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Faut-il réhabiliter le dirigeant de la révolution bourgeoise anglaise Cromwell

vendredi 14 juin 2019, par Robert Paris

Ce dont été capables les classes populaires et la petite bourgeoisie des villes avec Cromwell à leur tête, mettre en place la république en Angleterre, ni la grande bourgeoisie capitaliste, ni les prétendus dirigeants « de gauche » travaillistes et syndicalistes n’en sont plus capables. Ils sont trop hostiles pour cela au prolétariat ! C’est effectivement le prolétariat révolutionnaire, seul, qui peut le réaliser demain, tout en accomplissant mille autres tâches de la révolution socialiste, à commencer par retirer le pouvoir et les richesses aux possesseurs des capitaux et des entreprises…

Supprimer la monarchie reste un objectif transitoire du prolétariat révolutionnaire

Rosa Luxemburg dans « Assemblée constituante ou pouvoir des soviets ? » (décembre 1918) :

« Comment les choses se sont-elles passées en Angleterre ? C’est là qu’est le berceau du parlementarisme bourgeois, c’est là qu’il s’est développé le plus tôt, avec le plus de force. Lorsqu’en 1649 l’heure de la première révolution bourgeoise moderne sonna en Angleterre, le parlement anglais avait déjà derrière lui une histoire plus que trois fois centenaire. C’est pourquoi le parlement devint, dès le premier moment de la révolution, son centre, son rempart, son quartier général. Le fameux « Long Parlement » a vu sortir de son sein toutes les phases de la révolution anglaise. Depuis les premières escarmouches entre l’opposition et la puissance royale, jusqu’au procès et à l’exécution de Charles Stuart, ce parlement fut, entre les mains de la bourgeoisie ascendante, un instrument insurpassable, parfaitement adapté.

Et qu’advint-il ? Ce même parlement dut créer une « armée parlementaire spéciale, que des généraux choisis dans son sein conduisirent au combat, pour y mettre en déroute complète, au cours d’une guerre civile longue, âpre et sanglante, le féodalisme, l’armée des « cavaliers » fidèles au roi. Ce ne fut pas dans les débats de l’Abbaye de Westminster, qui était pourtant alors le centre spirituel de la révolution, mais sur les champs de bataille de Marstonmoor et de Naseby, ce ne fut point par les brillants discours prononcés au parlement, mais par la cavalerie paysanne, par les « Côtes-de-Fer » de Cromwell que se décida le sort de la révolution anglaise. Et son développement conduisit du parlement, au travers de la guerre civile, à l’ « épuration " par la force, à deux reprises, de ce même parlement, et, finalement, à la dictature de Cromwell. »

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Karl Marx dans sa lettre à L. Kugelmann du 29 novembre 1869 :
« En réalité, la République anglaise sous Cromwell a échoué à cause... de l’Irlande. »

Note : Un soulèvement national avait éclaté en Irlande en 1641. De 1649 à 1652, cette révolution fut réprimé par Cromwell avec cruauté. L’affaire se termina par l’expropriation des Irlandais au profit des nouveaux landlords anglais et cette opération, en renforçant la position des grands propriétaires, prépara le terrain au rétablissement de la monarchie.

Karl Marx dans « Le Capital » - Livre premier :

« Dès le dernier tiers du XV° siècle, les plaintes contre l’extension croissante de l’agriculture capitaliste et la destruction progressive des paysans indépendants ne cessent d’y retentir que pendant de courts intervalles, et en même temps on retrouve constamment ces paysans, quoique en nombre toujours moindre et dans des conditions de plus en plus empirées. Exceptons pourtant le temps de Cromwell : tant que la République dura, toutes les couches de la population anglaise se relevèrent de la dégradation où elles étaient tombées sous le règne des Tudors. »

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F. Engels dans « Socialisme scientifique, socialisme utopique » :

« Le deuxième grand soulèvement de la bourgeoisie trouva dans le calvinisme une doctrine toute prête. Ce soulèvement eut lieu en Angleterre. La bourgeoisie des villes mit le mouvement en train, et la yeomanry des campagnes le fit triompher. Il est assez curieux que, dans les trois grandes révolutions de la bourgeoisie, la paysannerie fournisse les armées pour soutenir le combat et qu’elle soit précisément la classe qui, la victoire acquise, doive être le plus sûrement ruinée par ses conséquences économiques. Un siècle après Cromwell, la yeomanry avait pratiquement disparu. Cependant sans cette yeomanry et sans l’élément plébéien des villes, jamais la bourgeoisie livrée à ses propres forces n’aurait pu continuer la lutte jusqu’au bout et n’aurait pu faire monter Charles Ire sur l’échafaud. Pour que la bourgeoisie pût consolider jusqu’à ces conquêtes qui étaient alors à portée de sa main, il fallut que la révolution dépassât de beaucoup le but qui lui était assigné exactement comme en France en 1793 et en Allemagne en 1848. Il semble que ce soit là une des lois de l’évolution de la société bourgeoise.

Quoi qu’il en soit, cet excès d’activité révolutionnaire fut nécessairement suivi en Angleterre par l’inévitable réaction, qui, à son tour, dépassa le point où elle aurait pu s’arrêter. Après une série d’oscillations, le nouveau centre de gravité finit par être atteint et il devint un nouveau point de départ. La grande période de l’histoire anglaise, que la « respectabilité » nomme la grande rébellion », et les luttes qui suivirent parvinrent à leur achèvement avec cet événement relativement insignifiant de 1689 que les historiens libéraux appellent « la glorieuse révolution ».

