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Poésies sur la classe ouvrière

vendredi 6 novembre 2015, par Robert Paris

Poésies sur la classe ouvrière

« Citroën », Jacques Prévert

À la porte des maisons closes,
C’est une petite lueur qui luit…
Quelque chose de faiblard, de discret,
Une petite lanterne, un quinquet.
Mais sur Paris endormi, une grande lueur s’étale :
Une grande lueur grimpe sur la tour,
Une lumière toute crue.
C’est la lanterne du bordel capitaliste,
Avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit.
Citroën ! Citroën !
C’est le nom d’un petit homme,
Un petit homme avec des chiffres dans la tête,
Un petit homme avec un drôle de regard derrière son lorgnon,
Un petit homme qui ne connaît qu’une seule chanson,
Toujours la même.
Bénéfices nets…
Une chanson avec des chiffres qui tournent en rond,
300 voitures, 600 voitures par jour.
Trottinettes, caravanes, expéditions, auto-chenilles, camions…
Bénéfices nets…
Millions, millions, millions, millions,
Citroën, Citroën,
Même en rêve, on entend son nom.
500, 600, 700 voitures
800 autos camions, 800 tanks par jour,
200 corbillards par jour,
200 corbillards,
Et que ça roule
Il sourit, il continue sa chanson,
Il n’entend pas la voix des hommes qui fabriquent,
Il n’entend pas la voix des ouvriers,
Il s’en fout des ouvriers.
Un ouvrier c’est comme un vieux pneu,
Quand y’en a un qui crève,
On l’entend même pas crever.
Citroën n’écoute pas, Citroën n’entend pas.
Il est dur de la feuille pour ce qui est des ouvriers.
Pourtant au casino, il entend bien la voix du croupier.
Un million Monsieur Citroën, un million.
S’il gagne c’est tant mieux, c’est gagné.
Mais s’il perd c’est pas lui qui perd,
C’est ses ouvriers.
C’est toujours ceux qui fabriquent
Qui en fin de compte sont fabriqués.
Et le voilà qui se promène à Deauville,
Le voilà à Cannes qui sort du Casino
Le voilà à Nice qui fait le beau
Sur la promenade des Anglais avec un petit veston clair,
Beau temps aujourd’hui ! Le voilà qui se promène qui prend l’air,
A Paris aussi il prend l’air,
Il prend l’air des ouvriers, il leur prend l’air, le temps, la vie
Et quand il y en a un qui crache ses poumons dans l’atelier,
Ses poumons abîmés par le sable et les acides,
Il lui refuse une bouteille de lait.
Qu’est-ce que ça peut lui foutre, une bouteille de lait ?
Il n’est pas laitier…Il est Citroën.
Il a son nom sur la tour, il a des colonels sous ses ordres.
Des colonels gratte-papier, garde-chiourme, espions.
Des journalistes mangent dans sa main.
Le préfet de police rampe sur son paillasson.
Citron … Citron …Bénéfices nets… Millions… Millions…
Oh si le chiffre d’affaires vient à baisser,
Pour que malgré tout, les bénéfices ne diminuent pas,
Il suffit d’augmenter la cadence et de baisser les salaires
Baisser les salaires
Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches,
Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup

Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer,
Pour faire la grève…
La grève…
Vive la grève !

Victor Hugo. Les contemplations

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.

« L’effort humain », Jacques Prévert

L’effort humain
n’est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire
l’imbécile illusion
de la joie de la danse et de la jubilation
évoquant avec l’autre jambe en l’air
la douceur du retour à la maison
Non
l’effort humain ne porte pas un petit enfant sur l’épaule droite
un autre sur la tête
et un troisième sur l’épaule gauche
avec les outils en bandoulière
et la jeune femme heureuse accrochée à son bras
L’effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois
L’effort humain n’a pas de vraie maison
il sent l’odeur de son travail
et il est touché aux poumons
son salaire est maigre
ses enfants aussi
il travaille comme un nègre
et le nègre travaille comme lui
L’effort humain n’a pas de savoir-vivre
l’effort humain n’a pas l’âge de raison
l’effort humain a l’âge des casernes
l’âge des bagnes et des prisons
l’âge des églises et des usines
l’âge des canons
et lui qui a planté partout toutes les vignes
et accordé tous les violons
il se nourrit de mauvais rêves
et il se saoule avec le mauvais vin de la résignation
et comme un grand écureuil ivre
sans arrêt il tourne en rond
dans un univers hostile
poussiéreux et bas de plafond
et il forge sans cesse la chaîne
la terrifiante chaîne où tout s’enchaîne
la misère le profit le travail la tuerie
la tristesse le malheur l’insomnie et l’ennui
la terrifiante chaîne d’or
de charbon de fer et d’acier
de mâchefer et de poussier
passée autour du cou
d’un monde désemparé
la misérable chaîne
où viennent s’accrocher
les breloques divines
les reliques sacrées
les croix d’honneur les croix gammées
les ouistitis porte-bonheur
les médailles des vieux serviteurs
les colifichets du malheur
et la grande pièce de musée
le grand portrait équestre
le grand portrait en pied
le grand portrait de face de profil à cloche-pied
le grand portrait doré
le grand portrait du grand divinateur
le grand portrait du grand empereur
le grand portrait du grand penseur
du grand sauteur
du grand moralisateur
du digne et triste farceur
la tête du grand emmerdeur
la tête de l’agressif pacificateur
la tête policière du grand libérateur
la tête d’Adolf Hitler
la tête de monsieur Thiers
la tête du dictateur
la tête du fusilleur
de n’importe quel pays
de n’importe quelle couleur
la tête odieuse
la tête malheureuse
la tête à claques
la tête à massacre
la tête de la peur

