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La leçon de la révolution hongroise

dimanche 2 novembre 2014, par Robert Paris

La leçon de la révolution hongroise

de Ignazio Silone

"En deux semaines, Budapest a vécu février, octobre et juillet. Le monde a assisté stupéfait, à la répétition générale de toutes les idées révolutionnaires, même celles que l’on croyait les plus désuètes, depuis Blanqui jusqu’à Sorel. On peut faire maintenant un cours d’histoire des idées et des méthodes socialistes, rien qu’en racontant, l’un après l’autre, les épisodes de cette révolution hongroise. L’unité de temps et de lieu, qu’on considérait un artifice de la tragédie classique, a dominé le rythme des événements. Le Palais d’Hiver, Kronstadt et Barcelone se sont suivis avec la rapidité des éditions spéciales d’un quotidien populaire…

Il faut reconnaître, à l’honneur des écrivains communistes hongrois, qu’ils ne se sont pas laissé surprendre par l’épreuve. Ils l’avaient prévue, ils l’avaient même annoncée, ils l’ont accueillie comme une nécessité inévitable. Le moment venu, ils n’ont pas hésité entre le Parti et le peuple, entre l’idéologie et la vérité. C’est presque incroyable. Quel exemple et quel enseignement pour nous !...

On connaissait déjà des révoltes ouvrières qui avaient été précédées ou accompagnées par des grèves générales ; mais c’est la première fois, dans toute l’histoire du mouvement socialiste, que des grèves générales à répétition, et à longueur de semaine, aient lieu, avec la participation de la totalité ou de la grande majorité des travailleurs, juste le lendemain de l’écrasement d’une révolte armée…

La pire tyrannie est celle des mots. Pour réapprendre sérieusement à penser avec loyauté, il faudrait commencer par remettre un peu d’ordre dans notre langage. Ce n’est pas facile, croyez-moi. Ainsi, pourquoi diable appelons-nous toujours soviétique l’armée russe ? En réalité, les soviets ont disparu de Russie depuis 1920, et les seuls soviets qui existent aujourd’hui sur toute la face de la terre sont justement les comités révolutionnaires de Hongrie, et cela dans le sens authentique du terme : formes ouvertes, élémentaires et improvisées, dans un pays où l’autocratie a empêché l’organisation de partis politiques.

Cela veit dire que les soldats russes s’appellent soviétiques dans la même signification de réminiscence historique qu’ont, par exemple, les uniformes du dix-septièrme siècle encore en usage chez les carabiniers italiens. Toujours est-il que, pour être compris de tout le monde, nous aussi nous sommes obligés de nous en tenir à la signification courante et déformée des mots et, par exemple, devons écrire : « Les troupes soviétiques contre les insurgés hongrois », tandis que le plus simple respect de la vérité des faits nous obligerait d’écrire : « Les troupes impérialistes russes contre les soviets de Hongrie. » Voilà comment nous avons perdu le nom des choses. Quelle aubaine pour les amateurs de pêche en eau trouble….

Quelles ont été les bases « de classe » de la terreur stalinienne, du culte de la personnalité et des violations de la légalité socialiste, dans une société où, officiellement, n’existe qu’une seule classe ? Comment cette heureuse société qui, par son homogénéité sociale, ne devrait jamais poser de problèmes de choix d’orientation générale, jamais de problèmes politiques, a subi la destruction de son élite révolutionnaire, l’extermination totale de cinq peuples fédérés, des camps de travaux forcés avec une population d’internés, de douze à quinze millions d’hommes ?....

Nous n’avons pas oublié que Tito, Togliatti, Gomulka nous avaient bien laissé entendre que la longue période de terreur stalinienne n’était évidemment explicable que par des défauts du « système » ; mais aucune de ces personnalités ne nous a par la suite précisé quels avaient été précisément les rouages défectueux ou les méthodes vicieuses. Leur perplexité est bien compréhensible. Aucun communiste, sans rompre avec la théorie et la pratique du parti totalitaire, ne peut mettre en discussion la légitimité du parti unique. Tout le « système » repose, de tout son poids, sur ce pivot. La fausse théorie de l’orthodoxie spontanée et de l’unanimité volontaire est vraiment la porte d’Hercule qu’aucun communiste, d’aucune fraction, n’ose franchir. Au-delà, il ne voit qu’aventure et perdition. S’il ose quand même franchir cette frontière et s’il admet la nécessité de la pluralité des courants politiques, le débat et le libre choix, alors il n’est plus communiste (pour les staliniens).

Or, l’importance historique de la récente révolution hongroise est, comme chacun sait, dans le rejet du mensonge (stalinien) totalitaire. Socialisme ? Oui. Parti unque, unanimité obligatoire ? Non…

N’oublions pas que la nouvelle période de la vie russe n’a pas du tout commencé avec le vingtième Congrès du Parti (stalinien), mais par les grèves des travailleurs forcés de Vorkuta…"

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