Le nouveau point de départ fut un compromis entre la bourgeoisie montante et les ci-devant propriétaires féodaux. Ces derniers, bien que nommés alors comme aujourd’hui l’aristocratie, étaient depuis longtemps en train de devenir ce que Louis-Philippe ne devint que beaucoup plus tard : « le premier bourgeois du royaume ». Heureusement pour l’Angleterre, les vieux barons féodaux s’étaient entre-tués durant la guerre des Deux-Roses. Leurs successeurs, quoique issus pour la plupart des mêmes vieilles familles, provenaient cependant de branches collatérales si éloignées qu’ils constituèrent un corps tout à fait nouveau ; leurs habitudes et leurs goûts étaient plus bourgeois que féodaux ; ils connaissaient parfaitement la valeur de l’argent et ils se mirent immédiatement à augmenter leurs rentes foncières, en expulsant des centaines de petits fermiers qu’ils remplaçaient par des moutons. Henry VIII, en dissipant en donations et prodigalités les terres de l’Église créa une légion de nouveaux propriétaires fonciers bourgeois : les innombrables confiscations de grands domaines puis leur octroi à des demi ou à de parfaits parvenus par le biais de concessions, qui furent renouvelées pendant tout le XVIIe siècle, aboutirent au même résultat. C’est pourquoi à partir de Henry VII, l’ « aristocratie » anglaise, loin de contrecarrer le développement de la production industrielle, avait au contraire cherché à en bénéficier indirectement ; et de même il s’était toujours trouvé une fraction de grands propriétaires fonciers disposés, pour des raisons économiques et politiques, à coopérer avec les dirigeants de la bourgeoisie industrielle et financière. Le compromis de 1689 se réalisa donc aisément. Les dépouilles politiques — postes, sinécures, gros traitements, furent abandonnées aux grandes familles de la noblesse terrienne, sans que, pour autant, on négligeât le moins du monde les intérêts économiques de la bourgeoisie commerçante, industrielle et financière. Et ces intérêts économiques étaient déjà à l’époque suffisamment puissants pour déterminer la politique générale de la nation. Il pouvait bien y avoir des querelles sur les questions de détail, mais, dans l ensemble, l’oligarchie aristocratique ne savait que trop bien que sa prospérité économique était irrévocablement liée ù celle de la bourgeoisie industrielle et commerçante.

Dès lors la bourgeoisie fut une partie intégrante, modeste certes, mais reconnue comme telle, des classes dirigeantes de l’Angleterre. Avec toutes les autres, elle avait un intérêt commun au maintien de la sujétion de la grande masse ouvrière de la nation. Le marchand ou le manufacturier lui-même occupait la position de maître ou, comme on disait jusqu’à ces derniers temps, de « supérieur naturel » envers ses ouvriers, commis et domestiques. Son intérêt lui commandait de leur soutirer autant de bon travail que possible ; pour cela il devait les former à la soumission convenable. Il était lui-même religieux, la religion lui avait fourni le drapeau sous lequel il avait combattu le roi et les seigneurs ; il ne fut pas long à découvrir les avantages que l’on pouvait tirer de cette même religion pour agir sur l’esprit de ses inférieurs naturels et pour les rendre dociles aux ordres des maîtres qu’il avait plu à Dieu de placer au- dessus d’eux. Bref, la bourgeoisie anglaise avait désormais à prendre sa part dans l’oppression des « classes inférieures », de la grande masse productrice de la nation, et un de ses instruments d’oppression fut l’influence de la religion.

Un autre fait contribua à renforcer les penchants religieux de la bourgeoisie : la montée du matérialisme en Angleterre. Cette nouvelle doctrine non seulement scandalisait les dévots de la bourgeoisie, mais elle s’annonçait comme une philosophie qui ne convenait qu’aux lettrés et aux gens du monde cultivés, par opposition à la religion qui était tout juste bonne pour la grande masse inculte, y compris la bourgeoisie. Avec Hobbes, le matérialisme apparut sur la scène, comme défenseur de l’omnipotence et des prérogatives royales ; il faisait appel à la monarchie absolue pour maintenir sous le joug ce puer robustus sed malitiosus qu’était le peuple. Il en fut de même avec les successeurs de Hobbes, avec Bolingbroke, Shaftesbury, etc. ; la nouvelle forme déiste du matérialisme demeura une doctrine aristocratique, ésotérique et par conséquent odieuse à la bourgeoisie et par son hérésie religieuse, et par ses associations politiques anti-bourgeoises. Par conséquent, en opposition à ce matérialisme et à ce déisme aristocratiques, les sectes protestantes qui avaient fourni son drapeau et ses combattants à la guerre contre les Stuarts, continuèrent à constituer la force principale dé la classe moyenne progressive et forment aujourd’hui encore l’épine dorsale du « grand Parti libéral ». »

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Marx-Engels on English Revolution

Faut-il réhabiliter le révolutionnaire anglais Cromwell ?

Quand Charles II a rétabli la royauté en Angleterre, momentanément renversée par la révolution bourgeoise et populaire anglaise de Cromwell, il fit déterrer et traîner à Tyburn le cadavre de l’ancien Lord Protecteur du Commonwealth et l’a pendu au gibet. Sa tête a été exposée pendant vingt ans devant Westminster Hall. La royauté française de la Restauration n’en avait pas fait autant des dirigeants révolutionnaires !!!

La royauté anglaise tenait à effacer tout sentiment de sympathie populaire à l’égard de la révolution sociale et politique qu’avait connu le pays !

