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Sommes-nous des utopistes ?

dimanche 5 mars 2017, par Robert Paris

Vous êtes de sacrés utopistes », nous dit un lecteur sceptique

Qu’est-ce que notre lecteur trouve utopiste ? Continuer à défendre la perspective internationale du socialisme à un moment où tous les nationalismes remontent de manière violente et opposent les peuples ? Continuer à proposer une perspective de lutte sociale radicale et offensive au moment où les luttes défensives elles-mêmes ont du plomb dans l’aile et sont affaiblies par le niveau élevé du chômage, par l’isolement des luttes et par la propagande anti lutte de classe qui prend un tour massif ? Ne pas avoir abandonné la conception de la lutte de classe révolutionnaire alors que l’opinion publique lui a tourné le dos depuis la chute de l’URSS et des « pays de l’Est » ? Ne pas avoir tiré du stalinisme la leçon qu’il fallait renoncer à la dictature du prolétariat ? Ne pas admettre que le capitalisme serait un horizon indépassable de la société humaine et de l’histoire ? Ne pas considérer la démocratie bourgeoise, telle qu’elle est pratiquée dans les pays occidentaux qui dominent le monde, soit le moins mauvais des modes de gouvernement ? Ne pas admettre que le capitalisme serait l’horizon indépassable de la société humaine ? Ne pas accepter que l’évolution inévitable des mœurs aille vers l’individualisme exacerbé ? Ne pas renoncer aux traditions de classe du monde ouvrier ? Tout cela serait paraît-il utopiste et dépassé !! Tout cela serait, nous dit-on, un attachement à des anciennes valeurs qui auraient démontré leur incapacité à agir sur le monde et à le transformer comme le démontrerait, nous dit-on encore, le stalinisme triomphant et le stalinisme s’effondrant ?

Mais que signifie ici le terme d’utopiste ? Autrefois, on appelait « utopistes » des penseurs sociaux qui construisaient un monde futur parfait dans leur tête et prétendaient qu’ils allaient le mettre en place et en faire la démonstration sans effusion de sang, sans révolution. L’utopisme n’avait rien de révolutionnaire par conséquent et ne ressemblait en rien aux propositions du marxisme, ni à la dictature du prolétariat, ni à la suppression méthodique du pouvoir d’Etat bourgeois, ni à la suppression de la société de classe, ni à la suppression de toute exploitation de l’homme par l’homme !

Contrairement aux utopistes, les communistes révolutionnaires ne prétendent nullement avoir bâti par avance dans leur tête une société nouvelle toute faite, prête à fonctionner, pour laquelle il reste juste à appuyer sur le bouton, ou juste à obtenir un pays pour l’expérimenter et des fonds pour la soutenir…

Nous affirmons certes la nécessité de la société sans classe, sans Etat et sans exploitation de l’homme par l’homme et c’est une perspective historique selon nous mais cela ne dit nullement les étapes précises de cette évolution car cela dépendra du cours de l’Histoire.

Nous affirmons que l’histoire du passé de la société à partir de l’apparition des classes sociales nous dévoile l’histoire des modes de production liés à diverses formes de propriété privée des moyens de production et nous montre que le capitalisme sera nécessairement suivi, si la société humaine n’interrompt pas violemment son cours, par une société qui aura fait disparaitre la propriété privée des moyens de production. Cela est très loin d’indiquer dans le détail le fonctionnement d’une société future, ses étapes précises d’évolution. Parce que des millions d’hommes seront à l’œuvre, avec leurs idées et leurs décisions qui dépassent largement ce qu’on peut anticiper à quelques uns. Mais aussi parce que tout cela dépendra du cours de l’Histoire, des réactions des anciennes classes dirigeantes, du cours de la contre-révolution, etc.

