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Lee Smolin and Modern Physics – Lee Smolin et la physique contemporaine

mardi 12 janvier 2016, par Robert Paris

« We live in a universe that is always changing, full of matter that is always moving.”

Lee Smolin, “Time Reborn”

"Nous vivons dans un univers sans cesse changeant, plein d’une matière sans cesse en mouvement."

Lee Smolin, "La Renaissance du Temps"

Lee Smolin and Modern Physics – Lee Smolin et la physique contemporaine

Lee Smolin dans « La renaissance du temps » :

« Tout ce qui se déplace possède certains aspects d’une onde et certains aspects d’une particule… Un aspect ondulatoire de la lumière est sa fréquence, le nombre de fois par seconde où elle oscille. Un aspect corpusculaire de la lumière est son énergie ; chaque particule de lumière transporte une certaine quantité d’énergie. En mécanique quantique, l’énergie dans la représentation corpusculaire est toujours proportionnelle à la fréquence dans la représentation ondulatoire. »

« Rien ne va plus en physique », Lee Smolin :

« L’espace est aussi dynamique que la matière : il bouge et il change de forme. (…) La théorie d’Einstein a des conséquences très importantes, puisque les rayons de lumière sont courbés par le champ gravitationnel qui, à son tour, réagit à la présence de la matière. La seule conclusion possible est que la présence de matière influence la géométrie de l’espace. (…) L’unification einsteinienne du champ gravitationnel avec la géométrie de l’espace-temps était le signal de la transformation profonde de notre façon de concevoir la nature. »

« Rien ne va plus en physique » de Lee Smolin :

« La science marche car nous vivons dans un monde de régularités, mais également en raison de quelques particularités de notre constitution humaine. En particulier, nous sommes champions pour tirer des conclusions à partir d’une information incomplète. Nous observons sans cesse le monde, nous faisons ensuite des prédictions et nous en tirons des conclusions.

C’est ce que font les chasseurs-cueilleurs, et c’est aussi ce que font les physiciens des particules et les microbiologistes. Nous ne possédons jamais une information qui soit suffisante pour justifier entièrement les conclusions que nous en tirons. Etre capable d’agir sur la base de conjectures et d’intuitions, et de le faire en toute confiance alors que l’information que nous possédons tend vers quelque chose sans en constituer la preuve, est une capacité essentielle qui fait de qui la possède un homme d’affaire à succès, un bon chasseur, un bon agriculteur ou un bon scientifique. Cette capacité est en grande partie responsable du succès de l’espèce humaine.

Son coût est élevé : on se trompe facilement. (…)

Notre posture fondamentale ne peut être que la confiance, car si nous étions obligés de tout démontrer nous-mêmes, nous ne pourrions jamais croire autrui. Nous n’aurions, non plus, jamais fait quoi que ce soit : ni nous lever de notre lit, ni nous marier, ni devenir amis ou conclure des alliances. Sans la capacité de faire confiance, nous serions des animaux solitaires. Le langage n’est efficace et utile que parce que, la plupart du temps, nous croyons ce que disent les autres.

Ce qui est important – et dégrisant en même temps – est la fréquence à laquelle nous nous trompons. Et nous nous trompons non seulement individuellement, mais également en masse. La tendance d’un groupe humain à se mettre rapidement à croire quelque chose que les membres individuels du groupe, plus tard, verront comme évidemment faux, est réellement ahurissante. (…) Le consensus fait partie de nous, car il est essentiel à un groupe de chasseurs qui veut réussir sa chasse ou à une tribu souhaitant échapper à un danger imminent.

Par conséquent, pour qu’une communauté survive, il doit y avoir des mécanismes de correction : les anciens qui freinent l’impulsivité des plus jeunes, parce que, s’ils ont appris quelque chose de leurs longues vies, c’est la fréquence élevée avec laquelle ils se sont trompés ; les jeunes qui remettent en question les croyances tenues pour vraies et sacrées pendant des générations, quand ces croyances ne leur conviennent plus. (…)

Feyerabend a insisté sur le fait que les scientifiques ne doivent jamais être d’accord s’ils n’y sont pas obligés. Quand les scientifiques s’accordent trop rapidement, avant que les résultats et les données les y forcent, la science est en danger. Il faut alors se demander ce qui a exercé une telle influence sur les scientifiques, de sorte qu’ils sont parvenus à une conclusion prématurée. (…)

Une communauté se trouve souvent contrainte de penser d’une façon particulière en raison de son organisation. (…) Le problème de l’organisation est ainsi clairement posé : avons-nous un système qui permette à une personne de dénicher un faux présupposé, ou de poser la bonne question (…) Acceptons-nous des rebelles créatifs ou les excluons nous ? (…) Pendant les périodes normales, on a besoin de chercheurs qui, quelque soit leurs capacités d’imagination (parfois élevée), travaillent efficacement avec les outils techniques. Pendant les périodes révolutionnaires, on a besoin de visionnaires qui sauront montrer la voie dans l’obscurité. (…) Nous sommes dans une période révolutionnaire, mais nous essayons d’en sortir en utilisant l’organisation et les instruments inadéquats de la science normale. (…) La science n’a jamais été organisée d’une façon favorable aux visionnaires ; l’échec d’Einstein d’accéder à un poste universitaire n’en est pas le seul exemple. Mais, il y a un siècle, le monde académique était beaucoup plus petit et moins professionnalisé et il était plus commun de rencontrer des personnes extérieures au domaine, bien formées, possédant les connaissances nécessaires. (…)

Citons, par exemple, David Finkelstein, professeur émérite au Georgia Institute of Technology qui a passé toute sa vie à chercher la logique de la nature. (…) Quelqu’un qui n’écoute que sa voix intérieure et ignore presque tout le reste aurait-il pu obtenir aujourd’hui un poste de professeur dans une université de premier plan ? Pensonz donc ! (…) C’est un cliché de demander si le jeune Einstein pourrait être aujourd’hui recruté par une université. La réponse est évidemment non ; il n’a pas été embauché même de son temps. »

Lee Smolin dans « La renaissance du temps » :

« Thomasina, héroïne de la pièce de Tom Stoppard, « Arcadia », explique à son tuteur : « Si tu pouvais immobiliser chaque atome dans sa position et direction, et si ton esprit pouvait appréhender toutes les actions ainsi suspendues, puis si tu étais vraiment très, très doué en algébre, tu pourrais écrire la formule pour la totalité du futur ; et bien qu’il n’y ait personne d’assez intelligent pour pouvoir réaliser ça, la formule doit exister comme si quelqu’un le pouvait. »
J’avais coutume de penser que mon boulot de physicien théoricien était de trouver cette formule ; je conçois aujourd’hui cette foi en son existence comme du mysticisme plus que comme de la science.
Eut-il écrit pour un personnage moderne, Stoppard aurait fait dire à Thomasina que l’univers est pareil à un ordinateur. Les lois de la physique sont le programme. Quand vous entrez une donnée – les positions à l’instant présent de toutes les particules élémentaires dans l’univers – l’ordinateur mouline pendant une durée appropriée et vous pond le résultat, qui est l’ensemble des positions des particules éléementaires à un instant futur.
Dans cette vision de la nature, rien ne se produit hors du réarrangement des particules selon des lois éternelles. Donc, d’après ces lois, le futur est déjà complètement déterminé par le présent et le présent par le passé.
Cette vision minimise le rôle du temps de plusieurs façons. Il ne peut y avoir aucune surprise, aucun phénomène vraiment nouveau, parce que tout ce qui survient n’est que réarrangement d’atomes. Les propriétés des atomes eux-mêmes sont éternelles, tout comme les lois qui les gouvernent ; elles ne changent pas. Toute propriété du monde à venir est calculable à partir de la configuration du présent. Autrement dit, on peut substituer à l’écoulement du temps un simple calcul, ce qui signifie que le futur est logiquement enfanté par le présent. (…)
Il s’ensuit du grand principe de Leibniz qu’il ne peut pas exister de temps absolu qui fasse tic tac aveuglément quoiqu’il arrive dans le monde. Le temps doit être une conséquence du changement ; sans altération dans le monde, il ne peut y avoir de temps. Les philosophes disent que le temps est relationnel – il est un aspect des relations, par exemple la causalité, qui gouvernent le changement. Similairement, l’espace doit être relationnel ; en effet, chaque propriété d’un objet dans la nature doit être un reflet des relations dynamiques entre lui et d’autres objets dans le monde. (…)
Chercher à unifier la physique et, particulièrement, à rassembler la théorie quantique et la relativité au sein d’un unique cadre revient principalement à achever la révolution relationnelle en physique. Le principal message de ce livre est que cela passe par l’adoption des idées que le temps est réel et que les lois évoluent.
(…)
La réalité du temps permet une nouvelle formulation de la théorie quantique qui peut aussi nous éclairer sur la façon qu’ont les lois d’évoluer avec le temps….
Einstein mit en lumière il y a longtemps que la mécanique quantique est incomplète parce qu’elle échoue à donner une description de ce qui se passe dans une expérience individuelle. Que fait au juste l’électron lorsqu’il saute d’un état d’énergie à un autre ? Comment des particules trop éloignées l’une de l’autre parviennent-elles à communiquer instantanément ? Comment semblent-elles apparaître en deux endroits à la fois ? La mécanique quantique ne fournit pas de réponse…
La mécanique quantique est une théorie problématique pour trois raisons étroitement liées. La première est son échec à donner une image physique de ce qui se passe dans un processus ou une éxpérience individuels : contrairement aux théories physiques précédentes, le formalisme que nous utilisons en mécanique quantique ne peut pas être lu comme nous montrant ce qui se passe à chaque instant. Deuxièmement, dans la plupart des cas elle échoue à prédire le résultat précis d’une expérience ; plutôt que de nous dire ce qui va se passer, elle ne nouus donne que des probabilités pour les différentes choses susceptibles de se produire. La troisième et plus problématique caractéristique de la mécanique quantique est que les notions de mesure, d’observation ou d’information sont nécessaires pour exprimer la théorie. Elles peuvent être vues comme des notions primitives ; elles ne peuvent pas être expliquées en termes de processus quantiques fondamentaux…
Si vous voulez décrire complètement un système en physique classique, vous répondez à toutes les questions, et ceci vous donne toutes les propriétés. Mais en physique quantique, le dispositif dont vous avez besoin pour poser une question peut vous empêcher de répondre aux autres questions. Par exemple, vous pouvez demander ce qu’est la position d’une particule, ou vous pouvez demander ce qu’est le moment, mais vous ne pouvez pas poser ces deux questions à la fois. C’est ce que Niels Bohr a appelé la complémentarité, et c’est aussi ce que les physiciens signifient lorsqu’ils parlent de « variables non-commutatives »…
En embrassant la réalité du temps, nous ouvrons un chemin pour comprendre la théorie quantique qui éclaire ses mystères et pourrait bien les résoudre. Je crois que la réalité du temps rend possible une nouvelle formulation de la mécanique quantique…
Nous sommes habitués à l’idée de lois intemporelles de la nature agissant à l’intérieur du temps, et nous ne trouvons plus cela étrange. Mais prenez suffisamment de recul, et vous verrez que cela repose sur de grandes suppositions métaphysiques qui sont loin d’être évidentes…
Il est une tradition – commençant avec Niels Bohr – d’affirmer que l’échec de la théorie quantique à donner une image de ce qui se passe au cours d’une expérience individuelle est l’une de ses vertus et non pas un défaut. Bohr a argumenté avec talent que le but de la physique n’est pas de fournir une telle image mais plutôt de créer un langage grâce auquel nous pouvons parler entre nous de notre préparation des expériences sur des systèmes atomiques et de ce que les résultats nous ont donné. Je trouve les écrits de Bohr fascinants mais peu convaincants. Je ressens la même chose à propos de certains théoriciens contemporains, qui disent que la mécanique quantique ne porte pas « sur » le monde physique, mais sur l’ « information » que nous avons sur le monde physique. Ces théoriciens avancent que l’état quantique ne correspond à aucune réalité physique ; il ne fait que coder l’information que nous, observateurs, avons sur un système… Après tout, quelque chose se passe lors d’une expérience individuelle. Quelque chose, et seulement ce quelque chose, est la réalité que nous dénommons électron ou photon. Ne devrions-nous pas être capables de saisir l’essence de l’électron individuel dans un langage conceptuel et un cadre mathématique ? … Alors je me range aux côtés d’Einstein. Je crois qu’il existe une réalité physique objective et que quelque chose qu’on peut décrire se produit quand un électron saute d’un état d’énergie dans un autre. Et je cherche une théorie qui en donne cette description. »

Lee Smolin dans « Rien ne va plus en physique » :