Voici ce qu’écrit Guizot sur Cromwell dans son « Histoire générale de la civilisation en Europe » :

« Les trois grands partis de la révolution avaient donc été successivement appelés à la conduire, à gouverner le pays selon leur science et leur volonté, et ils ne l’avaient pu ; ils avaient tous les trois échoué complètement ; ils ne pouvaient plus rien. Ce fut alors, dit Bossuet, « qu’un homme se rencontra qui ne laissait rien à la fortune de ce qu’il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance ; » expression pleine d’erreur et que dément toute l’histoire. Jamais homme n’a plus laissé à la fortune que Cromwell ; jamais homme n’a plus hasardé, n’a marché plus témérairement, sans dessein, sans but, mais décidé à aller aussi loin que le porterait le sort. Une ambition sans limite, et une admirable habileté pour tirer de chaque jour, de chaque circonstance, quelque progrès nouveau, l’art de mettre la fortune à profit sans jamais prétendre la régler, c’est là Cromwell. Il lui est arrivé ce qui n’est arrivé peut-être à aucun autre homme de sa sorte ; il a suffi à toutes les phases, aux phases les plus diverses de la révolution ; il a été l’homme des premiers et des derniers temps, d’abord le meneur de l’insurrection, le fauteur de l’anarchie, le révolutionnaire le plus fougueux de l’Angleterre, ensuite l’homme de la réaction antirévolutionnaire, l’homme du rétablissement de l’ordre, de la réorganisation sociale ; jouant ainsi à lui seul tous les rôles que, dans le cours des révolutions, se partagent les plus grands acteurs. On ne peut dire que Cromwell ait été Mirabeau ; il manquait d’éloquence et que très-actif, n’obtint, dans les premières années du long parlement, aucun éclat. Mais il a été successivement Danton et Buonaparte. Il avait plus que nul autre contribué à renverser le pouvoir ; il le releva parce que nul autre que lui ne le sut prendre et manier ; il fallait bien que quelqu’un gouvernât ; tous y échouaient ; il y réussit. Ce fut là son titre. Une fois maître du gouvernement, cet homme dont l’ambition s’était montrée si hardie, si insatiable, qui avait toujours marché poussant devant lui la fortune, décidé à ne s’arrêter jamais, déploya un bon sens, une prudence, une connaissance du possible, qui dominaient ses plus violentes passions. Il avait sans doute un goût extrême de pouvoir absolu et un très-vif désir de mettre la couronne sur sa tête et dans sa famille. Il renonça à ce dernier dessein dont il sut reconnaître à temps le péril ; et quant au pouvoir absolu, quoiqu’il l’exerçât en fait, il comprit toujours que le caractère de son temps était de n’en pas vouloir, que la révolution à laquelle il avait coopéré, qu’il avait suivie dans toutes ses phases, avait été faite contre le despotisme, et que le vœu impérissable de l’Angleterre était d’être gouvernée par un parlement et dans les formes parlementaires. Lui-même alors, despote de goût et de fait, il entreprit d’avoir un parlement et de gouverner parlementairement. Il s’adressa successivement à tous les partis ; il tenta de faire un parlement avec les enthousiastes religieux, avec les républicains, avec les presbytériens, avec les officiers de l’armée. Il tenta toutes les voies pour constituer un parlement qui pût et voulût marcher avec lui. Il eut beau chercher ; tous les partis, une fois siégeant dans Westminster, voulaient lui arracher le pouvoir qu’il exerçait, et dominer à leur tour. Je ne dis pas que son intérêt, sa passion personnelle, ne fût pas sa première pensée. Il n’en est pas moins certain que, s’il avait abandonné le pouvoir, il eût été obligé de le reprendre le lendemain. Puritains ou royalistes, républicains ou officiers, nul autre que Cromwell n’était alors en état de gouverner avec quelque ordre et quelque justice. L’épreuve avait été faite. Il y avait impossibilité à laisser les parlements, c’est-à-dire les partis siégeant en parlement, prendre l’empire qu’ils ne pouvaient garder. Telle était donc la situation de Cromwell : il gouvernait dans un système qu’il savait très bien n’être pas celui du pays ; il exerçait un pouvoir reconnu nécessaire, mais qui n’était accepté de personne. Aucun parti n’a regardé sa domination comme un gouvernement définitif. Les royalistes, les presbytériens, les républicains, l’armée elle-même, le parti qui semblait le plus dévoué à Cromwell, tous étaient convaincus que c’était un maître transitoire. Au fond il n’a jamais régné sur les esprits ; il n’a jamais été qu’un pis-aller, une nécessité de moment. Le Protecteur, le maître absolu de l’Angleterre a été toute sa vie obligé de faire des tours de force pour retenir le pouvoir ; aucun parti ne pouvait gouverner comme lui, mais aucun ne voulait de lui : il fut constamment attaqué par tous à la fois.

A sa mort, les républicains seuls étaient en mesure de porter la main sur le pouvoir ; ils le firent, et ne réussirent pas mieux qu’ils n’avaient déjà fait. Ce ne fut pas faute de confiance, du moins dans les fanatiques du parti. Une brochure de Milton, publiée à cette époque, et pleine de talent et de verve, est intitulée : Un aisé et prompt moyen d’établir la république. Vous voyez quel était l’aveuglement de ces hommes. Ils retombèrent bientôt dans cette impossibilité de gouverner qu’ils avaient déjà subie. Monk prit la conduite de l’événement qu’attendait toute l’Angleterre. La restauration s’accomplit.

La restauration des Stuart a été en Angleterre un événement très-national. Elle se présentait à la fois avec les mérites d’un gouvernement ancien, d’un gouvernement qui repose sur les traditions, sur les souvenirs du pays, et les avantages d’un gouvernement nouveau, dont on n’a pas fait la récente épreuve, dont on n’a pas subi naguère les fautes et le poids. L’ancienne monarchie était le seul système de gouvernement qui depuis vingt ans n’eût pas été décrié par son incapacité et son mauvais succès dans l’administration du pays. Ces deux causes rendirent la restauration populaire ; elle n’eut contre elle que la queue des partis violents ; le public s’y rallia très-sincèrement. C’était dans l’opinion du pays la seule chance, le seul moyen de gouvernement légal, c’est-à-dire de ce que le pays désirait avec le plus d’ardeur. Ce fut là aussi ce que promit la restauration, ce fut sous l’aspect de gouvernement légal qu’elle eut soin de se présenter.