Nous concevons tout à fait qu’il y aura des étapes de la dictature du prolétariat dans un ou plusieurs pays à la suppression mondiale du capitalisme mais nous ne pouvons nullement les prévoir en détails puisque tout dépendra de l’état du monde lors de l’effondrement du capitalisme qui ne sera certainement pas l’état actuel… Personne ne peut prévoir l’état des débuts de la société dirigée par le prolétariat ni les conditions politiques, sociales, militaires dans lesquelles démarrera cette révolution et donc personne ne peut par avance donner un cadre au changement historique.

Nous n’édictons nullement par avance les lois, les règles des diverses sociétés qui sortiront du capitalisme et nous nous contentons de préparer les travailleurs à l’idée que leur tâche d’avenir consistera à se préparer à décider eux-mêmes de toutes les tâches nécessaires à toute la collectivité et nous insistons donc sur la nécessité que la participation active et organisée des travailleurs aux luttes sociales et politiques ainsi qu’aux révolutions les préparent à ce rôle de direction de toute la société.

Mais, avant même de discuter de la signification du socialisme et du communisme, de l’importance de cette perspective pour militer au sein de la classe ouvrière et pour militer politiquement vers un parti révolutionnaire du prolétariat comme vers des organes de pouvoir prolétarien et soviétique, nous voudrions affirmer haut et fort ce que ce qui est pour nous utopique, c’est de se raconter que…

… l’Etat bourgeois pourrait réformer le capitalisme et l’empêcher de se jeter dans des crises catastrophiques…

… le capitalisme serait une société sans limite, sans mort, sans fin historique, un monde à développement illimité…

… les contradictions du système capitaliste ne mèneraient jamais qu’à des transformations positives progressives poussant à chaque fois le système vers une nouvelle étape plus réussie que les précédentes, tout recul du système capitaliste étant synonyme d’effondrement…

… les opinions publiques seraient capables, par leur seule pression, d’éviter des transformations violentes et massives de la société vers des effondrements meurtriers (nouvelles guerres mondiales, nouveaux fascismes, génocides, terreur de masse, dictatures sous des formes diverses)…

… la propriété privée des moyens de production pourrait, toujours selon ces utopistes du capitalisme, perdurer éternellement alors que tout montre que le capitalisme est de moins en moins capable de se passer de la béquille étatique, des capitaux collectivisés sous forme de l’étatisme et que le prétendu « libéralisme » ne peut plus se passer de l’aide de l’Etat et des fonds publics…

… la lutte des classes, toujours selon ces illusionnistes, aurait disparu ou serait en voie de disparaitre alors que le fossé réel entre les classes s’approfondit sans cesse, que les barrières d’aides sociales qui limitaient la misère tombent de plus en plus, que le caractère de classe de l’Etat au service exclusif de la classe capitaliste devient plus profond que jamais, etc ;

Ce sont ces idéologies-là, c’est-à-dire ces discours complètement coupés de la réalité, qui sont des utopies sans bases et en plus des utopies réactionnaires…

La réalité objective du monde capitaliste permet au contraire d’affirmer que…

… le vieux monde bascule de plus dans la violence, au fur et à mesure que sa crise s’avère sans solution et que, huit ans après la crise de 2007-2008, rien n’est réglé, tout a été seulement suspendu grâce aux plus grandes interventions étatiques de toute l’Histoire du capitalisme…

… les investissements privés productifs, malgré toutes les aides étatiques du monde, n’ont pas repris un rythme normal. Les capitaux privés sont à un niveau plus élevé que jamais mais ils ne trouvent pas les revenus qu’ils attendent dans le secteur de production et dans le secteur marchand. Les marchés financiers ne se tournent plus vers le prêt de capitaux à la production et ne peuvent recevoir des revenus qu’en étant payés à coups de fonds d’Etat et des banques centrales. Le capital privé devient ainsi un capital nocif car il ne fait que ponctionner l’économie réelle et les finances publiques…

