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Quelles leçons nous tirons des révolutions du passé ?

vendredi 5 septembre 2014, par Robert Paris

Quelles leçons nous tirons des révolutions du passé ?

1- Ce sont les masses opprimées et pas les minorités militantes, révolutionnaires ou syndicalistes, qui enclenchent les révolutions sociales.

2- Ce sont les contradictions économiques, sociales et politiques des classes dirigeantes et de leurs système qui sont la cause des révolutions et pas les seules aspirations populaires ou prolétariennes.

3- Ce n’est pas seulement la misère et l’exploitation ou l’oppression qui causent les révolutions mais l’incapacité des classes dirigeantes, en de rares moments historiques, à gouverner. En « temps normal », les travailleurs ne sont pas révolutionnaires et il serait ridicule de le leur reprocher. Ils se battent, mènent des luttes de classe, mais ne considèrent pas, dans leur immense majorité, que ces luttes doivent mener au renversement de la dictature de la classe dominante.

4- Tant que les masses sont à l’offensive, les classes dirigeantes font le dos rond et on pourrait presque croire que tout le monde est pour la révolution, à part l’ancien pouvoir. Dès que la révolution s’étale ou reflue, on constate combien l’ancien pouvoir ne consistait pas seulement en l’ancienne équipe gouvernante mais dans toutes les forces sociales exploiteuses et leurs soutiens de l’appareil d’Etat.

5- Ce qui importe le plus dans les révolutions sociales, ce qui déterminera la profondeur de cette révolution et sa capacité à déraciner l’ordre ancien, c’est que les masses en mouvement ne reviennent pas à la maison tranquillement dès qu’elles ont renversé un gouvernement, ou l’ont fait reculer, qu’elles restent assemblées « en permanence », que ce soit sous la forme de comités, de conseils, d’assemblées ou de soviets.

6- Tant que la véritable force révolutionnaire, celle des masses prolétariennes, en reste à revendiquer du pouvoir bourgeois, la révolution peut rester dans sa phase offensive mais elle n’atteint pas encore son point culminant : celui où les formes d’organisation des masses commencent à revendiquer tout le pouvoir.

7- La tâche principale des masses révolutionnaires prolétariennes au cours de la révolution consiste en l’élimination du pouvoir politique et étatique de la classe dominante et son remplacement par le pouvoir des conseils, des comités ou des soviets, et pas seulement le renversement du gouvernement ou du dictateur.

8- Une fois la révolution commencée, elle doit devenir permanente, gagner sans cesse en profondeur politique et sociale, gagner sans cesse de nouvelles couches sociales, toujours en gardant la direction prolétarienne, et gagner de nouveaux pays, de nouveaux peuples, de nouvelles régions du monde, jusqu’au renversement mondial et définitif de l’impérialisme et de la bourgeoisie.

9- Pour démarrer et prendre son essor, la révolution sociale n’a souvent pas eu besoin d’autre chose que de l’initiative et de la spontanéité des masses. Pour triompher, elle nécessite une conscience profonde des conditions de maintien du système bourgeois, de la connaissance et de la compréhension de l’histoire, et donc d’une science qui ne s’étudie pas sur le tas. Il faut des militants révolutionnaires éduqués et organisés dans le seul but de la révolution sociale (pas dans le but de défendre le parti et ses intérêts momentanés).

10- Le point fondamental qui doit guider les militants pour se préparer à analyser une situation, prérévolutionnaire, révolutionnaire ou même contre-révolutionnaire, c’est de ne pas de contenter des opinions populaires mais de se centrer sur les conditions objectives de la domination des classes dirigeantes et sur les politique que peuvent décider ces classes dirigeantes dans de telles circonstances. Les militants révolutionnaires ne se contentent pas de de suivre l’opinion ouvrière ou populaire : ils doivent éclairer le chemin en avant des événements.

La suite


« Les hommes se sont libérés chaque fois dans la mesure où non pas leur idéal mais les forces productives existantes leur prescrivaient et leur permettaient de se libérer. Toutes les libérations, dans le passé, étaient fondées sur des forces productives limitées dont la production, insuffisante pour l’ensemble de la société, ne pouvait entraîner une évolution que si une partie de la société vivait aux dépens de l’autre. En conséquence, les uns – la minorité – avaient le monopole de l’évolution, tandis que les autres – la majorité – étaient provisoirement (c’est-à-dire jusqu’à la production de forces productives nouvelles et révolutionnaires) exclus de toute évolution, contraints de lutter sans cesse pour la satisfaction des besoins les plus urgents. Aussi la société s’est-elle jusqu’ici toujours développée à l’intérieur d’un antagonisme. »