Le premier parti royaliste qui prit, au retour de Charles II, le maniement des affaires, fut en effet le parti légal, représenté par son plus habile chef, le grand chancelier Clarendon. Vous savez que, de 1660 à 1667, Clarendon fut premier ministre, et la véritable influence dominante en Angleterre. Clarendon et ses amis reparurent avec leur ancien système, la souveraineté absolue du roi, contenue dans les limites légales, réprimée, soit par les chambres en matière d’impôts, soit par les tribunaux en matière de droits privés, de libertés individuelles ; mais possédant, en fait de gouvernement proprement dit, une indépendance presque entière, et la prépondérance la plus décisive, à l’exclusion ou même contre le vœu de la majorité des chambres, et notamment de la chambre des communes ; du reste assez de respect de l’ordre légal, assez de sollicitude des intérêts du pays, un sentiment assez noble de sa dignité, une couleur morale assez grave et honorable ; tel est le caractère de l’administration de Clarendon pendant sept années. Mais les idées fondamentales sur lesquelles cette administration reposait, la souveraineté absolue du roi, et le gouvernement placé hors de l’influence prépondérante des chambres, ces idées, dis-je, étaient vieilles, impuissantes. Malgré la réaction des premiers moments de la restauration, vingt ans de domination parlementaire contre la royauté les avaient ruinées sans retour. Bientôt éclata dans le sein du parti royaliste un nouvel élément, des esprits libres, des roués, de mauvais sujets, qui participaient aux idées du temps, comprenaient que la force était dans les communes, et se souciant assez peu de l’ordre légal ou de la souveraineté absolue du roi, ne s’inquiétaient que du succès et le cherchaient partout où ils entrevoyaient quelque moyen d’influence et de pouvoir. Ils formèrent un parti qui s’allia avec le parti national mécontent, et Clarendon fut renversé.

Alors arriva un nouveau système de gouvernement, celui de cette portion du parti royaliste que je viens de décrire ; les roués, les libertins formèrent le ministère qu’on appela le ministère de la Cabale, et plusieurs des administrations qui lui succédèrent. »

Après la mort d’Oliver Cromwell, le 3 septembre 1658, celui-ci eut droit à une cérémonie funèbre publique à l’abbaye de Westminster, à la manière des rois qui l’avaient précédé. Après avoir défait et exécuté le roi Charles Ier pendant la Première Révolution anglaise, Cromwell était devenu Lord Protecteur, dirigeant du Commonwealth d’Angleterre. Lui succéda alors son fils, Richard Cromwell, qui, bientôt, fut renversé par l’armée en 1659, après la réinstallation de la monarchie et le rappel de Charles II, alors en exil. Le parlement de Charles ordonna l’exhumation de la dépouille de Cromwell de l’abbaye de Westminster, en plus de celles d’autres régicides, dont John Bradshaw et Henry Ireton, pour une exécution posthume, à Tyburn. Après les avoir pendus et laissés suspendus « du matin à quatre heures de l’après-midi », les corps furent découpés et les têtes empalées sur des piques de six mètres, au-dessus du palais de Westminster. En 1685, une tempête brisa la pique, jetant la tête à terre, après quoi elle circula des mains de collectionneurs particuliers à celles de propriétaires de musées, jusqu’au 25 mars 1960, jour où elle fut enterrée au Sidney Sussex College de Cambridge.

Fichée au bout de sa pique au-dessus de l’horizon londonien, la tête constituait un puissant avertissement pour les spectateurs. Au XVIIIe siècle, elle devint une curiosité, une relique. Elle fut admirée, fustigée, puis niée, considérée comme fausse. Après que Thomas Carlyle eut nié l’existence de la tête, déclarant qu’il s’agissait d’une « rumeur frauduleuse » et, après l’apparition d’un nouvel individu prétendant posséder la tête, des analyses scientifiques et archéologiques furent menées, dans le but d’en identifier l’origine. Des tests sans résultats tangibles aboutirent à un rapport détaillé de Karl Pearson et de Geoffrey Morant concluant, qu’après une étude approfondie de la tête et d’autres indices et preuves, l’appartenance de la tête à Cromwell était une « certitude morale ».

« La révolution anglaise », de Charles Ier à Cromwell, d’après Michel Duchein

« La révolution russe » de Léon Trotsky, chapitre « La dualité de pouvoirs » :

« La révolution anglaise du XVIIe siècle, précisément parce que c’était une grande révolution qui bouleversa la nation de fond en comble, représente nettement les alternatives de dualité des pouvoirs avec les violents passages de l’un à l’autre, sous l’aspect de la guerre civile.

D’abord, au pouvoir royal, appuyé sur les classes privilégiées ou les sommets des classes, aristocrates et évêques, s’opposent la bourgeoisie et les couches proches d’elle des hobereaux. Le gouvernement de la bourgeoisie est le Parlement presbytérien qui s’appuie sur la City londonienne. La lutte prolongée de ces deux régimes se résout par une guerre civile ouverte. Deux centres gouvernementaux, Londres et Oxford, créent leurs armées, la dualité des pouvoirs prend forme territorialement, quoique, comme toujours dans une guerre civile, les limitations territoriales soient extrêmement instables. Le parlement l’emporte. Le roi, fait prisonnier, attend son sort.