… le capital produit de plus en plus de titres nocifs, de moyens financiers fondés et misant sur l’effondrement économique, sur les dettes, sur la chute des Etats, des monnaies, des trusts et des banques (titrisation des dettes publiques et privées notamment). Les banques centrales et les Etats ne peuvent maintenir en place les marchés financiers et éviter leur chute inévitable qu’en rachetant sans cesse et massivement les titres pourris ainsi qu’en leur fournissant des revenus pour les entretenir. Les interventions publiques, loin de résoudre le problème, l’entretiennent de plus en plus, avec comme seule perspective de retarder l’effondrement. Leur intervention entrave tout redémarrage et sans leur intervention, tout serait déjà effondré. Il n’existe pas une banque et pas un trust qui tiendrait debout sans l’aide des banques centrales et des Etats…

… le mode de régulation cyclique du capitalisme, qui a fonctionné durant des décennies et permis au capitalisme de soigner ses maux en faisant chuter les secteurs faillis, a été artificiellement entravé à partir de 2008 avec l’accord de tous les Etats de la planète. Il ne peut plus faire alterner périodes de prospérité et périodes de récession. Il ne peut plus y avoir de reprise car il n’y a plus de crises cycliques…

… Ce tournant historique du capitalisme (la fin des crises) signifie que nous en sommes à la crise finale et entraine de nombreuses conséquences qui sont uniquement destructrices : développement massif des dettes publiques et privées, destruction des aides sociales et des services publics, dérive violente de la société, chômage massif et permanent, suppression de la sécurité dans la vie civile, dans la vie sociale et dans la vie politique, poussée des haines de toutes sortes, poussée des extrêmes droites, des terrorismes, des interventions des impérialismes, des menaces de guerre mondiale, des dictatures. A la vague des révolutions répond la vague des contre-révolutions, favorisées par toutes les classes dirigeantes et leurs Etats. Le grand capital mondial ne peut plus gouverner sans semer la peur de masse, sans déstabiliser lui-même l’ordre mondial. Il ne peut éradiquer le risque de révolution sociale qu’en semer sans cesse de nouveaux risques de massacres de masse. De plus en plus de pays connaissent un effondrement économique mais aussi un effondrement social et un effondrement du pouvoir d’Etat, les ramenant à une lutte entre bandes armées privées. Les classes dirigeantes nationales se divisent elles-mêmes et se mènent des guerres qui ramènent une faction du monde vers l’époque féodale, en plus violent. La partie du monde en guerre civile permanente grandit sans cesse et ces guerres impliquent toutes les grandes puissances. Cela ne signifie pas que ces grandes puissances capitalistes et impérialistes s’entendent pour autre chose que pour bloquer la crise. Elles sont de plus en plus proches de se confronter dans une guerre mondiale et s’y préparent pour le moment où le système mondial s’effondrera à nouveau et où il ne sera plus possible de contrôler sa chute, moment qui s’approche lui aussi à grands pas…

… les organisations, politiques, associatives et syndicales, qui se revendiquaient autrefois de la classe ouvrière, essentiellement les syndicats, font maintenant tellement partie du monde capitaliste et sont tellement liés aux partis bourgeois et aux Etats qu’il n’y a plus dans le monde d’organisation se revendiquant véritablement de la classe ouvrière révolutionnaire, de son mode d’action et d’organisation, de ses perspectives, c’est-à-dire la suppression à l’échelle mondiale des Etats bourgeois, des classes et de la propriété privée des moyens de production. L’existence d’une telle perspective est ignorée de la plus grande masse de la population travailleuse, à commencer par sa jeunesse. Les classes dirigeantes se sont servies dans un premier temps de la crise capitaliste mondiale pour faire chuter les régimes de l’Est et de Russie, pour contraindre ceux-ci à rejoindre le marché mondial, pour afficher aux yeux des travailleurs du monde la défaite du communisme, qui n’était en réalité que le choix de l’impérialisme d’en finir avec la politique des blocs qu’il avait lui-même choisi de mettre en place. Le capitalisme, loin d’entrer ainsi dans une ère plus pacifique, a abandonné un moyen de stabiliser le monde, le faux affrontement entre Est et Ouest, la lutte entre le stalinisme (faussement qualifié de communisme puisque toute organisation ouvrière indépendante y était violemment éradiquée et que le pouvoir stalinien était celui qui avait détruit la révolution sociale à l’issue de la deuxième guerre mondiale) et le monde capitaliste occidental dominant. La « mondialisation », loin d’être une entrée dans une ère de prospérité générale et de production accélérée, a été une phase d’accentuation de la crise par la financiarisation de toute l’économie, menant à terme à un asphyxie de la production de marchandises et donc de la production de plus-value. La dictature des marchés financiers a pris tellement d’importance que l’essentiel des capitaux ont fini par s’y investir au lieu de le faire dans les secteurs de production. L’effondrement du monde stalinien a signifié le basculement de tout le mouvement ouvrier dans la collaboration de classe accentuée et ouverte…

