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Puisque le monde est imprédictible, à quoi sert de l’étudier scientifiquement ?

mercredi 21 décembre 2016, par Robert Paris

Puisque le monde est imprédictible, à quoi sert de l’étudier scientifiquement comme vous souhaitez le faire, nous dit un lecteur

Il est exact que le but des sciences ne peut pas être essentiellement de prédire, même si certains effets étudiés servent de technologie et qu’on est sûrs de leurs effets. La matière ne se prête pas aux prédictions exactes. Nul, scientifique ou non scientifique, ne peut dire exactement ce qui va se passer quand un matériau se brise : en combien de morceaux cela se fera, par exemple, ni la taille, ni la forme des morceaux. Personne ne peut dire exactement ce qui va advenir d’un nuage ou d’une montagne, comment l’usure va agir au fil des ans par exemple. Personne ne peut dire exactement quand et où passera une avalanche en montagne, quand et où aura lieu un tremblement de terre ou un tsunami, quand et où un volcan se réveillera ou apparaîtra, quand un bloc de rochers se décrochera et tombera, comment va évoluer un nuage, un orage, une tempête ou un cyclone, comment va évoluer la météo ou le climat, personne ne peut dire à quel moment un noyau instable va se déstabiliser en devenant radioactif, à quel moment une étoile va exploser ou mourir, à quel moment une évolution d’espèces va se produire et dans quel sens, à quel moment un matériau va se fissurer et de quelle manière, à quel moment exact un liquide va entrer en ébullition ou geler, à quel moment un atome va émettre un photon, à quel moment aura lieu un changement de type quantique, à quel moment va avoir lieu une transition de phase. Sur tous ces phénomènes comme sur bien d’autres, nous connaissons des lois, statistiques le plus souvent, et qui nous donnent des probabilités de telle ou telle évolution, des lois portant sur des dérivées partielles, des lois chaotiques, et nous savons quelles évolutions sont impossibles et lesquelles sont possibles ou même probables mais pas exactement lesquelles vont avoir lieu avec précision. Nous savons à quel type de lois ces évolutions obéissent mais ces lois ne permettent que rarement des prédictions précises et individuelles.

Pas plus en sciences physiques que chimiques, biologiques ou évolutionnistes qu’en sciences sociales et politiques, on ne peut prédire des évolutions dans un cas précis, à un moment donné. La science n’est pas de la prédiction. Cela ne veut pas dire qu’elle ne serve à rien ni que sa démarche soit parfois inutile.

Certains affirment que la science est utile dans les sciences « dures », dans les sciences de la matière, mais pas dans celles de la société. C’est une profonde erreur. L’opposition entre « sciences dures » et « sciences molles » est erronée même si là où la conscience humaine joue un rôle, la connaissance et la conscience changent le cours des choses. Mais la division entre sciences dures et sciences molles n’est pas valide pour autant car on a montré, dans toutes les sciences, qu’il n’y a pas de science sans intervention humaine et que toute intervention humaine modifie les résultats des observations. Cela ne veut pas dire que cela les invalide ni qu’il soit impossible d’étudier l’univers mais que les résultats sont à analyser et ne peuvent pas donner des prédictions absolues sur ce qui se serait passé en l’absence de ces observations. Il n’y a de science qu’humaine, de la physique aux sciences sociales et politiques.

Cela ne rend pas la démarche scientifique plus faible, moins intéressante, ni moins utile. Cela ne donne pas plus de poids aux démarches antiscientifiques, aux mysticismes, aux sorcelleries, aux croyances surnaturelles de toutes sortes, aux prétendus mystères et magies diverses. Les limites soulignées précédemment ne sont pas des frontières pour la connaissance mais une compréhension des erreurs possibles d’interprétation des résultats des expériences et des observations.

Toutes les limites que souligne la science, des inégalités d’Heisenberg à la sensibilité aux conditions initiales du chaos déterministe, en passant par les études de Gödel, et bien d’autres, ne font que mieux montrer le sens des lois scientifiques, les erreurs que l’on peut commettre en les étudiant et le sens aussi du fonctionnement de la matière et pas l’incapacité de l’homme à y accéder. Ces limites ne nous empêchent pas d’apprendre de la nature mais nous aident à apprendre son fonctionnement qui n’est pas intuitif, qui va même souvent à l’encontre du bon sens et qui nécessitent des idées inattendues, des imaginations hardies et même révolutionnaires pour être comprises.

C’est d’ailleurs là que la science est indispensable, quand il ne s’agit pas seulement d’observer mais aussi d’imaginer des raisonnements, des concepts, des fonctionnements, des relations entre les lois, entre les concepts. On est encore très loin d’avoir imaginé assez hardiment pour intégrer dans nos raisonnements l’ensemble de tout ce qui est déjà observé, ensemble qui augmente sans cesse.