Il semblerait que se constituent les conditions du pouvoir unique de la bourgeoisie presbytérienne. Mais, avant encore que soit brisé le pouvoir royal, l’armée du parlement se transforme en une force politique autonome. Elle rassemble dans ses rangs les indépendants, les petits bourgeois, artisans, agriculteurs, dévots et résolus. L’armée se mêle autoritairement à la vie sociale, non simplement en tant que force d’armée, non comme garde prétorienne, mais comme représentation politique d’une nouvelle classe opposée à la bourgeoisie aisée et riche. En conséquence, l’armée crée un nouvel organe d’État qui se dresse au-dessus des chefs militaires : un conseil de députés soldats et officiers (" agitateurs "). Vient alors une nouvelle période de double pouvoir : ici, le parlement presbytérien, là, l’armée indépendante. La dualité du pouvoir conduit au conflit déclaré. La bourgeoisie se trouve impuissante à dresser contre 1’" armée modèle " de Cromwell - c’est-à-dire la plèbe en armes - ses propres troupes. Le conflit se termine par l’épuration du parlement presbytérien à l’aide du sabre de l’indépendance. Du parlement reste une séquelle, la dictature de Cromwell s’établit. Les couches inférieures de l’armée, sous la direction des " levellers " (niveleurs), aile extrême-gauche de la révolution, tentent d’opposer à la domination des hautes sphères militaires, des grands de l’armée, lotir propre régime, authentiquement plébéien. Mais le nouveau double pouvoir ne parvient pas à se développer : les " levellers ", les basses couches de la petite bourgeoisie, n’ont pas encore et ne peuvent avoir de voie indépendante dans l’histoire, Cromwell a tôt fait de régler leur compte à ses adversaires. Un nouvel équilibre politique, d’ailleurs loin de la stabilité, s’instaure pour un certain nombre d’années. »

Oliver Cromwell (né en avril 1599) fit de l’Angleterre une république, abolissant la monarchie et la Chambre des lords, après l’exécution de Charles Ier, en janvier 1649. Cependant, le règne de Cromwell, en tant que Lord Protecteur (qui débuta en décembre 1653), n’était pas différent de celui de son prédécesseur. Il se maintint seul, au pouvoir illimité, et vécut dans plusieurs palais royaux qui, autrefois, hébergèrent l’ancienne dynastie régnante. En 1657, le parlement lui offrit solennellement le titre de roi mais, après « une agonie de conscience », il le refusa. Durant l’année 1658, Cromwell souffrait de maladie et de tragédies personnelles, le laissant faible. Il mourut l’après-midi du 3 septembre 1658.

Sa mort et ses funérailles suivirent le même protocole que celui qui était accordé aux monarques. Le 20 septembre 1658, son corps fut déplacé à Somerset House où il fut exposé allongé, afin de le présenter aux yeux du public qui fut autorisé à rendre hommage à sa dépouille, le 18 octobre. Le corps avait été embaumé, couvert et installé dans un cercueil de plomb qui, lui-même, fut placé dans un cercueil de bois, orné richement. Le tout fut placé près d’une statue à son effigie, décorée des symboles royaux, incluant « Un tissu de velours … entouré d’un lacet fait d’or, en plus de fourrures d’hermines ». La procession funèbre, reportée par deux fois tant elle fut élaborée avec soin, traversa Londres, le 23 novembre 1658. Le corps avait déjà été enterré à l’abbaye de Westminster, deux semaines avant l’évènement, pour prévenir les risques de décomposition, la procession funèbre ayant lieu trois mois après sa mort. Un catafalque fut érigé, afin d’abriter ce cercueil qui ressemblait à celui du roi Jacques Ier, étant seulement « plus artistique et plus onéreux ».

Le corps de Cromwell demeura intact jusqu’à la Restauration anglaise, sous l’égide du fils de Charles, Charles II, en 1660. Après leurs procès, douze des régicides survivants (ceux ayant participé au procès et à l’exécution de Charles Ier) furent pendus, traînés dans les rues et équarris — c’est-à-dire, traînés dans les rues par une claie jusqu’à la potence, pendus par le cou, éventrés vivants, étêtés et démembrés (coupés en quatre quartiers). De plus, le parlement reformé ordonna l’exécution posthume des défunts Oliver Cromwell, John Bradshaw et Henry Ireton. Les lois relatives à la trahison placent la dépouille d’un traître entre les mains du roi. Les têtes des traîtres étaient souvent exposées sur des ponts, la Tour de Londres, ou encore d’autres points d’affluence de la ville, alors que les quartiers étaient souvent expédiés dans différentes villes de provinces voisines.

Caché dans le mur de l’aile centrale de la chapelle d’Henri VII, le corps de Cromwell fut laborieusement extrait tant le bois et les vêtements furent difficiles à déplacer. Le 28 janvier 1661, les corps de Cromwell et Ireton furent déplacés au Red Lion Inn à Holborn, rejoints, le jour suivant, par la dépouille de Bradshaw, avant d’être emmenés à Tyburn pour l’exécution. Au matin du 30 janvier 1661, date de l’anniversaire de Charles Ier, les corps enturbannés dans leurs cercueils ouverts furent traînés par une charrette jusqu’au gibet, où chacun fut pendu devant une foule nombreuse, aux environs de quatre heures de l’après-midi. La tête de Cromwell fut arrachée en étant bastonnée huit fois, empalée sur une pique de six mètres, et plantée au-dessus du Westminster Hall. Il existe une quantité de théories conspirationnistes qui s’interrogent sur le sort du corps. Une rumeur émet la possibilité que Mary, la fille de Cromwell, l’aurait subtilisé après la décapitation et enterré dans le jardin de la demeure de son mari, à Newburgh Priory. Une crypte, scellée par un rocher massif, fut suspectée d’héberger les restes de Cromwell, mais les descendants de Cromwell refusèrent les demandes d’ouverture, dont une d’Édouard VII. Le biographe John Morill déclara qu’il était fort probable que le corps de Cromwell eût été jeté dans une fosse, à Tyburn, où il resta.