« Le principe anthropique auquel se réfère Susskind est une vieille idée introduite et explorée par les cosmologues depuis les années 1970, selon laquelle la vie ne peut apparaître que dans une gamme très étroite des paramètres physiques possibles ; pourtant, malgré cette étroitesse, assez bizarrement, nous voilà comme si l’univers avait été intentionnellement créé pour nous accueillir (d’où le terme « anthropique »). La version particulière qu’invoque Susskind est un scénario cosmologique, qui a été soutenu pendant un certain temps par Andrei Lindé, appelé « inflation éternelle ». Selon le scénario, la phase d’inflation rapide à la naissance de l’univers aurait produit non pas un, mais une population infinie d’univers… Il en résulterait une vaste population d’univers, chacun régi par une théorie des cordes sélectionnée aléatoirement dans le paysage des théories. Quelque part dans cette chose qu’on appelle « multivers », se trouve chacune des théories possibles appartenant au paysage. Il me semble tout à fait regrettable que Susskind et d’autrs aient adhéré au principe anthropique, car il s’agit d’une base très pauvre pour fonder une démarche scientifique… Certains physiciens disent que le principe anthropique faible doit être pris au sérieux, car dans le passé il a produit de véritables prédictions. Je parle ici de quelques collègues pour qui j’ai la plus grande admiration : pas seulement Susskind, mais aussi Steven Weinberg, le physicien qui, avec Abdus Salam, a unifié les forces électromagnétiques avec celles des interactions nucléaires faibles. Il est alors d’autant plus pénible pour moi de constater que dans tous les cas que j’ai étudiés, ces arguments étaient fallacieux… L’argument commence ainsi : pour que la vie puisse exister, il faut du carbone… On sait que le carbone ne peut pas avoir été créé durant le Big Bang ; par conséquent, il a dû être créé dans les étoiles. Fred Hoyle a remarqué que le carbone ne pouvait être produit dans les étoiles qu’à condition qu’il y ait dans les noyaux de carbone un état résonnant. Il a ensuite évoqué cette prédiction devant un groupe d’expérimentateurs, qui ont effectivement découvert cet état. La réussite de la prédiction de Hoyle est parfois évoquée pour soutenir l’efficacité du principe anthropique. Mais l’argument fondé sur l’existence de la vie, exposé précédemmement, n’a pas de relation logique avec le reste de l’argumentation de ce paragraphe. Ce qu’a accompli Hoyle n’a été que de raisonner à partir de l’observation que l’univers est rempli de carbone, d’où ila tiré une conclusion fondée sur la nécessité d’un processus qui produirait tout ce carbone. Le fait que nous-mêmes et les autres créatures vivantes soient faites de carbone n’est pas nécessaire dans cet argument. Un autre exeple qu’on cite souvent du principe anthropique est une prédiction concernant la constante cosmologique, qui a été énoncé dans un article célèbre de Steven Weinberg, en 1987. Dans cet article, Weinberg affirmait que la constante cosmologique devait être inférieure à une certaine valeur, puisque, dans le cas contraire, l’univers aurait été en expansion trop rapide pour que les galaxies puissent être formées… Mais, avec cet argument scientifique valide, Weinberg est allé beaucoup plus loin. Supposons qu’il y ait le multivers, a-t-il dit, et supposons que les valeurs de la constante cosmologique soient distribuées au hasard entre les univers de ce multivers. Dans ce cas-là, parmi tous les univers potentiellement vrais, la valeur type de la constante cosmologique serait de l’ordre de grandeur de celle qui est la plus élevée mais qui reste encore cohérente avec la formation des galaxies… Dans le cadre du modèle standard de la physique des particules élémentaires, il existe des constantes qui n’ont simplement pas la valeur à laquelle on s’attendrait si elles étaient choisies au moyen d’une distribution aléatoire parmi les univers potentiellement vrais. On aurait dû s’attendre à ce que les masses des quarks et des leptons, sauf pour la première génération, soient distribuées au hasard ; or, on trouve des relations entre elles. On aurait dû s’attendre à ce que certaines symétries des particules élémentaires soient brisées par les interactions nucléaires fortes d’une façon beaucoup plus importante que ce qu’il se passe en réalité. On aurait dû s’attendre à ce que le proton se décompose beaucoup plus rapidement que ce que nous constatons dans les expériences en cours. En fait, je ne connais aucune prédiction réussie faite d’après un raisonnement fondé sur le multivers avec la distribution aléatoire des lois… Bien que le principe anthropique n’ait pas produit de prédictions véritables et ne semble pas pouvoir en produire prochainement, Susskind, Weinberg et d’autres théoriciens de premier plan l’ont considéré comme une révolution non seulement en physique, mais également dans notre conception de ce qu’est une théorie physique. »

La Gravitation quantique à boucles, d’après Lee Smolin :

"Des atomes d’espace et de temps"

« Il y a cent ans encore, la plupart des scientifiques pensaient que la matière était continue. Depuis l’Antiquité, philosophes et scientifiques caressaient l’idée qu’en divisant la matière en parties assez petites, on finirait par rencontrer des entités minuscules et indivisibles, c’est-à-dire des atomes. Toutefois, certains pensaient que leur existence ne serait jamais prouvée. Aujourd’hui, nous pouvons visualiser des atomes isolés et nous étudions les particules qui les composent. Les caractéristiques granulaires de la matière nous sont devenues familières. Au cours des dernière décennies, des physiciens et des mathématiciens se sont demandé si l’espace n’était pas, lui aussi, constitué d’entités discrètes. Est-il continu, comme nous l’avons appris à l’école, ou ressemble-t-il davantage à un morceau d’étoffe, tissé de fibres distinctes ? Si nous sondions l’espace à des échelles suffisamment petites découvririons-nous des "atomes" d’espace, de minuscules volumes irréductibles, impossibles à diviser en constituants plus petits ? Et qu’en est-il du temps ? Le monde physique change-t-il de façon continue, ou, au contraire, évolue-t-il par bonds minuscules, un peu comme un ordinateur ? Au cours des seize dernières années pour tenter de répondre à ces question, les physiciens ont élaboré une théorie nommé Gravitation quantique à boucles. Cette dernière prédit que l’espace et le temps sont effectivement constitués d’entités fondamentales discrètes, et les calculs faits dans ce cadre révèlent un monde à la fois simple et élégant. La Gravitation quantique à boucles a éclairé d’une façon nouvelle certains phénomènes étranges, tels les trous noirs et le big-bang. De surcroît, nous pourrons la mettre à l’épreuve de l’expérience : elle prédit les résultats d’expériences que nous pourrons réaliser dans un futur proche, et qui nous permettront de savoir si oui ou non les atomes d’espace-temps existent.

Concilier l’inconciliable

Nous avons élaboré la théorie de la Gravitation quantique à boucles, alors que nous nous heurtions à une difficulté tenace de la physique : la conception d’une théorie quantique de la gravitation. Afin d’expliquer pourquoi c’est une question importante – et comment elle nous a conduits aux propriétés granulaires de l’espace-temps –, retraçons à grands traits la théorie quantique, d’une part, et la théorie de la gravitation, de l’autre. La Mécanique quantique a été formulée au cours du premier quart du XXème siècle, et résulte des travaux qui ont confirmé que la matière est constituée d’atomes. Les équations de la Mécanique quantique exigent que certaines grandeurs, telle l’énergie d’un atome, ne prennent que des valeurs discrètes. La théorie quantique prédit avec succès les propriétés et le comportement des atomes, des particules qui les composent et des forces qui les gouvernent. En fait, les succès de cette théorie sont sans précédent dans toute l’histoire des sciences. Elle sous-tend notre compréhension de la chimie, de la physique atomique et subatomique, de l’électronique et même de la biologie. Simultanément, Albert Einstein construisait la Relativité générale, qui est une théorie de la gravitation. Selon cette dernière, la force gravitationnelle est une conséquence du fait que l’espace et le temps sont déformés par la présence de matière. On obtient une vague analogie de ce phénomène en plaçant une boule de bowling sur une mince feuille de plastique où l’on fait aussi rouler une bille. Les deux sphères représentent le Soleil et la Terre tandis que la feuille de plastique est l’espace lui-même. La boule de bowling creuse une profonde dépression dans la feuille, et la bille suit la pente de la boule, comme si une force – la gravitation – l’attirait. De même, toute matière ou toute concentration d’énergie déforme la géométrie de l’espace-temps, déviant d’autres particules ou des rayons lumineux. C’est ce phénomène que nous nommons gravité. La Mécanique quantique et la théorie de la Relativité générale d’Einstein ont été, chacune de leur côté, confirmées par l’expérience avec une précision étonnante. Cependant jusqu’à présent, aucune expérience n’a exploré de système dont la description théorique nécessiterait l’une et l’autre des deux théories. Cela tient au fait que les effets quantiques sont prédominants à très petite échelle, tandis que les effets relevant de la Relativité générale requièrent de grandes quantités d’énergie … et ces conditions ne sont réunies qu’exceptionnellement. Ce manque de données expérimentales s’accompagne d’une énorme difficulté conceptuelle. La théorie de la Relativité générale est fondamentalement une théorie classique, c’est-à-dire non quantique. Or, si la physique, dans son ensemble, est cohérente il doit exister une théorie unique qui, d’une façon ou d’une autre, rassemble la Mécanique quantique et la Relativité générale. Cette théorie tant attendue est la gravitation quantique. Puisque la Relativité générale traite de la géométrie de l’espace-temps, une théorie quantique de la gravitation sera également une théorie quantique de l’espace-temps.

Des volumes discrets

Les physiciens ont développé un impressionnant outillage mathématique afin de transformer les théories classiques en théories quantiques. Ces méthodes furent appliquées à la Relativité générale mais en vain. Les calculs effectués dans les années 1960-70 semblaient montrer que la théorie quantique et la Relativité générale ne pourraient jamais être combinées correctement. Il semblait donc nécessaire de recourir à des postulats ou des principes totalement nouveaux, qui n’étaient inclus ni dans la théorie quantique ni dans la Relativité générale, par exemple de nouvelles particules, de nouveaux champs, ou toute autre nouvelle entité. À l’aide d’un tel artéfact, ou d’une nouvelle structure mathématique, on espérait développer une théorie de type quantique qui, lorsqu’on considérerait son approximation dans le domaine classique redonnerait les résultats de la Relativité générale. Afin de conserver les puissantes prédictions de la Mécanique quantique et de la Relativité générale, ces ingrédients exotiques devraient rester inaccessibles à l’expérience, sauf dans quelques circonstances exceptionnelles où les deux théories partielles président à des effets notables. Parmi les différentes approches relevant de cette stratégie, citons la théorie des twisteurs, la géométrie non-commutative ou encore la super-gravitation. Aujourd’hui, la voie la mieux explorée par les physiciens est celle de la théorie des cordes selon laquelle l’espace a six ou sept dimensions – pour le moment inobservées – en plus des trois qui nous sont familières. La théorie des cordes prédit également un grand nombre de nouvelles particules élémentaires et de forces fondamentales dont l’existence n’est encore qu’hypothétique. Certains physiciens pensent que la théorie des cordes serait elle-même incluse dans une théorie plus vaste, nommé théorie M, mais aucune définition précise n’en a encore été donnée. Pour toutes ces raisons, de nombreux physiciens et mathématiciens pensent qu’il faut explorer de nouvelles pistes, et la Gravitation quantiques à boucles en est une. Au milieu des années 1980, nous avons été plusieurs dont Abhay Ashtekar, de l’Université de Pennsylvanie, Ted Jacobson, de l’Université du Maryland, et Carlo Rovelli, de l’Université de Méditerranée à Marseille, à réexaminer les tentatives de quantification de la Relativité générale, à l’aide des techniques mathématiques standards. Nous savions que tous les résultats infructueux obtenus dans les années 1970 reposaient sur l’hypothèse d’un espace continu, quelle que soit l’échelle considérée (de même qu’avant la découverte des atomes on admettait que la matière était continue). Et si cette hypothèse était fausse ? Les anciens calculs seraient à revoir de fond en comble.

Un gros accroc

Nous avons commencé par chercher une façon de faire les calculs sans supposer que l’espace est lisse et continu. De plus, nous avons veillé à ne faire aucune supposition qui aille au-delà des principes bien établis par l’expérience et déjà contenus dans la Relativité générale et dans la Mécanique quantique. En particulier, nous avons conservé deux des principes clés de la Relativité générale. Le premier de ces principes est l’indépendance d’arrière-plan, stipulant que la géométrie de l’espace-temps n’est pas fixe mais qu’il s’agit au contraire, d’une quantité dynamique en perpétuelle évolution. Pour la déterminer, on doit résoudre certaines équations qui décrivent tous les effets de la matière et de l’énergie. À ce propos, la théorie des cordes, telle qu’elle est formulée aujourd’hui, n’obéit pas à ce principe. Les équations qui décrivent les cordes opèrent dans un espace-temps classique (non quantique) prédéterminé. Le seconde principe, désigné pas le terme d’invariance par difféomorphisme, est très lié à l’indépendance de l’arrière-plan, et se rapporte aux coordonnées dans l’espace d’un événement : on peut choisir n’importe quelle coordonnée d’espace et de temps. Ce système de coordonnées s’apparente à la longitude et à la latitude utilisées à la surface de la Terre, mais sous une forme généralisée à un espace-temps comportant quatre dimensions. Cette invariance garantit que les équations d’une théorie conservent la même forme dans tout système de coordonnées bien choisi. Un point de l’espace-temps n’est défini que par les événements physiques qui s’y découlent, non par un jeu spécial de coordonnées (aucune coordonnée n’est "spéciale"). L’invariance par difféomorphisme est un outil puissant qui a guidé Einstein lors des premiers développements de la Relativité générale. En combinant ces deux premiers principes aux techniques standards de la Mécanique quantique, nous avons élaboré un langage mathématique grâce auquel il nous fut possible de déterminer si l’espace est discret ou continu. Pour notre plus grande joie, les calculs ont montré que l’espace est quantifié. Nous venions de poser les bases de la théorie de la Gravitation quantique à boucles, ce qualificatif provenant du fait que certains des calculs font apparaître de petites boucles dans l’espace-temps. Depuis, ces calculs ont été refaits par de nombreux théoriciens utilisant une large gamme de méthodes différentes. Avec les années, l’étude de la Gravitation quantique à boucles est devenue un domaine de recherche en plein essor, auquel travaillent de nombreuses équipes dans le monde. Nos efforts combinés nous permettent d’accorder une grande confiance à l’image de l’espace-temps, dont je vais esquisser les grandes lignes. La théorie de la Gravitation quantique à boucles est une théorie quantique de la structure de l’espace-temps aux échelles infiniment petites. Pour expliquer ses principes, examinons ce qu’elle prédit pour un volume microscopique de l’espace. Précisons d’abord les grandeurs physiques mesurées. Considérons une région, quelque part dans l’espace, délimitée par une frontière F (voir États quantiques d’espace). Cette frontière peut correspondre à une limite matérielle concrète, telle une coquille de fer, ou être définie par la géométrie de l’espace-temps lui-même, par exemple l’horizon des événements autour d’un trou noir (c’est-à-dire la surface à l’intérieur de laquelle rien pas même la lumière, ne peut échapper à l’emprise gravitationnelle du trou noir). Et si nous mesurions le volume de cette région ? Quels sont les résultats autorisés à la fois par la Mécanique quantique et par l’invariance par difféomorphisme ? Si le résultat peut être un nombre réel quelconque, c’est que la région étudiée peut avoir n’importe quelle taille (aussi proche de zéro que l’on souhaite). Dans ce cas, la géométrie de l’espace est continue. En revanche, si le résultat de la mesure ne peut prendre qu’un ensemble de valeurs discrètes non nulles et ne peut être inférieur à une certaine valeur minimale, la géométrie de l’espace est granulaire.

États quantiques d’espace.

Une des prédictions centrales de la Gravitation quantique à boucles concerne la mesure des aires et des volumes. Considérons une coquille sphérique délimitant la frontière F d’une région de l’espace. Selon la physique classique (c’est-à-dire non quantique), ce volume peut prendre n’importe quelle valeur réelle positive. Au contraire, selon la théorie de la gravitation à boucles, d’une part, il existe un volume minimal absolu non-nul (10-105 mètre cube, soit la longueur de Planck au cube) et, d’autre part, pour les volumes supérieurs à cette limite, les valeurs possibles sont limitées à une série discrète de nombres. De même, l’aire de la surface de la sphère est au moins égale à 10-70 mètre carré (la longueur de Planck au carré), et ne peut prendre qu’une série discrète de valeurs supérieures.

