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Et si les virus étaient les ancêtres du vivant ?

samedi 25 février 2017, par Robert Paris

Dans un article de « La Recherche » de février 1999, Wolfram Zillig et Hans Peter Arnold intulé « Sur la piste des virus primordiaux – L’étude des virus de l’extrême éclaire la question des origines de la vie », les auteurs écrivaient notamment :

« Les chercheurs ont longtemps pensé que les virus avaient pour origine des gènes cellulaires. Plus précisément, on pensait que les virus attaquant les bactéries – appelés bactériophages, ou mangeurs de bactéries – provenaient de gènes bactériens, ceux-ci ayant acquis leur indépendance vis-à-vis de la bactérie pour devenir des parasites obligatoires. Selon la même hypothèse, les virus attaquant les cellules eucaryotes auraient eu pour origine des gènes eucaryotes…. L’existence de caractéristiques spécifiques aux virus, comme certaines protéines d’enveloppes, des génomes sous forme d’ARN et des ARN-polymérases spéciales (enzyme catalyseur de la synthèse d’ARN) suggère au contraire qu’une partie au moins des virus n’ont pas la même origine que leurs cellules hôtes. Autrement dit, les bactériophages ne peuvent pas provenir entièrement de gènes bactériens. »

Et si les virus étaient les ancêtres du vivant ?

Avertissement : pour nous, humains, les virus sont synonymes de maladies affectant les bactéries mais ne sont pas êtres vivants contrairement à elles. Les bactéries sont des unicellulaires alors que les virus ne possèdent pas de cellule et occupent des cellules vivantes dont ils détournent le fonctionnement, notamment pour en tirer leur énergie et se dupliquer. Eh bien, nous allons voir que les virus ne sont pas seulement des facteurs pathogènes non vivants et pas seulement des parasites du vivant mais les agents principaux des variations du vivant et peut-être même les bâtisseurs du vivant !

On a longtemps cherché quelle pourrait bien être le mode de passage de l’inerte au vivant. Il faudrait trouver un être, ni vraiment vivant ni vraiment inerte, possédant déjà quelques attributs du vivant et qui, par son propre fonctionnement, aurait quelque raison de faire naître le vivant ! Il faudrait que cet être ait la capacité de construire la vie mais aussi que la vie ait la capacité de donner beaucoup plus de perspectives évolutives à cet être, afin que son intervention devienne le début de l’ère de l’évolution des espèces…

Les virus répondent à toutes ces demandes. Ils sont constitués au minimum d’un acide nucléique (ADN ou ARN) englobé dans une capside de protéines. S’ils sont nés avant le vivant, ils possèdent déjà les acides nucléiques et les protéines !

Quelle raison de penser qu’il ait eu un rôle dans la fabrique du vivant ? Eh bien d’abord sa capacité d’y pénétrer aisément et de faire fonctionner le vivant à son propre service. Le virus ne peut se multiplier qu’en entrant dans la cellule vivante qu’il fait alors fonctionner à son propre service, bénéficiant notamment de la production d’énergie de la cellule.

Un obstacle à cette thèse : si les virus étaient apparus en premier, ils n’auraient pas pu se développer, devenir suffisamment nombreux, se diversifier sans l’aide du vivant. Les virus ne peuvent se multiplier qu’en utilisant l’équipement enzymatique d’une cellule vivante. D’autre part, les virus contiennent bien un acide nucléique, de l’ADN ou de l’ARN, mais pas les deux.

Cependant, l’idée que les virus n’ont aucune capacité dynamique en dehors d’une cellule vivante et qu’ils n’ont jamais à la fois ARN et ADN est fausse. Il y a le contre-exemple des mimivirus (mimi et pas mini car ce sont les plus gros !). Au cours des dernières années, des entités intermédiaires ont en effet été découvertes : le mimivirus, infectant une amibe, possède dans son génome 1 200 gènes (davantage que certaines bactéries). Certains de ces gènes participeraient à la synthèse protéique et à des mécanismes de réparation de l’ADN. Il existe chez le mimivirus une trentaine de gènes présents habituellement chez les organismes cellulaires mais absents chez les virus. Le virus ATV d’archées présente lui aussi des caractéristiques étonnantes : ce virus en forme de citron présente la particularité de se modifier en dehors du contexte cellulaire par un mécanisme actif. Il est capable de s’allonger à chaque extrémité à une température de 80 °C, température à laquelle vit son hôte Acidianus à proximité des sources hydrothermales. Néanmoins organes et échanges cycliques, donc métabolisme, restent absents.

Didier Raoult et Jean-Michel Claverie ont ainsi découvert le mimivirus : un virus géant à ADN (son génome étant deux fois plus long que le plus petit génome bactérien connu). La particularité de ce virus est qu’il peut produire des protéines impliquées dans la traduction de l’ARN en protéines (comme des enzymes chargeant des acides aminés sur des ARNt), il pourrait donc avoir pour ancêtres des virus plus anciens que la première cellule à ADN.