« Le Forgeron », Arthur Rimbaud, Poésies

Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D’ivresse et de grandeur, le front large , riant
Comme un clairon d’airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d’or traînait sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle
Pâle comme un vaincu qu’on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l’empoignait au front, comme cela !
« Donc, Sire, tu sais bien , nous chantions tra la la
Et nous piquions les bœufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil disait ses patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d’or
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor
Et l’un avec la hart, l’autre avec la cravache
Nous fouaillaient - Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient pas ; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair… nous avions un pourboire
Nous venions voir flamber nos taudis dans la nuit
Nos enfants y faisaient un gâteau fort bien cuit.
« Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
C’est entre nous. J’admets que tu me contredises.
Or, n’est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Enormes ? De sentir l’odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l’herbe rousse ?
De voir les champs de blé, les épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?…
Oui, l’on pourrait, plus fort , au fourneau qui s’allume,
Chanter joyeusement en martelant l’enclume,
Si l’on était certain qu’on pourrait prendre un peu,
Étant homme, à la fin !, de ce que donne Dieu !

 Mais voilà, c’est toujours la même vieille histoire !
« Oh je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j’ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau
Qu’un homme vienne là, dague sous le manteau,
Et me dise : « Maraud , ensemence ma terre ! »
Que l’on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !

 Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !.. - Tu vois bien, c’est stupide.
Tu crois que j’aime à voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons :
Ils ont rempli ton nid de l’odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles
Et nous dirions : C’est bien : les pauvres à genoux !
Nous dorerions ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et tu te soûlerais, tu ferais belle fête.

 Et ces Messieurs riraient, les reins sur notre tête !
« Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n’est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière
Cette bête suait du sang à chaque pierre
Et c’était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous rappelaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !

 Citoyen ! citoyen ! c’était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au cœur comme l’amour.
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous marchions, nous chantions, et ça nous battait là….
Nous allions au soleil, front haut,-comme cela -,
Dans Paris accourant devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,
Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main ; nous n’eûmes pas de haine,

 Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !
« Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le flot des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s’en vont, foule toujours accrue
Comme des revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris le marteau sur l’épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !

 Puis, tu dois y compter, tu te feras des frais
Avec tes avocats , qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! Nous traitant de gros sots !
Pour mitonner des lois, ranger des de petits pots
Pleins de menus décrets , de méchantes droguailles
S’amuser à couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous passons près d’eux,

 Ces chers avocassiers qui nous trouvent crasseux !
Pour débiter là-bas des milliers de sornettes !
Et ne rien redouter sinon les baïonnettes,
Nous en avons assez, de tous ces cerveaux plats !
Ils embêtent le peuple . Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous cassons déjà les sceptres et les crosses !.. »
Puis il le prend au bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,
Ses clameurs , ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons taché de bonnets rouges !
L’Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au Roi pâle , suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
« C’est la Crapule,
Sire. ça bave aux murs, ça roule , ça pullule …

 Puisqu’ils ne mangent pas, Sire, ce sont les gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle vient chercher du pain aux Tuileries !

 On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J’ai trois petits. Je suis crapule. - Je connais
Des vieilles qui s’en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu’on leur a pris leur garçon ou leur fille :
C’est la crapule. - Un homme était à la bastille,
D’autres étaient forçats, c’étaient des citoyens
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur fait mal, allez ! C’est terrible, et c’est cause
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils viennent maintenant hurler sous votre nez !
Crapule. - Là-dedans sont des filles, infâmes
Parce que, - vous saviez que c’est faible, les femmes,
Messeigneurs de la cour, - que sa veut toujours bien,-
Vous avez sali leur âme, comme rien !
Vos belles, aujourd’hui, sont là. C’est la crapule.
« Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Et dans ce travail-là sentent crever leur front
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l’on voudra savoir,
Où l’Homme forgera du matin jusqu’au soir,
Où, lentement vainqueur, il chassera la chose
Poursuivant les grands buts, cherchant les grandes causes,
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! nous sommes contents, nous aurons bien du mal,
Tout ce qu’on ne sait pas, c’est peut-être terrible :
Nous pendrons nos marteaux, nous passerons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l’auguste sourire
D’une femme qu’on aime avec un noble amour :
Et l’on travaillerait fièrement tout le jour,
Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l’on se trouverait fort heureux ; et personne
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait plier !…
On aurait un fusil au-dessus du foyer….

…………………………………………….

« Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille ! »
Oh ! mais l’air est tout plein d’une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
Où nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout à l’heure
Je parlais de devoir calme, d’une demeure…
Regarde donc le ciel ! C’est trop petit pour nous,
Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Regarde donc le ciel ! Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés
Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Poussent leurs régiments en habits de gala,
Eh bien, n’est-ce pas, vous tous ? Merde à ces chiens-là !
Il reprit son marteau sur l’épaule. La foule
Près de cet homme-là se sentait l’âme saoule,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
Où Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l’immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru suat, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !

« Les saisons », Gaston Couté

Printemps

Le printemps va bientôt naître. Les hirondelles
Pour que l’azur s’en vienne égayer son berceau
Fendent le crêpe du brouillard à grands coups
Prestes et nets ainsi que des coups de ciseaux.
Des rustres stupides et des corbeaux voraces
Qui s’engraissaient parmi les horreurs de l’hiver
En voyant les oiseaux d’espoir traverser l’air
Se liguent aussitôt pour leur donner la chasse.
Les hirondelles agonisent en des cages,
Leur aile saigne sous la serre des corbeaux,
Mais parmi l’azur qui crève enfin les nuages
Voici l’Avril ! Voici le printemps jeune et beau.
O gouvernants bourgeois à la poigne cruelle
Emprisonnez les gens, faites en des martyrs,
Tuez si ça vous plaît toutes les hirondelles,
Vous n’empêcherez pas le printemps de venir.

Eté

Pour emblaver ces champs, quelques sas ont suffi
Ils n’ont jeté que quelques poignées de semence
Mais le miracle blond de l’Eté s’accomplit
Cent faucheurs sont penchés sur la moisson immense.
De chaque grain tombé dans la nuit du sillon
Un bel épi s’est élancé vers la lumière
Et nul ne peut, sous le vol bleu des faucillons
Compter tous les épis de la récolte entière.
O vous, plus isolés encor que les semeurs
Qui sont passés dans la plaine au temps des emblaves,
En la nuit des cerveaux et l’intensité des cœurs
Jetez votre bon grain sur Je champ des Esclaves.
Fiers semeurs de l’Ida, jetez votre bon grain.
il dormira comme le blé dort dans la terre.
Mais innombrable, aux beaux jours de l’Eté prochain,
Votre moisson resplendira dans la lumière.

Automne

Comme un monde qui meurt écrasé sous son Or,
La Forêt automnale en son faste agonise
Et ses feuilles, comme les pièces d’un trésor,
S’amoncellent sous le râteau fou de la bise.
Parmi la langueur des sous-bois, on sent flotter
La même odeur de lente mort et de luxure
Qui vous accable au cœur des trop riches cités :
Tout l’Or de la Forêt s’exhale en pourriture !
Mais nous savons que de l’amas de ce fumier
Doit fleurir, en l’élan de la sève prochaine,
La gaieté des coucous, la grâce des aubiers,
La douceur de la mousse et la beauté des chênes.
Notre Société ressemble à la Forêt,
Nous sommes en Novembre, et l’Automne est en elle.
O fumier d’aujourd’hui ! plus ton lit est épais
Plus l’Avril sera vert dans la Forêt nouvelle !

Hiver

Tristes, mornes, muets, voûtés comme une échine
De malheureux tâcherons , les vieux monts ont l’air
D’un peuple d’ouvriers sur un chemin d’usine,
Et leur long défilé semble entrer dans l’hiver.
En un effeuillement lent de pétales sombres
La neige tombe comme tombe la Douleur
Et la Misère sur le dos des travailleurs.
La neige tombe sur les monts. La neige tombe.
Emprisonnant leur flanc, écrasant leur sommet,
Sous un suaire dont la froideur s’accumule
Encor ! Toujours ! plus fort ! la neige tombe. Mais
Au simple bruit d’un pas heurtant le crépuscule,
Les vieux monts impassibles travaillent soudain
Et leur révolte gronde en avalanche blanche
Qui renverse et qui brise tout sur son chemin…
Sur notre monde un jour, quelle horrible avalanche !

