’à masquer la ruine matérielle et morale à laquelle la guerre voue les populations et les pays les plus civilisés du monde. La vérité, c’est que cette double mesure d’arbitraire est la première de toute une série de mesures de répression que le citoyen Sembat, aux applaudissements de la presse de mensonges et de corruption, de chauvinisme et de nationalisme criminels, n’a pas craint d’annoncer et de lancer comme menace du haut de la tribune du dernier Conseil National du Parti socialiste. »

(Réunion du Conseil pour la reprise des relations internationales du 25 septembre 1916)

N.B. – Ce comité a été fondé par Merrheim au lendemain de Zimmerwald, et est composé de syndicalistes. Les circulaires sont rédigées par Merrheim et Rosmer. »

Romain Rolland - Journal – décembre 1916

« Les proscrits de l’Univers

Léon Trotzky, l’un des chefs de la révolution russe de 1905, condamné en Russie, condamné en Allemagne, réfugié à Paris, expulsé de France, refusé par la Suisse, conduit en Espagne, est expulsé d’Espagne, embarqué par La Havane ; et il est à craindre qu’on ne le livre, indirectement, à la Russie. Le plus lâche, c’est que les journaux socialistes de la majorité – « L’action socialiste » à Paris – le diffament et le calomnient (à l’indignation du « Populaire » et de l’« Avanti »).

Romain Rolland – Journal – Février 1917

« Trotsky, réfugié à Cuba, s’était mis en route pour la Russie, sur l’invitation du Comité de Petrograd. Arrivé à Halifax, il se vit, sur son vaisseau (vaisseau neutre), sommé par la police canadienne de débarquer. Il protesta énergiquement et déclara qu’il ne cèderait qu’à la force. Il fut blessé d’un coup de revolver, on lui mit les menottes et on l’emprisonna. Cette nouvelle causa en Russie une grande agitation. L’ambassadeur d’Angleterre à Petrograd, pressé par Miliuokoff, sous la menace de l’émotion populaire, déclara que si le gouvernement provisoire voulait donner l’assurance que Trotsky était socialiste-patriote et ne ferait pas d’opposition au gouvernement, il serait aussitôt relâché. Cette insolente et naïve déclaration blessa jusqu’aux conservateurs russes. »

Romain Rolland – Journal – Juillet 1917

« Le numéro de la « Correspondance-Pravda » que j’ai dans les mains est daté du 28 juillet. Son premier article est intitulé : « L’offensive des social-patriotes contre le peuple russe. » Si Kérensky a trouvé tant d’enthousiasme dans la bourgeoisie, avec ses appels à la guerre, c’est que l’on y voyait le seul remède contre la révolution. « L’offensive russe libérera la Russie des miasmes des bolcheviki et de l’anarchie », déclarait joyeusement, le 3 juillet, toute la presse contre-révolutionnaire. La masse ouvrière de Petrograd le savait. Au Comité des ouvriers et des soldats, malgré les discours de Tseretelli, Skobeleff, Tchernoff, 271 délégués (et non pas 71, comme l’annonça l’agence de Petrograd) votèrent contre l’offensive, qui fut acceptée par 470 voix (Les 150.000 soldats de Petrograd ont deux fois autant de voix au Conseil que les 500.000 prolétaires de Petrograd. En fait, la majorité du prolétariat et de la garnison de Petrograd était contre l’offensive). Le régiment de mitrailleurs de Petrograd, invité à se rendre sur le front répondit : « Tant qu’il y aura un gouvernement capitaliste en Russie, tant qu’uni aux capitalismes d’Angleterre, de France et d’Amérique, il mènera une guerre impérialiste, nous n’irons pas sur le front. » Les régiments Pawlosky et Moskowsky se joignirent à eux. Les 40.000 ouvriers des usines Poutiloff décidèrent la grève. Les bolcheviki retinrent, autant qu’ils le purent, la masse des ouvriers et des soldats. Ils comptaient sur le temps, qui, amenant fatalement la ruine de l’offensive décidée par Kérensky, porterait au pouvoir l’opposition actuelle. Les événements furent plus forts. Le 17 juillet, une manifestation des régiments bolcheviki de Petrograd, des ouvriers et de 15.000 matelots de Cronstadt, se rencontra dans les rues avec les cosaques, que depuis des semaines avaient dressé les contre-révolutionnaires Milioukoff et Goutchkoff. Il y eut collision sanglante. Les trois ministres cadets se retirèrent. Le mouvement révolutionnaire grossit. Le gouvernement fit appeler des régiments d’artillerie et fit installer des canons sur le Liteiny.