Patrick Forterre avance même l’hypothèse que les virus seraient les premiers organismes à ADN. Mais lui pense que c’était à une époque où tout le vivant ne fonctionnait que sur la base de l’ARN. Mais c’est déjà un premier pas de découvrir que le premier ADN pourrait être celui du virus ! Il faudrait ensuite trouver dans le virus le premier ARN et le virus serait ainsi l’ancêtre du vivant !!!

Le grand âge des virus a été souvent envisagé par les chercheurs qui écrivent : « Il est possible que les virus soient très anciens, peut-être plus anciens que les bactéries les plus âgées. »

Au début des années 2000, dans des amibes du genre Acanthamoeba, des chercheurs ont découvert un virus géant (Megaviridae) : le Mimivirus. Aussi grand et complexe que certaines bactéries, il a modifié la perception des virologistes quant aux limites supérieures de taille (sa longueur totale dépasse 0,7 micromètre) et de nombre de gènes du monde viral (il possède plus de 1 000 gènes).

Dix ans plus tard, des chercheurs français publiaient (2013) la description de deux virus encore plus grands, et dont le génome est environ deux fois plus gros (en nombre de gènes) que les précédents virus géants découverts. Ces deux nouveaux virus géants ont été classés dans une catégorie créée pour eux (Pandoravirus) car ils ne sont pas apparentés aux virus connus et présentent même des caractéristiques inattendues :

• leur diamètre approche le micron et dépasse le record de Megavirus chilensis ;

• leur génome a une taille très supérieure à ce qui était connu : environ 2 500 gènes ; à titre de rappel, le génome de virus tels que ceux de la grippe ou de l’immunodéficience humaine ne contiennent qu’une dizaine de gènes ;

• leur génome ne code qu’une infime part (6 %) des protéines habituellement produites par les autres virus connus ;

• ils ne disposent pas des gènes nécessaires à la synthèse de la protéine de capside (la « brique de base » des capsides de virus normaux). L’analyse du protéome de Pandoravirus salinus a confirmé que les protéines qui le constituent sont bien celles que l’on peut prédire à partir de la séquence génomique virale.

Le premier (Pandoravirus salinus) a été trouvé dans des sédiments marins prélevés au large du Chili et le second (Pandoravirus dulcis) dans une mare d’eau douce près de Melbourne (en Australie).

Bien que présentant les caractères essentiels d’un virus (pas de ribosome, pas de division ni de production d’énergie), ils semblent d’un type tout à fait nouveau. Leur génome dépasse en taille celui de certains petits eucaryotes (cellules à noyau) parasites.

Les Pandoravirus pourraient tout à fait être les pré-vivants…

La vie cellulaire aurait donc pu émerger à partir de formes de vie pré-cellulaires plus variées que ce qu’on pensait.

D’autre part, les virus jouent un rôle important de vecteur naturel dans les transferts de gène dits horizontaux (par opposition aux transferts dits verticaux de parent à descendant) entre différents individus et même différentes espèces, permettant un accroissement de diversité génétique, et la dissémination d’innovations génétiques au-delà de la descendance d’individu porteur d’une mutation génétique donnée.

Cependant on conserve un peu l’ancien dogme : pas de dynamique du virus, pas de duplication et pas de développement sans pénétration et squat de la cellule vivante. Eh bien, on découvre alors que le virus peut entrer et squatter … un autre virus !

Découvert en 2008, Sputnik est un cas à part capable d’infecter un autre virus (Mamavirus) appartenant à la classe des virus géants (génome de plus de 300 000 pb et taille supérieure à 0,2 μm).
On connaît aussi d’autres virophages comme Mavirus associé à CroV (un virus géant infectant l’hôte eucaryote Cafeteria roenbergensis).

Du point de vue de la biologie du développement, les mimivirus battent en brèche les définitions connues : ils sont de taille similaire à, par exemple, la bactérie Rickettsia conorii et ont aussi un génome qui peut être rapporté à celui des bactéries. Les gènes pour la synthèse des acides aminés ou nucléotides sont également inclus. En comparaison avec les virus connus, il est frappant de constater que même les quatre aminoacyl-ARNt synthétases peuvent être formées : l’arginine, la cystéine, la méthionine et la tyrosine. Sans un hôte, il reste cependant mauvais à la fois dans la biosynthèse des protéines et dans le métabolisme énergétique. Les mimivirus ne sont pas des cas isolés, mi-2010, Jean-Michel Claverie et Chantal Abergel découvrirent un autre géant : Megavirus chilensis. Sa capside mesure 440 nanomètres de diamètre, et les biologistes moléculaires y découvrirent 1,3 millions de paires de bases. Le mégavirus exprime même sept aminoacyl-ARNt-synthétases.

