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La situation en Europe : nos tâches d’aujourd’hui

dimanche 11 décembre 2016, par Robert Paris

Léon TROTSKY

La situation en Europe : nos tâches d’aujourd’hui

La victoire du national-socialisme en Allemagne a provoqué dans les autres pays européens le renforcement, dans le prolétariat, non des tendances communistes, mais des tendances démocratiques. Nous le voyons sous une forme particulièrement claire en Angleterre et en Norvège ; mais, sans aucun doute, le même processus se produit en d’autres pays. Il est très probable, en particulier, que la social-démocratie de Belgique connaîtra, dans la prochain, période, une nouvelle montée. Que le réformisme soit le pire frein de l’évolution politique et que la social-démocratie soit vouée à l’effondrement, c’est pour nous l’ABC. Mais rien que l’ABC, c’est peu. Il faut savoir discerner les étapes concrètes du processus politique. Dans le déclin historique général du réformisme comme du capitalisme, il y a d’inévitables périodes de remontée temporaire. Une lampe, avant de s’éteindre, se ranime parfois très vivement.

La formule : fascisme ou communisme est absolument juste, mais seulement en dernière analyse. La politique fatale de l’I. C., soutenue par l’autorité de l’Etat ouvrier n’a pas seulement compromis les méthodes révolutionnaires : elle a donné à la social-démocratie, souillée de crimes et de trahisons, la possibilité de lever de nouveau au-dessus de la classe ouvrière le drapeau de la démocratie comme drapeau du salut.

Des dizaines de millions d’ouvriers sont alarmés jusqu’au tréfonds de leur conscience par le danger du fascisme. Hitler leur a montré de nouveau ce que signifie l’écrasement des organisations ouvrières et des droits démocratiques élémentaires. Les staliniens affirmaient au cours des dernières années qu’entre le fascisme et la démocratie il n’y avait pas de différence, que le fascisme et la social-démocratie étaient jumeaux. Les ouvriers du monde entier se sont convaincus par la tragique expérience allemande de la criminelle absurdité de tels discours. De là, le déclin prochain des partis staliniens, dans des circonstances exceptionnellement favorables pour l’aile révolutionnaire. De là aussi, les aspirations des ouvriers à se cramponner à leurs organisations de masse et à leurs droits démocratiques. Grâce à dix années de politique criminelle de l’Internationale communiste stalinisée, le problème se pose devant la conscience de millions de travailleurs, non sous la forme de l’antithèse décisive dictature du fascisme ou dictature du prolétariat, mais sous la forme de l’alternative beaucoup plus primitive et beaucoup moins nette : fascisme ou démocratie.

Il nous faut prendre la situation politique qui est notre point de départ telle qu’elle est, sans nous faire aucune illusion. Evidemment, nous restons fidèles à nous-mêmes et à notre drapeau ; toujours et dans toutes les conditions nous disons qui nous sommes, ce que nous voulons, où nous allons. Mais nous ne pouvons pas imposer mécaniquement notre programme aux masses. L’expérience des staliniens à ce sujet est suffisamment éloquente. Au lieu d’accrocher leur locomotive au train de la classe ouvrière et d’accélérer son mouvement en avant, les staliniens lancent leur locomotive à coups de sifflets retentissants à la rencontre du train du prolétariat, entravent son mouvement et parfois se heurtent à lui ; alors, la petite locomotive vole en éclats. Le résultat d’une telle politique est là : dans certains pays, le prolétariat est devenu la victime sans défense du fascisme, dans d’autres, il est rejeté en arrière sur les positions du réformisme.

Il ne peut évidemment être question d’une régénération sérieuse et durable du réformisme. Il s’agit à proprement parler, non du réformisme au sens large du mot, mais des aspirations instinctives des ouvriers à défendre leurs organisations et leurs " droits ". De ces positions purement défensives et conservatrices, la classe ouvrière peut et doit, dans le processus de la lutte, passer à une offensive révolutionnaire sur toute la ligne. L’offensive doit, à son tour, préparer les masses à accepter les grandes tâches révolutionnaires et, par conséquent, notre programme. Mais pour atteindre cette étape, il faut savoir traverser la période de défensive qui s’ouvre actuellement, avec la masse, au premier rang, sans se dissoudre en elle, mais aussi sans s’en détacher.

Les staliniens ont frappé d’interdit les mots d’ordre démocratiques pour tous les pays du monde : pour l’Inde, qui n’a pas encore accompli sa révolution nationale libératrice ; pour l’Espagne, où l’avant-garde prolétarienne a encore à trouver la voie de la transformation de la révolution bourgeoise rampante en révolution socialiste ; pour l’Allemagne, où le prolétariat, brisé et atomisé, est privé de tout ce qu’il avait conquis au cours du siècle écoulé ; pour la Belgique, dont le prolétariat garde les yeux fixés sur ses frontières de l’est et où, étouffant la profonde défiance qu’il éprouve en son cœur, il soutient le parti du " pacifisme " démocratique (Vandervelde et Cie). La négation pure et simple des mots d’ordre démocratiques, les staliniens la déduisent abstraitement des caractéristiques générales de notre époque, qui est celle de l’impérialisme et des révolutions socialistes. Il n’y a pas un grain de dialectique dans une telle façon de poser la question : les mots d’ordre et les illusions démocratiques ne se suppriment pas par décret. Il faut que la masse les traverse et les vive dans l’expérience des combats. La tâche de l’avant-garde est d’accrocher sa locomotive au train des masses. Dans la position défensive actuelle de la classe ouvrière, il faut trouver des éléments dynamiques, il faut pousser la masse à tirer les déductions de ses propres prémisses démocratiques, il faut approfondir et étendre le champ de la lutte. Dans cette voie aussi, la quantité doit se changer en qualité.