« Et Petrograd entendit les salves commandées par les ministres social-patriotes, les Tseretelli, Skobeleff, Tchernoff, contre l’avant-garde de la révolution. » L’état de siège fut décrété à Petrograd, et les chefs bolcheviki furent emprisonnés. L’agence de Petrograd télégraphie triomphalement que les ministres occupaient de nouveau leurs postes et que l’ordre régnait. Deux heures plus tard, la même agence devait annoncer que le prince Lvoff démissionnait de ses fonctions de Président du Conseil, que Kérensky le remplaçait, cumulant ses fonctions avec celles de ministre de la guerre, et que Tseretelli acceptait le ministère de l’intérieur.

« Les socialistes petits bourgeois ont cru pouvoir sauver la révolution, avec l’alliance de la seule bourgeoisie. Ils ont répandu le sang du prolétariat, et maintenant qu’ils sont séparés du prolétariat de Petrograd par un fleuve de sang, la bourgeoisie les abandonne… Les social-patriotes n’ont oas craint de jouer le rôle de Cavaignac et de répandre le sang du prolétariat russe. La première phase de la révolution russe est terminée, dit la « Pravda ». Si la révolution continue à se développer, elle devra marcher par-dessus le cadavre politique des social-patriotes. »

Dans cette lutte au couteau entre les éléments contre-révolutionnaires et la Révolution, la calomnie et l’injure ont tout de suite joué (comme toujours en pareil cas) un rôle atroce. Les mêmes cris sauvages hurlés contre les combattants de juin et contre la Commune, ont été poussés contre les bolcheviki ; et « tous les journalistes libéraux y ont mis le même acharnement que la police. La « Rabotchaya Gazeta » (organe des mencheviki social-patriotes) donna le signal des calomnies et des provocations. On s’appliqua à salir tout l’entourage de Lénine (Zinoviev, Radek, Trotsky, etc.) afin de pouvoir, après, assassiner moralement celui qu’on appelait le Marat de la révolution russe – « le lutteur clair comme le cristal », comme le nomme la « Pravda », « le cœur et le cerveau de la révolution ».

Romain Rolland – Journal – août 1917

« Nouveaux numéros de la « Correspondance Russe – Pravda » (publiée par la délégation à l’étranger du Comité Central des bolcheviki). N°3, 13 août ; N°4, 20 août.

C’est le récit des efforts tortueux des social-patriotes pour écraser Lénine et Zinovieff. Ceux-ci refusent de se livrer, ayant une méfiance justifiée en leurs juges. Les social-patriotes ont proposé, le 26 juillet, au Comité central des Soviets d’exclure Lénine, Zinovieff, Kawjaneff et Trotsky. Ils se sont heurtés aux protestations du représentant des bolcheviki, Noguine, de Riazanoff, l’historien connu de l’Internationale, représentant du groupe Trotsky et de Martoff, représentant des mencheviki internationalistes.