« Les usines », Emile Verhaeren, Les villes tentaculaires

Se regardant avec les yeux cassés de leurs fenêtres
Et se mirant dans l’eau de poix et de salpêtre
D’un canal droit, marquant sa barre à l’infini,
Face à face, le long des quais d’ombre et de nuit,
Par à travers les faubourgs lourds
Et la misère en pleurs de ces faubourgs,
Ronflent terriblement usine et fabriques.
Rectangles de granit et monuments de briques,
Et longs murs noirs durant des lieues,
Immensément, par les banlieues ;
Et sur les toits, dans le brouillard, aiguillonnées
De fers et de paratonnerres,
Les cheminées.
Se regardant de leurs yeux noirs et symétriques,
Par la banlieue, à l’infini.
Ronflent le jour, la nuit,
Les usines et les fabriques.
Oh les quartiers rouillés de pluie et leurs grand-rues !
Et les femmes et leurs guenilles apparues,
Et les squares, où s’ouvre, en des caries
De plâtras blanc et de scories,
Une flore pâle et pourrie.
Aux carrefours, porte ouverte, les bars :
Etains, cuivres, miroirs hagards,
Dressoirs d’ébène et flacons fols
D’où luit l’alcool
Et sa lueur vers les trottoirs.
Et des pintes qui tout à coup rayonnent,
Sur le comptoir, en pyramides de couronnes ;
Et des gens soûls, debout,
Dont les larges langues lappent, sans phrases,
Les ales d’or et le whisky, couleur topaze.
Par à travers les faubourgs lourds
Et la misère en pleurs de ces faubourgs,
Et les troubles et mornes voisinages,
Et les haines s’entre-croisant de gens à gens
Et de ménages à ménages,
Et le vol même entre indigents,
Grondent, au fond des cours, toujours,
Les haletants battements sourds
Des usines et des fabriques symétriques.
Ici, sous de grands toits où scintille le verre,
La vapeur se condense en force prisonnière :
Des mâchoires d’acier mordent et fument ;
De grands marteaux monumentaux
Broient des blocs d’or sur des enclumes,
Et, dans un coin, s’illuminent les fontes
En brasiers tors et effrénés qu’on dompte.
Là-bas, les doigts méticuleux des métiers prestes,
A bruits menus, à petits gestes,
Tissent des draps, avec des fils qui vibrent
Légers et fin comme des fibres.
Des bandes de cuir transversales
Courent de l’un à l’autre bout des salles
Et les volants larges et violents
Tournent, pareils aux ailes dans le vent
Des moulins fous, sous les rafales.
Un jour de cour avare et ras
Frôle, par à travers les carreaux gras
Et humides d’un soupirail,
Chaque travail.
Automatiques et minutieux,
Des ouvriers silencieux
Règlent le mouvement
D’universel tictacquement
Qui fermente de fièvre et de folie
Et déchiquette, avec ses dents d’entêtement,
La parole humaine abolie.
Plus loin, un vacarme tonnant de chocs
Monte de l’ombre et s’érige par blocs ;
Et, tout à coup, cassant l’élan des violences,
Des murs de bruit semblent tomber
Et se taire, dans une mare de silence,
Tandis que les appels exacerbés
Des sifflets crus et des signaux
Hurlent soudain vers les fanaux,
Dressant leurs feux sauvages,
En buissons d’or, vers les nuages.
Et tout autour, ainsi qu’une ceinture,
Là-bas, de nocturnes architectures,
Voici les docks, les ports, les ponts, les phares
Et les gares folles de tintamarres ;
Et plus lointains encor des toits d’autres usines
Et des cuves et des forges et des cuisines
Formidables de naphte et de résines
Dont les meutes de feu et de lueurs grandies
Mordent parfois le ciel, à coups d’abois et d’incendies.
Au long du vieux canal à l’infini
Par à travers l’immensité de la misère
Des chemins noirs et des routes de pierre,
Les nuits, les jours, toujours,
Ronflent les continus battements sourds,
Dans les faubourgs,
Des fabriques et des usines symétriques.
L’aube s’essuie
A leurs carrés de suie
Midi et son soleil hagard
Comme un aveugle, errent par leurs brouillards ;
Seul, quand au bout de la semaine, au soir,
La nuit se laisse en ses ténèbres choir,
L’âpre effort s’interrompt, mais demeure en arrêt,
Comme un marteau sur une enclume,
Et l’ombre, au loin, parmi les carrefours, paraît
De la brume d’or qui s’allume.

Eugène Pottier, « L’Internationale »

Debout ! les damnés de la terre !
Debout ! les forçats de la faim !
La raison tonne en son cratère :
C’est l’éruption de la fin.
Du passé, faisons table rase,
Foule esclave, debout ! Debout !
Le monde va changer de base :
Nous ne sommes rien, soyons tout !

Il n’est pas de sauveur suprême,
Ni dieu, ni césar, ni tribun ;
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer quand il est chaud !

Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose,
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la bande
Ce qu’il a créé s’est fondu,
En réclamant qu’on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.

L’Etat opprime et la loi triche,
L’impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose aux riches
Le droit du pauvre est un mot creux.
C’est assez languir en tutelle,
L’Egalité veut d’autres lois :
"Pas de droits sans devoir" dit-elle,
"Egaux, pas de devoirs sans droits" !

Les rois nous saoulaient de fumées,
Paix entre nous, guerre aux tyrans !
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs !
S’ils s’obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront que nos balles
Sont pour nos propres généraux.

Ouvriers, paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L’oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent,
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours !

R. Guérard, « Révolution »

Révoltez-vous ! parias des usines,
Revendiquez le fruit de vos travaux.
Emparez vous des outils, des machines,
Comme à la peine, au gain soyez égaux.
C’est par vos bras, vos cerveaux qui fatiguent,
Que le bonheur ici bas se résoud.
Ne criez plus contre ceux qui l’endiguent.
Brisez la digue, il s’étendra partout.