… si la conscience de classe est ressortie de ces épisodes considérablement affaiblie (ce qui ne veut nullement dire que le stalinisme était un point de défense de cette conscience de classe !!), si les classes dirigeantes en ont profité pour faire accepter massivement l’idée que c’en était fini de la lutte des classes, de la perspective de la dictature du prolétariat et du communisme, cela ne signifie nullement que ces mêmes classes dirigeantes s’illusionnaient sur la réalité de leurs affirmations… La réalité des oppositions de classe, des luttes de classe et des perspectives de classe est plus vivante que jamais et c’est seulement ainsi que s’expliquent les derniers développements sociaux et politiques du monde, et notamment la vague des révolutions et la vague des contre-révolutions, qui ont succédé à la crisé de 2007-2008 et qui marquent profondément la situation mondiale actuelle. C’est bel et bien la classe capitaliste qui ne peut plus gouverner la planète sans détourner la classe exploitée d’une lutte de classe exacerbée qu’en favorisant d’autres affrontements violents : des haines raciales, des haines interreligieuses, des luttes de bandes armées, des intégrismes, des fascismes, des massacres, des luttes interétatiques, des violences civiles, du terrorisme de masse. Ce sont les capitalistes qui ont vitalement besoin de prendre en étau les peuples de la planète, entre deux sortes d’assassins, entre deux feux, pour les contraindre à rester attachés à leur Etat et à leur classe dirigeante, sous peine de mort violente et rapide. Toutes les populations du monde sont de plus en plus prises entre deux menaces mortelles affolantes, celle d’un Etat de plus en plus meurtrier et d’une bande armée terroriste, celle d’une ethnie ou d’une religion, celle d’un Etat voisin ou d’un pays impérialiste qui bombarde la population civile. Il en résulte que la terreur de masse a gagné le monde entier, polarisant les craintes des peuples et détournant des luttes sociales. Partout se développent des bains de sang préventifs orchestrés par les classes dirigeantes et évitant les développements révolutionnaires. Ce sont encore les classes capitalistes qui placent les travailleurs entre le fascisme d’Etat et le fascisme des bandes armées. Ce sont toujours les classes dirigeantes qui ont intérêt à préparer les peuples à la guerre et à les amener à la considérer comme un moindre mal. Partout dans le monde, les exploiteurs préfèrent les bains de sang organisés par eux que les révolutions !

Oui, c’est une utopie réactionnaire de croire que l’Etat bourgeois, au moment il est le grand orchestrateur des bains de sang les plus cruels, va défendre la paix du monde et protéger les peuples contre les assassins !

Oui, c’est une utopie réactionnaire de croire que l’Etat bourgeois est en guerre contre le chômage alors que ce dernier est le meilleur moyen de détourner les peuples de la lutte sociale et que le chômage est aussi le meilleur moyen de pression à la baisse des salaires, des conditions de travail et des emplois.