« Lénine et Zinovieff, a dit Noguine, n’acceptent pas de comparaître devant les autorités chargées de l’enquête, car ils n’ont aucune garantie qu’ils ne seront pas tués en prison… Nous n’avons pas le droit de leur demander d’avoir confiance en vos geôliers… »

Riazanoff a dit : « Quelle garantie de justice avons-nous lorsqu’au Ministère de la Justice siègent des gens qui chargent d’une enquête un coquin de premier rang, un Alexinsky ? Tseretelli est maintenant à la tête du Ministère de l’Intérieur ; mais a-t-il la certitude qu’il pourra purifier ce repaire de malfaiteurs ? Aussi longtemps que nous n’aurons aucune garantie, nous ne livrerons pas nos camarades en pâture à ces carnivores… » Martoff a reproché au gouvernement de ne pas combattre la contre-révolution et de lutter seulement contre l’anarchie. « La révolution n’est pas encore terminée ; et l’on n’a même pas encore envisagé l’épuration du repaire de la contre-révolution. »

Lettre du camarade Trotsky au gouvernement provisoire

« Citoyen ministre, j’ai été informé que le décret relatif aux arrestations des camarades Lénine, Zinovieff et Karjeneff, motivé par les événements des 16-17 juillet, m’exclut. Pour cette raison, je suis obligé de porter à votre connaissance ce qui suit :

1°) Je partage absolument le point de vue de Lénine, Zinovieff et Karjeneff, et j’ai développé ce point de vue dans mon organe « Vperiod » et au cours de mes interventions publiques ;

2°) Mon attitude relative aux événements des 16-17 juillet est en concordance avec celle des camarades cités….

Trotsky explique ensuite qu’ayant appris pour la première fois le 16 juillet la démonstration projetée des régiments de mitrailleurs et des autres, il a tout fait avec ses camarades pour empêcher cette démonstration ; que la démonstration ayant eu lieu néanmoins, il se rendit avec les camarades bolcheviki devant le Palais de Tauride, expirmant leur accord avec le mot d’ordre de la démonstration : « tout le pouvoir aux conseils des délégués », mais exhortant les manifestants à agir pacifiquement ; que, dans la nuit du 16 au 17 juillet, il appuya la proposition de Karjeneff de prendre toutes les mesures pour empêcher la répétition de la démonstration, le 17 juillet, mais que quand il fut communiqué de tous les quartier de la ville que les ouvriers des fabriques et les régiments étaient décidés à descendre dans la rue, et qu’on vit l’impossibilité de retenir les masses, tous les camarades bolcheviki décidèrent de faire leurs efforts pour que la démonstration restât pacifique et que les masses n’eussent pas d’armes.

Pendant toute la journée du 17, Trotsky, au Palais de Tauride est intervenu dans ce sens, auprès des manifestants, ainsi que tous ses camarades.

« 3°) Si je n’appartiens pas à la « Pravda » et à l’organisation des bolcheviki, ce n’est pas pour divergence d’opinions politiques, mais par suite des conditions passées de notre parti ; conditions qui ont perdu leur importance aujourd’hui ;

4°) La nouvelle répandue dans les journaux selon laquelle j’aurais renié ma participation à l’organisation des bolcheviki est donc un mensonge, de même que la nouvelle que j’aurais prié les autorités de me protéger contre le lynchage de la foule ;

5°) D’après tout ce qui a précédé, il est évident qu’il est illogique de m’exclure du décret d’arrestation des camarades Lénine, Zinovieff et Karjeneff ;

6°) En ce qui concerne le côté politique de l’affaire, vous ne pouvez douter aucunement que je ne sois un adversaire déterminé de la politique du gouvernement provisoire, au même titre que les camarades cités. Cette exception dont je bénéficie souligne d’une façon encore plus éclatante les mesures arbitraires prises contre les camarades Lénine, Zinovieff et Karjeneff. – Petrograd le 7 juillet 1917. »

Septembre 1917

« Lounatcharsky et Trtosky se meurent de faim dans leur prison, où on prétend les contraindre à des travaux de guerre. »

« Lounatcharsky a dû être remis en liberté avec Trotsky, sur les instances du Soviet, au moment de la marche de Korniloff sur Petrograd. »

Novembre 1917

Les maximalistes au pouvoir. Lénine, Trotsky, Lounatcharsky, commissaires du peuple à l’Intérieur, aux Affaires étrangères et à l’Instruction publique. Proposition d’armistice à l’Allemagne. Les Alliés refusent de reconnaître le gouvernement de la Révolution Russe. Clemenceau, au pouvoir, débute ses coups de force. »