Révoltez-vous ! Paysans débonnaires,
Pour cette terre où vous prenez vos biens ;
Ne soyez plus au progrès réfractaires,
Pour vous, pour nous, soyez-en les gardiens.
Défrichez-la de ceux qui l’accaparent,
La terre doit n’être qu’aux travailleurs.
Que les sans-pain du monde s’en emparent ;
A nos efforts unissez vos labeurs.

Révoltez-vous ! Les soldatesques masses,
Du chauvinisme abattez les champions,
Ne soyez plus la désunion des races
Où, dans le sang, crouleront les nations.
Réfléchissez qu’en marchant dans les grèves
Vous combattez ceux qui luttent pour vous,
Ne soyez plus victimes de vos glaives,
La crosse en l’air ! Frères, venez à nous !

Révoltez-vous ! Les amantes, les mères,
Ne soyez plus de la chair à plaisir,
N’enfantez plus d’avortons mercenaires,
C’est de l’enfant que dépend l’avenir ;
L’homme n’est pas ici-bas votre maître,
Nul n’a le droit de s’imposer d’ailleurs ;
Libres soyez, mais surtout restez l’être
Qui sait aimer, qui nous rendra meilleurs.

Révoltez-vous ! Inconscients crédules,
Quittez la nuit où vous plongent les dieux,
Pour éviter leurs noires tentacules
A nos flambeaux désabusez vos yeux.
La vérité doit vaincre le mensonge,
Dans son grand livre apprenez tour à tour ;
Quand vous saurez, votre néfaste songe
disparaîtra, faisant place à l’amour.

Révoltez-vous ! Enfin, tous ceux qui peinent,
Tous les volés, tous les déshérités,
Unissez-vous pour que les peuples prennent
Les droits, les biens qui leur sont contestés.
Si toujours grands les maîtres vous paraissent,
C’est qu’à genoux vous servez les tyrans,
C’est que la peur et l’erreur vous abaissent,
Relevez-vous, vous serez les plus grands !

« Victimes du travail »

Sur un toit que le soleil brûle,
Des moineaux effrayant le vol,
Le couvreur, comme un somnambule,
Marche, à soixante pieds du sol.
Tout à coup son cerveau s’embrase ;
Il chancelle, crève un vitrail ;
En bas son pauvre corps s’écrase :
Victime du travail.
Sur la voie où vient le train-poste,
Un enfant marche ; l’aiguilleur,
Sans hésiter, quittant son poste,
Le sauve et tombe au champ d’honneur.
La machine brûlant l’espace,
L’accroche et l’étend sur le rail...
Comme un tonnerre le train passe :
Victime du travail.
Esclave couché sous la terre,
Mort vivant creusant son tombeau,
Le mineur, héros solitaire,
Pioche, à son côté de son flambeau.
Tout à coup, ébranlant la mine,
Le grisou, sombre épouvantail,
Vient par derrière et l’assassine :
Victime du travail.
Pauvres débris sans nécropole,
Noirs restes d’un peuple martyr,
Le bourgeois grade son obole
Pour les victimes du plaisir.
Devant ces morts-là, la Fortune
Passe, agitant son éventail :
"Pourquoi s’affliger ?... ce n’est qu’une
Victime du travail !..."
Héros inconnus de l’usine,
Pauvres broyés de l’atelier,
Humbles étouffés de la mine,
On parle de vous au foyer.
Laissez l’ignoble bourgeoisie,
Pour ses morts dresser un portail.
Le vrai peuple vous glorifie,
Victimes du travail !

M. Tolain, « L’évangile du patron »

Honnête ouvrier de fabriques,
Sois toujours humble et toujours bon ;
Le travailleur mange des briques ;
Le patron suce du bonbon.
Pour l’aimer, pour le satisfaire,
Redouble d’efforts empressés :

Jamais tu n’en pourras trop faire
Tu n’en feras jamais assez !
Pauvre ouvrier en redingote,
Que l’État traite en vrai bourreau,
Pour ne pas que l’on te dégote,
Trime pour ton chef de bureau.
Par son travail du ministère,
Le pauvre homme a les reins cassés

Jamais tu n’en pourras trop faire,
Tu n’en feras jamais assez !
Toi qui déjeune sans vaisselle,
Avec du pain noir pour gâteau,
Dans la pleine ou sur le coteau.
Bon moissonneur, pousse une selle,
Ton maître y trouve son affaire :
Ses terrains en sont engraissés :

Jamais tu n’en pourras trop faire,
Tu n’en feras jamais assez !