Charles 1er, roi d’Angleterre, qui n’a besoin du parlement que pour lever des impôts, a besoin d’argent, mais sait qu’il ne peut compter sur un réel soutien de la part des parlementaires, s’abstient de convoquer le parlement. Il a recours à des moyens détournés pour tenter d’augmenter ses revenus. Ces procédés ne sont pas illégaux, mais sont perçus comme contraires aux libertés, et entretiennent des rancœurs.

Des réformes religieuses suscitent également des hostilités. En Angleterre, les puritains accusent sans raison Charles de vouloir rétablir le catholicisme et protéger les rentes de situation par des monopoles.

En Écosse, les dissensions sont plus graves encore. La politique des plantations en Irlande déclenche la colère. Expropriés, des milliers d’Irlandais ont dû migrer dans les années 1630, comme engagés volontaires, sur la petite île antillaise de la Barbade. Il a été calculé qu’en 1641 près de 125 000 colons s’étaient installés en Irlande. Ces spoliations exacerbent les tensions avec les Écossais qui avaient émigré au début des années 1600 en Irlande. Charles Ier est accusé de favoriser les hommes de cour. Un de ses proches, Thomas Wentworth, Lord Deputy d’Irlande depuis 1632, accéléra les plantations en Irlande, déclenchant en 1639 les guerres des évêques en Écosse qui conduisent à son exécution en 1641 par le parlement.

Charles, voulant unifier les pratiques religieuses de ces deux royaumes, cherche à imposer en Écosse un nouveau livre de prières sur le modèle anglican. L’entreprise aboutit à des émeutes qui s’enveniment ; la guerre civile éclate et les insurgés écossais connaissent des succès.

En 1640, pour faire face à la rébellion, Charles a besoin de lever de nouveaux impôts. Un nouveau parlement est convoqué. Celui-ci profite de l’occasion pour exposer ses griefs au roi, qui le dissout au bout de quelques semaines, c’est le court parlement. Charles reprend donc la guerre en Écosse sans nouveaux moyens financiers. Mais, face à une situation financière intenable, il se résigne en novembre à convoquer un nouveau parlement.

Le nouveau parlement se montre encore plus hostile envers Charles : il fait passer plusieurs lois destinées à défendre ses droits contre le pouvoir royal, notamment la Grande Remontrance. Le parlement interdit notamment au roi de le dissoudre. À partir de ce moment on proposera au Roi différentes voies possibles pour envisager une issue au conflit. Le roi s’opposera à chacune des propositions qui lui seront faites, jugeant qu’elles menacent l’institution royale, et c’est précisément pour ces raisons que la guerre éclatera.

La Première guerre civile a lieu de 1642 à 1646. Le long parlement contourne la volonté du roi et monte une armée dirigée par le comte d’Essex (en), afin de contrer une invasion écossaise ainsi que les actions de reprise de pouvoir du roi par les Royalists.

Parmi les forces royalistes se distingue un neveu du roi le prince Rupert. Charles Ier disposait de près de 10 000 hommes, mercenaires pour la plupart, dont la solde posait un problème financier aigu. Parmi les forces parlementaires, il y avait un puritain représentant au Parlement, Oliver Cromwell. Ce dernier fut graduellement pressenti comme un successeur possible à Charles 1er notamment pour ses vertus militaires. En effet, suite aux tournures des débuts de la Première guerre civile, la New Model Army est constituée par le Parlement grâce à l’arrivée des Écossais. C’est Cromwell qui semblait aux yeux du Parlement le meilleur pour accomplir cette tâche de mettre en place l’Armée nouveau modèle (New Model Army, composée de soldats professionnels soudés par une foi intense, dont le fer de lance étaient les célèbres régiments de cavalerie des « Têtes rondes »). De ce moment débute l’ascension de Cromwell vers le pouvoir.

D’octobre 1642 à octobre 1643, pendant cette période d’un an, les Royalistes remportèrent plusieurs succès, s’emparant notamment de Bristol, du Yorkshire et de la Cornouaille. Toutefois, leurs victoires de Edgehill en octobre 1642 et de Newbury ne furent pas décisives, et Londres resta hors d’atteinte. La fortune changea de camp lorsque les Écossais rejoignirent le camp des Parlementaires dirigés par Olivier Cromwell, en échange de la promesse d’établir un système presbytérien en Angleterre. Leur aide permit à Oliver Cromwell de battre les Royalistes à Marston Moor en juillet 1644 et à la seconde bataille de Newbury en octobre 1644. Défait successivement à Naseby en juin et à Langport en juillet 1645, dans l’incapacité financière de lever d’autres troupes, Charles Ier choisit de se rendre aux Écossais en mai 1646.

Pendant la guerre civile, le Parlement (dont les effectifs avaient diminué au point de ne compter guère plus de 150 députés) avait disposé tant de pouvoirs législatifs que de pouvoirs exécutifs. Ses décisions étaient prises sous forme d’ordonnances ayant force de loi. Après la mort de John Pym en décembre 1643, qui avait fait figure de chef virtuel de la révolution, le centre de gravité des Communes avait glissé vers les éléments les plus intransigeants qui réclamaient une totale liberté de conscience, une Église décentralisée, sans évêque ni tutelle royale. L’indépendance totale de chaque paroisse en serait le principe de base. Hostiles à tout compromis avec le roi, les indépendants voulaient arriver à l’abolition pure et simple de la monarchie. La réforme de l’Église fut mise en œuvre petit à petit : l’exécution de William Laud en janvier 1645 fut un symbole, mais la mesure essentielle fut la suppression de l’épiscopat. En pleine tentative de négociation, le roi rejeta en août 1647 un projet constitutionnel soumis par le gendre de Cromwell, Henry Ireton, qui lui retirait tout contrôle sur l’armée et la politique étrangère. Pour sortir de l’impasse, Charles Ier se réconcilia avec les Écossais : il envahit l’Angleterre en avril-mai 1648. Cette seconde guerre civile s’acheva dès le mois d’août par la victoire de Cromwell sur les Écossais à Preston.

