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Le matérialisme historique

lundi 27 octobre 2014, par Robert Paris

« Ma perspective consiste à appréhender le développement de la formation économico-sociale comme un processus historique naturel… »

« Préface à la première édition allemande », dans Le Capital, Karl Marx

« L’héritage de Marx est resté en friche. On laisse rouiller cette arme merveilleuse. La théorie même du matérialisme historique est encore aujourd’hui aussi schématique, aussi peu fouillée que lorsqu’elle nous est venue des mains de son créateur. »

Rosa Luxemburg, Arrêts et progrès du marxisme

Le matérialisme historique

Extraits de l’"Idéologie allemande" de Marx et Engels :

« Le fait est donc le suivant : des individus déterminés qui ont une activité productive selon un mode déterminé entrent dans ces rapports sociaux et politiques déterminés. Dans chaque cas isolé, l’observation empirique doit montrer empiriquement et sans aucune spéculation ni mystification le lien entre la structure sociale et l’Etat résultant constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus, non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire, tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement ; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté .

La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement liée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l’émanation directe de leur comportement matériel. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu’elle se présente dans le langage de la politique, des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc. d’un peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes réels, agissants, tels qu’ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et des relations qui y correspondent, y compris les formes les plus larges que celles-ci peuvent prendre. La conscience ne peut jamais être autre chose que l’Etre conscient (das bewusste Sein) et l’Etre des hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute l’idéologie, les hommes et leur rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une chambre noire, ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique.

A l’encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c’est de la terre au ciel que l’on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu’ils sont dans les paroles, la pensée, l’imagination et la représentation d’autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os ; non, on part des hommes dans leur activité réelle, c’est d’après leur processus de vie réel que l’on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital. Et même les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement de leur processus de vie matériel que l’on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles. De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d’autonomie. Elles n’ont pas d’histoire, elles n’ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs relations matérielles, transforment avec cette réalité qui leur est propre et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans la première façon de considérer les choses, on part de la Conscience comme étant l’Individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l’on considère la Conscience uniquement comme leur conscience.

… La conscience est donc d’emblée un produit social et le demeure aussi longtemps qu’ils existe des hommes en général. Bien entendu, la conscience n’est d’abord que la conscience du milieu sensible le plus proche et celle du lien borné avec d’autres personnes et d’autres choses situées en dehors de l’individu qui prend conscience ; c’est en même temps la conscience de la nature qui se dresse d’abord en face des hommes comme une puissance foncièrement étrangère, toute-puissante et inattaquable, envers laquelle les hommes se comportent d’une façon purement animale et qui leur impose autant qu’au bétail ; par conséquent une conscience de la nature purement animale (religion et nature).

On voit immédiatement que cette religion de la nature, ou ces rapports déterminés envers la nature, sont conditionnés par la forme de la société et vice versa. Ici, comme partout ailleurs, l’identité de l’homme et de la nature apparaît aussi sous cette forme, que le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux, et que leur comportement borné entre eux conditionne à son tour leurs rapports bornés avec la nature, précisément parce que la nature est encore à peine modifiée par l’histoire et que, d’autre part, la conscience de la nécessité d’entrer en rapport avec les individus qui l’entourent marque pour l’homme le début de la conscience du fait qu’il vit somme toute en société.

Ce début est aussi animal que l’est la vie sociale de ce stade elle-même ; il est une simple conscience grégaire et l’homme se distingue ici du mouton par l’unique fait que sa conscience prend chez lui la place de l’instinct ou que son instinct est un instinct conscient. Cette conscience moutonnière ou tribale reçoit son développement et son perfectionnement ultérieurs de l’accroissement de la productivité, de l’augmentation des besoins et de l’accroissement de la population qui est à la base des deux précédents. Ainsi se développe la division du travail qui n’était primitivement pas autre chose que la division du travail dans l’acte sexuel, puis devient la division du travail qui se fait d’elle-même ou « naturellement » en vertu des dispositions naturelles (vigueur corporelle par exemple), des besoins, des hasards, etc. La division du travail ne devient effectivement division du travail qu’à partir du moment où s’opère une division du travail matériel et intellectuel . A partir de ce moment la conscience peut vraiment s’imaginer qu’elle est autre chose que la conscience de la pratique existante, qu’elle représente réellement quelque chose sans représenter quelque chose de réel. A partir de ce moment, la conscience est en état de s’émanciper du monde et de passer à la formation de la théorie « pure », théologie, philosophie, morale, etc. Mais même lorsque cette théorie, cette théologie, cette morale, etc., entrent en contradiction avec les rapports sociaux existants sont entrés en contradiction avec la force productive existante ; d’ailleurs, dans un cercle de rapports national déterminé, cela peut arriver aussi parce que, dans ce cas, la contradiction se produit, non pas à l’intérieur de cette sphère nationale, mais entre cette conscience nationale et la pratique des autres nations, c’est-à-dire entre la conscience nationale d’une nation et sa conscience universelle . — Peu importe du reste ce que la conscience entreprend isolément ; toute cette pourriture ne nous donne que ce résultat : que ces trois moments, la force productive, l’état social et la conscience, peuvent et doivent entrer en conflit entre eux car, par la division du travail, il devient possible, bien mieux il devient effectif que l’activité intellectuelle et matérielle, que la jouissance et le travail, la production et la consommation échoient en partage à des individus différents ; et alors la possibilité que ces moments n’entrent pas en conflit réside uniquement dans le fait qu’on abolit à nouveau la division du travail. Il va de soi du reste que « fantômes », « racaille », « essence supérieure », « concept », « doutes » ne sont que l’expression mentale idéaliste, la représentation, selon toute apparence de l’individu isolé, la représentation de chaînes et de limites très empiriques à l’intérieur desquelles se meut le mode de production de la vie et la forme de relations qui y est attachée.