« La chanson de la grève »

Effrontés marchands de nègres,
Bourgeois exploiteurs, patrons,
Qui faites nos ventres maigres
Pour que les vôtres soient ronds,
Nous vous chanterons sans trève,
A la barbe du sergot,
Oh ! oh ! oh ! oh !
C’est la grèv, la grèv’, la grève !
C’est la grève qu’il nous faut !
Nous qui trimons sans relâche,
Ainsi que des animaux,
Sans gagner, à notre tâche,
De quoi nourrir les marmots ;
Nous qui n’avons que la fève,
Quand d’autres ont le gâteau,
Oh ! oh ! oh ! oh !
C’est la grév’, la grèv’, la grève !
C’est la grève qu’il nous faut !
Au nez des capitalistes,
Jetant nos outils brisés,
Déclarons, socialistes,
La guerre des bras croisés.
Que la montagne, à la grève,
Réponde, comme un écho :
Oh ! oh ! oh ! oh !
C’est la grèv’, la grèv’, la grève !
C’est la grève qu’il nous faut !
Déshérités de la plaine
Et de la rue, halte-là !
Esclaves, la coupe est pleine ;
Sur la terre brisons-la !
Qu’un seul cri partout s’élève,
De la ville ou du coteau :
Oh l oh ! oh ! oh !
C’est la grèv’, la grèv’, la grève !
C’est la grèv’ qu’il nous faut !

« La liberté du travail »

— Travaillez, dit un vieil adage,
Le travail, c’est la liberté !

— Non ! le travail c’est l’esclavage !
Riposte, aujourd’hui, l’exploité.
Le Capital vous extermine,
Du pouvoir bravant les fusils ;
Quittez la fabrique et la mine,
Frères, laissez là vos outils !
Grève ! travailleurs ! grève !
Que, de la montagne à la grève,
Ce cri, par vous tous répété,
Donne au travail ressuscité,
La liberté ! (Bis)
Le travail, laboureur du monde,
Engraissant son fermier brutal,
Patient, récolte à la ronde,
Pour enrichir le Capital.
Tandis qu’enfermé dans ses chambres,
Ronfle le patron, son tuteur,
Il fauche, ayant aux quatre membres
Les chaînes d’or de l’exploiteur.
Grève ! travailleurs ! grève !
Que, de la montagne à la grève,
Ce cri, par vous tous répété,
Donne au travail ressuscité,
La liberté ! (Bis)
Hercule doux et sans révolte,
Oubliant son manteau royal,
Le travail soutient l’archivolte
De l’édifice social.
Usant la vigueur qui l’embrase
Et sans revendlquer son bien
Du lourd monument qui l’écrase
Il est le colossal soutien.
Grève ! travailleurs ! grève !
Que, de la montagne à la grève,
Ce cri, par vous tous répété,
Donne au travail ressuscité,
La liberté ! (Bis)
Exploiteurs ! gare à la révolte !
Le faucheur brisera ses liens.
L’Hercule, lâchant l’archivolte,
Sonnera l’assaut de vos biens.
Il vous faudra bien vous soumettre
Et cracher tout l’or du vol, quand
Le travail, devenu son maître,
Sortira, rouge, du volcan !
Grève ! travailleurs ! grève !
Que, de la montagne à la grève,
Ce cri, par vous tous répété,
Donne au travail ressuscité,
La liberté ! (Bis)

« Ode à la misère », Victor Hugo

" - Quel âge as-tu ? - Seize ans. - De quel pays es-tu ?
D’Aubin. - N’est-ce pas là, dis-moi, qu’on s’est battu ?
On ne s’est pas battu, l’on a tué. - La mine
Prospérait. - Quel était son produit ? - La famine.
Oui, je sais, le mineur vit sous terre, et n’a rien.
Avec la nuit de plus, il est galérien.
Mais toi, faisais-tu donc ce travail, jeune fille ?

 Avec tout mon village et toute ma famille,
Oui. Pour chaque hottée on me donnait un sou.
Mon grand-père était mort, tué du feu grisou.
Mon petit frère était boiteux d’un coup de pierre.
Nous étions tous mineurs, - lui, mon père, ma mère,
Moi. L’ouvrage était dur, le chef n’était pas bon.
Comme on manquait de pain, on mâchait du charbon.
Aussi, vous le voyez, monsieur, je suis très maigre ;
Ce qui me fait du tort - Le mineur, c’est le nègre.
Hélas, oui ! - Dans la mine on descend, on descend.
On travaille à genoux dans le puits. C’est glissant.
Il pleut, quoiqu’on n’ait pas de ciel. On est sous l’arche
D’un caveau bas, et tant qu’on peut marcher, on marche ;
Après on rampe ; on est dans une eau noire ; il faut
Étayer le plafond, s’il a quelque défaut ;
La mort fait un grand bruit quand tout à coup elle entre ;
C’est comme le tonnerre. On se couche à plat ventre.
Ceux qui ne sont pas morts se relèvent. Pas d’air.
Chaque sape est un trou dont un homme est le ver.
Quand la veine est en long, c’est bien ;quand elle est droite,
Alors la tâche est rude et la sape est étroite :
On sue, on gèle, on tousse ; on a chaud, on a froid.
On n’est pas sûr si c’est vivant tout ce qu’on voit.
Sitôt qu’on est sous terre on devient des fantômes.
Les pauvres paysans qui vivent sous les chaumes
Respirent du moins l’air des cieux. - On étouffait.
Pourquoi ne pas vous plaindre aussi ? - Nous l’avons fait.
Nous avons demandé, ne croyant pas déplaire,
Un peu moins de travail, un peu plus de salaire.
Et l’on vous a donné, quoi ? - Des coups de fusil.
Je m’en souviens, le maître a froncé le sourcil.
Mon père est mort frappé d’une balle. - Et ta mère ?
Folle. - Et tu n’as plus rien ? - Si. J’ai mon petit frère.
Il est infirme, il faut qu’il vive de façon
Que j’ai mendié, mais on m’a mise en prison.
Je ne sais pas les lois, mais on me les applique.
Que fais-tu donc alors ? - Je suis fille publique."