Janvier 1918

Guilbeaux m’écrit le 7 janvier :

« Selon mon opinion, on doit opter pour l’un ou l’autre camp : les bolcheviki ou le bloc des social-patriotes et des bourgeois. Depuis la révolution socialiste de novembre, un monde nouveau, absolument nouveau, s’inaugure : non seulement il faut intensifier la lutte contre la guerre, mais travailler à la suppression de l’anarchie capitaliste et à l’instauration du socialisme. Tout autant que vous, j’aime la liberté ; mais pour conquérir cette liberté, il importe précisément de libérer l’homme de la dépendance économique qui le subjugue. Seul, le remplacement de la société capitaliste par la société socialiste nous apportera cette liberté… »

Je lui réplique (9 janvier) :

« Mon cher ami, je comprends votre point de vue. Vous avez votre foi, vous la servez vaillamment : vous êtes conséquent avec vous-même, Je le trouve très bien, je n’ai rien à objecter. Mais votre point de vue n’est pas le mien. Votre foi n’est pas la mienne. Je ne crois pas que chacun de nous soit une simple « molécule » de la collectivité. Je crois que chaque être est un monde et que si ces mondes doivent chercher à s’harmoniser dans l’univers, aucun n’a le droit d’imposer à un autre ses lois ou celles de son système solaire. La liberté à laquelle j’ai voué mon amour et mon énergie tout entière est la liberté morale. Elle ne se trouve pas plus assurée par le socialisme ou le bolchevisme que par le capitalisme…

J’approuve (j’admire) la lettre de Trotsky, opprimé, expulsé, flagellant Guesde de son ironie. Mais du jour où Trotsky opprimerait à son tour, il me serait aussi peu sympathique que ceux qui l’ont opprimé ; et ce n’est pas parce qu’une dictature serait socialiste que j’y souscrirai… »

Février 1918

« A Brest-Litovsk, Trotsky déclare que la Russie, renonçant à la signature d’un traité de paix, déclare terminé l’état de guerre, et ordonne la démobilisation générale. »

26 juillet 1918

Romain Rolland : « Chacun a le droit de juger comme il l’entend les révolutionnaires russes. Mais pas en prétendant m’associer à un article contre eux. Si on dit devant moi du mal de gens que j’estime, j’ai le droit de protester, de vouloir que ma protestation soit insérée. Par conséquent, si vous introduisez dans la « question Romain Rolland » la question du Bolchevisme, je répondrai… Moins que jamais, à l’heure où la révolution russe est entourée d’un monde d’ennemis, je ne permettrai qu’on puisse laisser supposer que j’approuve (ne fût-ce que par mon silence) leurs attaques contre elle. »

Jean-Michel Krivine écrit :
« Romain Rolland (1866/1944) est un écrivain très célèbre qui a d’abord été pacifiste et est allé se réfugier en Suisse lors de la première guerre mondiale. Il devait y rester jusqu’en 1937. Lors d’un voyage en Inde pendant la guerre il eut l’occasion de rencontrer et d’admirer le Mahatma Gandhi. Puis il est attiré par la révolution russe mais demeure critique à cause de sa violence. A partir de 1927 il soutiendra le régime soviétique, deviendra un « compagnon de route » docile mais n’adhérera pas au PC et se permettra de défendre Victor Serge auprès de Staline en 1935. Cependant, comme le rappelle Trotski dans un article de la même année intitulé « Romain Rolland remplit sa mission » : il « place en Staline autant de confiance qu’il en mit autrefois en Gandhi (…) Avec une autorité qui n’est guère fondée, Romain Rolland décrète que la politique de l’Internationale communiste continue à se conformer rigoureusement aux enseignements de Lénine. » (1) Signalons que l’écrivain était sous bonne garde car la princesse russe Maria Pavlova Koudatchova qui fut successivement sa secrétaire, sa maîtresse, son épouse et sa veuve, faisait partie des Dames du Kremlin, c’est-à-dire des agents féminins des services soviétiques… »

