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Le capitalisme ne doit pas seulement produire, ni seulement de manière croissante, mais il doit révolutionner sans cesse les forces productives (et les détruire aussi sans cesse dans des crises ou des guerres) ou, s’il n’en est plus capable, c’est qu’il est mort...

mardi 14 octobre 2014, par Robert Paris

« La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux… Ce qui distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes, c’est le bouleversement incessant de la production, l’ébranlement continuel de toutes les institutions sociales, bref la permanence de l’instabilité et du mouvement. »

Karl Marx, Manifeste du parti communiste

« La production du capitalisme engendre, tel une loi de la nature inexorable, sa propre négation. »

Karl Marx, Le Capital, tome 1

« La production capitaliste révolutionne progressivement la technique du travail et le mode d’existence réel de l’ensemble du procès de travail en même temps que les rapports entre les divers agents de la production. »

Karl Marx - Le Capital – Chapitre inédit - La production capitaliste comme production de plus-value

Le capitalisme ne doit pas seulement produire, ni seulement de manière croissante, mais il doit révolutionner sans cesse les forces productives (et les détruire aussi sans cesse dans des crises ou des guerres) ou, s’il n’en est plus capable, c’est qu’il est mort...

« La manufacture proprement dite ne soumet pas seulement le travailleur aux ordres et à la discipline du capital, mais établit encore une gradation hiérarchique parmi les ouvriers eux-mêmes. Si, en général, la coopération simple n’affecte guère le mode de travail individuel, la manufacture le révolutionne de fond en comble et attaque à sa racine la force de travail…. Il a été démontré que le point de départ de la grande industrie est le moyen de travail qui une fois révolutionné revêt sa forme la plus développée dans le système mécanique de la fabrique. »

Karl Marx - Le Capital - Livre premier- Le développement de la production capitaliste

« Il y a un fait éclatant qui est caractéristique pour notre siècle, un fait qu’aucun parti politique n’oserait contester. D’un côté nous avons vu naître des forces industrielles et scientifiques qu’on n’aurait pu imaginer à aucune époque antérieure de l’histoire humaine. De l’autre, on aperçoit les symptômes d’une débâcle telle qu’elle éclipsera même les horreurs de la fin de l’Empire romain. De nos jours, chaque chose paraît grosse de son contraire. La machine qui possède le merveilleux pouvoir d’abréger le travail de l’homme et de le rendre plus productif entraîne la faim et l’excès de fatigue. Par un étrange caprice du destin, les nouvelles sources de richesse se transforment en sources de misère. On dirait que chaque victoire de la technique se paie par une déchéance de l’individu. A mesure que l’homme se rend maître de la nature, il semble se laisser dominer par ses semblables ou par sa propre infamie. La pure lumière de la science elle-même semble avoir besoin, pour resplendir, des ténèbres de l’ignorance. (…) Les forces nouvelles de la société réclament des hommes nouveaux, les ouvriers. Ils sont le produit des temps nouveaux, au même titre que les machines elles-mêmes. Aux signes qui déconcertent la bourgeoisie, l’aristocratie et les pauvres annonciateurs du déclin, nous reconnaissons la vieille taupe qui sait si vite travailler sous la terre, le digne pionnier – la révolution. »

Karl Marx dans une allocution d’avril 1856

« Le Capital est contradiction en acte : il tend à réduire au minimum le temps de travail, tout en en faisant l’unique source et la mesure de la richesse. Aussi le diminue-t-il dans sa forme nécessaire pour l’augmenter dans sa forme inutile, faisant du temps de travail superflu la condition – question de vie ou de mort – du temps de travail nécessaire. D’un côté, le capital met en branle toutes les forces de la science et de la nature, il stimule la coopération et le commerce sociaux pour libérer (relativement) la création de la richesse du temps de travail ; d’un autre côté, il entend mesurer en temps de travail les immenses forces sociales ainsi créées, de sorte qu’il en contient, immobilise et limite les acquis. Forces productives et relations sociales – double principe du développement de l’individu – ne sont et ne signifient pour le capital que de simples moyens pour se maintenir sur sa propre base étroite. En réalité, ce sont là les conditions matérielles qui feront éclater les fondements du capital. »

Karl Marx dans « Principes de la critique de l’économie politique »

Lire encore sur le rôle révolutionnaire du capitalisme dans le Livre premier du Capital de Marx