Prévert, « Vie de famille »

« Est-ce que c’est une vie
De vivre comme on vit
Pourquoi faire
Cette vie d’enfer
Pourquoi se laisser faire
Non ce n’est pas une vie
De vivre comme nous vivons
Et cette vie, cette vie d’enfer,
C’est nous qui la changerons. »

Louis Festeau :

Courbé sur le rabot, la pioche ou la lime,
Il arrache avec peine à ses rudes labeurs,
Des aliments grossiers détrempés de sueurs ;
Réduit aux fonctions, au rang d’homme-machine,
Il ne doit pas sentir un cœur dans sa poitrine ;
Par malheur, s’il comprend ses droits, sa dignité ;
S’il veut par des talents combler sa pauvreté ;
Si le travail mûrit sa mémoire et sa tête,
Alors l’infortuné ! que de maux il s’apprête !

« Guerre civile », Victor Hugo, La Légende des siècles, 1877

La foule était tragique et terrible ; on criait :
À mort ! Autour d’un homme altier, point inquiet,
Grave, et qui paraissait lui-même inexorable,
Le peuple se pressait : À mort le misérable !
Et lui, semblait trouver toute simple la mort.
La patrie est perdue, on n’est pas le plus fort,
On meurt, soit. Au milieu de la foule accourue,
Les vainqueurs le traînaient de chez lui dans la rue.

— À mort l’homme ! — On l’avait saisi dans son logis ;
Ses vêtements étaient de carnage rougis ;
Cet homme était de ceux qui font l’aveugle guerre
Des rois contre le peuple, et ne distinguent guère
Scévola de Brutus, ni Barbès de Blanqui ;
Il avait tout le jour tué n’importe qui ;
Incapable de craindre, incapable d’absoudre,
Il marchait, laissant voir ses mains noires de poudre ;
Une femme le prit au collet : « À genoux !
C’est un sergent de ville. Il a tiré sur nous !

— C’est vrai, dit l’homme. — À bas ! à mort ! qu’on le fusille !
Dit le peuple. — Ici ! Non ! Plus loin ! À la Bastille !
À l’arsenal ! Allons ! Viens ! Marche ! — Où vous voudrez »,
Dit le prisonnier. Tous, hagards, les rangs serrés,
Chargèrent leurs fusils. « Mort au sergent de ville !
Tuons-le comme un loup ! — Et l’homme dit, tranquille :

— C’est bien, je suis le loup, mais vous êtes les chiens.

— Il nous insulte ! À mort ! » Les pâles citoyens
Croisaient leurs poings crispés sur le captif farouche ;
L’ombre était sur son front et le fiel dans sa bouche ;
Cent voix criaient : « À mort ! À bas ! Plus d’empereur ! »
On voyait dans ses yeux un reste de fureur
Remuer vaguement comme une hydre échouée ;
Il marchait poursuivi par l’énorme huée,
Et, calme, il enjambait, plein d’un superbe ennui,
Des cadavres gisants, peut-être faits par lui.
Le peuple est effrayant lorsqu’il devient tempête ;
L’homme sous plus d’affronts levait plus haut la tête ;
Il était plus que pris, il était envahi.
Dieu ! comme il haïssait ! comme il était haï !
Comme il les eût, vainqueur, fusillés tous ! « Qu’il meure !
Il nous criblait encor de balles tout à l’heure !
À bas cet espion, ce traître, ce maudit !
À mort ! c’est un brigand ! » Soudain on entendit
Une petite voix qui disait : « C’est mon père ! »
Et quelque chose fit l’effet d’une lumière.
Un enfant apparut. Un enfant de six ans.
Ses deux bras se dressaient suppliants, menaçants.
Tous criaient : « Fusillez le mouchard ! Qu’on l’assomme ! »
Et l’enfant se jeta dans les jambes de l’homme,
Et dit, ayant au front le rayon baptismal :
« Père, je ne veux pas qu’on te fasse de mal ! »
Et cet enfant sortait de la même demeure.
Les clameurs grossissaient : « À bas l’homme ! Qu’il meure !
À bas ! finissons-en avec cet assassin !
Mort ! » Au loin le canon répondait au tocsin.
Toute la rue était pleine d’hommes sinistres.
À bas les rois ! À bas les prêtres, les ministres,
Les mouchards ! Tuons tout ! c’est un tas de bandits ! »
Et l’enfant leur cria : « Mais puisque je vous dis
Que c’est mon père ! — Il est joli, dit une femme,
Bel enfant ! » On voyait dans ses yeux bleus une âme ;
Il était tout en pleurs, pâle, point mal vêtu.
Une autre femme dit : « Petit, quel âge as-tu ?
Et l’enfant répondit : — Ne tuez pas mon père ! »
Quelques regards pensifs étaient fixés à terre,
Les poings ne tenaient plus l’homme si durement.
Un de plus furieux, entre tous inclément,
Dit à l’enfant : « Va-t’en ! — Où ? — Chez toi. — Pourquoi faire ?