Quand Romain Rolland cautionnait le stalinisme

Trotsky écrit :
« Nous ne parlerons pas des Aragon, des Ehrenbourg et autres petits bourgeois ; nous n’allons pas qualifier les messieurs qui, avec le même enthousiasme écrivent la biographie de Jésus-Christ et celle de Joseph Staline (ceux-là, leur mort même ne les a pas amnistiés). Nous passons sur le triste, pour ne pas dire honteux déclin de Romain Rolland. »
« Les oeuvres des "amis de l’U.R.S.S" se classent en trois grandes catégories. Le journalisme des dilettantes, le genre descriptif, le reportage "de gauche" — plus ou moins — fournissent le plus grand nombre de livres et d’articles. A côté se rangent, quoique avec de plus hautes prétentions, les couvres du "communisme" humanitaire, lyrique et pacifiste. La troisième place est occupée par les schématisations économiques, dans l’esprit vieil-allemand du socialisme universitaire. Louis Fisher et Duranty sont suffisamment connus comme les représentants du premier type d’auteurs. Feu Barbusse et Romain Rolland représentent le mieux la catégorie des "amis humanitaires" : ce n’est certes pas sans raison qu’avant de venir à Staline l’un écrivit une Vie de Jésus et l’autre une biographie de Gandhi. Enfin, le socialisme conservatenr et pédant a trouvé dans l’infatigable couple fabien des Webb ses représentants les plus autorisés. »

Comment Romain Rolland s’entretient avec Staline sur quelques crimes de ce dernier

Messages

  • « Pendant la guerre, Rolland, en se plaçant " au-dessus de la mêlée ", suscita un légitime respect pour son courage personnel. C’était l’époque où l’héroïsme grégaire couvrait de cadavres les montagnes et les plaines de l’Europe, tandis que le courage personnel, même à la dose la plus modeste, se rencontrait bien rarement, surtout parmi les " aristocrates de la pensée ".

    Rolland refusait de hurler avec les loups de sa patrie ; il s’éleva " au-dessus de la mêlée ", ou plus exactement il s’en détourna il se retrancha en terrain neutre. Il continua, dans le grondement de la guerre, très assourdi, il est vrai, dans la Suisse neutre, à apprécier la science allemande et l’art allemand et à prêcher la collaboration des deux peuples.

    Ce programme n’était certes pas d’une effrayante audace, mais pour le proclamer alors, en plein déchaînement de chauvinisme universel, il n’en fallait pas moins une certaine indépendance personnelle. Et cela séduisait.

    Cependant, dès ce moment, s’apercevaient bien l’étroitesse de la philosophie de Rolland, et, si j’ose ainsi m’exprimer, l’égoïsme de son humanisme. Rolland, lui, s’était retranché en Suisse neutre, mais tous les autres ? Un peuple ne peut pas se placer au-dessus de la mêlée, puisqu’il est la chair à canon de cette mêlée. Le prolétariat français ne pouvait pas s’en aller en Suisse. Le drapeau de Rolland était destiné exclusivement à son usage personnel : c’était le drapeau d’un grand artiste, nourri des littératures française et allemande, ayant dépassé l’âge du service militaire, et muni des ressources nécessaires pour se transporter d’un pays dans un autre.[1]

    L’étroitesse de l’humanisme rollandiste se manifesta pleinement plus tard, lorsque le problème de la guerre, de la paix, et de la collaboration intellectuelle devint le problème de la révolution. Ici encore, Rolland résolut de rester au-dessus de la mêlée. Il ne reconnaît ni dictature, ni violence, ni de droite, ni de gauche. Certes, les événements historiques ne dépendent pas d’une telle reconnaissance ; mais le poète n’en a pas moins le droit de porter sur eux un jugement moral ou esthétique, et au poète, à l’égocentriste humanitaire, cela suffit.