Marx-Engels, L’Idéologie allemande

« A un certain stade de l’évolution des forces productives, on voit surgir des forces de production et des moyens de commerce qui, dans les conditions existantes, ne font que causer des désastres. Autre conséquence : une classe fait son apparition d’où émane la conscience de la nécessité d’une révolution en profondeur, la conscience communiste (...) Pour produire massivement cette conscience communiste, aussi bien que pour faire triompher la cause elle-même, il faut une transformation qui touche la masse des hommes ; laquelle ne peut s’opérer que dans un mouvement pratique, dans une révolution. Par conséquent, la révolution est nécessaire non seulement parce qu’il n’est pas d’autre moyen pour renverser la classe dominante, mais encore parce que c’est seulement dans une révolution que la classe révolutionnaire réussira à se débarrasser de toute l’ancienne fange et à devenir ainsi capable de donner à la société de nouveaux fondements. »

Karl Marx, dans Ludwig Feuerbach

« Une révolution est un phénomène purement naturel qui obéit davantage à des lois physiques qu’aux règles qui déterminent en temps ordinaire l’évolution de la société. Ou plutôt, ces règles prennent dans la révolution un caractère qui les rapproche beaucoup plus des lois de la physique, la force matérielle de la nécessité se manifeste avec plus de violence. »

Friedrich Engels, Lettre à Karl Marx du 13 février 1851

« En ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert ni l’existence des classes dans la société moderne, ni leur lutte entre elles. Bien longtemps avant moi, des historiens bourgeois avaient décrit l’évolution historique de cette lutte des classes, et des économistes bourgeois en avaient analysé l’anatomie économique. Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est la preuve : 1°) que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases déterminées du développement historique de la production ; 2°) que la lutte des classes aboutit nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3°) que cette dictature elle-même ne constitue que la transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classes. »
Karl Marx, lettre à Joseph Weydemeyer (5 mars 1852)

« Les révolutions prolétariennes … raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière. »
Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte.

« Ce sont également ces conditions de vie, que trouvent prêtes les diverses générations, qui déterminent si la secousse révolutionnaire, qui se reproduit périodiquement dans l’histoire, est assez forte ou non pour renverser les bases de tout ce qui existe ; les éléments matériels d’un bouleversement total sont, d’une part, la formation d’une masse révolutionnaire qui fait la révolution, non seulement contre des conditions particulières de la société passée, mais contre la « production de la vie » antérieure elle-même, contre l’« ensemble de l’activité » qui en est le fondement ; si ces conditions n’existent pas, il est tout à fait indifférent pour le développement pratique que l’Idée de ce bouleversement ait déjà été exprimée mille fois… comme le prouve l’histoire du communisme. »
Marx, L’Idéologie allemande
« Une nouvelle révolution ne sera possible qu’à la suite d’une nouvelle crise, mais l’une est aussi certaine que l’autre. »
Marx en 1848 dans « Les luttes de classe en France »
« Le prolétariat a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en mains ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir. »
Le Comité central durant la Commune de Paris (1871), cité par Karl Marx dans « La guerre civile en France »
« Quand la Commune de Paris prit la direction de la révolution entre ses propres mains, quand de simples ouvriers osèrent, pour la première fois, empiéter sur le privilège gouvernemental de leurs « supérieurs naturels » et accomplirent, dans des circonstances d’une difficulté sans exemple, leur œuvre modestement, consciencieusement et efficacement, et pour des salaires dont le plus élevé atteignait à peine le cinquième de ce qui, à en croire une haute autorité scientifique (le professeur Huxley) est le minimum requis pour le secrétaire du conseil des écoles de Londres, le vieux monde se tordit de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la république du travail, flottant sur l’Hôtel de ville. »
« La guerre civile en France » de Karl Marx
« Grâce au combat livré par Paris, la lutte de la classe ouvrière contre la classe capitaliste et son Etat est entrée dans une phase nouvelle. Quelqu’en soit l’issue immédiate, un nouveau point de départ d’une importance historique universelle a été acquis. »
Lettre de Karl Marx à Kugelman du 17 avril 1871
« La Commune ne fut pas une révolution contre une forme quelconque de pouvoir d’Etat, légitimiste, constitutionnelle, républicaine ou impériale. Elle fut une révolution contre l’Etat comme tel, contre cet avorton monstrueux de la société (…) Elle ne fut pas une révolution ayant pour but de transférer le pouvoir d’Etat d’une fraction des classes dominantes à une autre mais une révolution tendant à détruire cette machine abjecte de la domination de classe. (…) Seule la classe ouvrière pouvait exprimer par le mot « Commune » ces nouvelles aspirations dont elle inaugura la réalisation par la Commune militante. (…) Seuls les prolétaires, enflammés par la nouvelle tâche sociale qu’ils doivent accomplir pour la société tout entière, à savoir la suppression de toutes les classes et de la domination de classe, étaient capables de briser l’instrument de cette domination – l’Etat – ce pouvoir gouvernemental centralisé et organisé qui se prend pour le maître de la société au lieu d’en être le serviteur. (…) Le caractère vraiment social de leur République, c’est le simple fait que les travailleurs gouvernent la Commune de Paris. »
Karl Marx, Brouillon sur la Commune