Oui, c’est une utopie de croire que le capitalisme pourrait s’autoréformer pour sortir de sa crise, qu’il pourrait distribuer des biens à la population pour favoriser la relance économique, qu’il pourrait obliger les possesseurs de capitaux à se mettre à investir de nouveau dans le secteur productif , que l’Etat pourrait contrôler les banques et les grands financiers dans l’intérêt de l’ensemble de la population, que le capitalisme pourrait se diriger sans s’aider du mécanisme de régulation des crises ou que le capitalisme pourrait à nouveau laisser se dérouler les prochaines crises.

Toutes ces utopies réactionnaires ont pour conséquence de nous empêcher de nous préparer intellectuellement, politiquement, socialement, de prendre conscience des nécessités d’avenir pour la société humaine et en particulier de la nécessité que la classe laborieuse développe publiquement ses propres perspectives d’avenir.

Oui, c’est une utopie réactionnaire de prétendre que, sans révolution sociale, le monde pourrait continuer de progresser, ou même de stagner, alors que toute la situation démontre au contraire que tout s’effondre, alors que toute l’Histoire démontre qu’aucune civilisation n’a été éternelle, que tout mode de production a été un moment limité de la société humaine, qu’il y a toujours eu besoin de la révolution sociale pour que l’humanité aille de l’avant, qu’il a nécessité que les anciennes classes dirigeantes soient renversées et l’ancien mode de production abandonné.

Et il n’est pas besoin d’avoir dans notre tête un schéma tout fait de la société future pour en dévoiler la nécessité. Pas plus que Spartacus, annonciateur de la chute de l’empire romain, n’avait en tête le féodalisme ni que l’abbé Siéyès, affirmant que le Tiers Etat n’est rien et veut devenir tout, ne concevait par avance le capitalisme et pas même Robespierre, qui mettait en place l’Etat bourgeois, ne savait comment fonctionnerait la société bourgeoise. De même, tous ceux qui ont cassé la vieille société patriarcale ne savaient pas ce qu’ils allaient avoir ensuite. Mais, les uns comme les autres savaient dans quel sens ils voulaient transformer le monde. Les révolutionnaires de toutes les révolutions bourgeoises, américaine, anglaise, française notamment, n’ont pas bâti la société bourgeoise future à l’avance dans leur tête mais ils ont pris en charge les aspirations populaires, des buts qui nécessitaient un changement profond et brutal des conditions d’existence lié à une nouvelle classe sociale, à un mouveau mode de production, à de nouveaux rapports entre les classes. Et à chaque fois, la révolution a été le produit de la crise de la domination de l’ancienne classe dirigeante et d’une exacerbation de la lutte des classes. A chaque fois, la révolution a entraîné aussi une montée de la contre-révolution et bien des fois cette dernière a pu être victorieuse. La victoire de la révolution sociale a nécessité le renversement de l’Etat et des anciennes classes dirigeantes.

Toutes les leçons de l’Histoire vont à l’encontre des mensonges utopistes pro-capitalistes. Les grandes sociétés esclavagistes n’ont pas pu être réformées : elles sont tombées. Les grands empires n’ont pas pu être réformés : ils sont tombés. Les féodalismes n’ont pas pu être réformés : ils sont tombés. Le capitalisme n’a pas davantage de pérennité éternelle que les civilisations précédentes.

Tous les grands événements de l’Histoire, et tous particulièrement les affrontements sociaux, politiques, guerriers les plus violents, ne peuvent se comprendre que comme le produit de l’exacerbation des luttes de classes.

Dans la période que nous sommes en train de vivre suite à la crise mondiale et historique du capitalisme initiée en 2007, bien des illusions démocratiques sont en train de tomber mais leur chute ne dit pas de quel côté les travailleurs choisiront d’être emportés : révolution ou contre-révolution ?

Tous ceux qui croient éviter la révolution ne font que préparer la contre-révolution ! L’illusion réformiste a un aboutissement fasciste ! L’utopie capitaliste est meurtrière !