    Mais les masses populaires ? Si elles supportent servilement la dictature du capital, Rolland condamnera poétiquement et esthétiquement la bourgeoisie ; si au contraire les travailleurs tentent de, renverser la violence des exploiteurs par le seul moyen à leur disposition, la violence révolutionnaire, ils se heurteront à la condamnation éthique et esthétique de Rolland.

    Ainsi l’histoire humaine n’est en somme qu’une matière à interprétation artistique ou à jugement moral.

    La prétention individualiste de Rolland appartient au passé. »

    Léon Trotsky, Le drame du prolétariat français, 1922

  • Romain Rolland et la révolution russe

    À la Russie libre et libératrice

    Frères de Russie, qui venez d’accomplir votre grande Révolution, nous n’avons pas seulement à vous féliciter ; nous avons à vous remercier. Ce n’est pas pour vous seuls que vous avez travaillé, en conquérant votre liberté, c’est pour nous tous, vos frères du vieil Occident.

    Le progrès humain s’accomplit par une évolution des siècles, qui s’époumone vite, se lasse à tous moments, se ralentit, se butte à des obstacles, ou s’endort sur la route comme une mule paresseuse. Il faut, pour la réveiller, de distance en distance, les sursauts d’énergie, les vigoureux élans des révolutions, qui fouettent la volonté, qui bandent tous les muscles et font sauter l’obstacle. Notre Révolution de 1789 fut un de ces réveils d’énergie héroïque, qui arrachent l’humanité à l’ornière où elle est embourbée et la lancent en avant. Mais l’effort accompli et le chariot remis en route, l’humanité a tôt fait de s’enliser de nouveau. Il y a beau temps qu’en Europe la Révolution française a porté tous ses fruits ! Et il vient un moment où ce qui fut jadis les idées fécondes, les forces de vie nouvelle, ne sont plus que des idoles du passé, des forces qui vous tirent en arrière, des obstacles nouveaux. On l’a vu dans cette guerre du monde, où les jacobins de l’Occident se sont montrés souvent les pires ennemis de la liberté.

    Aux temps nouveaux, des voies nouvelles et des espoirs nouveaux ! Nos frères de Russie, votre Révolution est venue réveiller notre Europe assoupie dans l’orgueilleux souvenir de ses Révolutions d’autrefois. Marchez de l’avant ! Nous vous suivrons. Chaque peuple à son tour guide l’humanité. Vous, dont les forces jeunes ont été ménagées pendant des siècles d’inaction imposée, reprenez la cognée où nous l’avons laissé tomber, et, dans la forêt vierge des injustices et des mensonges sociaux où erre l’humanité, faites-nous des clairières et des chemins ensoleillés !

    Notre Révolution fut l’œuvre de grands bourgeois, dont la race est éteinte. Ils avaient leurs rudes vices et leurs rudes vertus. La civilisation actuelle n’a hérité que des vices : le fanatisme intellectuel et la cupidité. Que votre Révolution soit celle d’un grand peuple, sain, fraternel, humain, évitant les excès où nous sommes tombés !

    Surtout, restez unis ! Que notre exemple vous éclaire ! Souvenez-vous de la Convention française, comme Saturne, dévorant ses enfants ! Soyez plus tolérants que nous ne l’avons été. Toutes vos forces ne sont pas de trop pour défendre la sainte cause dont vous êtes les représentants, contre les ennemis acharnés et sournois, qui peut-être en ce moment vous font le gros dos et le ronron comme des chats, mais qui dans la forêt attendent le moment où vous trébucherez, si vous êtes isolés.

    Enfin, rappelez-vous, nos frères de Russie, que vous combattez et pour vous et pour nous. Nos pères de 1792 ont voulu porter la liberté au monde. Ils n’ont pas réussi ; et peut-être ne s’y étaient-ils pas très bien pris. Mais la volonté fut haute. Qu’elle soit aussi la vôtre ! Apportez à l’Europe la paix et la liberté !

    (Revue Demain, Genève, 1er mai 1917.)

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