« La découverte de l’Amérique, la circumnavigation de l’Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d’action. Les marchés des Indes Orientales et de la Chine, la colonisation de l’Amérique, le commerce colonial, la multiplication des moyens d’échange et, en général, des marchandises donnèrent un essor jusqu’alors inconnu au négoce, à la navigation, à l’industrie et assurèrent, en conséquence, un développement rapide à l’élément révolutionnaire de la société féodale en dissolution. L’ancien mode d’exploitation féodal ou corporatif de l’industrie ne suffisait plus aux besoins qui croissaient sans cesse à mesure que s’ouvraient de nouveaux marchés. La manufacture prit sa place. La moyenne bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres de jurande ; la division du travail entre les différentes corporations céda la place à la division du travail au sein de l’atelier même. Mais les marchés s’agrandissaient sans cesse : la demande croissait toujours. La manufacture, à son tour, devint insuffisante. Alors, la vapeur et la machine révolutionnèrent la production industrielle. La grande industrie moderne supplanta la manufacture ; la moyenne bourgeoisie industrielle céda la place aux millionnaires de l’industrie, aux chefs de véritables armées industrielles, aux bourgeois modernes. La grande industrie a créé le marché mondial, préparé par la découverte de l’Amérique. Le marché mondial accéléra prodigieusement le développement du commerce, de la navigation, des voies de communication. Ce développement réagit à son tour sur l’extension de l’industrie ; et, au fur et a mesure que l’industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer se développaient, la bourgeoisie grandissait, décuplant ses capitaux et refoulant à l’arrière-plan les classes léguées par le moyen âge. La bourgeoisie, nous le voyons, est elle-même le produit d’un long développement, d’une série de révolutions dans le mode de production et les moyens de communication. La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire… Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses "supérieurs naturels", elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent. La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l’ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés… Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations. Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l’adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l’est pas moins des productions de l’esprit Les oeuvres intellectuelles d’une nation deviennent la propriété commune de toutes. L’étroitesse et l’exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle. Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l’amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image. La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d’énormes cités ; elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celles des campagnes, et par là, elle a arraché une grande partie de la population à l’abrutissement de la vie des champs. De même qu’elle a soumis la campagne à la ville, les pays barbares ou demi-barbares aux pays civilisés, elle a subordonné les peuples de paysans aux peuples de bourgeois, l’Orient à l’Occident. La bourgeoisie supprime de plus en plus l’émiettement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La conséquence totale de ces changements a été la centralisation politique. Des provinces indépendantes, tout juste fédérées entre elles, ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule nation, avec un seul gouvernement, une seule loi, un seul intérêt national de classe, derrière un seul cordon douanier. La bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses ; et plus colossales que l’avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines, l’application de la chimie à l’industrie et à l’agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol - quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ? Voici donc ce que nous avons vu : les moyens de production et d’échange. sur la base desquels s’est édifiée la bourgeoise, furent créés à l’intérieur de la société féodale. A un certain degré du développement de ces moyens de production et d’échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l’organisation féodale de l’agriculture et de la manufacture, en un mot le régime féodal de propriété, cessèrent de correspondre aux forces productives en plein développement. Ils entravaient la production au lieu de la faire progresser. Ils se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait les briser. Et on les brisa. A sa place s’éleva la libre concurrence, avec une constitution sociale et politique appropriée, avec la suprématie économique et politique de la classe bourgeoise. Nous assistons aujourd’hui à un processus analogue. Les conditions bourgeoises de production et d’échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d’échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a évoquées. Depuis des dizaines d’années, l’histoire de l’industrie et du commerce n’est autre chose que l’histoire de la révolte des forces productives modernes contre les rapports modernes de production, contre le régime de propriété qui conditionnent l’existence de la bourgeoisie et sa domination. Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l’existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s’abat sur la société, - l’épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; on dirait qu’une famine, une guerre d’extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance ; l’industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le régime de la propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce régime qui alors leur fait obstacle ; et toutes les fois que les forces productives sociales triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l’existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein. - Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives ; de l’autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. A quoi cela aboutit-il ? A préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir. Les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd’hui contre la bourgeoisie elle-même. Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires. A mesure que grandit la bourgeoisie, c’est-à-dire le capital, se développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent qu’à la condition de trouver du travail et qui n’en trouvent que si leur travail accroît le capital. Ces ouvriers, contraints de se vendre au jour le jour, sont une marchandise, un article de commerce comme un autre ; ils sont exposés, par conséquent, à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. Le développement du machinisme et la division du travail, en faisant perdre au travail de l’ouvrier tout caractère d’autonomie, lui ont fait perdre tout attrait. Le producteur devient un simple accessoire de la machine, on n’exige de lui que l’opération la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent, ce que coûte l’ouvrier se réduit, à peu de chose près, au coût de ce qu’il lui faut pour s’entretenir et perpétuer sa descendance. Or, le prix du travail, comme celui de toute marchandise, est égal à son coût de production. Donc, plus le travail devient répugnant, plus les salaires baissent. Bien plus, la somme de labeur s’accroît avec le développement du machinisme et de la division du travail, soit par l’augmentation des heures ouvrables, soit par l’augmentation du travail exigé dans un temps donné, l’accélération du mouvement des machines, etc. L’industrie moderne a fait du petit atelier du maître artisan patriarcal la grande fabrique du capitalisme industriel. Des masses d’ouvriers, entassés dans la fabrique, sont organisés militairement. Simples soldats de l’industrie, ils sont placés sous la surveillance d’une hiérarchie complète de sous-officiers et d’officiers. Ils ne sont pas seulement les esclaves de la classe bourgeoise, de l’Etat bourgeois, mais encore, chaque jour, à chaque heure, les esclaves de la machine, du contremaître et surtout du bourgeois fabricant lui-même. Plus ce despotisme proclame ouvertement le profit comme son but unique, plus il devient mesquin, odieux, exaspérant. »