« Leçon de la révolution de 1848 : l’indépendance indispensable du prolétariat « (...) Tandis que les petits bourgeois démocratiques veulent terminer la révolution au plus vite (...), il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente, jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir et que non seulement dans un pays, mais dans tous les pays régnants du monde l’association des prolétaires ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence des prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives décisives. Il ne peut s’agir pour nous de transformer la propriété privée, mais Seulement de 1’anéantir ; ni de masquer les antagonismes de classes, mais d’abolir les classes ; ni d’améliorer la société existante, mais d’en fonder une nouvelle. (...) « Leurs efforts doivent tendre à ce que l’effervescence révolutionnaire directe ne soit pas une nouvelle fois réprimée aussitôt après la victoire. Il faut, au contraire, qu’ils la maintiennent le plus longtemps possible. Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction. Pendant et après la lutte, les ouvriers doivent en toute occasion formuler leurs propres revendications à côté de celles des démocrates bourgeois. Ils doivent exiger des garanties pour les ouvriers, dès que les bourgeois démocratiques se disposent à prendre le gouvernement en main. Il faut au besoin qu’ils obtiennent ces garanties de haute lutte et s’arrangent en somme pour obliger les nouveaux gouvernants à toutes les concessions et promesses possibles ; c’est le plus sûr moyen de les compromettre. Il faut qu’ils s’efforcent, par tous les moyens et autant que faire se peut, de contenir la jubilation suscitée par le nouvel état de choses et l’état d’ivresse, conséquence de toute victoire remportée dans une bataille de rue, en jugeant avec calme et sang-froid la situation et en affectant à l’égard du nouveau gouvernement une méfiance non déguisée. Il faut qu’à côté des nouveaux gouvernements officiels ils établissent aussitôt leurs propres gouvernements ouvriers révolutionnaires, soit sous forme d’autonomies administratives locales ou de conseils municipaux, soit sous forme de clubs ou comités ouvriers, de façon que les gouvernements démocratiques bourgeois non seulement s’aliènent aussitôt l’appui des ouvriers, mais se voient, dès le début, surveillés et menacés par des autorités qui ont derrière elles toute la masse des ouvriers. En un mot, dès les premiers instants de la victoire, on ne doit plus tant se défier des partis réactionnaires vaincus que des anciens alliés des ouvriers, que du parti qui cherche à exploiter la victoire pour lui seul. (...) » « Les ouvriers doivent se placer non sous la tutelle de l’autorité de l’Etat mais sous celle des conseils révolutionnaires de communautés que les ouvriers auront pu faire adopter. Les armes et les munitions ne devront être rendues sous aucun prétexte. (...) » « Ils doivent pousser à l’extrême les propositions des démocrates qui, en tout cas, ne se montreront pas révolutionnaires, mais simplement réformistes, et transformer ces propositions en attaques directes contre la propriété privée. Si, par exemple, les petits bourgeois proposent de racheter les chemins de fer et les usines, les ouvriers doivent exiger que ces chemins de fer et ces usines soient simplement et sans indemnité confisqués par l’Etat en tant que propriété de réactionnaires. Si les démocrates proposent l’impôt proportionnel, les ouvriers réclament l’impôt progressif. Si les démocrates proposent eux-mêmes un impôt progressif modéré, les ouvriers exigent un impôt dont les échelons montent assez vite pour que le gros capital s’en trouve compromis. Si les démocrates réclament la régularisation de la dette publique, les ouvriers réclament la faillite de l’Etat. Les revendications des ouvriers devront donc se régler partout sur les concessions et les mesures des démocrates. » « Ils (les ouvriers) contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner—par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques—de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence ! »
Karl Marx et Friedrich Engels dans « Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes » (1850)

« Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d’époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d’une contradiction individuelle, mais d’une contradiction qui naît des conditions d’existence sociale des individus ; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s’achève donc la préhistoire de la société humaine. »
Marx, « Contribution à la Critique de l’économie politique »
« Les révolutions bourgeoises, comme celles du XVIII° siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamants, l’enthousiasme extatique est l’état permanent de la société, mais elles sont de courte durée. Rapidement, elles atteignent leur point culminant, et un long malaise s’empare de la société avant qu’elle ait appris à s’approprier d’une façon calme et posée les résultats de sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du XIX° siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient :
Hic Rhodus, hic salta ! C’est ici qu’est la rose, c’est ici qu’il faut danser ! »
Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte
« Ce sont également ces conditions de la vie, trouvées par, les générations successives, qui déterminent si l’ébranlement révolutionnaire, revenant périodiquement dans l’histoire, est ou n’est pas assez puissant pour renverser totalement les fondements de l’ordre établi entier - Et si ces éléments matériels d’un bouleversement total - d’une part, les forces productives existantes et d’autre part la formation d’une masse révolutionnaire qui se révolte, non seulement contre certaines conditions de la société passée, mais aussi contre l’ancienne « production de la vie », contre cette « activité totale qui est à sa base – n’existent pas, il est tout à fait indifférent pour le développement pratique que l’idée de ce bouleversement ait déjà été formulée cent fois : l’histoire du communisme le montre ».
Karl Marx, Idéologie Allemande

« La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque "ceux d’en bas" ne veulent plus et que "ceux d’en haut" ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher. Cette vérité s’exprime autrement en ces termes : la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs). Ainsi donc, pour qu’une révolution ait lieu, il faut : premièrement, obtenir que la majorité des ouvriers (ou, en tout cas, la majorité des ouvriers conscients, réfléchis, politiquement actifs) ait compris parfaitement la nécessité de la révolution et soit prête à mourir pour elle ; il faut ensuite que les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politique jusqu’aux masses les plus retardataires (l’indice de toute révolution véritable est une rapide élévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique, parmi la masse laborieuse et opprimée, jusque-là apathique), qui affaiblit le gouvernement et rend possible pour les révolutionnaires son prompt renversement. »
Lénine, « La maladie infantile du communisme »

« Toute révolution, toute révolution véritable, se ramène à un changement dans la situation des classes. Aussi la meilleure façon d’éclairer les masses - et d’empêcher qu’on les trompe au nom de la révolution - est-elle d’analyser avec précision les changements dans la situation des classes. »
Lénine, « Changements dans la situation des classes » (1917)

« A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. »
Lénine, La doctrine de Karl Marx

« La théorie et l’histoire enseignent que la substitution d’un régime social à un autre suppose la forme la plus élevée de la lutte des classes, c’est-à-dire la révolution. Même l’esclavage n’a pu être aboli aux Etats-Unis sans une guerre civile. La force est l’accoucheuse de toute vieille société grosse d’une nouvelle. Personne n’a encore été capable de réfuter ce principe énoncé par Marx de la sociologie des sociétés de classe. Seule la révolution socialiste peut ouvrir la voie au socialisme. »

Léon Trotsky, « Le marxisme et notre époque »

« L’histoire de la révolution est pour nous, avant tout, le récit de l’irruption violente des masses dans le domaine où se règlent leurs propres destinées. »

Léon Trotsky, Préface à l’« Histoire de la révolution russe »

« On ne doit pas oublier que les guerres et les révolutions de notre époque découlent, non des crises de conjoncture, mais d’un antagonisme parvenu à une extrême acuité entre le développement des forces productives d’une part, la propriété bourgeoise et l’Etat national d’autre part. La guerre impérialiste et la révolution d’Octobre sont déjà arrivées à montrer l’intensité de ces antagonismes. Le rôle nouveau de l’Amérique les a encore aggravés. Or, plus le développement des forces productives dans tel ou tel pays, ou dans plusieurs pays, prendra d’importance, plus tôt le nouvel essor s’enfermera dans les contradictions fondamentales de l’économie mondiale et plus violente sera la réaction économique, politique, intérieure et extérieure. Un important essor industriel serait, dans tous les cas, non pas un inconvénient, mais un immense avantage pour le communisme français en donnant un puissant tremplin de grèves à l’offensive politique. Conclusion : les situations révolutionnaires ne manqueront pas. En revanche, ce qui fera peut-être défaut, c’est l’aptitude à les exploiter. »
Trotsky, Crise de conjoncture et crise révolutionnaire du capitalisme, 22 décembre 1929

« Les conditions fondamentales pour la victoire de la révolution prolétarienne ont été établies par l’expérience historique et sur le plan théorique :

1. L’impasse bourgeoise et la confusion de la classe dominante qui en résulte,

2. le vif mécontentement et l’aspiration à des changements décisifs dans les rangs de la petite bourgeoisie sans le soutien de laquelle la grande bourgeoisie ne peut pas se maintenir,

3. La conscience du caractèrere intolérable de la situation et le fait qu’on soit, dans les rangs du prolétariat, prêts à des actions révolutionnaires,

4. Un programme clair et une direction ferme de l’avant garde prolétarienne telles sont les quatre conditions pour la victoire de la révolution prolétarienne.