« Ce qui est, pour l’Allemagne, un rêve utopique, ce n’est pas la révolution radicale, l’émancipation générale et humaine, c’est plutôt la révolution partielle, simplement politique, la révolution qui laisse debout les piliers de la maison. Sur quoi repose une révolution partielle, simplement politique ? Sur ceci : une fraction de la société bourgeoise s’émancipe et accapare la suprématie générale, une classe déterminée entreprend, en partant de sa situation particulière, l’émancipation générale de la société. Cette classe émancipe la société tout entière, mais uniquement dans l’hypothèse que la société tout entière se trouve dans la situation de cette classe, qu’elle possède donc ou puisse se procurer à sa convenance par exemple l’argent ou la culture.
Il n’est pas de classe de la société bourgeoise qui puisse jouer ce rôle, à moins de faire naître en elle-même et dans la masse un élément d’enthousiasme, où elle fraternise et se confonde avec la société en général, s’identifie avec elle et soit ressentie et reconnue comme le représentant général de cette société, un élément où ses prétentions et ses droits soient en réalité les droits et les prétentions de la société elle-même, où elle soit réellement la tête sociale et le cœur social. Ce n’est qu’au nom des droits généraux de la société qu’une classe particulière peut revendiquer la suprématie générale. Pour emporter d’assaut cette position émancipatrice et s’assurer l’exploitation politique de toutes les sphères de la société dans l’intérêt de sa propre sphère, l’énergie révolutionnaire et la conscience de sa propre force ne suffisent pas. Pour que la révolution d’un peuple et l’émancipation d’une classe particulière de la société bourgeoise coïncident, pour qu’une classe représente toute la société, il faut, au contraire, que tous les vices de la société soient concentrés dans une autre classe, qu’une classe déterminée soit la classe du scandale général, la personnification de la barrière générale ; il faut qu’une sphère sociale particulière passe pour le crime notoire de toute la société, si bien qu’en s’émancipant de cette sphère on réalise l’émancipation générale. Pour qu’une classe soit par excellence la classe de l’émancipation, il faut inversement qu’une autre classe soit ouvertement la classe de l’asservissement. L’importance générale négative de la noblesse et du clergé français avait comme conséquence nécessaire l’importance générale positive de la bourgeoisie, la classe la plus immédiatement voisine et opposée.
Tout d’abord, n’importe quelle classe particulière de l’Allemagne manque de la logique, de la pénétration, du courage, de la netteté qui pourraient la constituer en représentant négatif de la société. Mais il lui manque tout autant cette largeur d’âme qui s’identifie, ne fût-ce que momentanément, avec l’âme populaire, cette génialité qui pousse la force matérielle à la puissance politique, cette hardiesse révolutionnaire qui jette à l’adversaire cette parole de défi : Je ne suis rien et je devrais être tout. L’essence de la morale et de l’honnêteté allemandes, des classes aussi bien que des individus, est constituée par cet égoïsme modeste qui fait valoir et permet qu’on fasse valoir contre lui-même son peu d’étendue. La situation réciproque des différentes sphères de la société allemande n’est donc pas dramatique, mais épique. Chacune de ses sphères se met à prendre conscience d’elle-même et à s’établir à côté des autres avec ses revendications particulières, non pas à partir du moment où elle est opprimée, mais à partir du moment où, sans qu’elle y ait contribué en rien, les circonstances créent une nouvelle sphère sociale sur laquelle elle pourra, à son tour, faire peser son oppression. Même le sentiment moral de la classe moyenne allemande n’a d’autre base que la conscience d’être la représentante générale de la médiocrité étroite et bornée de toutes les autres classes. Ce ne sont donc pas seulement les rois allemands qui montent mal à propos sur le trône ; chaque sphère de la société bourgeoise subit une défaite avant d’avoir remporté de victoire ; elle élève sa propre barrière, avant d’avoir abattu la barrière qui la gêne ; elle fait valoir toute l’étroitesse de ses vues, avant d’avoir pu faire valoir sa générosité ; et ainsi, l’occasion même d’un grand rôle est toujours passée avant d’avoir existé, et chaque classe, à l’instant précis où elle engage la lutte contre la classe supérieure, reste impliquée dans la lutte contre la classe inférieure. C’est pourquoi les princes sont en lutte avec la royauté, la bureaucratie avec la noblesse, le bourgeois avec eux tous, tandis que le prolétaire commence déjà la lutte contre le bourgeois. La classe moyenne ose à peine, en se plaçant à son point de vue, concevoir l’idée de l’émancipation, que déjà le développement de la situation sociale ainsi que le progrès de la théorie politique font voir que ce point de vue est déjà suranné ou du moins problématique.