Karl Marx – Manifeste du parti communiste

Le rapport de la Commission agricole des États-Unis pour l’année 1867 écrivait :

« En même temps que l’emploi des machines révolutionne l’agriculture à l’Ouest, réduisant la part du travail humain au minimum connu jusquà présent (...) l’agriculture tirait profit de talents d’administration et de gestion remarquables. Des fermes de plusieurs milliers d’hectares sont gérées avec plus de compétence, les moyens existants sont utilisés plus rationnellement et plus économiquement, et le rendement est plus élevé que dans les fermes de 40 hectares. »
(Cité par Lafargue en 1883)

« Dès que le machinisme eut conquis l’industrie et l’eut soumise à de constants bouleversements, la fixité que l’on remarquait dans les engins de guerre prit également fin. Chaque jour apporte une nouvelle invention, une nouvelle découverte, qui, à peine éprouvée et introduite à grands frais, se voit détrôner par une nouveauté qui révolutionne tout. »

Karl Kautsky, Le Programme socialiste

Pour la plupart des gens, des économistes, des sociologues comme des politiques, pour ou contre le système d’exploitation, ce dernier aurait existé continûment, de sa naissance en Angleterre à nos jours, sans rupture, sans cassure, sans discontinuité, se contentant de s’étendre sans cesse, de se développer, de se perfectionner, d’accroître l’échelle de sa production, gagnant de nouveaux secteurs d’activité comme de nouvelles régions du globe, avec juste des accidents de parcours, les crises économiques…

Nous allons essayer de développer la thèse inverse : ce n’est pas un seul et même système qui, en continu, change progressivement. Le fonctionnement même du système, son caractère dynamique provient du fait qu’il détruit régulièrement ses anciennes étapes, qu’en même temps, il détruit une grande quantité des forces productives qu’il a construites et, parfois, s’autodétruit quasi complètement, au niveau local, d’une activité, ou de manière générale et même mondiale…

Ainsi, il ne reste quasiment rien de la première étape du capitalisme industriel anglais qu’un pont en fer et quelques objets industriels au musée Alexandre et Victoria de Londres… Cette première phase a débouché sur une crise destructrice, au point que les contemporains pouvaient penser qu’on ne reverrait plus le capitalisme. De l’étape suivante du capitalisme anglais, il reste surtout des grandes cheminées en briques réfractaires dans toute la Cornouailles et de vastes cimetierres d’ouvriers dans une zone devenue quasi entièrement agricole et touristique… Ce n’est pas une exception. Dans bien des coins de la planète, le développement industriel a été à un moment complètement écrasé, comme la soie indienne ou l’industrie égyptienne. D’autres activités ou d’autres régions du monde ont pris le relai, donnant crédit à l’illusion de continuité. Mais, partout dans le monde, les restes indutriels, les bâtiments abandonnés, sont des témoignages des disparitions massives, exactement comme les restes des vieilles civilisations sous forme de ruines abandonnées témoignent de civilisations disparues.