La principale raison des défaites de nombreuses révolutions a sa racine dans le fait que ces quatre conditions n’atteignent que rarement le nécessaire degré de maturité au même moment. En histoire, la guerre est souvent la mère de la révolution précisément parce qu’elle secoue jusque dans leurs fondations des régimes totalement surannés, affaiblit la classe dirigeante, et hâte la montée de l’agitation révolutionnaire dans les classes opprimées. »

Léon Trotsky dans le Manifeste d’Alarme de la Quatrième internationale

« Dans une société prise de révolution, les classes sont en lutte. Il est pourtant tout à fait évident que les transformations qui se produisent entre le début et la fin d’une révolution, dans les bases économiques de la société et dans le substratum social des classes, ne suffisent pas du tout à expliquer la marche de la révolution même, laquelle, en un bref laps de temps, jette à bas des institutions séculaires, en crée de nouvelles et les renverse encore. La dynamique des événements révolutionnaires est directement déterminée par de rapides, intensives et passionnées conversions psychologiques des classes constituées avant la révolution.
C’est qu’en effet une société ne modifie pas ses institutions au fur et à mesure du besoin, comme un artisan renouvelle son outillage. Au contraire : pratiquement, la société considère les institutions qui la surplombent comme une chose à jamais établie. Durant des dizaines d’années, la critique d’opposition ne sert que de soupape au mécontentement des masses et elle est la condition de la stabilité du régime social : telle est, par exemple, en principe, la valeur acquise par la critique social-démocrate. Il faut des circonstances absolument exceptionnelles, indépendantes de la volonté des individus ou des partis, pour libérer les mécontents des gênes de l’esprit conservateur et amener les masses à l’insurrection.
Les rapides changements d’opinion et d’humeur des masses, en temps de révolution, proviennent, par conséquent, non de la souplesse et de la mobilité du psychique humain, mais bien de son profond conservatisme. Les idées et les rapports sociaux restant chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives, jusqu’au moment où celles-ci s’abattent en cataclysme, il en résulte, en temps de révolution, des soubresauts d’idées et de passions que des cerveaux de policiers se représentent tout simplement comme l’œuvre de " démagogues ".
Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l’âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l’ancien régime. C’est seulement le milieu dirigeant de leur classe qui possède un programme politique, lequel a pourtant besoin d’être vérifié par les événements et approuvé par les masses. Le processus politique essentiel d’une révolution est précisément en ceci que la classe prend conscience des problèmes posés par la crise sociale, et que les masses s’orientent activement d’après la méthode des approximations successives. Les diverses étapes du processus révolutionnaire, consolidées par la substitution à tels partis d’autres toujours plus extrémistes, traduisent la poussée constamment renforcée des masses vers la gauche, aussi longtemps que cet élan ne se brise pas contre des obstacles objectifs. Alors commence la réaction : désenchantement dans certains milieux de la classe révolutionnaire, multiplication des indifférents, et, par suite, consolidation des forces contre-révolutionnaires. Tel est du moins le schéma des anciennes révolutions.
C’est seulement par l’étude des processus politiques dans les masses que l’on peut comprendre le rôle des partis et des leaders que nous ne sommes pas le moins du monde enclin à ignorer. Ils constituent un élément non autonome, mais très important du processus. Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur.
Les difficultés que l’on rencontre dans l’étude des modifications de la conscience des masses en temps de révolution sont absolument évidentes. Les classes opprimées font de l’histoire dans les usines, dans les casernes, dans les campagnes, et, en ville, dans la rue. Mais elles n’ont guère l’habitude de noter par écrit ce qu’elles font. Les périodes où les passions sociales atteignent leur plus haute tension ne laissent en générai que peu de place à la contemplation et aux descriptions. Toutes les Muses, même la Muse plébéienne du journalisme, bien qu’elle ait les flancs solides, ont du mal à vivre en temps de révolution. Et pourtant la situation de l’historien n’est nullement désespérée. Les notes prises sont incomplètes, disparates, fortuites. Mais, à la lumière des événements, ces fragments permettent souvent de deviner la direction et le rythme du processus sous-jacent. Bien ou mal, c’est en appréciant les modifications de la conscience des masses qu’un parti révolutionnaire base sa tactique. La voie historique du bolchevisme témoigne que cette estimation, du moins en gros, était réalisable. Pourquoi donc ce qui est accessible à un politique révolutionnaire, dans les remous de la lutte, ne serait-il pas accessible à un historien rétrospectivement ?
Cependant, les processus qui se produisent dans la conscience des masses ne sont ni autonomes, ni indépendants. N’en déplaise aux idéalistes et aux éclectiques, la conscience est néanmoins déterminée par les conditions générales d’existence. Dans les circonstances historiques de formation de la Russie, avec son économie, ses classes, son pouvoir d’État, dans l’influence exercée sur elle par les puissances étrangères, devaient être incluses les prémisses de la Révolution de Février et de sa remplaçante - celle d’octobre. En la mesure où il semble particulièrement énigmatique qu’un pays arriéré ait le premier porté au pouvoir le prolétariat, il faut préalablement chercher le mot de l’énigme dans le caractère original dudit pays, c’est-à-dire dans ce qui le différencie des autres pays.
Les particularités historiques de la Russie et leur poids spécifique sont caractérisés dans les premiers chapitres de ce livre qui contiennent un exposé succinct du développement de la société russe et de ses forces internes. Nous voudrions espérer que l’inévitable schématisme de ces chapitres ne rebutera pas le lecteur. Dans la suite de l’oeuvre, il retrouvera les mêmes forces sociales en pleine action.