Quanta d’aire et de volume

C’est le même problème que celui que pose le calcul de l’énergie des électrons circulant autour d’un noyau atomique. La mécanique classique prédit qu’un électron peut avoir une quantité quelconque d’énergie, tandis que la Mécanique quantique n’autorise que certaines énergies et que l’on ne mesure jamais d’énergie comprise entre ces valeurs. La distinction est analogue à celle que sépare la mesure d’une quantité s’écoulant continûment (l’eau, telle qu’on l’imaginait au XIXème siècle) et la mesure d’une quantité dénombrable (les atomes dans cette même eau).

La théorie de la Gravitation quantique à boucles prédit que l’espace est discontinu, c’est-à-dire que les résultats possibles de la mesure expérimentale d’un volume sont contenus dans un ensemble discret de valeurs. On peut également mesurer l’aire de la frontière F. Encore une fois, les calculs fondés sur notre théorie indiquent que cette aire est elle aussi, quantifiée. En d’autres termes, l’espace n’est plus continu, mais constitué de quanta spécifiques d’aire et de volume. La valeur de ces quanta d’aire et de volume est calculée à partir d’une grandeur nommée longueur de Planck. Cette longueur est liée à l’intensité de la gravitation, à la taille des quanta et à la vitesse de la lumière. Elle correspond à l’échelle au-dessous de laquelle la géométrie de l’espace ne peut plus être considérée comme continue. La longueur de Planck est infinitésimale, de l’ordre de 10-35 mètre. La plus petite aire possible est la carré de la longueur de Planck, soir 10-70 mètre carré. Le plus petit volume non nul est la longueur de Planck au cube, c’est-à-dire 10-105 mètre cube. Ce quantum d’espace est minuscule ! Ainsi, la théorie prédit qu’il y a 10105 "atomes de volume" dans un mètre cube d’espace ; beaucoup plus qu’il n’y a de mètres cubes dans tout l’Univers observable. (1091) ! Quelles autres prédictions notre théorie fait-elle sur l’espace-temps ? L’espace est-il constitué d’une multitude de petits cubes ou de petites sphères ? La réponse est non, ce n’est pas aussi simple, mais nous pouvons dessiner des diagrammes que représentent ces états quantiques d’aire et de volume. Pour comprendre comment fonctionnent ces diagrammes imaginons que nous ayons un morceau d’espace en forme de cube. Dans notre diagramme, ce cube sera un point – le volume – d’où partent six lignes, chacune représentant une face du cube. Nous écrivons un nombre près du point qui indique le volume et un nombre sur chaque ligne, correspondant à l’aire de la face représentée par cette ligne. Supposons que l’on pose une pyramide au-dessus du cube. Ces deux polyèdres, qui ont une face commune, seraient représentés par deux points (deux volumes) reliés par une ligne (la face qui joint les deux volumes). Le cube a cinq autres faces et nous dessinons cinq lignes qui partent du point correspondant. La pyramide en a quatre, représentées par quatre lignes issues du second point. Ainsi, nous savons comment il faut procéder pour représenter, à l’aide de ces diagrammes, des arrangements compliqués comportant des polyèdres plus complexes que des cubes ou des pyramides : chaque polyèdre est représenté par un point, ou nœud, et chaque face plane par une ligne. Ces lignes relient les nœuds de la même façon que les faces forment les polyèdres. Les mathématiciens qualifient ces diagrammes de graphes.

Réseaux de spins

Dans notre théorie, nous oublions les polyèdres et nous ne conservons que les graphes. Les mathématiques qui décrivent les états quantiques de volume et d’aires nous fournissent un ensemble de règles qui déterminent la façon dont les nœuds et les lignes peuvent être connectés, et quels nombres peuvent être associés à tel point ou à telle ligne. Chaque état quantique peut être représenté par l’un de ces graphes, et chaque graphe qui obéit aux règles du jeu correspond à un état quantique possible. Les graphes sont pratiques pour résumer tous les états quantiques possibles de l’espace. Les graphes constituant une meilleure représentation des états correspondant à des états quantiques possibles sont connectés d’une façon trop particulière pour être traduits par un empilement de polyèdres jointifs. Par exemple si l’espace est courbé, on ne peut dessiner de polyèdres qui s’emboîtent correctement, alors que l’on peut dessiner un graphe, et l’on sait déterminer la courbure de l’espace qu’il représente. Puisque cette courbure est la cause de la gravitation, ces diagrammes représentent une théorie quantique de la gravitation. Bien que par souci de simplicité nous dessinions souvent des graphes à deux dimensions, il vaut mieux se les représenter dans un espace à trois dimensions. Cependant, nous devons éviter un piège conceptuel : les nœuds et les lignes ne sont pas localisés dans l’espace. En fait chaque graphe est défini par la façon dont les éléments sont connectés et par leurs relations avec des frontières bien définies, telle la frontière F. L’espace continu que ces graphes occupent dans notre imagination n’existe pas en tant que tel. Tout ce qui existe, ce sont les nœuds et les lignes : ils sont l’espace, et la façon dont ils sont connectés représente la géométrie de cet espace. Ces graphes sont qualifiés de réseaux de spins, parce qu’ils furent d’abord utilisés pour étudier les spins. Dans les années 1960, Roger Penrose de l’Université d’Oxford a, le premier, suggéré que ces réseaux pourraient aussi jouer un rôle dans la gravitation quantique. En 1994 nous avons constaté que des calculs précis confirmaient son intuition. Par ailleurs, malgré leur apparente ressemblance, nos réseaux de spins ne sont pas des diagrammes de Feynman, lesquels représentent des interactions de particules passant d’un état quantique à un autre : au contraire, nos diagrammes représentent un état quantique déterminé de volumes et d’aires. Chaque nœud et chaque ligne de ces diagrammes définissent une petite portion d’espace. Un nœud correspond en général à une longueur de Planck au cube, et une ligne est souvent une surface d’une longueur de Planck au carré. Toutefois, en principe, rien ne limite la taille ou la complexité d’un diagramme de spins. Si nous pouvions dessiner un diagramme détaillé de l’état quantique de notre Univers – la géométrie de tout l’espace courbée et cisaillée par l’action gravitationnelle des galaxies, des trous noirs et des divers constituants –, nous obtiendrions un réseau de spins gigantesque, d’une complexité inimaginable, comportant approximativement 10184 nœuds. Ces réseaux de spins décrivent la géométrie de l’espace. Qu’en est-il maintenant de la matière et de l’énergie contenues dans cet espace, et comment y représentons-nous les particules et les champs ? Les particules élémentaires, par exemple les électrons, sont représentées par certains types de nœuds auxquels nous attribuons en plus du volume, des étiquettes supplémentaires que décrivent leurs attributs et propriétés. Les champs, par exemple le champ électromagnétique, sont représentés, eux, par des étiquettes supplémentaires ajoutées sur les lignes du graphe. Le mouvement de ces particules et de ces champs dans l’espace correspond au déplacement par sauts des étiquettes sur le réseau. Les particules et les champs ne sont pas les seules entités susceptibles de se déplacer. Selon la Relativité générale, la géométrie de l’espace change au cours du temps. Les "bosses" et les "creux" de l’espace se modifient à mesure que la matière et l’énergie se déplacent, et des ondes peuvent la traverser, telles des rides à la surface d’un lac. Dans la Gravitation quantique à boucles, ces ondes gravitationnelles sont représentées par des modifications dans les graphes. Elles évoluent dans le temps par une succession de sauts, au cours desquels la connectivité des graphes est modifiée. Lorsque les physiciens décrivent un phénomène à l’aide de la Mécanique quantique, ils déterminent les modalités selon lesquelles il peut se produire, et attribuent à chacune une probabilité. Nous faisons la même chose lorsque nous appliquons la théorie de la gravitation à boucles à la description des phénomènes physiques, qu’il s’agisse du mouvement de particules ou de champs sur des réseaux de spins ou de la géométrie de l’espace et de son évolution dans le temps. Thomas Thiermann, de l’Institut de physique théorique de l’Université de Waterloo, au Canada, a calculé les probabilités quantiques précises de chaque saut permis sur le réseau de spins. Avec ces probabilités, la théorie est complètement déterminée : nous disposons ainsi d’une procédure bien définie pour calculer la probabilité de n’importe quel phénomène se déroulant dans un monde obéissant aux règles de notre théorie. Il ne reste plus qu’à faire ces calculs et à prévoir l’issue de telle ou telle expérience. Les théories d’Einstein de la relativité restreinte et générale rassemblent l’espace et le temps dans une entité unique que l’on nomme espace-temps. Les réseaux de spins qui représentent l’espace dans la théorie de la Gravitation quantique à boucles adaptent le concept d’espace-temps sous la forme de ce que nous nommons une "mousse" de spins. En ajoutant une dimension supplémentaire – le temps – les lignes et les nœuds d’un réseau de spins croissent pour devenir respectivement des surfaces bidimensionnelles et des lignes. Les points de transition où le réseau de spins change (correspondant aux sauts sur le réseau) sont représentés par des nœuds où se croisent les lignes dans la mousse. L’image "mousse de spins" de l’espace-temps a notamment été proposée par Carlo Rovelli, Mike Reisenberg de l’Université de Montevideo et John Barret de l’Université de Nottingham, pour n’en citer que quelques-uns.

Représentation shématique d’une mousse de spinsUne mousse de spins

Dans la conception de l’Univers qui fait appel à l’espace-temps, un instantané du monde n’est autre qu’une tranche découpée dans l’espace-temps. De la même façon, lorsque l’on découpe une telle tranche dans une mousse de spins, on obtient un réseau de spins. Il serait cependant incorrect d’imaginer que cette tranche se transforme de façon continue le long de la dimension temporelle de la mousse de spins. Au contraire, de même que l’espace est défini par la géométrie discrète du réseau de spins, le temps est défini par la séquence des différents sauts qui président au réarrangement du réseau. De cette façon, le temps apparaît, lui aussi, discret : il ne s’écoule pas tel un flot continu mais comme les "tic" et les "tac" d’une horloge, chacun durant à peu près un temps de Planck (la longueur de Planck divisée par la vitesse de la lumière), soit 10-43 seconde. Pour être plus précis, disons que dans notre Univers le temps s’écoule comme le tic-tac d’une multitude d’horloge puisque, dans un sens, un quantum de temps s’écoule en chaque point de la mousse où un saut quantique est effectué. Ce qui précède est une description de l’espace-temps à l’échelle de Planck, conforme à la théorie de la Gravitation quantique à boucles. Malheureusement, l’échelle est si petite qu’il est impossible de tester directement nos prédictions. Dès lors, comment pouvons-nous tester notre théorie ? Il est d’abord impératif de vérifier que la théorie classique de la Relativité générale est bien une approximation de la théorie de la Gravité quantique à boucles. En d’autres termes, si l’on compare les réseaux de spins aux fibres tissées qui constituent une étoffe, cela revient à se demander si l’on pourrait retrouver les propriétés élastiques de cette étoffe en calculant une moyenne sur des milliers de fibres. Autrement dit, moyennés sur de très nombreuses longueurs de Planck, les réseaux de spins décrivent-ils la géométrie de l’espace et son évolution d’une façon compatible avec "l’étoffe" continue de la théorie classique d’Einstein ? C’est une question difficile, mais, récemment, les théoriciens ont fait des progrès dans certains cas particuliers, pour certaines configurations de l’étoffe pourrait-on dire. Ainsi, on a montré que les ondes gravitationnelles de grande longueur d’onde, se déplaçant dans un espace plan (c’est-à-dire sans courbure), peuvent être décrites comme des excitations de certains états quantiques de la théorie de la Gravitation quantique à boucles. On peut également étudier ce que la Gravitation quantique à boucles apporte comme éléments nouveaux à certains mystères apparus dans le cadre de la Relativité générale et de la théorie quantique, par exemple, les questions que soulève la thermodynamique des trous noirs et notamment, leur entropie, liée au désordre. Les théoriciens ont établi des prédictions concernant la thermodynamique des trous noirs, en utilisant une théorie approximative et hybride où la matière est traitée à l’aide de la Mécanique quantique, mais dont l’espace-temps est absent. Une théorie complète de la gravitation quantique devrait reproduire ces prédictions. Dans les années 1970, Jacob Bekenstein, à l’Université hébraïque de Jérusalem, postula qu’il fallait attribuer aux trous noirs une entropie proportionnelle à leur surface. Peu de temps après, Stephen Hawking en déduisit que les trous noirs, en particuliers les plus petits, doivent émettre du rayonnement. Ces prédictions comptent parmi les résultats les plus importants de la physique théorique obtenus au cours des trente dernières années. Pour faire ces calculs dans le cadre de la Gravitation quantique à boucles, nous choisissons la frontière F correspondant à l’horizon des événements d’un trou noir. Lorsque nous analysons l’entropie des états quantiques adéquats, nous retrouvons exactement les résultats de J. Bekenstein. La théorie reproduit également les prédictions de S. Hawking concernant le rayonnement des trous noirs. En fait, elle fournit des prédictions supplémentaires quant à la structure fine du spectre de ce rayonnement. Si nous observons un jour un trou noir microscopique, cette prédiction pourra être testée par l’étude du spectre du rayonnement qu’il émet. Malheureusement, ceci pourrait n’avoir lieu que dans un futur très lointain, car nous ne disposons pas des techniques nécessaires pour fabriquer un trou noir, aussi petit fût-il. Tout test expérimental de la théorie de la Gravitation quantique à boucles apparaît d’abord comme un immense défi technique. Les effets caractéristiques de la théorie ne deviennent significatifs qu’à l’échelle de Planck, à laquelle les minuscules quanta d’aire et de volume deviennent perceptibles. Aujourd’hui l’échelle de Planck est inférieure de seize ordres de grandeur à celle que l’on pourra tester dans les plus puissants accélérateurs en construction (plus la distance à sonder est petite, plus l’énergie nécessaire est grande). Par conséquent, on n’atteindra pas l’échelle de Planck de cette façon, et beaucoup de physiciens ont abandonné l’espoir de tester un jour les théories quantiques de la gravitation. Toutefois, au cours des dernières années, des chercheurs ont imaginé de nouvelles façons de tester dès aujourd’hui la Gravitation quantique à boucles. Ces méthodes reposent sur la propagation de la lumière à travers le cosmos. Lorsque la lumière se déplace dans un milieu, sa longueur d’onde subit des altérations qui conduisent à des effets tels que la déviation des rayons lumineux dans l’eau ou la séparation des longueurs d’onde (la décomposition des couleurs). Ces phénomènes doivent aussi se produire dans le cas où les photons (ou d’autres particules) se déplacent dans l’espace granulaire décrit par un réseau de spins. Malheureusement l’amplitude de ces effets est proportionnelle au quotient de la longueur de Planck par la longueur d’onde de la lumière. Pour le rayonnement visible, ce rapport est inférieur à 10-28 et il est de l’ordre d’un milliardième, même pour les rayons cosmiques les plus puissants jamais observés. Ainsi, pour tous les rayonnements que nous pouvons détecter, les effets de la structure granulaire de l’espace-temps sont infimes. Toutefois, ces effets s’accumulent lorsque les distances parcourues sont très longues. Or, dans le cas de cataclysmes astrophysiques, tels que les sursauts gamma, nous détectons des photons et des particules émis sur une vaste gamme d’énergie au cours d’une explosion très brève, et qui ont parcouru plusieurs milliards d’année lumière. Rodolfo Gambini, de l’Université d’Uruguay, Jorge Pullin, de l’Université de Louisiane, notamment, ont calculé dans le cadre de la théorie de la Gravitation quantique à boucles, que les photons émis au même moment à diverses énergies devraient voyager à des vitesses légèrement différentes et, par conséquent nous parvenir à des moments distincts. Nous pouvons rechercher ces effets dans les données recueillies par les satellites qui enregistrent les sursauts gamma. Pour le moment la précision de ces détecteurs spatiaux est mille fois inférieure à la précision requise, mais un nouveau satellite d’observation nommé GLAST dont la mise en service est prévue pour 2006 sera assez précis.