… Cette conception de l’histoire a donc pour base le développement du processus réel de la production, et cela en partant de la production matérielle de la vie immédiate ; elle conçoit la forme des relations humaines liée à ce mode de production et engendrée par elle, je veux dire la société bourgeoise à ses différents stades, comme étant le fondement de toute l’histoire, ce qui consiste à la représenter dans son action en tant qu’Etat aussi bien qu’à expliquer par elle l’ensemble des diverses productions théoriques et des formes de la conscience, religion, philosophie, morale, etc., et à suivre sa genèse en partant de ses productions, ce qui permet alors naturellement de représenter la chose dans sa totalité (et d’examiner aussi l’action réciproque de ces différents aspects). Elle n’est pas obligée, comme la conception idéaliste de l’histoire, de chercher une catégorie dans chaque période, mais elle demeure constamment sur le sol réel de l’histoire ; elle n’explique pas la pratique d’après l’idée, elle explique la formation des idées d’après la pratique matérielle ; elle arrive par conséquent à ce résultat, que toutes les formes et produits de la conscience peuvent être résolus non pas grâce à la critique intellectuelle, par la réduction à la « conscience de soi » ou la métamorphose en « apparition de revenants », en « fantômes », en « folles lubies », etc., mais uniquement par le renversement pratique des rapports sociaux concrets d’où sont nées ces sornettes idéalistes. Ce n’est pas la Critique, mais la révolution qui est la force motrice de l’histoire, de la religion, de la philosophie et de toute autre théorie.

Cette conception montre que la fin de l’histoire n’est pas de se résoudre en « conscience de soi » comme « esprit de l’esprit », mais qu’à chaque stade se trouvent donnés un résultat matériel, une somme de forces productives, un rapport avec la nature et entre les individus créé historiquement et transmis à chaque génération par celle qui la précède, une masse de forces de production, de capitaux et de circonstances qui, d’une part, sont bien modifiés par la nouvelle génération, mais qui, d’autre part, lui dictent ses propres conditions d’existence et lui impriment un développement déterminé, un caractère spécifique ; par conséquent les circonstances font tout autant les homes que les hommes font les circonstances.

Cette somme de forces de production, de capitaux, de formes de relations sociales, que chaque individu et chaque génération trouvent comme des données existantes, est la base concrète de ce que les philosophiques ses sont représenté comme « substance » et « essence de l’homme », de ce dont ils ont fait l’apothéose et qu’ils ont combattu, base concrète qui n’est nullement détruite dans ses effets et dans son influence sur le développement des hommes par le fait que ces philosophes entrent en rébellion contre elle au titre de « conscience de soi » et d’« unique ». Ce sont également ces conditions de vie, que trouvent prêtes les diverses générations, qui déterminent si la secousse révolutionnaire, qui se reproduit périodiquement dans l’histoire, est assez forte ou non pour renverser les bases de tout ce qui existe ; les éléments matériels d’un bouleversement total sont, d’une part, la formation d’une masse révolutionnaire qui fait la révolution, non seulement contre des conditions particulières de la société passée, mais contre la « production de la vie » antérieure elle-même, contre l’« ensemble de l’activité » qui en est le fondement ; si ces conditions n’existent pas, il est tout à fait indifférent pour le développement pratique que l’Idée de ce bouleversement ait déjà été exprimée mille fois… comme le prouve l’histoire du communisme.