Cet ouvrage n’est nullement basé sur des souvenirs personnels. Cette circonstance que l’auteur a participé aux événements ne le dispensait point du devoir d’établir sa narration sur des documents rigoureusement contrôlés. L’auteur parle de soi dans la mesure où il y est forcé par la marche des événements, à la " troisième personne ". Et ce n’est pas là une simple forme littéraire : le ton subjectif, inévitable dans une autobiographie ou des mémoires, serait inadmissible dans une étude historique.
Cependant, du fait que l’auteur a participé à la lutte, il lui est naturellement plus facile de comprendre non seulement la psychologie des acteurs, individus et collectivités, mais aussi la corrélation interne des événements. Cet avantage peut donner des résultats positifs, à une condition toutefois : celle de ne point s’en rapporter aux témoignages de sa mémoire dans les petites comme dans les grandes choses, dans l’exposé des faits comme à l’égard des mobiles et des états d’opinion. L’auteur estime qu’autant qu’il dépendait de lui, il a tenu compte de cette condition.
Reste une question - celle de la position politique de l’auteur qui, en sa qualité d’historien, s’en tient au point de vue qui était le sien comme acteur dans les événements. Le lecteur n’est, bien entendu, pas obligé de partager les vues politiques de l’auteur, que ce dernier n’a aucun motif de dissimuler. Mais le lecteur est en droit d’exiger qu’un ouvrage d’histoire constitue non pas l’apologie d’une position politique, mais une représentation intimement fondée du processus réel de la révolution. Un ouvrage d’histoire ne répond pleinement à sa destination que si les événements se développent, de page en page, dans tout le naturel de leur nécessité.
Est-il pour cela indispensable qu’intervienne ce que l’on appelle " l’impartialité " de l’historien ? Personne n’a encore clairement expliqué en quoi cela doit consister. On a souvent cité certain aphorisme de Clemenceau, disant que la révolution doit être prise " en bloc " ; ce n’est tout au plus qu’une spirituelle dérobade : comment se déclarerait-on partisan d’un tout qui porte essentiellement en lui la division ? Le mot de Clemenceau lui a été dicté, partiellement, par une certaine honte pour des ancêtres trop résolus, partiellement aussi par le malaise du descendant devant leurs ombres.
Un des historiens réactionnaires, et, par conséquent, bien cotés, de la France contemporaine, M. Louis Madelin, qui a tellement calomnié, en homme de salon, la grande Révolution - c’est-à-dire la naissance de la nation française -, affirme qu’un historien doit monter sur le rempart de la cité menacée et, de là, considérer les assiégeants comme les assiégés. C’est seulement ainsi, selon lui, que l’on parviendrait à " la justice qui réconcilie ". Cependant, les ouvrages de M. Madelin prouvent que, s’il grimpe sur le rempart qui sépare les deux camps, c’est seulement en qualité d’éclaireur de la réaction. Par bonheur, il s’agit ici de camps d’autrefois : en temps de révolution, il est extrêmement dangereux de se tenir sur les remparts. D’ailleurs, au moment du péril, les pontifes d’une " justice qui réconcilie " restent d’ordinaire enfermés chez eux, attendant de voir de quel côté se décidera la victoire.
Le lecteur sérieux et doué de sens critique n’a pas besoin d’une impartialité fallacieuse qui lui tendrait la coupe de l’esprit conciliateur, saturée d’une bonne dose de poison, d’un dépôt de haine réactionnaire, mais il lui faut la bonne foi scientifique qui, pour exprimer ses sympathies, ses antipathies, franches et non masquées, cherche à s’appuyer sur une honnête étude des faits, sur la démonstration des rapports réels entre les faits, sur la manifestation de ce qu’il y a de rationnel dans le déroulement des faits. Là seulement est possible l’objectivité historique, et elle est alors tout à fait suffisante, car elle est vérifiée et certifiée autrement que par les bonnes intentions de l’historien - dont celui-ci donne, d’ailleurs, la garantie - mais par la révélation de la loi intime du processus historique.
Les sources de cet ouvrage consistent en nombreuses publications périodiques, journaux et revues, mémoires, procès-verbaux et autres documents, quelques-uns manuscrits, mais pour la plupart publiés par l’institut d’Histoire de la Révolution, à Moscou et à Léningrad. Nous avons jugé inutile de donner dans le texte des références, qui auraient, tout au plus, gêné le lecteur. Parmi les livres d’histoire qui ont le caractère d’études d’ensemble, nous avons notamment utilisé les deux tomes d’Essais sur l’Histoire de la Révolution d’octobre (Moscou-Léningrad, 1927). Ces essais rédigés par divers auteurs ne sont pas tous de même valeur, mais contiennent, en tout cas, une abondante documentation sur les faits.
Les dates données dans cet ouvrage sont toutes celles de l’ancien style, c’est-à-dire qu’elles retardent de treize jours sur le calendrier universel, actuellement adopté par les soviets. L’auteur était forcé de suivre le calendrier qui était en usage à l’époque de la Révolution. Il ne serait pas difficile, vraiment, de transposer les dates en style moderne. Mais cette opération, qui éliminerait certaines difficultés, en créerait d’autres plus graves. Le renversement de la monarchie s’est inscrit dans l’Histoire sous le nom de Révolution de Février. Cependant, d’après le calendrier occidental, l’événement eut lieu en mars. Certaine manifestation armée contre la politique impérialiste du Gouvernement provisoire a été marquée dans l’histoire comme " journées d’Avril ", alors que, d’après le calendrier occidental, elle eut lieu en mai. Ne nous arrêtant pas à d’autres événements et dates intermédiaires, notons encore que la Révolution d’Octobre s’est produite, pour l’Europe, en novembre. Comme on voit, le calendrier même a pris la couleur des événements et l’historien ne peut se débarrasser des éphémérides révolutionnaires par de simples opérations d’arithmétique. Veuille le lecteur se rappeler qu’avant de supprimer le calendrier byzantin, la Révolution dut abolir les institutions qui tenaient à le conserver. »
Léon Trotsky, Préface à l’histoire de la révolution russe – février