En France, il suffit qu’on soit quelque chose, pour vouloir être tout. En Allemagne, personne n’a le droit d’être quelque chose, à moins de renoncer à tout. En France, l’émancipation partielle est la raison de l’émancipation universelle. En Allemagne, l’émancipation universelle est la condition sine qua non de toute émancipation partielle. En France, c’est la réalité, en Allemagne, c’est l’impossibilité de l’émancipation progressive qui doit enfanter toute la liberté. En France, toute classe du peuple est idéaliste politique, et elle a d’abord le sentiment d’être non pas une classe particulière, mais la représentante des besoins généraux de la société. Le rôle d’émancipateur passe donc successivement, dans un mouvement dramatique, aux différentes classes du peuple français, jusqu’à ce qu’il arrive enfin à la classe qui réalise la liberté sociale, non plus en supposant certaines conditions extérieures à l’homme et néanmoins créées par la société humaine, mais en organisant au contraire toutes les conditions de l’existence humaine dans l’hypothèse de la liberté sociale. En Allemagne, où la vie pratique est aussi peu intellectuelle que la vie intellectuelle est peu pratique, aucune classe de la société bourgeoise n’éprouve ni le besoin ni la faculté de l’émancipation universelle, jusqu’à ce qu’elle y soit forcée par sa situation immédiate, par la nécessité matérielle, par ses chaînes mêmes.
Où donc est la possibilité positive de l’émancipation allemande ?
Voici notre réponse. Il faut former une classe avec des chaînes radicales, une classe de la société bourgeoise qui ne soit pas une classe de la société bourgeoise, une classe qui soit la dissolution de toutes les classes, une sphère qui ait un caractère universel par ses souffrances universelles et ne revendique pas de droit particulier, parce qu’on ne lui a pas fait de tort particulier, mais un tort en soi, une sphère qui ne puisse plus s’en rapporter à un titre historique, mais simplement au titre humain, une sphère qui ne soit pas en une opposition particulière avec les conséquences, mais en une opposition générale avec toutes les suppositions du système politique allemand, une sphère enfin qui ne puisse s’émanciper, sans s’émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans, par conséquent, les émanciper toutes, qui soit, en un mot, la perte complète de l’homme, et ne puisse donc se reconquérir elle-même que par le regain complet de l’homme. La décomposition de la société en tant que classe particulière, c’est le prolétariat.
Le prolétariat ne commence à se constituer en Allemagne que grâce au mouvement industriel qui s’annonce partout. En effet, ce qui forme le prolétariat, ce n’est pas la pauvreté naturellement existante, mais la pauvreté produite artificiellement ; ce n’est pas la masse machinalement opprimée par le poids de la société, mais la masse résultant de la décomposition aiguë de la société, et surtout de la décomposition aiguë de la classe moyenne. Ce qui n’empêche pas, cela va de soi, la pauvreté naturelle et le servage germano-chrétien de grossir peu à peu les rangs du prolétariat.
Lorsque le prolétariat annonce la dissolution de l’ordre social actuel, il ne fait qu’énoncer le secret de sa propre existence, car il constitue lui-même la dissolution effective de cet ordre social. Lorsque le prolétariat réclame la négation de la propriété privée, il ne fait qu’établir en principe de la société ce que la société a établi en principe du prolétariat, ce que celui-ci, sans qu’il y soit pour rien, personnifie déjà comme résultat négatif de la société. Le prolétariat se trouve alors, par rapport au nouveau monde naissant, dans la même situation juridique que le roi allemand par rapport au monde existant, quand il appelle le peuple son peuple ou un cheval son cheval. En déclarant le peuple sa propriété privée, le roi énonce tout simplement que le propriétaire privé est roi.
De même que la philosophie trouve dans le prolétariat ses armes matérielles, le prolétariat trouve dans la philosophie ses armes intellectuelles. Et dès que l’éclair de la pensée aura pénétré au fond de ce naïf terrain populaire, les Allemands s’émanciperont et deviendront des hommes.
Résumons le résultat. L’émancipation de l’Allemagne n’est pratiquement possible que si l’on se place au point de vue de la théorie qui déclare que l’homme est l’essence suprême de l’homme. L’Allemagne ne pourra s’émanciper du Moyen Age qu’en s’émancipant en même temps des victoires partielles remportées sur le Moyen Age. En Allemagne, aucune espèce d’esclavage ne peut être détruite, sans la destruction de tout esclavage. L’Allemagne qui aime aller au fond des choses ne peut faire de révolution sans tout bouleverser de fond en comble. L’émancipation de l’Allemand, c’est l’émancipation de l’homme. La philosophie est la tête de cette émancipation, le prolétariat en est le cœur. La philosophie ne peut être réalisée sans la suppression du prolétariat, et le prolétariat ne peut être supprimé sans la réalisation de la philosophie.
Quand toutes les conditions intérieures auront été remplies, le jour de la résurrection allemande sera annoncé par le chant éclatant du coq gaulois. »