Le Parlement impose le jugement du roi et Oliver Cromwell participe au procès qui se déroule du 20 au 27 janvier 1649 devant un tribunal spécial, choisi par la soixantaine de députés siégeant encore aux Communes (Parlement croupion). La condamnation de « Charles Stuart » pour haute trahison est acquise d’avance. Cromwell et d’autres personnages importants du pouvoir signeront la condamnation à mort du roi Charles. Il est décapité à Whitehall, près de Westminster, le 30 janvier 1649, à l’âge de 48 ans.

La Chambre des lords est supprimée le 6 février et la royauté est abolie le 89.

La troisième guerre civile a lieu de 1649 à 1651. Tandis que la conquête cromwellienne de l’Irlande continue, une partie de la New Model Army est rappelée en Écosse afin de lutter contre les Covenanters, au début de la troisième guerre civile. Charles II est en exil et a été couronné en Écosse. Il s’efforce de prendre le commandement des armées écossaises.

Trotsky, dans « Où va l’Angleterre ? » :

« Deux traditions : La Révolution du XVIIe siècle et le chartisme

« Le rédacteur du Daily Herald doutait récemment qu’il soit permis de qualifier Olivier Cromwell de " pionnier du mouvement ouvrier ". Un des collaborateurs du même journal, opinant dans le même sens, rappelait l’implacable répression du mouvement des Levellers - la secte des Niveleurs (communistes) - par Cromwell. Ces réflexions et ces renseignements sont extrêmement caractéristiques quant à la conception de l’histoire qui est celle des dirigeants du Labour Party. Qu’Olivier Cromwell ait été le premier de la société bourgeoise et non de la société socialiste, voilà semble-t-il un fait à la démonstration duquel il serait superflu de consacrer deux mots. Ce grand bourgeois révolutionnaire fut un adversaire du suffrage universel, où il voyait un danger pour la propriété privée. MM. Webb déduisent d’ici, soit dit en passant, l’incompatibilité de la démocratie et du capitalisme, oubliant sciemment que le capitalisme a appris à s’accommoder au mieux de la démocratie et à manier l’instrument du suffrage universel tout aussi bien que celui de la Bourse [1]. Les ouvriers anglais peuvent néanmoins apprendre beaucoup plus chez Cromwell que chez Macdonald, Snowden, Webb et toute la confrérie conciliatrice. Cromwell fut en son temps un grand révolutionnaire et sut défendre, sans s’arrêter devant rien, les intérêts de la nouvelle société bourgeoise contre l’ancienne société aristocratique. C’est ce qu’il faut apprendre chez lui ; le lion mort du XVIIe siècle vaut à cet égard beaucoup mieux que quantité de chiens vivants.

A la suite de tous les auteurs vivants - ce ne sont pas des lions - des éditoriaux du Manchester Guardian et d’autres organes libéraux, les leaders du parti ouvrier opposent habituellement la démocratie à tous les gouvernements despotiques, qu’il s’agisse de la dictature de Lénine ou de celle de Mussolini. La stupidité des vues historiques de ces messieurs ne s’exprime en rien mieux qu’en cette juxtaposition. Non que nous soyons enclins à nier après coup la dictature de Lénine, dont le pouvoir fut exceptionnel si l’on en envisage son influence réelle sur tout le cours des choses dans un immense État. Mais est-il permis de parler d’une dictature en faisant omission de son contenu historico-social ? L’histoire a connu la dictature de Cromwell, celle de Robespierre, celle d’Araktchéieff, celle de Napoléon Ier, celle de Mussolini. Il n’y a pas lieu de discuter avec l’imbécile qui met sur le même plan un Robespierre et un Araktchéieff. Des classes différentes se sont trouvées, dans des conditions différentes, obligées, à des fins différentes, de confier, dans les périodes de leur histoire les plus difficiles impliquant le plus de responsabilité, une force et un pouvoir exceptionnels à ceux d’entre leurs chefs qui s’inspiraient le plus complètement et le plus manifestement de leurs intérêts fondamentaux. Quand il s’agit de la dictature, il importe avant tout d’élucider quels intérêts, les intérêts de quelle classe y trouvent leur expression historique. Olivier Cromwell à une époque, Robespierre à une autre, exprimèrent les tendances progressistes historiques du développement de la société bourgeoise. William Pitt, qui fut aussi très proche de la dictature personnelle, défendit les intérêts de la monarchie, des classes privilégiées, des sommets de la bourgeoisie, contre la Révolution de la petite bourgeoisie, exprimée par la dictature de Robespierre. Les cuistres libéraux se disent habituellement adversaires de la dictature de droite comme de la dictature de gauche, sans manquer toutefois une occasion de soutenir, dans la pratique, la dictature de droite. Pour nous, par contre, la question se résout ainsi : une dictature pousse la société de l’avant, une autre la tire en arrière. La dictature de Mussolini est celle de la bourgeoisie italienne prématurément pourrie, impuissante, rongée jusqu’à la moelle des os ; elle porte la marque des accidents tertiaires du mal mortel. La dictature de Lénine exprime la puissante montée d’une nouvelle classe historique et son duel surhumain avec toutes les forces de la vieille société. S’il faut comparer Lénine à quelqu’un, ce n’est pas à Bonaparte, c’est d’autant moins à Mussolini, c’est à Cromwell et à Robespierre. On est assez en droit de voir en Lénine le Cromwell prolétarien du XXe siècle. Cette définition sera l’apologie la plus haute du Cromwell petit-bourgeois du XVIIe siècle.