Par exemple, pendant longtemps, une ville a symbolisé la première étape du capitalisme en France. Et cette ville n’est ni Paris ni Lyon. C’est Mazamet avec son industrie de la laine s’appuyant sur une énergie de l’eau des torrents. Mais aujourd’hui, Mazamet n’est plus connue comme région importante pour l’industrie. Non seulement son époque d’industrie de la laine est close depuis longtemps, mais deux autres étapes de l’industrie ont connu un grand essor suivi d’une disparition quasi-totale.

Un autre exemple, plus récent, peut nous éclairer : celui de l’industrie lorraine essentiellement fondée sur la sidérurgie. En très peu d’années, le capitalisme a entièrement détruit cette industrie dans toute la région, au-delà même des frontières de la France. Il n’en reste presque plus rien que des zones à l’abandon, des friches industrielles…

De même, on peut trouver un peu partout dans le monde des restes, des ruines, des bâtiments à l’abandon, des témoins des anciennes phases du capitalisme qui se sont terminées sur une impasse.

Crise d’une industrie, crise locale, crise régionale, crise nationale ou crise internationale, ou encore guerre, les destructions rythment la vie du capitalisme. Elles n’en sont pas la maladie, ni la limite, ni des accidents conjoncturels mais le mode même de respiration : la phase d’expiration, de rejet des déchets, de suppression des trop-pleins, d’éliminations des moins rentables, des canards boiteux. Ces destructions sont un moyen indispensable pour élaguer, écrêmer, nettoyer le système et lui permettre de repartir de plus belle. Elles sont le gage et la méthode du dynamisme du capitalisme, celui-ci trouvant sa force dans l’éclatement périodique de ses contradictions, la crise détruisant assez de forces productives pour susciter un nouvel appel à des investissements productifs sur des bases nouvelles, avec de nouvelles structures économiques et productives.

La destruction périodique de richesses est un moyen de rompre les entraves, les conservatismes, les positions trop longtemps établies, les vieilles institutions, les méthodes dépassées, de supprimer les investissements non rentables ou pas assez rentables, les techniques trop anciennes ou pas assez efficaces. Ce caractère contradictoire et non-linéaire du développement capitaliste n’a rien d’accidentel. Ce caractère contradictoire, violent, discontinu n’a rien d’accidentel, de conjoncturel, est inséparable des fondements même du capitalisme et il lui donne cette caractéristique d’une production changeant à grande vitesse, avec des méthodes sans cesse remises en question et des rapports de force mouvants et des capitaux se libérant des secteurs même qui lui avaient longtemps assuré des profits importants.

Ce caractère destructeur et contradictoire de la recherche du profit dans un monde où la propriété privée des moyens de production est aux mains d’une infime minorité a été longtemps caractéristique de toutes les phases du capitalisme depuis sa naissance jusqu’à l’avant-dernière crise. Mais pas dans la dernière…

Des effondrements spectaculaires de trusts, de banques, d’assurances, de bourses, de grands secteurs commerciaux et industriel ont caractérisé toutes les crises avec des faillites massives, avec des disparitions corps et biens de nombreuses grandes sociétés.
Cette caractéristique a disparu dans la dernière crise. Est-ce à dire que l’on ait trouvé le moyen d’éviter ces effondrements, ces faillites, ces destructions massives ? Est-ce un progrès dans la compréhension des crises, dans les capacités des Etats à gérer l’économie, à réguler les catastrophes périodiques ? Ou, au contraire, est-ce un signe que le capitalisme a perdu sa dynamique propre ?

Le premier point pour y répondre : le capitalisme a-t-il réussi à éviter la faillite ou l’a-t-il seulement caché par des interventions purement artificielles (à contre-rentabilité) des Etats et des banques centrales ? Poser la question, c’est y répondre : sans les dizaines et centaines de milliards de dollars injectés par toutes les institutions publiques du monde aucun truct, aucune banque, aucune bourse, aucune assurance ne survivrait aujourd’hui. Ce n’est pas seulement quelques « canards boiteux » qui allaient suivre la banque Lehman Brothers mais la totalité ! Et il a fallu, du coup, les suaver tous ou faire semblant !