C’est le fonctionnement lui-même de la matière qui entraîne, à de nombreux niveaux, de l’imprédictibilité et non l’insuffisance des sciences de l’homme. L’imprédictibilité du climat, l’imprédictibilité d’une cassure, l’imprédictibilité d’un changement climatique, l’imprédictibilité des changements radicaux, l’imprédictibilité quantique, l’imprédictibilité probabiliste sont toutes dues au fonctionnement lui-même et pas aux limites des capacités de l’homme. Elles proviennent du fait que le fonctionnement de la nature et de la société sont des imbrications dialectiques d’ordre et de désordre, l’ordre n’étant pas préexistant mais émergent, remis en question et reconstruit sans cesse sur la base du désordre. Les prédictions qui existent de ce fait sont statistiques, portant sur de grands nombres et non sur des évolutions individuelles.

Ce n’est pas seulement dans le domaine du vivant que l’on constate ce caractère statistique, cet ordre issu du désordre. Tout l’univers matériel, depuis le niveau particulaire, est fondé sur des structures issues de l’agitation : l’agitation du vide pour les particules quantiques, l’agitation des molécules pour la matière macroscopique à petite échelle (mouvement brownien), l’agitation des électrons dans la matière macroscopique (réactions chimiques par exemple), l’agitation des corps dans l’espace et bien d’autres…

Il n’existe pas de niveau de la matière où une structure ne soit pas entourée, au niveau hiérarchique supérieur et inférieur, par de l’agitation. Cela ne signifie pas du tout que tout se passe complètement au hasard puisque ce qui est produit par ces deux agitations, c’est les mêmes structures émergentes à la jonction de ces agitations.

Mais l’agitation n’est nullement diamétralement opposée à l’ordre. Au contraire, l’ordre se construit en se fondant sur ces agitations. Ainsi, c’est l’agitation de la génétique des individus, au sein d’une espèce, qui permet la production de l’espèce et aussi celle de nouvelles espèces. La variation est contrainte et inhibée par le fonctionnement et, dans certaines circonstances de stress extérieur, elle est favorisée et sélectionnée. L’agitation externe et interne sont bel et bien la base de l’ordre génétique.

Bien sûr, on ne peut pas prédire les évolutions futures des espèces, ni quand, ni comment, ni dans quel sens elles auront lieu. Personne n’est capable, par la connaissance des lois de l’évolution, de l’évolution-développement, de dire ce que seront ces espèces nouvelles, pas plus qu’en physique la connaissance des lois de la radioactivité ne permet de dire quel noyau atomique instable va se décomposer et émettre des radiations et à quel moment il va le faire. L’agitation interne au noyau et celle externe (l’agitation du vide) rendent impossible cette prédiction.

Ce ne sont pas les incapacités de l’homme pour comprendre la nature qui produisent cette imprédictibilité mais le caractère même des lois de la nature. C’est le cas aussi bien de la climatologie, de la météorologie, de la vulcanologie que de la physique quantique ou nucléaire ou de la physique des matériaux. La matière est fondée sur des cycles désordre-ordre-désordre et pas sur le seul ordre, contrairement à ce qui est diffusé généralement en sciences et en philosophie, car l’idéologie dominante tient à ce principe faux : la durabilité, la solidité, la pérennité, ce serait l’ordre !!!!

Bien sûr, chacun sait que les hommes politiques, les experts de sociologie, d’économie, de politique sont incapables de prédire quoique ce soit mais c’est attribué au fait que ce serait des « sciences humaines » et c’est parfaitement faux. N’importe quel scientifique qui a fait de la science expérimentale sait qu’on ne peut pas prédire ce qu’une expérience va donner. Il y a toujours un niveau où une agitation quelconque va modifier les résultats ou les rendre inintéressants.

Quant à l’ordre social, lui-même a été produit par une agitation précédente (généralement une révolution, une guerre civile ou une guerre) et sera remis en cause par une autre agitation.

C’est exactement la même philosophie des contradictions dialectiques qui s’applique à tous les niveaux, même si cela ne plait pas aux idéologues actuels des classes dirigeantes !!!

Comprendre ce qui se passe dans la nature comme dans la société est précieux et indispensable autant que beau et même magnifique. Chacun souhaite comprendre comment fonctionne un arbre, un animal, un homme, une étoile, une galaxie ou l’univers, même si nous pouvons dès à présent être certains que ces éléments, même encore mieux connus, ne seront jamais prédictibles, que leur évolution ne pourra jamais être connue en détails et par avance…

Tant pis pour les prédictionnistes forcenés.

On peut prédire que ce que le noyau atomique ne peut pas faire mais pas ce qu’il va faire ni quand. Il en va de même pour le système capitaliste. Personne ne connaît la date de l’implosion mais on sait que le système ne peut que se décomposer et on sait dans quel sens la nécessité pousse.

La science n’élimine pas la nécessité du choix, ne supprime pas les hasards, ne rend pas inutile l’engagement intellectuel et personnel, tant mieux !!!!

Toute notre vie humaine est imprédictible et cela ne nous empêche pas d’étudier sans cesse les situations auxquelles nous allons être confrontés, de les réfléchir, de tenter d’en savoir le maximum sur les possibilités qu’elles offrent. Un monde entièrement prédictible serait un monde obéissant à un fatalisme strict. Les lois de la Physique, elles-mêmes, n’obéissent pas à ce type de fonctionnement : elles sont un mélange dialectique des contraires, du hasard et de la nécessité.

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