Rappelons encore une fois qu’en 1917, quand les bolcheviks étaient déjà incomparablement plus forts qu’aucune des sections actuelles de l’I. C., ils continuaient d’exiger la convocation rapide de l’Assemblée constituante, l’abaissement de la limite d’âge électorale, les droits électoraux pour les soldats, l’éligibilité des fonctionnaires, etc. Le mot d’ordre principal des bolcheviks, " tout le pouvoir aux soviets ", signifiait, d’avril à septembre 1917, tout le pouvoir aux social-démocrates (mencheviks et socialistes révolutionnaires). Quand les réformistes conclurent une coalition gouvernementale avec la bourgeoisie, les bolcheviks lancèrent le mot d’ordre : " A bas les ministres capitalistes ! " Cela signifiait encore une fois : " Ouvriers, forcez les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires à prendre dans leurs mains tout le pouvoir ! " L’expérience politique de la seule révolution prolétarienne victorieuse est défigurée et faussée par les staliniens au point d’être méconnaissable. Notre tâche, ici aussi, est de rétablir les faits et d’en tirer les conclusions indispensables aujourd’hui.

Nous, bolcheviks, nous pensons que pour échapper réellement au fascisme et à la guerre, il faut prendre le pouvoir par la révolution et instaurer la dictature prolétarienne. Vous, ouvriers socialistes, vous n’êtes pas d’accord pour vous engager dans cette voie. Vous croyez pouvoir non seulement sauver ce que vous avez conquis, mais encore aller de l’avant dans les voies de la démocratie. Bien. Tant que nous ne vous aurons pas convaincus et amenés de notre côté, nous sommes prêts à parcourir avec vous cette voie, jusqu’au bout. Mais nous exigeons que, la lutte pour la démocratie, vous la meniez non en paroles mais en actes. Tout le monde reconnaît – chacun à sa manière – que, dans les conditions actuelles, il faut un " pouvoir fort ". Obligez donc votre parti à ouvrir une lutte véritable pour un Etat démocratique fort. Il faut pour cela avant tout extirper les restes de l’Etat féodal. Il faut donner le droit de vote à tous les hommes et à toutes les femmes de plus de dix-huit ans, soldats compris. Concentrer tous les pouvoirs, législatifs et exécutifs, entre les mains d’une Chambre unique. Que votre parti engage une campagne sérieuse sur ces mots d’ordre, qu’il dresse sur leurs jambes des millions d’ouvriers, que, grâce à la poussée des masses, il s’empare du pouvoir. Ce serait, en tout cas, une tentative sérieuse de lutter contre le fascisme et la guerre. Nous, bolcheviks, nous conserverions le droit d’expliquer aux ouvriers l’insuffisance des mots d’ordre démocratiques ; nous ne pourrions certes endosser des responsabilités pour ce gouvernement social-démocrate, mais nous vous aiderions honnêtement à lutter pour lui ; avec vous, nous repousserions toutes les attaques de la réaction bourgeoise. Plus encore, nous nous engagerions devant vous à ne pas entreprendre d’actions révolutionnaires qui sortiraient des limites de la démocratie – de la véritable démocratie – tant que la majorité des ouvriers ne se serait pas placée consciemment du côté de la dictature révolutionnaire.

Telle doit être, dans la prochaine période, notre attitude envers les ouvriers social-démocrates et sans-parti. En occupant avec eux, au point de départ, la position de défense de la démocratie, nous devons dès le début lui donner un sérieux caractère prolétarien. Il faut nous dire fermement que nous ne permettrons pas que se répète ce qui s’est passé en Allemagne. Il faut que chaque ouvrier avancé se pénètre complètement de la détermination de ne pas permettre au fascisme de lever la tête. Il faut envelopper, pas à pas et avec persévérance, les maisons du peuple, les rédactions et les clubs, des anneaux de la défense prolétarienne. Il faut entourer avec autant de persévérance tous les foyers du fascisme (rédaction de journaux, clubs, casernes fascistes, etc.) de l’anneau du blocus prolétarien. Il faut conclure des accords de combat entre organisations ouvrières, politiques, syndicales, culturelles et autres, pour des actions communes de défense de toutes les institutions de la démocratie prolétarienne. Plus ce travail aura un caractère sérieux et réfléchi, moins il sera criard et vantard et plus il conquerra rapidement la confiance des masses prolétariennes, en commençant par la jeunesse, et plus sûrement il nous mènera à la victoire.

C’est ainsi que nous nous représentons les grandes lignes d’une politique véritablement marxiste dans la période qui vient. Cette politique revêtira assurément dans les différents pays d’Europe des formes qui dépendront des circonstances nationales. Suivre attentivement les changements de la situation et les modifications dans la conscience des masses, lancer à chaque étape les mots d’ordre qui découlent de l’ensemble de la situation, c’est la tâche de la direction révolutionnaire.

17 novembre 1933

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