Karl Marx, Critique de la philosophie hégélienne du droit

« La suppression de l’opposition entre la ville et la campagne n’est pas plus une utopie que la suppression de l’antagonisme entre capitalistes et salariés. Elle devient chaque jour davantage une exigence pratique de la production industrielle comme de la production agricole. Personne ne l’a réclamée avec plus de force que Liebig dans ses ouvrages sur la chimie agricole dans lesquels il demanda en premier et constamment qua l’homme rende à la terre ce qu’il reçoit d’elle et où il démontre que seule l’existence des villes, notamment des grandes villes, y met obstacle. Quand on voit qu’ici, à Londres seulement, on jette journellement à la mer, à énormes frais, une plus grande quantité d’engrais naturels que n’en peut produire tout le royaume de Saxe, et quelles formidables installations sont nécessaires pour empêcher que ces engrais n’empoisonnent tout Londres, alors l’utopie que serait la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne se trouve avoir une base merveilleusement pratique. Berlin lui-même, relativement peu important, étouffe dans ses propres ordures depuis au moins trente ans. D’autre part, c’est une pure utopie de vouloir, comme Proudhon, bouleverser l’actuelle société bourgeoise en conservant le paysan tel qu’il est. L’abolition du mode de production capitaliste étant supposée réalisée, seules une répartition aussi égale que possible de la population dans tout le pays et une étroite association des productions industrielle et agricole, avec l’extension des moyens de communication rendue alors nécessaire, sont en mesure de tirer la population rurale de l’isolement et de l’abrutissement dans lesquels elle végète, presque sans changement depuis des millénaires. L’utopie n’est pas d’affirmer que les hommes ne seront totalement libérés des chaînes forgées par leur passé historique que si l’opposition entre la ville et la campagne est supprimée ; l’utopie commence au moment où l’on s’avise de prescrire, " en partant des conditions existantes " la forme sous laquelle doit être résolue telle ou telle opposition dans la société actuelle. »

Friedrich Engels, La question du logement

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