« La révolution brise et démolit l’appareil du vieil Etat. C’est sa première tâche. Les masses prennent possession de l’arène politique. Elles décident, elles agissent, elles légifèrent à leur façon, qui n’a pas de précédent ; elles jugent, elles ordonnent. L’essence de la révolution c’est que la masse devient son propre organe exécutif. Mais quand les hommes qui l’ont animée quittent la scène, se replient vers leurs districts, se retirent dans leurs foyers, inquiets, désillusionnés, fatigués, l’arène tombe dans l’abandon, et sa désolation ne fait qu’augmenter à mesure que la nouvelle machine bureaucratique l’occupe. Naturellement, les nouveaux dirigeants, peu sûrs d’eux-mêmes et de la masse, sont pleins d’appréhension. C’est pourquoi, aux époques de réaction victorieuse, la machine militaro-policière joue un rôle beaucoup plus grand que sous l’ancien régime. Dans sa courbe, de la Révolution à Thermidor, la nature spécifique du Thermidor russe était déterminée par le rôle que le Parti y jouait. La Révolution française n’avait rien de ce genre à sa disposition. La dictature des Jacobins, en tant qu’elle était personnifiée par le Comité de salut public, ne dura qu’une année. Cette dictature avait un appui réel dans la Convention, qui était bien plus forte que les clubs et les sections révolutionnaires. Ici réside la contradiction classique entre le dynamisme de la révolution et son reflet parlementaire. Les éléments les plus actifs des classes participent à la lutte révolutionnaire qui oppose ouvertement les forces antagonistes. Les autres - les neutres, les passifs, les inconscients - semblent se mettre eux-mêmes hors du jeu. Au moment des élections, la participation s’élargit ; elle englobe une portion considérable de ceux qui ne sont que semi-passifs ou semi-indifférents. En temps de révolution, les représentants parlementaires sont infiniment plus modérés et pondérés que les groupes révolutionnaires qu’ils représentent. Afin de dominer la Convention, les Montagnards lui laissèrent, plutôt qu’aux éléments révolutionnaires du peuple, le gouvernement de la nation.
Malgré le caractère incomparablement plus profond de la Révolution d’Octobre, l’armée du Thermidor soviétique était recrutée essentiellement parmi les restes des anciens partis dirigeants et leurs représentants idéologiques. Les anciens grands propriétaires fonciers, les capitalistes, les avocats, leurs fils - c’est-à-dire ceux d’entre eux qui n’avaient pas fui à l’étranger - étaient incorporés dans la machine de l’Etat, et même une portion non négligeable dans le Parti, mais le plus grand nombre de ceux admis dans les appareils de l’Etat et du Parti étaient d’anciens membres des formations petites-bourgeoises - menchévistes et socialistes-révolutionnaires. Il faut ajouter à ceux-ci une énorme quantité de philistins purs et simples qui s’étaient mis à l’abri durant les époques tumultueuses de la Révolution et de la guerre civile, et qui, convaincus enfin de la stabilité du gouvernement soviétique, se vouaient avec une passion singulière à la noble tâche de s’assurer des emplois agréables et permanents, sinon au centre, au moins dans les provinces. Cette énorme racaille aux couleurs diverses était l’appui naturel du Thermidor. »
Léon Trotsky, "Staline"