« Too big to die », trop gros pour mourir, est devenu le slogan du monde capitaliste qui a continué à laisser des petites boites, des artisanats et des commerces faire faillite mais aucune grosse dans aucun pays…

L’idée qui a dirigé cette intervention massive des Etats, y compris de la part de pouvoirs politiques très anti-interventionnistes, comme le Républicain Bush, c’est que si on laissait un seul trust ou une seule banque chuter, ce n’est pas quelques secteurs qui allaient faire faillite mais tout le système. On a dressé la liste des « établissements à risque systémique » et on les a aidés sans limite… Tous les Etats capitalistes de la planète, des USA au Japon et de la Russie à la Chine, ont été d’accord sur cette aide massive des fonds publics aux économies privées.

On nous a dit que « cette fois on a tiré les leçons de la crise de 1929 » et on a évité la crise des liquidités…

Seulement, c’était en 2007-2008 et nous sommes en 2014…

Et Etats et banques centrales sont contraints de continuer à balancer des milliers de milliards de dollars sur les marchés, pour continuer à « sauver le système ».

Dans toute l’histoire du capitalisme, on a bien sûr connu des interventions importantes des Etats dans l’économie mais jamais on n’avait cherché à sauver l’ensemble des entreprises capitalistes en faillite, à faire marcher à tout prix des entreprises complètement coulées, des banques qui ne sont plus que de vastes trous financiers, des assurances qui n’ont plus rien de rassurant…. Jamais les banques centrales n’étaient intervenu dans l’économie à un tel niveau, par des investissements allant à contre-courant de la rentabilité, modifiant complètement les lois économiques, supprimant même toute loi économique, tout fonctionnement véritablement économique grâce à l’intervention politique pour « sauver » banques, trusts, bourses, établissements financiers, assurances…

Si cela avait été possible aux époques du passé, on se demande pourquoi on n’aurait pas pensé déjà à le faire, pourquoi personne, aucun économiste, aucun financier, aucun Etat n’aurait songé à le faire. C’est parce que ce n’était pas une politique économique possible dans le cadre du capitalisme du profit. Mais des mesures politiques en économie pour faire durer le pouvoir capitaliste malgré l’effondrement et éviter aussi longtemps que possible la crise révolutionnaire.

Cette politique, mise en œuvre depuis plusieurs années, partout sur la planète, a une autre signification qu’une manière, enfin trouvée, d’éviter les destructions, les discontinuités, les ruptures, l’appuration des investissements.

C’est parce que la dynamique du capitalisme est cassée, que le moteur de investissements productifs privés producteurs de plus-value est détruit, que les Etats ont fait le choix, avec les banques centrales, de ne pas laisser se dérouler la crise, de ne pas laisser des entreprises et des banques faire faillite, d’interrompre le mécanisme dynamique du système…

Et cela signifie qu’ils ont pronostiqué qu’on ne pouvait pas faire repartir la machine mais seulement retarder sa fin…
Si le capitalisme ne peut plus se révolutionner, en détruisant ses entreprises en faillites, ses investissements nocifs, c’est qu’il est mort.

Ce n’est pas des révolutionnaires qui le disent !

Le milliardaire américain Warren Buffet à chaîne américaine CNBC lundi 9-03-2009, parlant de « Pearl Harbour économique » :

« L’économie est tombée d’une falaise. ( …) Je n’ai jamais vu un tel niveau de peur auparavant. »

Le 23 octobre 2008, audition d’Alan Greenspan, ancien directeur de la FED, la réserve fédérale américaine par la commission chargée du contrôle de l’action gouvernementale (Greenspan a été l’un des défenseurs ardents de la financiarisation et de la dérégulation qui ont été présentées comme les seuls moyens de sortir le système de la crise et qui sont accusées d’être les causes de la crise) :

"Oui, je reconnais que j’ai vu une faille. Je ne sais pas à quel point elle est significative ou durable, mais cela m’a plongé dans un grand désarroi. (...) Je suis choqué, parce que cela faisait quarante ans et même plus que, de façon très évidente, cela fonctionnait exceptionnellement bien. (...) La crise cependant a pris une dimension beaucoup plus grande que ce que j’avais imaginé. (...) C’est un tsunami comme on en voit un par siècle. (...) Les banques centrales et les gouvernements se retrouvent contraints d’adopter des mesures sans précédent."

L’économiste Frédéric Lordon :

"Spécifique, générique, la crise est singulière également. Cette crise financière n’est pas que financière. Surtout, comme aucune autre auparavant elle exprime les contradictions du régime d’accumulation en vigueur et signale son arrivée aux limites."