Des indices cosmiques

La Gravitation quantique à boucles ne se contente pas de faire des prédictions sur certains phénomènes spécifiques, comme les protons cosmiques de très haute énergie. Elle ouvre une nouvelle fenêtre sur des questions cosmologiques ; telle l’origine de l’Univers. Nous pouvons utiliser la théorie pour étudier les périodes toutes proche du commencement du temps, juste après le big-bang. La Relativité générale prédit qu’il y a eu un commencement au temps, au premier moment, mais cette conclusion ne tient pas compte de la physique quantique (puisque la Relativité générale n’est pas une théorie quantique). Martin Bojowald, de l’Institut Max Planck de physique gravitationnelle à Golm, en Allemagne, a récemment démontré, dans le cadre de la Gravitation quantique à boucles que la "grande explosion" du big-bang est, en fait, un grand rebond : avant ce rebond, l’Univers était en contraction rapide. Les théoriciens travaillent d’arrache-pied pour établir les prédictions sur l’état de l’Univers primordial qui pourraient être testées lors de futures observations cosmologiques. Il n’est pas impossible que l’on découvre, de notre vivant, des indices sur ce qui se passait avant le big-bang. La constante cosmologique – une énergie de densité positive ou négative qui imprégnerait l’espace vide – constitue une question tout aussi importante. À la fin des années 1990, l’observation de supernovae lointaines et l’étude du fond du rayonnement cosmologique ont fourni des indices suggérant que cette énergie existe et qu’elle est positive, ce qui signifie qu’elle accélère l’expansion cosmique. Cette densité d’énergie positive est tout à fait comparable avec la Gravitation quantique à boucles. Ceci a été démontré dès 1989, lorsque Hidéo Kodama, de l’Université de Kyoto, formula les équations décrivant l’état quantique exact d’un univers doté d’une constante cosmologique positive.

LA théorie ?

La Gravitation quantique à boucles soulève encore bien des questions auxquelles il nous faut répondre. Certaines sont des problèmes techniques qui devront être clarifiés. Nous aimerions également savoir si la relativité restreinte doit être modifiée aux très hautes énergies et, dans l’affirmative comment. Jusqu’ici, nos spéculations ne sont pas solidement reliées à la Gravitation quantique à boucles.

Nous voudrions également savoir si la Relativité générale classique est une bonne approximation à des échelles bien supérieures à l’échelle de Planck de la théorie de la Gravitation quantique à boucles, quelles que soient les circonstances (nous avons déjà signalé que, pour le moment, nous l’avons seulement vérifié pour certains états décrivant la propagation d’ondes gravitationnelles assez faibles sur un espace-temps par ailleurs plan). Enfin, nous voudrions savoir si la Gravitation quantique à boucles est liée au problème de l’unification. Les différentes interactions de la nature – y compris la gravitation – sont-elles des aspects différents d’une unique force fondamentale ? La théorie des cordes est fondée sur un ensemble de concepts qui permettent cette unification mais il existe également des idées pour y parvenir dans le cadre de la Gravitation quantique à boucles.

La théorie de la Gravitation quantique à boucles occupe une place très importante dans le développement actuel de la physique. En effet on peut affirmer qu’elle est LA traduction quantique de la théorie de la Relativité générale, parce qu’elle ne repose sur aucune supposition au-delà des principes de base de la théorie quantique et de la Relativité générale. Un résultat remarquable – à savoir que l’espace-temps est discontinu et décrit par des réseaux et par des mousses de spins – émerge des mathématiques de la théorie elle-même et n’est pas un postulat ad hoc.

Pourtant, toute cette discussion reste théorique. Peut-être, malgré tout, l’espace est-il réellement continu, quelle que soit l’échelle à laquelle on le considère. Si tel est le cas les physiciens devront adopter des postulats plus radicaux, tels ceux de la théories des cordes : l’expérience tranchera. La bonne nouvelle est que sans doute on le saura rapidement. »

« Rien ne va plus en physique », Lee Smolin :

« La relativité restreinte d’Einstein est fondée sur deux postulats : le premier est la relativité du mouvement et le second la constance et la relativité de la vitesse de la lumière. (…) Albert Einstein a sans doute été le physicien le plus important du 20ème siècle. Sa plus grande réussite est sans doute la découverte de la relativité générale, à ce jour notre meilleure théorie de l’espace, du temps, du mouvement et de la gravitation. Sa profonde perspicacité nous a appris que la gravité et le mouvement sont dans une intime relation, non seulement entre eux mais également avec la géométrie de l’espace et du temps. (…) Selon la théorie générale de la relativité d’Einstein, l’espace et le temps ne constituent plus un fond fixe et absolu. L’espace est aussi dynamique que la matière : il bouge et il change de forme. (…) Quelques siècles avant Einstein, Galilée avait découvert l’unification du repos avec le mouvement uniforme (en ligne droite à vitesse constante). A partir de 1907 environ, Einstein a commencé à s’interroger sur les autres types de mouvement, tel le mouvement accéléré. Dans le mouvement accéléré, la direction ou la vitesse varient. (…) C’est à ce moment qu’Einstein a fait l’avancée la plus extraordinaire. Il a réalisé que l’on ne pouvait pas distinguer les effets de l’accélération des effets de la gravité. (…) Dans une cabine d’ascenseur en chute libre, les passagers de la cabine ne sentiraient plus leur poids. (…) L’accélération de l’ascenseur en chute libre compense totalement l’effet de la gravité. (…) L’unification de l’accélération et de la gravitation a eu des conséquences importantes et, avant même que ses implications conceptuelles ne soient comprises, d’importantes implications expérimentales furent dégagées. Quelques prédictions en découlaient (…) par exemple que les horloges doivent ralentir dans un champ gravitationnel. (…) Ou encore que la lumière se courbe lorsqu’elle circule au travers d’un champ gravitationnel. (…) La théorie d’Einstein a des conséquences très importantes, puisque les rayons de lumière sont courbés par le champ gravitationnel qui, à son tour, réagit à la présence de la matière. La seule conclusion possible est que la présence de matière influence la géométrie de l’espace. (…) Si deux rayons de lumière sont initialement parallèles, ils peuvent se rencontrer, s’ils passent tous les deux près d’une étoile. Ils sont recourbés l’un vers l’autre. Par conséquent, la géométrie euclidienne (où les droites parallèles ne se rencontrent jamais) n’est pas adaptée au monde réel. De plus, la géométrie varie sans cesse, parce que la matière est sans arrêt en mouvement. La géométrie de l’espace n’est pas plate comme un plan infini. Elle est plutôt comme la surface de l’océan : incroyablement dynamique, avec de grandes vagues et de toutes petites rides. Ainsi, la géométrie de l’espace s’est révélée n’être qu’un autre champ. (…) Dans la relativité restreinte, l’espace et le temps forment, ensemble, une entité quadridimensionnelle qu’on appelle espace-temps. (…) L’unification einsteinienne du champ gravitationnel avec la géométrie de l’espace-temps était le signal de la transformation profonde de notre façon de concevoir la nature. Avant Einstein, l’espace et le temps avaient été pensés comme possédant des caractéristiques fixes, données une fois pour toutes : la géométrie de l’espace est, a été et sera toujours celle décrite par Euclide et le temps avance indépendamment de tout le reste. Les choses pouvaient se déplacer dans l’espace et évoluer dans le temps, mais l’espace et le temps eux-mêmes ne changeaient jamais. (…) La théorie générale de la relativité d’Einstein diffère complètement. Il n’y a plus de fond fixe. La géométrie de l’espace et du temps varie et évolue en permanence, ainsi que le reste de la nature. (…) Il n’y a plus un champ qui se déplace sur un fond géométrique fixe. Au contraire, nous avons une collection de champs, qui interagissent tous, les uns avec les autres, qui sont dynamiques, qui tous exercent une influence sur les autres, et la géométrie de l’espace-temps en fait partie. (…) La relativité générale a vite mené aux prédictions de phénomènes nouveaux, tels que l’expansion de l’univers, le Big Bang, les ondes gravitationnelles et les trous noirs, dont il existe, pour tous, de solides preuves expérimentales. (…) La leçon principale de la relativité générale était qu’il n’y avait pas de géométrie fixe du fond spatio-temporel. (…) Cela signifie que les lois de la nature doivent s’exprimer sous une forme qui ne présuppose pas que l’espace ait une géométrie fixe. C’est le cœur de la leçon einsteinienne. Cette forme se traduit en principe, celui d’indépendance par rapport au fond. Ce principe énonce que les lois de la nature peuvent être décrites dans leur totalité sans présupposer la géométrie de l’espace. (…) L’espace et le temps émergent de ces lois plutôt que de faire partie de la scène où se joue le spectacle. Un autre aspect de l’indépendance par rapport au fond est qu’il n’existe pas de temps privilégié. La relativité générale décrit l’histoire du monde au niveau fondamental en termes d’événements et de relations entre eux. Les relations les plus importantes concernent la causalité : un événement peut se trouver dans la chaîne causale qui mène à un autre événement. (…) Ce sont lesdits événements qui constituent l’espace. (…) Toute définition concrète de l’espace dépend du temps. Il existe autant de définitions de l’espace que de temporalités différentes. (…) La question fondamentale pour la théorie quantique de la gravitation est, par conséquent, celle-ci : peut-on étendre à la théorie quantique le principe selon lequel l’espace n’a pas de géométrie fixe ? C’est-à-dire peut-on faire une théorie quantique indépendante du fond, au moins en ce qui concerne la géométrie de l’espace ? (…) En 1916, Einstein avait déjà compris qu’il existait des ondes gravitationnelles et qu’elles portaient une énergie. Il a tout de suite remarqué que la condition de cohérence avec la physique atomique demande que l’énergie portée par les ondes gravitationnelles soit décrite en termes de la théorie quantique (dans « Approximate integration of the field of gravitation ». (…) Heisenberg et Pauli croyaient que, lorsqu’elles sont très faibles, on pouvait considérer les ondes gravitationnelles comme de minuscules ondulations qui viennent déranger une géométrie fixe. Si l’on jette une pierre dans un lac par un matin calme, elle provoquera de petites ondulations qui ne dérangeront que très peu la surface plane de l’eau, il sera alors facile de penser que les rides se déplacent sur un fond fixe donné par une surface. Mais quand les vagues sont fortes et turbulentes près d’une plage lors d’une tempête, cela n’a aucun sens de les considérer comme des perturbations de quelque chose de fixe. La relativité générale prédit qu’il existe des régions de l’univers où la géométrie de l’espace-temps évolue de façon turbulente comme les vagues qui viennent frapper la plage. Pourtant, Heisenberg et Pauli croyaient qu’il serait plus facile d’étudier d’abord les cas où les ondes gravitationnelles sont extrêmement faibles et peuvent être considérées comme de petites rides sur un fond fixe. Cela leur permettait d’appliquer les mêmes méthodes que celles qu’ils avaient développées pour l’étude des champs quantiques électromagnétiques qui se déplaceraient sur un fond spatio-temporel fixe. (…) Le résultat était que chaque onde gravitationnelle devait être analysée selon la méthode dictée par la mécanique quantique, comme une particule qu’on appelle graviton – analogue au photon, qui, lui, est un quantum du champ électromagnétique. Or, à l’étape suivante, un énorme problème s’est posé, car les ondes gravitationnelles interagissent entre elles. Elles interagissent avec tout ce qui a une énergie ; et elles-mêmes ont aussi une énergie. Ce problème n’apparaît pour les ondes électromagnétiques, puisque les photons interagissent avec les charges électriques et magnétiques, ils ne sont pas eux-mêmes chargés et, par conséquent, ils peuvent facilement traverser les autres photons. (…) Puisque les ondes gravitationnelles interagissent les unes avec les autres, elles ne peuvent plus être pensées comme se déplaçant sur un fond fixe. Elles modifient le fond sur lequel elles se déplacent. (…) Il ne suffit pas d’avoir une théorie des gravitons fabriqués à partir de cordes se tortillant dans l’espace (théorie des cordes). Nous avons besoin d’une théorie de ce qui fait l’espace, c’est-à-dire une théorie indépendante du fons. (…) Les approches les plus réussies, à ce jour, de la gravité quantique utilisent la combinaison de trois idées fondamentales : que l’espace est émergent, que la description est fondamentalement discrète et que cette description fait intervenir la causalité de façon cruciale. (…) Personne plus que Roger Penrose n’a contribué à notre façon d’appréhender et d’utiliser la théorie de la relativité générale, excepté Einstein lui-même. (…) Penrose a affirmé pendant des années que l’insertion de la gravité dans la théorie quantique rend cette théorie non linéaire. Cela mène à la résolution du problème de la mesure, par le fait que les effets de la gravité quantique causent un collapse dynamique de l’état quantique. (…) Bien que beaucoup de physiciens de premier plan admettent en privé que le problème des fondements de la mécanique quantique existe, leur expression en public consiste à dire que tous ces problèmes ont été résolus dans les années 1920. (…) Désirez-vous une révolution scientifique ? Laissez entrer quelques révolutionnaires. (…) Il existe quelques caractéristiques des universités et des centres de recherche qui découragent tout changement. »

Lee Smolin dans « Rien ne va plus en physique » :

« Peut-être y-a-il un problème de méthode pour mener à bien la révolution physique. La science est une institution humaine, assujettie aux manies humaines, et fragile, puisqu’elle dépend autant de l’éthique du groupe que de l’éthique individuelle. Elle pourrait être en panne, et je crois que c’est le cas….