— Chez ta mère. — Sa mère est morte, dit le père.

— Il n’a donc plus que vous ? — Qu’est-ce que cela fait ? »
Dit le vaincu. Stoïque et calme, il réchauffait
Les deux petites mains dans sa rude poitrine,
Et disait à l’enfant : « Tu sais bien, Catherine ?

— Notre voisine ? — Oui. Va chez elle. — Avec toi ?

— J’irai plus tard. — Sans toi je ne veux pas. — Pourquoi ?

— Parce qu’on te ferait du mal. » Alors le père
Parla tout bas au chef de cette sombre guerre :
« Lâchez-moi le collet. Prenez-moi par la main,
Doucement. Je vais dire à l’enfant : À demain !
Vous me fusillerez au détour de la rue,
Ailleurs, où vous voudrez. — Et, d’une voix bourrue :

— Soit, dit le chef, lâchant le captif à moitié.
Le père dit : — Tu vois. C’est de bonne amitié.
Je me promène avec ces messieurs. Sois bien sage,
Rentre. » Et l’enfant tendit au père son visage,
Et s’en alla content, rassuré, sans effroi.
« Nous sommes à notre aise à présent, tuez-moi,
Dit le père aux vainqueurs ; où voulez-vous que j’aille ? »
Alors, dans cette foule où grondait la bataille,
On entendit passer un immense frisson,
Et le peuple cria : « Rentre dans ta maison ! »

Vladimir Maïakovski – « Le poète est un ouvrier »

On gueule au poète :
 » On voudrait t’y voir, toi, devant un tour !
C’est quoi, les vers ?
Du verbiage !
Mais question travail, des clous ! »
Peut-être bien
en tout cas
que le travail
est ce qu’il y a de plus proche
de notre activité.
Moi aussi je suis une fabrique.
Sans cheminée
peut être
mais sans cheminée c’est plus dur.
Je sais, vous n’aimez pas les phrases creuses.
Débiter du chêne, ça, c’est du travail.
Mais nous
ne sommes-nous pas aussi des menuisiers ?
Nous façonnons le chêne de la tête humaine.
Bien sûr,
pêcher est chose respectable.
Jeter ses filets
et dans ses filets, attraper un esturgeon !
D’autant plus respectacle est le travail du poète
qui pêche non pas des poissons
mais des gens vivants.
Dans la chaleur des hauts-fourneaux
chauffer le métal incandescent
c’est un énorme travail !
Mais qui pourrait
nous traiter de fainéants ?
Avec la râpe de la langue, nous polissons les cerveaux.
Qui vaut le plus ?
Le poète
ou le technicien
qui mène les gens vers les biens matériels ?
Tous les deux.
Les coeurs sont comme des moteurs,
l’âme, un subtil moteur à explosion.
Nous sommes égaux.
camarades, dans la masse des travailleurs,
prolétaires du corps et de l’esprit.
Ensemble seulement
nous pourrons embellir l’univers,
le faire aller plus vite, grâce à nos marches.
Contre les tempêtes verbales bâtissons une digue.
Au boulot !
La tâche est neuve et vive.
Au moulin
les creux orateurs !
Au meunier !
Qu’avec l’eau de leurs discours
ils fassent tourner les meules !

Les Canuts

Pour chanter Veni Creator Il faut une chasuble d’or
Pour chanter Veni Creator Il faut une chasuble d’or
Nous en tissons pour vous, grands de l’église
Et nous pauvres canuts, n’avons pas de chemise
C’est nous les canuts Nous sommes tout nus !
Pour gouverner, il faut avoir Manteaux ou rubans en sautoir.
Pour gouverner, il faut avoir Manteaux ou rubans en sautoir.
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous, pauvres canuts, sans drap on nous enterre
C’est nous les canuts Nous sommes tout nus !
Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira :
Mais notre règne arrivera Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde
C’est nous les canuts Nous n’irons plus nus !
C’est nous les canuts Nous n’irons plus nus !

Travailleurs, attention, Jacques Prévert

Travailleurs, attention
Votre vie est à vous
Ne vous la laissez pas prendre
Socialistes
Sans parti
Communistes
La main qui tient l’outil ressemble à la main
Qui tient l’outil
Travailleurs, attention
Demain nous saurons sur qui nous tirerons
Les machines à tuer, nous les prendrons
Nous avons su les fabriquer
Nous saurons bien les faire marcher
Et ceux qui crachent tricolore en l’air
Leur propre sang leur retombe sur le nez
Il y aura des morts
Mais la nouvelle vie pourra commencer
Alors les hommes pourront vivre
Alors les enfants pourront rigoler
Vous n’empêcherez pas la terre de tourner
Vous n’empêcherez pas le drapeau rouge de flotter ….

Poésie et révolution de 1848

Poèmes du 1er mai

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