Jusqu’ici, toute conception historique a, ou bien laissé complètement de côté cette base réelle de l’histoire, ou l’a considérée comme une chose accessoire, en dehors de tout lien avec la marche de l’histoire. De ce fait, l’histoire doit toujours être écrite d’après une norme située en dehors d’elle. La production réelle de la vie apparaît à l’origine de l’histoire, tandis que ce qui est proprement historique apparaît comme séparé de la vie ordinaire, comme extra et supraterrestre. Les rapports entre les hommes et la nature sont de ce fait exclus de l’histoire, ce qui engendre l’opposition entre la nature et l’histoire. Par conséquent, cette conception n’a pu voir dans l’histoire que les grands événements historiques et politiques, de luttes religieuses et somme toute théoriques, et elle a dû en particulier partager pour chaque époque historique l’illusion de cette époque. Mettons qu’une époque s’imagine être déterminée par des motifs purement « politiques » ou « religieux », bien que « Politique » et « Religion » ne soient que des formes de ses motifs réels : son historien accepte alors cette opinion. L’« Imagination », la « Représentation » que ces hommes déterminés se font de leur pratique réelle, se transforme en la puissance uniquement déterminante et active qui domine et détermine la pratique de ces hommes. Si la forme rudimentaire sous laquelle se présente la division du travail chez les Indiens et chez les Egyptiens suscite chez ces peuples le régime des castes dans leur Etat et dans leur religion, l’historien croit que le régime des castes est la puissance qui a engendré cette forme sociale rudimentaire. Tandis que les Français et les Anglais s’en tiennent au moins à l’illusion politique, qui est encore le plus proche de la réalité, les Allemands se meuvent dans le domaine de l’« Esprit pur » et font de l’illusion religieuse la force motrice de l’histoire. La philosophie de l’histoire de Hegel est la dernière expression conséquente, poussée à sa « plus pure expression », de toute façon qu’ont les Allemands d’écrire l’histoire et dans laquelle ils ne s’agit pas d’intérêts réels, pas même d’intérêts politiques, mais d’idées pures ; cette histoire ne peut alors d’« idées » dont l’une dévore l’autre et sombre finalement dans la « conscience de soi » et pour Saint Max Stirner, qui ne sait rien de toute l’histoire réelle, cette marche de l’histoire devait apparaître avec bien plus de logique encore comme simple histoire de « chevaliers », de brigands et de fantômes 1, aux visions desquels il n’arrive naturellement à échapper que par l’« Impiété ». Cette conception est vraiment religieuse, elle suppose que l’homme religieux est l’homme primitif dont part toute l’histoire et elle remplace dans son imagination la production réelle des moyens de vivre et de la vie elle-même par une production religieuse des choses imaginaires. Toute cette conception de l’histoire, ainsi que sa désagrégation et les scrupules et les doutes qui en résultent, n’est qu’une affaire purement nationale des seuls Allemands et n’a qu’un intérêt local pour l’Allemagne, comme par exemple la question importante et maintes fois traitée récemment de savoir comment l’on passe exactement « du royaume de Dieu au royaume des hommes » ; comme si ce « royaume de Dieu » avait jamais existé ailleurs que dans l’imagination des hommes et comme si ces doctes sires ne vivaient pas sans cesse et sans s’en douter dans le « royaume des hommes » dont ils cherchent maintenant le chemin, et comme si l’amusement scientifique — car ce n’est rien de plus — qu’il y a à expliquer la singularité de cette construction théorique dans les nuages ne consistait pas au contraire à démontrer comment elle est née des rapports terrestres réels. En général, il s’agit constamment, chez ces Allemands, de résoudre le non-sens existant en quelqu’autre marotte, c’est-à-dire de poser que tout ce non-sens a somme toute uns sens particulier qu’il s’agit de déceler, alors qu’il s’agit uniquement d’expliquer cette phraséologie théorique par les rapports réels existants. La véritable résolution pratique de cette phraséologie, l’élimination de ces représentants dans la conscience des hommes, ne sera réalisée, nous le répétons, que par une transformation des circonstances et non par des déductions théoriques. Pour la masse des hommes, c’est-à-dire pour le prolétariat, ces représentations théoriques n’existent pas, donc pour cette masse elles n’ont pas non plus besoin d’être résolues et si celle-ci a jamais eu quelques représentations théoriques telles que la religion, il y a longtemps déjà qu’elles sont dissoutes par les circonstances. »

Le matérialisme historique de Marx (1)

Le matérialisme historique de Marx (2)

Le matérialisme historique de Engels

Le matérialisme historique de Plekhanov

La théorie du matérialisme historique de N.I. Boukharine

Le matérialisme historique d’Anton Pannekoek

Le matérialisme historique de Gramsci

Le matérialisme historique de Sorel

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