Autre fait troublant, si les virus et les cellules vivantes partagent de nombreux éléments structuraux protéiniques, il existe aussi des éléments structuraux des protéines dans les virus que les cellules vivantes ne possèdent pas !

Les écologues moléculaires se sont rendu compte de la présence massive des virus (ou plutôt de leurs particules, les virions, je reviendrai sur ce point) dans tous les environnements possibles et imaginables. Il est maintenant avéré que les particules virales sont partout beaucoup plus abondantes que les cellules (d’un facteur pouvant aller de 10 à 100) aussi bien dans les milieux liquides (océans, lacs, fleuves) que dans les biotopes terrestres, des plus chauds aux plus froids. Nous sommes nous-mêmes couverts et remplis de particules virales…

Comme nous avons un peu tendance, nous humains, à être centrés sur notre petite personne, nous disons que l’homme, le singe, le mammifère, l’animal, le vivant sont des êtres principaux et que les virus sont seulement là pour nous embêter mais cette vision est peut-être en train de perdre la partie…

En tout cas, l’ancien débat sur les virus (vivant ou non vivant, indépendants ou seulement parasites), est dépassé.

Autre remarque, on a finalement trouvé de très anciens virus au sein même du génome et servant à son fonctionnement. Non seulement cela casse l’image purement pathogène des virus mais cela sous-entend que les virus seraient à l’origine de la formation du génome. De là à penser que les virus ont été à l’origine de la formation de la vie, il n’y a plus qu’un pas. On verra si la science le franchira finalement… ou pas !

Certains biologistes suggèrent déjà que Pandoravirus, Mimivirus et Mégavirus pourraient être des survivants d’une forme de vie qui aurait été l’ancêtre des bactéries.

Le fait que le Pandoravirus détienne un matériel génétique rare, en grande partie absent au sein du vivant, laisse à penser que c’est une forme très ancienne, origine de la vie…

Et c’est passionnant de voir ainsi se reconstituer, malgré nos préjugés selon lesquels tout commence par les bactéries, un scénario qui expliquerait la formation du vivant. A moins qu’un autre scénario bouleverse encore la pensée humaine sur le vivant…

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Le rôle des virus

Pour conclure :

« Tous les parasites connus (bactéries, animaux, végétaux) ont des ancêtres qui étaient libres. Le parasitage d’un hôte est une adaptation opportuniste. Au cours de cette adaptation le parasite – quel qu’il soit – perd petit à petit les caractéristiques et fonctions indispensables à la vie libre (indépendante). In fine, il ne ressemble pas du tout à ses ancêtres ou à ses proches « parents » de lignées n’ayant pas « choisi » cette voie d’adaptation. Ainsi nous pouvons prendre pour hypothèse que les virus ont considérablement simplifié leur statut original au point de devenir des ultra-parasites… Certains chercheurs ont émis l’hypothèse d’une évolution graduelle entre des virus indépendants (des prébactéries) vers des bactéries. Dans ce sens, Peter Ward, un chercheur de la NASA a publié en 2005, dans « Life as we do not know it », un arbre de filiation menant aux divers types de bactéries où la base est constituée par des virus différents. En 2015, une autre équipe, se basant sur les structures des protéines, a établi que les virus représentent bien une lignée du vivant distincte de celle des bactéries et des archées, dans « A phylogenomic data-driven exploration of viral origins and evolution » dans Science Advances par Nasir A. et Caetano-Anollès G. D’autres chercheurs ont émis l’hypothèse que les premières bactéries sont issues d’unions de formes virales indépendantes dans « Three RNA cells for ribosomal lineages and three DNA viruses to replicate their genomes : a hypothesis for the origin of cellular domain », dans Proceedings of the National Academy of Sciences (article de 2006 de Patrick Forterre). Les virologues marseillais, qui avaient découvert les virus géants, ont apporté une donnée intéressante concernant l’origine des virus : ils ont constaté en 2009 qu’un autre virus géant, qu’ils ont nommé « Marseillevirus », a pour génome un patchwork de gènes provenant d’autres virus, de bactéries et même de cellules animales. Ce génome s’est donc formé en copiant et unissant des informations prélevées dans son voisinage immédiat. Ainsi, au gré des rencontres d’hôtes (par parasitage ou symbiose), les virus peuvent soit incrémenter leur génome et devenir plus complexes, soit se débarrasser des éléments devenus inutiles et devenir plus simples. Ils auraient donc un pouvoir inné à copier, à associer, à unir et profiter de tout ce qu’offre leur hôte. Cet ensemble de découvertes récentes change le statut des virus : ce ne sont plus de simples automates chimiques greffés sur le vivant, ils font partie du monde vivant dont la définition doit tenir compte de ces formes opportunistes ! Un débat s’est engagé sur le rôle des virus dans l’avènement des premières formes vivantes. »

« Comment la vie a commencé » de Alexandre Meinesz

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