Jacques Cotta, sur le site La Sociale :

"Le point de départ de la crise financière à laquelle nous assistons n’est donc pas à rechercher, comme on voudrait nous y inviter, dans la finance en soi, mais bien dans l’organisation du système capitaliste qui produit des crises successives au sein de l’économie réelle et qui pousse au développement des marchés financiers pour tenter d’y faire fructifier l’argent qui y est misé. Si aujourd’hui les indices boursiers continuent de faire du yo-yo et si la mine inquiète des spéculateurs remplace l’air réjoui des deux derniers jours, c’est uniquement parce qu’on assiste aux premiers effets de la crise financière qui à son tour agit sur l’économie réelle. De crise financière et crise bancaire, elle affecte les capacités d’emprunt des entreprises comme des particuliers et menace en fin de course l’emploi, les entreprises elles-mêmes et la production [...]. La crise économique profonde du système capitaliste qui traverse le monde trouvera son prolongement sur le terrain social. Dans chaque pays et en France. L’emploi, les salaires, les services publics, la sécurité sociale – dont le déficit de 11 milliards d’euros était abyssal alors que 360 milliards pour les banques sont débloqués en une soirée- les retraites, l’éducation… tout ce qui constitue le ciment de la vie collective va être mis à rude épreuve". Et d’ajouter : "Il est assez cocasse dans ce contexte d’entendre tous les discours et de voir toute l’agitation dont le seul but est la préservation du système capitaliste qui pourtant porte en lui la tempête qui se déchaîne sous nos yeux".

Paul Jorion, anthropologue, économiste, praticien de la finance :

"La machine était en panne et l’on a tenté de la réparer avec du sparadrap. Et aujourd’hui, la machine est arrêtée car son coeur financier a entièrement fondu. Il suffit de lire la presse financière tous les jours pour s’en convaincre. Les banquiers eux-mêmes le reconnaissent en privé. Et pourtant, on continue d’inonder le système financier de liquidités ou d’appliquer de vieilles recettes, comme l’austérité, qui risquent d’aggraver les choses et d’accélérer le délitement du système. Comme au Moyen-Age, on pratique la saignée, quitte à tuer le malade !

Le système financier est-il vraiment hors circuit ?

Chaque jour, des pans entiers d’activités disparaissent. La titrisation est morte et le « high frequency trading » est en train de tuer la Bourse en raison de la trop grande efficacité des robots qui y ont été lâchés. Les produits financiers complexes ont généré un risque systémique non maîtrisable. On clame qu’il est urgent de réduire le risque systémique mais aucune mesure n’est prise en ce sens : on se contente de prôner la constitution de réserves plus importantes, autrement dit, on entérine l’hypothèse qu’on ne comprend rien aux mécanismes de contagion du risque et que la seule chose qu’on puisse faire, c’est de rehausser les digues. La faillite spectaculaire de MF Global est typique de ce climat : elle ne relève pas de l’escroquerie mais bien du fonctionnement ordinaire du système.

C’est pourtant le triomphe des marchés...

Les marchés n’ont aucune idée de ce qu’il faudrait faire. C’est une machine sans direction. La seule chose que les marchés savent, c’est qu’on ne leur rendra pas tout l’argent qui est d’ores et déjà perdu. Ils ne demandent qu’une chose : que le système fonctionne. Et comme nous sommes dans une impasse - comme il n’y a pas de solution connue à l’intérieur du cadre existant -, ils ont des exigences contradictoires....

Les politiques n’ont plus aucune marge de manoeuvre devant ce système qui se délite. La seule chose qu’ils fassent, quel que soit leur parti, c’est de faire semblant d’être aux commandes. "

Rappelons que Karl Marx écrivait dans « Gundrisse » (Principes) :

« La limite du capital apparaît dans le fait que tout ce développement se déroule de manière antagonique et que l’éclosion des forces productives, de la richesse générale, du savoir etc., se manifeste de telle façon que le travailleurs s’aliène lui-même… Mais cette forme antagonique est elle-même transitoire et produit les conditions de sa propre abolition… Parvenu à un certain niveau, le développement des forces productives matérielles – qui implique celui des forces de la classe laborieuse – entraîne l’abolition du capital lui-même. »

LIRE AUSSI :

Engels sur la méthode révolutionnaire du capitalisme

Comment le capitalisme n’a pas fait que développer mais a révolutionné le monde

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