« Quels sont les postulats de la révolution sociale, dans quelles conditions peut-elle surgir, se développer et vaincre ? Ces postulats sont très nombreux. Mais on peut les rassembler en trois et même en deux groupes : les postulats objectifs et les postulats subjectifs : Les postulats objectifs reposent sur un niveau déterminé de développement des forces de production. (C’est là une chose élémentaire, mais il n’est pas inutile de revenir de temps en temps à " l’alpha-beta ", aux fondements du marxisme, afin d’arriver, à l’aide de l’ancienne méthode, aux nouvelles conclusions qu’impose la situation actuelle). Ainsi donc, le postulat capital de la révolution sociale est un niveau déterminé de développement des forces productives, un niveau où le socialisme et ensuite le communisme, comme mode de production et de répartition des biens, offrent des avantages matériels. Il est impossible d’édifier le communisme ou même le socialisme à la campagne, où règne encore la herse. Il faut un certain développement de la technique.
Or, ce niveau de développement est-il atteint dans l’ensemble du monde capitaliste ? Oui, incontestablement. Qu’est-ce qui le prouve ? C’est que les grandes entreprises capitalistes, les trusts, les syndicats, triomphent dans le monde entier des petites et moyennes entreprises. Ainsi donc, une organisation économique sociale qui s’appuierait uniquement sur la technique des grandes entreprises, qui serait construite sur le modèle dos trusts et des syndicats, mais sur les bases de la solidarité, qui serait étendue à une nation, à un Etat, puis au monde entier, offrirait des avantages matériels énormes. Ce postulat existe depuis longtemps.
Deuxième postulat objectif : il faut que la société soit dissociée de façon qu’il y ait une classe intéressée à la révolution socialiste et que cette classe sait assez nombreuse et assez influente au point de vue de la production pour faire elle-même cette révolution. Mais cela ne suffit pas. Il faut encore que cette classe – et là nous passons au postulat subjectif – comprenne la situation, qu’elle veuille consciemment le changement de l’ancien ordre de choses, qu’elle ait à sa tête un parti capable de la diriger au moment du coup de force et de lui assurer la victoire. Or cela présuppose un certain état de la classe bourgeoise dirigeante qui doit avoir perdu son influence sur les masses populaires, être ébranlée dans ses propres rangs, avoir perdu de son assurance. Cet état de la société représente précisément une situation révolutionnaire. Ce n’est que sur des bases sociales de production déterminées que peuvent surgir les prémisses psychologiques, politiques et organiques pour la réalisation de l’insurrection et sa victoire.
Le deuxième postulat : dissociation de classe, autrement dit rôle et importance du prolétariat dans la société, existe-t-il ? Oui, il existe déjà depuis des dizaines d’années. C’est ce que prouve, mieux que tout, le rôle du prolétariat russe, qui pourtant est de formation relativement récente. Qu’est-ce qui a manqué jusqu’à présent ? Le dernier postulat subjectif, la conscience par le prolétariat d’Europe de sa situation dans la société, une organisation et une éducation appropriées, un parti capable de diriger le prolétariat. Voilà ce qui a manqué. Maintes fois, nous marxistes, nous avons dit que, en dépit de toutes les théories idéalistes, la conscience de la société retarde sur son développement, et nous en avons une preuve éclatante dans le sort du prolétariat mondial. Les forces de production sont depuis longtemps mûres pour le socialisme. Le prolétariat, depuis longtemps, tout au moins dans les pays capitalistes les plus importants, joue un rôle économique décisif. C’est de lui que dépend tout le mécanisme de la production et, par suite, de la société. Ce qui fait défaut, c’est le dernier facteur subjectif : la conscience retarde sur la vie. »

Léon Trotsky, « Europe et Amérique »

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