Un point d’accord entre tous les inquiets à propos de la physique fondamentale, est le besoin d’idées nouvelles…. Chaque physicien de ma connaissance sera d’accord pour dire qu’il manque probablement une percée essentielle.
Comment peut-on trouver cette idée manquante ? Soit quelqu’un doit admettre qu’il existe un présupposé faux, soit il doit se poser une question nouvelle : c’est celle d’une telle personne dont nous avons besoin pour garantir l’avenir de la physique fondamentale. Le problème de l’organisation est ainsi clairement posée : avons-nous un système qui permette à cette personne de dénicher ce faux présupposé, ou de poser la bonne question, tout en faisant partie de la communauté scientifique actuellement soutenue et (ce qui est aussi important) écoutée ? Acceptons-nous des rebelles créatifs qui possèdent ce rare talent, ou les exclut-on ?

Il va de soi que les personnes qui posent des questions réellement nouvelles et pertinentes sont des oiseaux rares. De plus, la capacité d’avoir une vision d’ensemble de l’état d’un champ de recherche techniquement complexe et d’y découvrir un présupposé caché ou une nouvelle direction de recherche, est de bien distincte de celles qu’on exige, d’ordinaire, comme des conditions préalables pour rejoindre la communauté physique. Etre un artisan bien formé à la pratique de son métier est une chose ; être un visionnaire en est une autre, bien différente.

Cette distinction ne signifie pas que le visionnaire ne sera pas un scientifique de haut niveau. Il doit connaître son sujet en profondeur, être capable de manipuler les instruments habituels du métier et communiquer de façon convaincante avec ce langage. Pourtant, un visionnaire n’a pas besoin d’être le physicien le plus doué et le plus compétent sur le plan technique. L’histoire démontre que les chercheurs qui deviennent visionnaires semblent parfois médiocres lorsqu’on les compare à des scientifiques mathématiquement habiles, excellents dans la résolution de problèmes. Le premier exemple est Einstein, qui n’a apparemment pas pu obtenir un poste scientifique décent quand il était jeune. Il était lent à comprendre une argumentation et facile à désorienter ; d’autres étaient beaucoup plus habiles en mathématiques… Louis de Broglie a fait une découverte stupéfiante, à savoir que si la lumière est une particule aussi bien qu’une onde, alors les électrons et les autres particules sont peut-être aussi des ondes. Il a énoncé cette idée dans sa thèse de doctorat, en 1924, qui n’a pas impressionné les examinateurs et qui serait passée inaperçue si Einstein ne l’avait pas approuvée….

Thomas Kuhn faisait la distinction entre science normale et révolution scientifique. La science normale est fondée sur un paradigme, c’est-à-dire une pratique bien définie, comprenant une théorie fixe et un corpus de questions, de méthodes expérimentales et de techniques de calcul. Une révolution scientifique advient quand le paradigme s’écroule, à savoir à l’instant où la théorie qui est fondée sur elle échoue dans la prédiction ou l’explication d’un résultat expérimental…

Pendant les périodes normales, on a besoin de chercheurs qui, quelle que soit leur capacité d’imagination (parfois élevée), travaillent efficacement avec les outils techniques ; appelons-les maîtres-artisans. Pendant les périodes révolutionnaires, on a besoin de visionnaires qui sauront montrer la voie dans l’obscurité…

Une plainte qui revient souvent parmi les visionnaires est que la formation standard en physique ignore le contexte historique et philosophique de son développement. Einstein a écrit ceci dans une lettre à un jeune professeur qui se voyait refuser d’inclure la philosophie à son cours de physique :

« Je suis tout à fait d’accord avec vous à propos de l’importance et de la valeur éducative de la méthodologie, ainsi que de l’histoire et de la philosophie des sciences. Tant de gens aujourd’hui – et même des scientifiques professionnels – me paraissent comme quelqu’un qui a vu des milliers d’arbres mais n’a jamais contemplé une forêt. La connaissance du fond historique et philosophique donne une espèce d’indépendance vis-à-vis des préjugés dont souffrent la majorité des scientifiques d’une génération. Créée par l’intuition philosophique, cette indépendance est, à mon sens, la marque de distinction entre un artisan ordinaire ou un spécialiste, et le véritable chasseur de vérité. »

(…) Quand je regardais la façon dont les chercheurs travaillaient autour de moi, il était évident que nous faisions de la science normale. Il y avait un paradigme – le modèle standard de la physique des particules. (…) Maintenant, je comprends que ma confusion était un indice de la crise que j’explore ici. Nous sommes, en effet, dans une période révolutionnaire, mais nous essayons d’en sortir en utilisant l’organisation et les instruments inadéquats de la science normale.

Ceci est mon hypothèse fondamentale de ce qui s’est passé en physique au cours des vingt-cinq dernières années. Il ne peut pas y avoir de doute sur le fait que la période actuelle est une période révolutionnaire. On est terriblement coincés et on a un grand besoin de vériables visionnaires…

Quand j’étudiais la physique dans les années 1970, on nous apprenait presque à mépriser ceux qui réfléchissaient aux problèmes des fondements. Lorsque nous posions une question au sujet des fondements de la théorie quantique, la réponse était que personne ne les comprenait bien, mais que se poser de telles questions ne faisait plus partie de la science. Le travail enseigné consistait à prendre la mécanique quantique comme donnée et de l’appliquer aux problèmes nouveaux. L’esprit était au pragmatisme, « Tais-toi et calcule ! » le mantra commun. On traitait les gens qui ne parvenaient pas à faire taire leurs doutes sur la signification de la théorie quantique comme des ratés incapables de poursuivre le travail….

Mais la révolution n’est pas achevée. Le modèle standard de la physique des particules a sans doute été un triomphe du style pragmatique, mais il semble maintenant aussi marqué par sa propre limite….

Ce dont nous avons besoin pour nous en sortir n’est rien d’autre que le retour d’une vision révolutionnaire de la science. Il nous faut des visionnaires. Le problème est qu’on n’en trouve que très peu. C’est là le résultat de longues années durant lesquelles la science les reconnaissait rarement et ne les tolérait qu’à peine….

On a ainsi conservé religieusement la pratique de la science normale comme modèle unique d’une bonne science. Même si tout le monde se rendait compte qu’une révolution est nécessaire, les membres les plus puissants de notre communauté auront oublié comment on en fait une…

Je n’ai rien contre les gens qui pratiquent la science comme un métier artisanal et dont le travail est fondé sur la maîtrise d’une technique. C’est ce qui donne à la science normale toute sa puissance. Mais c’est une lubie de croire que les problèmes des fondements pourront être résolus avec une démarche technique au sein des théories existantes… Mais les problèmes profonds, persistants, ne sont jamais résolus par le pur hasard, mais seulement par des gens obsédés par ces problèmes et qui ne se consacrent à rien d’autre que leur résolution…

La science n’a jamais été organisée d’une façon favorable aux visionnaires ; l’échec d’Einstein d’accéder à un poste universitaire n’en est pas le seul exemple. Mais, il y a un siècle, le monde académique était beaucoup plus petit et moins professionnalisé, il était plus commun de rencontrer des personnes extérieures au domaine, bien formées, possédant les connaissances nécessaires. C’était l’héritage du XIXe siècle, quand la majorité des scientifiques étaient des amateurs enthousiastes, assez riches pour ne pas devoir travailler, ou assez convaincants pour trouver des mécènes. (…)

Pour les visionnaires, le besoin de rester seul pendant une période de temps prolongée, au début de leur carrière et souvent plus tard, est une composante essentielle du travail. Alexandre Grothendieck est souvent cité comme le mathématicien visionnaire le plus important. Il a suivi une carrière particulièrement peu conventionnelle. Quelques unes parmi ses contributions majeures, qui ont fait école, n’ont pas été publiées…

« Pour le dire autrement : j’ai appris, en ces années cruciales, à être seul. (Cette formulation est quelque peu impropre. Je n’ai jamais eu à « apprendre à être seul », pour la simple raison que je n’ai jamais désappris, au cours de mon enfance, cette capacité innée qui était en moi à ma naissance, comme elle est en chacun. Mais ces trois ans de travail solitaire, où j’ai pu donner ma mesure à moi-même, suivant les critères d’exigence spontanée qui étaient les miens, ont confirmé et reposé en moi, dans ma relation cette fois au travail mathématique, une assise de confiance et de tranquille assurance, qui ne devait rien aux consensus et aux modes qui font la loi.)

J’entends par là : aborder par mes propres lumières les choses que je veux connaître, plutôt que de me fiers aux idées et aux consensus, exprimés ou tacites, qui me viendraient d’un groupe plus ou moins étendu dont je me sentirais membre, ou qui pour toute autre raison serait investi pour moi d’autorité. Des consensus muets m’avaient dit, au lycée comme à l’université, qu’il n’y avait pas lieu de se poser de question sur la notion même de « volume », présentée comme « bien connue », « évidente », « sans problème ». J’avais passé outre, comme chose allant de soi (…). C’est dans (…) cet acte de « passer outre », d’être soi-même en somme et non pas simplement l’expression des consensus qui font la loi, de ne pas rester enfermé à l’intérieur du cercle impératif qu’ils nous fixent – c’est avant tout dans cet acte solitaire que se trouve « la création ». Tout le reste vient de surcroît. »

C’est un cliché de demander si le jeune Einstein pourrait être aujourd’hui recruté par une université. La réponse est évidemment non ; il n’a pas été embauché même en son temps…

Mais la plupart des scientifiques académiques, même s’ils réussissent en termes de carrière, obtiennent des financements, publient beaucoup d’articles et participent aux colloques, ne contribuent à la science que de façon marginale…

Il existe quelques caractéristiques des universités et des centres de recherche qui découragent tout changement. La première, c’est le système des comités de lecture et d’évaluation, où les décisions sur l’avenir de tels ou tels scientifiques sont prises par d’autres scientifiques. Tout comme le système d’attribution des postes permanents, celui des comités de lecture a des avantages qui expliquent pourquoi tout le monde croit que ce système est essentiel pour une bonne pratique de la science. Mais il entraîne en même temps des coûts, et il faut en être conscient.

Je suis sûr qu’une personne ordinaire n’a pas la moindre idée du temps que les universitaires passent à prendre des décisions sur le recrutement d’autres universitaires…. Passé un certain point, un scientifique confirmé peut facilement passer tout son temps à ne faire que de la politique de recrutement… Il existe un débat animé entre les physiciens sur la raison pour laquelle, en physique, il y a moins de femmes et de Noirs que dans les domaines de difficultés comparables comme les mathématiques ou l’astronomie. Je crois que la réponse est simple il s’agit de préjugés flagrants. Tous ceux qui, comme moi, ont servi pendant des décennies dans les comités de recrutement et qui disent ne pas avoir vu comment se manifestent les préjugés évidents sont soit aveugles soit malhonnêtes… Cela résulte d’un processus de consensus forcé, dont les scientifiques âgés se servent pour s’assurer que les jeunes suivront leurs pas. (…) Les comités d’évaluation, les directeurs des départements et les présidents d’universités ont souvent un autre but en tête que de recruter de bons scientifiques : accroître (ou au moins laisser intact) le statut du département. (…) En premier lieu, il sera donc important de recruter ceux qui ont des chances d’apporter un financement généreux. Cela va clairement en faveur des membres de grands programmes de recherche bien établis plutôt que d’initiateurs de programmes nouveaux. »

« Rien ne va plus en physique » de Lee Smolin :

« Deux découvertes expérimentales ont été faites ces dernières décennies : d’une part, les neutrinos ont une masse et, d’autre part, l’univers est dominé par la mystérieuse matière noire et semble être en expansion accélérée. Mais nous n’avons aucune idée de la cause de la masse des neutrinos (ou de toute autre particule) et nous ne savons pas expliquer son apparition. Quant à la matière noire, elle ne s’explique avec aucune des théories physiques existantes. (…) Ces deux découvertes, la relativité et la quantique, nous ont, chacune, demandé de rompre avec la physique de Newton. Pourtant, malgré ce très grand progrès accompli au cours du siècle dernier, ces deux découvertes restent incomplètes. Chacune d’elles possède des faiblesses et des défauts, qui tendent à prouver l’existence d’une théorie plus fondamentale. Mais la raison la plus évidente pour laquelle chacune des deux théories est incomplète est l’existence de l’autre. Notre esprit nous incite à chercher une troisième théorie, qui unifierait toute la physique, et la raison à l’origine de cette incitation est simple. Il est évident que la nature, elle, est « unifiée ». L’univers dans lequel nous nous trouvons est interconnecté, dans le sens où tout interagit avec tout le reste. Il ne peut y avoir de solution où nous aurions deux théories de la nature, qui décrirait des phénomènes différents, comme si l’une n’avait rien à voir avec l’autre. (…) Ce problème s’appelle le problème de la « gravité quantique ». (…) Outre l’argument fondé sur l’unité de la nature, il existe des problèmes spécifiques à chaque théorie, qui demandent que cette théorie soit unifiée avec l’autre. Chacune se heurte aux infinis. Dans la nature, on n’a jamais rencontré quelque chose de mesurable qui aurait une valeur infinie. Masi en théorie quantique aussi bien qu’en relativité générale, on trouve des prédictions selon lesquelles certaines quantités physiquement significatives sont infinies. C’est la façon dont la nature punit les théoriciens impudents qui osent briser son unité. La relativité générale a un problème avec les infinis car, à l’intérieur d’un trou noir, la densité de la matière et la force du champ gravitationnel deviennent très rapidement infinis. (…) En un point de densité infinie, les équations de la relativité générale ne tiennent plus. (…) La théorie quantique, elle aussi, génère des infinis. Ceux-ci surgissent lorsqu’on essaye d’utiliser la mécanique quantique pour décrire les champs, comme par exemple le champ électromagnétique. En effet, les champs électrique et magnétique ont des valeurs en chaque point de l’espace. Cela signifie que l’on a affaire à un nombre infini de variables. En théorie quantique, il existe des fluctuations non contrôlables des valeurs de chaque variable quantique. Avec un nombre infini de variables, dont les fluctuations sont non contrôlables, on peut obtenir des équations qui prédisent des valeurs infinies quand on leur pose des questions sur la probabilité que tel événement se produise ou sur la valeur d’une force. (…) La théorie quantique contient en son sein quelques paradoxes conceptuels qui sautent aux yeux et qui restent non résolus même quatre-vingt ans après sa création. Un électron est à la fois une onde et une particule. Même chose pour la lumière. De plus, la théorie ne donne que des prédictions statistiques du comportement subatomique. Notre capacité à faire mieux que cela se trouve limitée par le « principe d’incertitude », qui dit que la position de la particule et son impulsion ne peuvent pas être mesurées au même moment. (…) L’idée que la physique doit être unifiée a probablement motivé plus de travaux en physique que n’importe quelle autre. (…) Toutefois, il reste deux forces fondamentales dans la nature qui échappent à l’unification avec les champs électromagnétique et faible. Ce sont la gravité et les interactions nucléaires fortes (qui maintiennent ensemble les particules appelées quarks et qui sont ainsi responsables de la formation des protons et des neutrons constituant le noyau atomique). (…) Malgré son efficacité, le modèle standard (douze particules et quatre forces pour engendrer le monde) se trouve confronté à un grand problème : il contient une longue liste de constantes à ajuster. Lorsqu’on énonce les lois de la théorie, on doit spécifier les valeurs de ces constantes. (…) Celles-ci spécifient les propriétés des particules. Certaines nous fournissent les masses des quarks et des leptons, tandis que d’autres donnent les intensités des forces. Nous n’avons aucune idée de l’origine de ces nombres. Tout ce que nous avons à faire, c’est de les déterminer au début des expériences et de les insérer ensuite dans la théorie. (…) Il existe environ vingt constantes de ce type et la présence d’autant de paramètres libres dans ce que l’on suppose être la théorie fondamentale cause un grand embarras. (…) Aujourd’hui, alors que nous célébrons l’intégration de tous les phénomènes connus dans le modèle standard plus la relativité générale, nous venons de prendre conscience de la présence de deux nouveaux nuages sombres. Ce sont la matière noire et l’énergie noire. (…) Ces dernières années, les astronomes ont réalisé une expérience très simple, au cours de laquelle ils ont mesuré la distribution des masses dans une galaxie de deux façons différentes et ont comparé les résultats. Premièrement, les astronomes ont mesuré la masse en observant les vitesses orbitales des étoiles ; deuxièmement, ils ont fait une mesure plus directe de la masse en comptant les étoiles, le gaz et la poussière qu’ils voyaient dans la galaxie. L’idée qui motive cette comparaison des deux mesures est que chacune doit fournir à la fois la masse totale de la galaxie et l’information sur sa distribution. Etant donné la bonne connaissance que nous avons de la gravité, et sachant que toutes les formes connues de la matière reflètent la lumière, les deux méthodes devraient s’accorder l’une à l’autre. Or, elles ne sont pas d’accord. Les astronomes ont comparé les deux méthodes de mesure de la masse pour plus de cent galaxies différentes. Dans presque tous les cas, les deux mesures divergent, et la différence entre les valeurs est loin d’être petite, mais plutôt d’un facteur 10. De plus, l’erreur va toujours dans le même sens : on a toujours besoin de plus de masse pour expliquer le mouvement observé des étoiles que ce que l’on calcule par comptage direct de toutes les étoiles, du gaz et de la poussière. (…) S’il existe une matière que nous ne voyons pas, elle doit donc se trouver dans un état et sous une forme nouvelle, qui ni n’émet, ni ne reflète la lumière. Et puisque la divergence des résultats est aussi grande, la majorité de la matière au sein des galaxies doit exister sous cette nouvelle forme. (…) On appelle cette mystérieuse matière manquante « matière noire ». Les astronomes préfèrent cette hypothèse, en grande partie parce que sa seule concurrente – l’hypothèse selon laquelle les lois de Newton sont fausses et par extension la relativité générale – est trop effrayante pour qu’on puisse l’envisager. Puis les choses sont devenues encore plus mystérieuses. Récemment, on a découvert que selon des observations à des échelles encore plus grandes, qui correspondent à des milliards d’années-lumière, les équations de la relativité générale ne sont pas satisfaites même en rajoutant la matière noire. L’expansion de l’univers, démarrée avec le Big Bang il y a quelques 13,7 milliards d’années, s’accélère, tandis que si l’on tient compte de toute la matière observée, en rajoutant la quantité calculée de la matière noire, l’expansion de l’univers devrait au contraire ralentir. Encore une fois, il y a deux explications possibles. Il se peut que la relativité générale soit tout simplement fausse. On l’a testée avec précision seulement à l’intérieur du système solaire et des systèmes voisins de notre galaxie. (…) Une autre possibilité serait l’existence d’encore une nouvelle forme de matière – ou d’énergie (rappelez-vous l’équation d’Einstein E=mc² qui montre l’équivalence entre énergie et la masse). Cette nouvelle forme d’énergie entrerait en jeu seulement à des échelles très grandes, c’est-à-dire qu’elle n’affecterait que l’expansion de l’univers. Pour que cela soit possible, cette énergie nouvelle ne peut pas se rassembler aux alentours des galaxies ou même des amas de galaxies. Cette étrange nouvelle énergie que l’on envisage pour que les chiffres correspondent aux données observées s’appelle « énergie noire ». La majorité des types de matière se trouvent sous pression, mais l’énergie noire exerce une tension (…) parfois dite de « pression négative ». (…) Si la pression est suffisamment négative, en relativité générale, (…) elle cause l’accélération, et non la décélération de l’univers. Les observations récentes nous révèlent un univers qui, en grande partie, est constitué d’inconnu. 70% de la matière est sous forme d’énergie noire, 26% sous forme de matière noire et seulement 4% sous forme de matière ordinaire. En conséquence, moins d’une part sur vingt de la matière est observée expérimentalement et décrite à l’aide du modèle standard de la physique des particules. Des 96% restant, excepté leurs propriétés déjà mentionnées, nous ne savons absolument rien. (…) Aujourd’hui, on en sait beaucoup à propos des caractéristiques fondamentales de l’univers, telles que la densité globale de la matière et le taux d’expansion. On possède maintenant le modèle standard de la cosmologie, de la même façon qu’il existe un modèle standard de la physique des particules. Tout comme son frère, le modèle standard de la cosmologie contient aussi une liste de constantes libres, dans ce cas, il y en a environ quinze. Ces constantes comportent, entre autres, la densité des différents types de matière et d’énergie et leur taux d’expansion. Personne ne sait rien de la raison pour laquelle ces constantes ont les valeurs qu’elles ont. Comme en physique des particules, ces valeurs sont fournies par les observations et ne sont pas encore expliquées par la théorie. (…) Une grande partie de la structure du monde, à la fois social et physique, est une conséquence de la nécessité pour le monde, dans son actualité, de briser les symétries présentes dans l’espace des possibles. Un trait important de cette nécessité est la contradiction entre la symétrie et la stabilité. (…) La symétrie est brisée spontanément. Par cette notion, on entend que la symétrie se brise à un moment, mais que la façon précise dont elle le sera est hautement contingente. (…)L’utilisation de la brisure spontanée de symétrie dans la théorie fondamentale a eu des conséquences essentielles non seulement sur les lois de la nature, mais aussi sur la question plus globale de ce qu’est la nature. Avant cette époque, on croyait que les caractéristiques des particules élémentaires étaient déterminées directement par les lois éternelles et immuables de la nature. Avec la théorie de la brisure spontanée de symétrie, un nouvel élément voit le jour : les caractéristiques des particules élémentaires dépendent en partie de l’histoire et de l’environnement. La symétrie peut être brisée, ceci de diverses façons en fonction de conditions comme la densité et la température. (…) La découverte du quart de siècle qui a eu le plus de conséquences est que les neutrinos ont une masse ; cependant ce résultat peut trouver une place à l’intérieur du modèle standard à condition de l’ajuster un peu (…) Il existe de grosses différences entre les masses des particules. Par exemple, la masse de l’électron représente un 1/800ème de la masse du proton. Et le boson de Higgs, s’il existe, a une masse au moins 140 fois plus grande que celle du proton. La physique des particules semble être plutôt hiérarchisée qu’égalitaire. (…) les différentes masses forment ainsi une hiérarchie. A son sommet, se trouve la masse de Planck, limite à partir de laquelle les effets de la gravité quantique deviennent importants. Peut-être 10.000 fois plus légère que la masse de Planck se trouve l’échelle où la différence entre l’électromagnétisme et les forces nucléaires disparaît. (…) Encore plus bas dans la hiérarchie, dix millions de milliards fois moins que l’échelle de Planck, se trouve le niveau om s’unifient la force électromagnétique avec la force des interactions faibles. (…) C’est dans cette région que nous devrions enregistrer le boson de Higgs (…) La masse du proton correspond à un millième de cette masse et, un millième plus petit encore, on trouve la masse de l’électron, masse dont celle du neutrino un million de fois moins. En bas de cette échelle, se trouve l’énergie du vide qui existe à travers l’espace, même en l’absence de matière. (…) Pourquoi la matière est-elle à ce point hiérarchisée et de cette manière, avec ces rapports de grandeurs ? Mystère. (…) Le problème de la hiérarchie contient deux défis. Le premier est de trouver ce qui détermine les valeurs des constantes et ce qui fait que les rapports entre elles sont si grands. Le second est de comprendre pourquoi ces valeurs restent là où elles sont. (…) Il n’existe pas de prédiction exacte pour la masse de Higgs même dans le modèle standard, mais on sait qu’elle doit être plus de 120 fois supérieure à la masse du proton. (…) Pour résoudre toutes ces questions, il sans doute nécessaire de comprendre la gravité quantique en intégrant la relativité générale d’Einstein à la mécanique quantique. (…)La relativité restreinte d’Einstein est fondée sur deux postulats : le premier est la relativité du mouvement et le second la constance et la relativité de la vitesse de la lumière. (…) Albert Einstein a sans doute été le physicien le plus important du 20ème siècle. Sa plus grande réussite est sans doute la découverte de la relativité générale, à ce jour notre meilleure théorie de l’espace, du temps, du mouvement et de la gravitation. Sa profonde perspicacité nous a appris que la gravité et le mouvement sont dans une intime relation, non seulement entre eux mais également avec la géométrie de l’espace et du temps. (…) Selon la théorie générale de la relativité d’Einstein, l’espace et le temps ne constituent plus un fond fixe et absolu. L’espace est aussi dynamique que la matière : il bouge et il change de forme. (…) Quelques siècles avant Einstein, Galilée avait découvert l’unification du repos avec le mouvement uniforme (en ligne droite à vitesse constante). A partir de 1907 environ, Einstein a commencé à s’interroger sur les autres types de mouvement, tel le mouvement accéléré. Dans le mouvement accéléré, la direction ou la vitesse varient. (…) C’est à ce moment qu’Einstein a fait l’avancée la plus extraordinaire. Il a réalisé que l’on ne pouvait pas distinguer les effets de l’accélération des effets de la gravité. (…) Dans une cabine d’ascenseur en chute libre, les passagers de la cabine ne sentiraient plus leur poids. (…) L’accélération de l’ascenseur en chute libre compense totalement l’effet de la gravité. (…) L’unification de l’accélération et de la gravitation a eu des conséquences importantes et, avant même que ses implications conceptuelles ne soient comprises, d’importantes implications expérimentales furent dégagées. Quelques prédictions en découlaient (…) par exemple que les horloges doivent ralentir dans un champ gravitationnel. (…) Ou encore que la lumière se courbe lorsqu’elle circule au travers d’un champ gravitationnel. (…) La théorie d’Einstein a des conséquences très importantes, puisque les rayons de lumière sont courbés par le champ gravitationnel qui, à son tour, réagit à la présence de la matière. La seule conclusion possible est que la présence de matière influence la géométrie de l’espace. (…) Si deux rayons de lumière sont initialement parallèles, ils peuvent se rencontrer, s’ils passent tous les deux près d’une étoile. Ils sont recourbés l’un vers l’autre. Par conséquent, la géométrie euclidienne (où les droites parallèles ne se rencontrent jamais) n’est pas adaptée au monde réel. De plus, la géométrie varie sans cesse, parce que la matière est sans arrêt en mouvement. La géométrie de l’espace n’est pas plate comme un plan infini. Elle est plutôt comme la surface de l’océan : incroyablement dynamique, avec de grandes vagues et de toutes petites rides. Ainsi, la géométrie de l’espace s’est révélée n’être qu’un autre champ. (…) Dans la relativité restreinte, l’espace et le temps forment, ensemble, une entité quadridimensionnelle qu’on appelle espace-temps. (…) L’unification einsteinienne du champ gravitationnel avec la géométrie de l’espace-temps était le signal de la transformation profonde de notre façon de concevoir la nature. Avant Einstein, l’espace et le temps avaient été pensés comme possédant des caractéristiques fixes, données une fois pour toutes : la géométrie de l’espace est, a été et sera toujours celle décrite par Euclide et le temps avance indépendamment de tout le reste. Les choses pouvaient se déplacer dans l’espace et évoluer dans le temps, mais l’espace et le temps eux-mêmes ne changeaient jamais. (…) La théorie générale de la relativité d’Einstein diffère complètement. Il n’y a plus de fond fixe. La géométrie de l’espace et du temps varie et évolue en permanence, ainsi que le reste de la nature. (…) Il n’y a plus un champ qui se déplace sur un fond géométrique fixe. Au contraire, nous avons une collection de champs, qui interagissent tous, les uns avec les autres, qui sont dynamiques, qui tous exercent une influence sur les autres, et la géométrie de l’espace-temps en fait partie. (…) La relativité générale a vite mené aux prédictions de phénomènes nouveaux, tels que l’expansion de l’univers, le Big Bang, les ondes gravitationnelles et les trous noirs, dont il existe, pour tous, de solides preuves expérimentales. (…) La leçon principale de la relativité générale était qu’il n’y avait pas de géométrie fixe du fond spatio-temporel. (…) Cela signifie que les lois de la nature doivent s’exprimer sous une forme qui ne présuppose pas que l’espace ait une géométrie fixe. C’est le cœur de la leçon einsteinienne. Cette forme se traduit en principe, celui d’indépendance par rapport au fond. Ce principe énonce que les lois de la nature peuvent être décrites dans leur totalité sans présupposer la géométrie de l’espace. (…) L’espace et le temps émergent de ces lois plutôt que de faire partie de la scène où se joue le spectacle. Un autre aspect de l’indépendance par rapport au fond est qu’il n’existe pas de temps privilégié. La relativité générale décrit l’histoire du monde au niveau fondamental en termes d’événements et de relations entre eux. Les relations les plus importantes concernent la causalité : un événement peut se trouver dans la chaîne causale qui mène à un autre événement. (…) Ce sont lesdits événements qui constituent l’espace. (…) Toute définition concrète de l’espace dépend du temps. Il existe autant de définitions de l’espace que de temporalités différentes. (…) La question fondamentale pour la théorie quantique de la gravitation est, par conséquent, celle-ci : peut-on étendre à la théorie quantique le principe selon lequel l’espace n’a pas de géométrie fixe ? C’est-à-dire peut-on faire une théorie quantique indépendante du fond, au moins en ce qui concerne la géométrie de l’espace ? (…) En 1916, Einstein avait déjà compris qu’il existait des ondes gravitationnelles et qu’elles portaient une énergie. Il a tout de suite remarqué que la condition de cohérence avec la physique atomique demande que l’énergie portée par les ondes gravitationnelles soit décrite en termes de la théorie quantique (dans « Approximate integration of the field of gravitation ». (…) Heisenberg et Pauli croyaient que, lorsqu’elles sont très faibles, on pouvait considérer les ondes gravitationnelles comme de minuscules ondulations qui viennent déranger une géométrie fixe. Si l’on jette une pierre dans un lac par un matin calme, elle provoquera de petites ondulations qui ne dérangeront que très peu la surface plane de l’eau, il sera alors facile de penser que les rides se déplacent sur un fond fixe donné par une surface. Mais quand les vagues sont fortes et turbulentes près d’une plage lors d’une tempête, cela n’a aucun sens de les considérer comme des perturbations de quelque chose de fixe. La relativité générale prédit qu’il existe des régions de l’univers où la géométrie de l’espace-temps évolue de façon turbulente comme les vagues qui viennent frapper la plage. Pourtant, Heisenberg et Pauli croyaient qu’il serait plus facile d’étudier d’abord les cas où les ondes gravitationnelles sont extrêmement faibles et peuvent être considérées comme de petites rides sur un fond fixe. Cela leur permettait d’appliquer les mêmes méthodes que celles qu’ils avaient développées pour l’étude des champs quantiques électromagnétiques qui se déplaceraient sur un fond spatio-temporel fixe. (…) Le résultat était que chaque onde gravitationnelle devait être analysée selon la méthode dictée par la mécanique quantique, comme une particule qu’on appelle graviton – analogue au photon, qui, lui, est un quantum du champ électromagnétique. Or, à l’étape suivante, un énorme problème s’est posé, car les ondes gravitationnelles interagissent entre elles. Elles interagissent avec tout ce qui a une énergie ; et elles-mêmes ont aussi une énergie. Ce problème n’apparaît pour les ondes électromagnétiques, puisque les photons interagissent avec les charges électriques et magnétiques, ils ne sont pas eux-mêmes chargés et, par conséquent, ils peuvent facilement traverser les autres photons. (…) Puisque les ondes gravitationnelles interagissent les unes avec les autres, elles ne peuvent plus être pensées comme se déplaçant sur un fond fixe. Elles modifient le fond sur lequel elles se déplacent. (…) Il ne suffit pas d’avoir une théorie des gravitons fabriqués à partir de cordes se tortillant dans l’espace (théorie des cordes). Nous avons besoin d’une théorie de ce qui fait l’espace, c’est-à-dire une théorie indépendante du fond. (…) Les approches les plus réussies, à ce jour, de la gravité quantique utilisent la combinaison de trois idées fondamentales : que l’espace est émergent, que la description est fondamentalement discrète et que cette description fait intervenir la causalité de façon cruciale. (…) Personne plus que Roger Penrose n’a contribué à notre façon d’appréhender et d’utiliser la théorie de la relativité générale, excepté Einstein lui-même. (…) Penrose a affirmé pendant des années que l’insertion de la gravité dans la théorie quantique rend cette théorie non linéaire. Cela mène à la résolution du problème de la mesure, par le fait que les effets de la gravité quantique causent un collapse dynamique de l’état quantique. (…) Bien que beaucoup de physiciens de premier plan admettent en privé que le problème des fondements de la mécanique quantique existe, leur expression en public consiste à dire que tous ces problèmes ont été résolus dans les années 1920. (…) Désirez-vous une révolution scientifique ? Laissez entrer quelques révolutionnaires. (…) Il existe quelques caractéristiques des universités et des centres de recherche qui découragent tout changement. »

Lee Smolin dans "Rien ne va plus en physique" :

« Dans la nature, on n’a jamais rencontré quelque chose de mesurable qui aurait une valeur infinie. Masi en théorie quantique aussi bien qu’en relativité générale, on trouve des prédictions selon lesquelles certaines quantités physiquement significatives sont infinies. C’est la façon dont la nature punit les théoriciens impudents qui osent briser son unité. La relativité générale a un problème avec les infinis car, à l’intérieur d’un trou noir, la densité de la matière et la force du champ gravitationnel deviennent très rapidement infinis. (…) En un point de densité infinie, les équations de la relativité générale ne tiennent plus. (…) La théorie quantique, elle aussi, génère des infinis. Ceux-ci surgissent lorsqu’on essaye d’utiliser la mécanique quantique pour décrire les champs, comme par exemple le champ électromagnétique. En effet, les champs électrique et magnétique ont des valeurs en chaque point de l’espace. Cela signifie que l’on a affaire à un nombre infini de variables. En théorie quantique, il existe des fluctuations non contrôlables des valeurs de chaque variable quantique. Avec un nombre infini de variables, dont les fluctuations sont non contrôlables, on peut obtenir des équations qui prédisent des valeurs infinies quand on leur pose des questions sur la probabilité que tel événement se produise ou sur la valeur d’une force. (…) La théorie quantique contient en son sein quelques paradoxes conceptuels qui sautent aux yeux et qui restent non résolus même quatre-vingt ans après sa création. Un électron est à la fois une onde et une particule. Même chose pour la lumière. De plus, la théorie ne donne que des prédictions statistiques du comportement subatomique. Notre capacité à faire mieux que cela se trouve limitée par le « principe d’incertitude », qui dit que la position de la particule et son impulsion ne peuvent pas être mesurées au même moment. »

« Rien ne va plus en physique » de Lee Smolin :

« Selon la théorie générale de la relativité d’Einstein, l’espace et le temps ne constituent plus un fond fixe et absolu. L’espace est aussi dynamique que la matière : il bouge et il change de forme. (…) Quelques siècles avant Einstein, Galilée avait découvert l’unification du repos avec le mouvement uniforme (en ligne droite à vitesse constante). A partir de 1907 environ, Einstein a commencé à s’interroger sur les autres types de mouvement, tel le mouvement accéléré. Dans le mouvement accéléré, la direction ou la vitesse varient. (…) C’est à ce moment qu’Einstein a fait l’avancée la plus extraordinaire. Il a réalisé que l’on ne pouvait pas distinguer les effets de l’accélération des effets de la gravité. (…) Dans une cabine d’ascenseur en chute libre, les passagers de la cabine ne sentiraient plus leur poids. (…) L’accélération de l’ascenseur en chute libre compense totalement l’effet de la gravité. (…) L’unification de l’accélération et de la gravitation a eu des conséquences importantes et, avant même que ses implications conceptuelles ne soient comprises, d’importantes implications expérimentales furent dégagées. Quelques prédictions en découlaient (…) par exemple que les horloges doivent ralentir dans un champ gravitationnel. (…) Ou encore que la lumière se courbe lorsqu’elle circule au travers d’un champ gravitationnel. (…) La théorie d’Einstein a des conséquences très importantes, puisque les rayons de lumière sont courbés par le champ gravitationnel qui, à son tour, réagit à la présence de la matière. La seule conclusion possible est que la présence de matière influence la géométrie de l’espace. (…) Si deux rayons de lumière sont initialement parallèles, ils peuvent se rencontrer, s’ils passent tous les deux près d’une étoile. Ils sont recourbés l’un vers l’autre. Par conséquent, la géométrie euclidienne (où les droites parallèles ne se rencontrent jamais) n’est pas adaptée au monde réel. De plus, la géométrie varie sans cesse, parce que la matière est sans arrêt en mouvement. La géométrie de l’espace n’est pas plate comme un plan infini. Elle est plutôt comme la surface de l’océan : incroyablement dynamique, avec de grandes vagues et de toutes petites rides. Ainsi, la géométrie de l’espace s’est révélée n’être qu’un autre champ. (…) Dans la relativité restreinte, l’espace et le temps forment, ensemble, une entité quadridimensionnelle qu’on appelle espace-temps. (…) L’unification einsteinienne du champ gravitationnel avec la géométrie de l’espace-temps était le signal de la transformation profonde de notre façon de concevoir la nature. Avant Einstein, l’espace et le temps avaient été pensés comme possédant des caractéristiques fixes, données une fois pour toutes : la géométrie de l’espace est, a été et sera toujours celle décrite par Euclide et le temps avance indépendamment de tout le reste. Les choses pouvaient se déplacer dans l’espace et évoluer dans le temps, mais l’espace et le temps eux-mêmes ne changeaient jamais. (…) La théorie générale de la relativité d’Einstein diffère complètement. Il n’y a plus de fond fixe. La géométrie de l’espace et du temps varie et évolue en permanence, ainsi que le reste de la nature. (…) Il n’y a plus un champ qui se déplace sur un fond géométrique fixe. Au contraire, nous avons une collection de champs, qui interagissent tous, les uns avec les autres, qui sont dynamiques, qui tous exercent une influence sur les autres, et la géométrie de l’espace-temps en fait partie. (…) La relativité générale a vite mené aux prédictions de phénomènes nouveaux, tels que l’expansion de l’univers, le Big Bang, les ondes gravitationnelles et les trous noirs, dont il existe, pour tous, de solides preuves expérimentales. (…) La leçon principale de la relativité générale était qu’il n’y avait pas de géométrie fixe du fond spatio-temporel. (…) Cela signifie que les lois de la nature doivent s’exprimer sous une forme qui ne présuppose pas que l’espace ait une géométrie fixe. C’est le cœur de la leçon einsteinienne. Cette forme se traduit en principe, celui d’indépendance par rapport au fond. Ce principe énonce que les lois de la nature peuvent être décrites dans leur totalité sans présupposer la géométrie de l’espace. (…) L’espace et le temps émergent de ces lois plutôt que de faire partie de la scène où se joue le spectacle. Un autre aspect de l’indépendance par rapport au fond est qu’il n’existe pas de temps privilégié. La relativité générale décrit l’histoire du monde au niveau fondamental en termes d’événements et de relations entre eux. Les relations les plus importantes concernent la causalité : un événement peut se trouver dans la chaîne causale qui mène à un autre événement. (…) Ce sont lesdits événements qui constituent l’espace. (…) Toute définition concrète de l’espace dépend du temps. Il existe autant de définitions de l’espace que de temporalités différentes. (…) La question fondamentale pour la théorie quantique de la gravitation est, par conséquent, celle-ci : peut-on étendre à la théorie quantique le principe selon lequel l’espace n’a pas de géométrie fixe ? C’est-à-dire peut-on faire une théorie quantique indépendante du fond, au moins en ce qui concerne la géométrie de l’espace ? »

Relativité de la matière elle-même ?

« Il y a de nombreux états du vide qui seraient difficilement interprétables en concevant l’espace comme « vide ». Un champ quantique a toujours une énergie de base résiduelle non nulle (…) activité résiduelle qui se maintient en l’absence d’excitations du vide sous formes de quanta, activité qui se manifeste dans les expériences. Si nous considérons le champ électromagnétique, par exemple, alors les fluctuations de celui-ci peuvent être interprétées comme des créations et annihilations spontanées de photons virtuels, ou de couples virtuels de particule/antiparticule (polarisation du vide). Quand le champ électromagnétique est en interaction, disons avec un électron (ou avec toute particule ou champ), la polarisation du vide peut produire des changements observables, comme ceux de la structure hyperfine de l’hydrogène (dédoublement des raies appelé effet Lamb shift). Dans la physique des particules, la notion d’état du vide joue un rôle croissant. Il y a plusieurs états du vide, avec notamment les notions de « faux vide », d’effet tunnel d’un état du vide à un autre (Coleman, 1977), d’états particuliers du vide (Emch, 1972), etc. (…) Mon opinion est que ces états du vide qui sont des niveaux de base se fondent sur une sorte de structure de niveau inférieur qui joue un rôle dans la structure inertielle de l’espace-temps (…) Ce qui apparaît du vide pour un observateur peut apparaître comme de la matière pour un observateur accéléré. »

Lee Smolin dans "Rien ne va plus en physique" :

« Ces dernières années, les astronomes ont réalisé une expérience très simple, au cours de laquelle ils ont mesuré la distribution des masses dans une galaxie de deux façons différentes et ont comparé les résultats. Premièrement, les astronomes ont mesuré la masse en observant les viteses orbitales des étoiles ; deuxièmement, ils ont fait une mesure plus directe de la masse en comptant les étoiles, le gaz et la poussière qu’ils voyaient dans la galaxie. (…) Les deux méthodes devraient s’accorder l’une à l’autre. Or, elles ne sont pas d’accord. Les astronomes ont comparé les deux méthodes de mesure de la masse pour plus de cent galaxies différentes. Dans presque tous les cas, les deux mesures divergent, et la différence entre les valeurs est loin d’être petite, mais plutôt de l’ordre d’un facteur dix. De plus, l’erreur va toujours dans le même sens : on a toujours besoin de plus de masse pour expliquer le mouvement observé des étoiles que ce que l’on calcule par comptage direct des étoiles, du gaz et des poussières. (…) S’il existe une matière que nous ne voyons pas, elle doit se trouver dans un état et sous une forme nouvelle, qui n’émet, ni ne reflète la lumière. Et, puisque la divergence des résultats est aussi grande, la majorité de la matière au sein des galaxies doit exister sous cette nouvelle forme. (…) (…) Dans chacune des galaxies où l’on a rencontré le problème, celui-ci affecte seulement les étoiles dont le mouvement s’effectue au-delà d’une certaine orbite. A l’intérieur de cette orbite, il n’y a pas de problème : l’accélération est ce qu’elle devrait être si elle était produite par la matière visible seule. Par conséquent, il semble qu’il existe une région à l’intérieur de la galaxie où les lois de Newton sont validées et où il n’y a pas besoin de matière noire. Au-delà de cette région, les choses se compliquent. (…) Lorsqu’on s’éloigne du centre de la galaxie, l’accélération décroît, et un taux critique se révèle, qui marque la fin d’applicabilité des lois de la gravitation de Newton. Lorsque l’accélération des étoiles dépasse la valeur critique, la loi de Newton marche, et l’accélération qu’elle prédit est observée. Dans ce cas, il n’existe aucun besoin de postuler l’existence de la matière noire. Mais lorsque l’accélération observée est plus petite que la valeur critique, elle ne s’accorde plus avec la prédiction de la loi newtonienne. Cette accélération spéciale est proche de c²/R, c’est-à-dire de la valeur de l’accélération produite par la constante cosmologique ! (…) L’échelle c²/R caractérise le lieu où, pour les galaxies, la loi de Newton ne s’applique plus. Les astronomes l’appellent « loi de Milgrom » du nom du physicien Mordehaï Milgrom qui l’a découverte au milieu des années 1980. (…) L’échelle R est une échelle de tout l’univers observable, qui est infiniment plus grand que n’importe que n’importe quelle galaxie individuelle. C’est à cette échelle cosmologique qu’advient l’accélération c²/R ; comme nous l’avons vu, il s’agit du taux auquel s’accélère l’expansion de l’univers. Il n’existe aucune raison pour que cette échelle joue un rôle quelconque dans la dynamique d’une galaxie individuelle. Pourtant, ce fait empirique nous a été imposé par les données. (…) L’échelle c²/R pourrait caractériser la physique des particules de la matière noire. Si cela est vrai, alors il existe un lien entre la matière noire et la constante cosmologique. La matière noire et l’énergie noire sont toujours des phénomènes distincts, mais apparentés. L’autre possibilité est qu’il n’y a pas de matière noire et que la loi newtonienne de la gravitation cesse de s’appliquer là où les accélérations deviennent aussi petites que la valeur particulière c²/R. (...)

Puis les choses sont devenues encore plus mystérieuses. Récemment, on a découvert que selon des observations à des échelles encore plus grandes, qui correspondent à des milliards d’années-lumière, les équations de la relativité générale ne sont pas satisfaites même en rajoutant la matière noire. L’expansion de l’univers, démarrée avec le Big Bang il y a quelque 13,7 milliards d’années, s’accélère, tandis que si l’on tient compte de toute la matière observée, plus la quantité calculée de la matière noire, l’expansion de l’univers devrait au contraire ralentir. (…) Peut-être, comme pour le problème précédent, quand on a atteint cette échelle, les lois de la relativité génrale ne sont simplement plus applicables. Une autre possibilité serait l’existence d’encore une nouvelle forme de matière – ou d’énergie selon la loi d’Einstein qui montre l’équivalence entre masse et énergie). Cette nouvelle forme d’énergie entrait en jeu seulement à des échelles très grandes, c’est-à-dire qu’elle n’affecterait que l’expansion de l’Univers. (…) Cette étrange nouvelle énergie que l’on envisage pour que les chiffres correspondent aux données s’appelle « énergie noire ». La majorité des types de matière se trouvent sous pression, mais l’énergie noire exerce une tension – c’est-à-dire qu’elle retient et ramène les choses ensemble, au lieu de les écarter. C’est pour cette raison que la tension est parfois dite de « pression négative ». (…) Les observations récentes nous révèlent un univers qui, en grande partie, est constitué d’inconnu. 70% de la matière est sous forme d’énergie noire, 26% sous forme de matière noire et seulement 4% sous forme de matière ordinaire. En conséquence, moins d’un vingtième de la matière est observée expérimentalement… »

Lee Smolin expliquait dans le même ouvrage :

« La constante cosmologique est caractérisée par une échelle, l’échelle de la distance à laquelle elle courbe l’univers. Appelons cette échelle R. Sa valeur est d’environ 10 milliards d’années-lumière, ou dix puissance 27 centimètres. Ce qui est bizarre concernant la constante cosmologique, c’est que son échelle est énorme comparée aux autres échelles en physique. (…) Les observations les plus précises que nous ayons en cosmologie sont les mesures du fond diffus cosmologique. Ce phénomène est un rayonnement laissé par le Big Bang qui arrive vers nous depuis toutes les directions du ciel. Il est purement thermique – c’est-à-dire aléatoire. Il s’est refroidi au fur et à mesure de l’expansion de l’univers et a maintenant la température de 1,7 degrés Kelvin. Cette température est uniforme partout dans le ciel à un très haut degré de précision mais, au niveau de quelques parties sur cent mille, il existe des fluctuations. (…) Un autre trait que nous observons dans ces données est qu’il existe très peu d’énergie à la longueur d’onde la plus grande. (…) On pourrait l’interpréter comme une coupure au-dessus de laquelle les modes sont beaucoup moins excités. Il est intéressant de noter que cette coupure se situe à l’échelle R, associée à la constante cosmologique. L’existence d’une telle coupure serait énigmatique du point de vue de la théorie du début de l’Univers la plus largement acceptée, qui s’appelle « inflation ». Selon cette théorie, l’Univers s’est étendu exponentiellement vite à une période extrêmement ancienne. L’inflation explique la quasi-uniformité du fond diffus, en assurant que toutes les parties de l’univers que nous voyons aujourd’hui auraient pu se trouver en contact fortuit lorsque l’univers était encore à l’état de plasma. La théorie prédit des fluctuations dans le fond diffus cosmologique, dont on pense qu’elles sont des résidus des effets quantiques, en action pendant la période d’inflation. (…) Si l’inflation a produit un univers uniforme à l’échelle où nous l’observons, il est probable qu’elle ait produit un univers uniforme à une échelle beaucoup plus grande. Ceci implique, à son tour, que les motifs des fluctuations causées par l’inflation doivent rester les mêmes quelle que soit la profondeur de notre regard expérimental. (…) Au lieu de cela, l’expérience montre que les fluctuations cessent au-dessus de l’échelle R. »

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Quotes

• The first principle of cosmology must be ’There is nothing outside the universe’. This is not to exclude religion or mysticism... But if it is knowledge that we desire... we need to seek answers to questions about the things we can see... only things that exist in the universe.

• There is no meaning to space that is independent of the relationships among real things of the world. ...Space is nothing apart from the things that exist. ...If we take out all the words we are not left with an empty sentence, we are left with nothing.

• The geometry of space changes when things in the universe change their relationships to one another.

• There are unfortunately not a few good professional physicists who still think about the world as if space and time had an absolute meaning.

• I believe that the main lesson of relativity and quantum theory is that the world is nothing but an evolving network of relationships.

• The relational picture of space and time has implications that are as radical as those of natural selection, not only for science but for our perspective on who we are and how we came to exist in this evolving universe of relations.

• We are the result of processes much more complicated than the small aspects of our lives and societies over which we have some control.

• There is no fixed, eternal frame to the universe to define what may or may not exist.

• There is nothing beyond the world except what we see, no background to it except its particular history.

• We have known since the middle of the nineteenth century that the world is not composed only of particles. ...the world is also composed of fields. ...General relativity is a theory of... the gravitational field. ...Because there are three sets of field lines, the gravitational field defines a network of relationships having to do with how the... lines link with one another. ...This is why we call relativity a relational theory.

• In the theory of electric fields it is assumed that points have meaning. ...Physicists using general relativity... cannot speak of a point, except by naming some features of the field lines that will uniquely distinguish that point. ...the network of relationships evolve with time... constantly changing.

• There is no time apart from change. There is no such thing as a clock outside the network of changing relationships. ...one can only compare how fast one thing is happening with the rate of some other process.

• Time is described only in terms of change in the network of relationships that describes space.

• It is absurd in general relativity to speak of a universe in which nothing happens.

• Neither space nor time has any existence outside the system of evolving relationships that comprises the universe. Physicists refer to this feature of general relativity as background independence.

• In quantum theory, distance is inverse to energy, because you need particles of very high energy to probe very short distances. The inverse of the Planck energy is the Planck length.

• We detect light and particles that have traveled billions of light years on their way across the universe to us. During the billions of years of travel, very small effects due to quantum gravity can be amplified to the point that we can detect them.

• Since the 1950s, the key equation of quantum gravity has been called the Wheeler-DeWitt equation. Bryce DeWitt and John Wheeler wrote it down, but in all the time since then, no one had been able to solve it. We found we could solve it exactly, and in fact we found an infinite number of exact solutions.


• I was joined by Carlo Rovelli, and we were able to make a full-fledged quantum theory of gravity... This became loop quantum gravity.

• While most people... were seeking to modify the principles of either relativity or quantum theory, we surprised ourselves (and many other people) by succeeding in putting them together without modifying their principles.

• There is a smallest unit of space. Its minimum value is given by the cube of the Planck length... If you take a volume of space and measure it to a very fine precision... It has to fall into some discrete series of numbers, just like the energy of an electron in an atom. ...we can calculate the discrete areas and volumes from the theory.

• Some of the effects predicted by the theory [of loop quantum gravity] appear to be in conflict with one of the principles of Einstein’s special theory of relativity... that the speed of light is a universal constant. ...Photons of higher energy travel slightly slower than low-energy photons. ...the principle of [general] relativity is preserved but Einstein’s special theory of relativity requires modification. ...A photon can have an energy-dependent speed without violating the principle of [general] relativity !

• Jacob Bekenstein found... in 1971 that every black hole must have an entropy proportional to the area of its horizon... Stephen Hawking then refined this by showing that the constant of proportionality must be... exactly one quarter. ...entropy is supposed to correspond to a measure of information ...Loop quantum gravity... [gives] a detailed description of the microscopic structure of a black hole. ...a horizon can have, for each quantized unit of area, a finite number of states. Counting them, we get exactly Bekenstein’s result...

• Spacetime... turns out to be discrete, described by a structure called spin foam.

• In string theory one studies strings moving in a fixed classical spacetime. ...what we call a background-dependent approach. ...One of the fundamental discoveries of Einstein is that there is no fixed background. The very geometry of space and time is a dynamical system that evolves in time. The experimental observations that energy leaks from binary pulsars in the form of gravitational waves—at the rate predicted by general relativity to the... accuracy of eleven decimal places—tell us that there is no more a fixed background of spacetime geometry than there are fixed crystal spheres holding the planets up.

• String theory seems to be incompatible with a world in which a cosmological constant has a positive sign, which is what the observations indicate.

• From the beginning of physics, there have been those who imagined they would be the last generation to face the unknown. Physics has always seemed to its practitioners to be almost complete. This complacency is shattered only during revolutions, when honest people are forced to admit that they don’t know the basics.

• Relativity and... quantum... remain incomplete. ...the main reason each is incomplete is the existence of the other. The mind calls for a third theory to unify all of physics, and for a simple reason. Nature is... "unified." …interconnected, in that everything interacts with everything else.

• Combine general relativity and quantum theory into a single theory that can claim to be the complete theory of nature. This is called the problem of quantum gravity.

• In both quantum theory and general relativity, we encounter predictions of physically sensible quantities becoming infinite. This is likely the way that nature punishes impudent theorists who dare to break her unity. ...If infinities are signs of missing unification, a unified theory will have none. It will be what we call a finite theory.

• Quantum theory can be described as a new kind of language to be used in a dialogue between us and the systems we study with our instruments. ...It tells us nothing about what the world would be like in our absence.

• Many of the founders of quantum mechanics, including Einstein, Erwin Schrödinger, and Louis de Broglie... were realists. For them quantum theory... was not a complete theory, because it did not provide a picture of reality absent our interaction with it. On the other side were Niels Bohr, Werner Heisenberg, and many others. Rather than being appalled, they embraced this new way of doing science.

• Many of us believed in the possibility of a principled explanation for the laws of nature. We hoped to discover a short list of principles, which could be realized in a unique theory, which would retrodict the standard model and uniquely predict the physics to be discovered beyond it. The shocking implication of the results of Strominger reported in 1986 was that it was not to be, at least within the confines of string theory. ...String theory offered more, however... It offered the promise of a setting in which the different perturbative string theories are realized as expansions around solutions of a still more fundamental theory. ...That more fundamental theory would have to be background independent...

• Unfortunately, so far... a truly background independent formulation of string theory has not been achieved... [It is] often called the search for M theory...

• The landscape problem and the problem of background independence are closely linked. The latter is the only route the former has to experimental confirmation.

• The hypothesis underlying all approaches to the landscape is that there is a cosmological setting in which different regions or epochs of the universe can have different effective laws. This implies the existence of spacetime regions not directly observable... These regions must either be in the past of our big bang, or far enough away from us to be causally unrelated.

• The landscape problem represents a serious problem in the development of science. Its solution requires... the construction of speculative cosmological scenarios, which posit regions or epochs of our universe for which we presently have no observable evidence. Nonetheless we must insist on taking seriously only scenarios and hypotheses that make falsifiable or strongly verifiable predictions, otherwise people can just make stuff up and the distinction between science and mythology becomes porous. ...there are already candidate solutions that make real, falsifiable predictions.

• Special pleading that the standards of science should be lessened to admit explanations with no falsifiable consequences, in order to keep alive a bold speculative idea, should be strongly resisted. ...ultimately science is not interested in what might be true, it is interested only in what can be convincingly demonstrated by deductions from observational evidence.

• Having begun my life in science searching for the equation beyond time, I now believe that the deepest secret of the universe is that its essence rests in how it unfolds moment by moment in time.

• We seem to have an ingrained idea that if something is valuable, it exists outside of time.

• I... propose that time and its passage are fundamental and real and the hopes and beliefs about timeless truths and timeless realms are mythology.

• If we believe that the task of physics is the discovery of a timeless mathematical equation that captures every aspect of the universe, then we believe that the truth about the universe lies outside the universe.

• Thinking in time is not relativism but a form of relationalism... the truest description of something consists of specifying its relationships to other parts of the system it is part of.

• To be human is to be suspended between danger and opportunity. ...The challenge of life is to choose wisely, from the enormous number of possible dangers, what’s worth worrying about. It is also about choosing, from all the opportunities... always in the face of incomplete knowledge of the consequences.

• One of the evident facts about the world is the stability of empty space-time. In classical general relativity we can explain this as a consequence of the positive energy theorem... the positive energy theorem must extend in some suitable form to any viable quantum theory of gravity.

• We show that some known classical results have particularly simple derivations within the Ashtekar formalism. These include Witten’s positive energy theorem...

• The positive energy theorem was for half a century or more an open challenge to relativists. Many attempts were made to prove flat spacetime was stable, but none completely succeeded completely until a majestic tour de force of geometric reasoning of Shoen and Yau. This was followed two years later by a proof of Witten, which was as elegant as it was short. It is this proof of Witten’s that we take as a template here for the quantum theory.

• The suggestion was that a positive energy proof for general relativity could be gotten by restricting supergravity to its bosonic sector, which is general relativity.

• Calculation establishes that a quantum positive energy theorem may be possible using a representation based on the Ashtekar connection. Left open is a key question of whether this use of the Ashtekar connection is necessary or whether a positive quantum energy result can be achieved for representations based on other connections, i.e., for [other] values of the Immirzi parameter.

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Un commentaire de “Rien ne va plus en physique”

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Troublemaker Lee Smolin Says Physics—and Its Laws—Must Evolve

Life in the Cosmos

Three Roads to Quantum Gravity

Time Reborn

The singular Universe and the Reality of Time

La Renaissance du Temps

Las dudas de la fisica en el siglo XXI

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