La bourgeoisie française, ayant falsifié la Grande Révolution, l’a adoptée, monnayée en billon et mise en circulation. La bourgeoisie anglaise a effacé jusqu’au souvenir de la Révolution du XVIIe siècle, ayant dissous tout son passé dans l’idée de " gradation ". Les ouvriers avancés d’Angleterre ont à découvrir la Révolution britannique et, en elle, sous les écailles de la religiosité, la lutte formidable des forces sociales. Le prolétariat anglais peut trouver, dans le drame du XVIIe siècle, de grands précédents d’action révolutionnaire. Tradition nationale aussi, mais tout à fait légitime, tout à fait à sa place dans l’arsenal de la classe ouvrière. Une autre grande tradition nationale du mouvement prolétarien anglais est dans le chartisme. La connaissance de ces deux époques est indispensable à tout ouvrier anglais conscient. Elucider le sens historique de la Révolution du XVIIe siècle et le contenu révolutionnaire du chartisme est un des devoirs les plus importants des marxistes anglais.

Étudier l’époque révolutionnaire du développement de l’Angleterre, époque qui dura à peu près de la convocation forcée du Parlement par Charles Stuart jusqu’à la mort d’Olivier Cromwell, est, avant tout, nécessaire pour comprendre la place du parlementarisme et, en général, du droit dans l’histoire vivante et non imaginaire. Le grand historien national Macaulay diminue le drame social du XVIIe siècle en voilant la lutte intestine des forces sociales sous des lieux communs souvent intéressés, mais toujours conservateurs. Le conservateur français Guizot [2] aborde les événements avec plus de profondeur. Quoi qu’il en soit, quelque exposé que l’on prenne, l’homme qui, sait lire, capable d’apercevoir, sous les ombres historiques, les réalités vivantes, physiques, les classes, les fractions, se convaincra par l’expérience de la Révolution anglaise, du rôle subalterne, auxiliaire et conventionnel du droit dans la mécanique des luttes sociales, surtout aux époques révolutionnaires, lorsque les intérêts fondamentaux des classes fondamentales de la société sont en jeu.

Nous voyons en Angleterre, vers 1630-1640, un Parlement fondé sur le droit électoral le plus singulier et pourtant considéré comme la représentation du peuple.

La Chambre basse représentait la nation en représentant la bourgeoisie et par conséquent les richesses nationales. Il fut établi sous le règne de Charles Ier, non sans stupéfaction, que la Chambre des députés était trois fois plus riche que celle des lords. Le roi dissolvait ce Parlement et le convoquait à nouveau quand ses besoins financiers l’y obligeaient. Le Parlement crée pour se défendre une armée. L’armée concentre, peu à peu, en elle, tous les éléments les plus actifs, les plus virils, les plus résolus. C’est justement la raison pour laquelle le Parlement capitule devant l’armée. La raison, disons-nous. Nous entendons par là que le Parlement capitule non devant une force armée - il n’avait pas capitulé devant l’armée du roi - mais devant l’armée puritaine de Cromwell, qui exprime plus hardiment, plus résolument et avec plus d’esprit de suite que le Parlement même les besoins de la Révolution.

Les partisans de l’Église épiscopale ou anglicane, à demi catholique, formaient le parti de la Cour, de la noblesse et, naturellement, du haut clergé. Les presbytériens formaient le parti de la bourgeoisie, le parti de la richesse et des " lumières ". Les " indépendants " et surtout les puritains étaient le parti de la petite bourgeoisie et de la petite propriété. Les Levellers (niveleurs) étaient le parti naissant de la gauche de la bourgeoisie ou plèbe. Sous les apparences des querelles d’Églises, sous la forme de la lutte pour l’organisation religieuse de l’Église, les classes se déterminaient et se regroupaient sur de nouvelles bases bourgeoises. En politique, le parti presbytérien était pour une monarchie limitée ; les " indépendants ", qui s’appelaient alors " réformateurs radicaux " (Root and Branch Men) étaient pour la République. La dualité des presbytériens correspondait parfaitement aux intérêts contradictoires de la bourgeoisie, prise entre la noblesse et la plèbe. Le parti des " indépendants ", qui osait pousser les idées et les mots d’ordre jusque dans leurs ultimes développements, élimina naturellement les presbytériens parmi les masses petites bourgeoises réveillées de la petite bourgeoisie des villes et des campagnes, facteur principal de la Révolution.

Les événements se développaient empiriquement. Luttant pour le pouvoir et pour des intérêts de possédants, les deux adversaires se mettaient sous le couvert de la légalité. Guizot l’expose très bien :

" Alors commença, entre le Parlement et lui (Charles Ier), une lutte jusque là sans exemple en Europe. Les négociations continuèrent, mais sans que l’un ni l’autre parti en espérât rien, ou se proposât même de traiter. Ce n’était plus l’un à l’autre qu’ils s’adressaient dans leurs déclarations et leurs messages, tous deux parlaient à la nation entière, à l’opinion publique : de cette puissance nouvelle, tous deux semblaient attendre leur force et leur succès, L’origine et l’étendue du pouvoir royal, les privilèges des Chambres, les limites du devoir de fidélité imposé aux sujets, la milice, les pétitions, la disposition des emplois devint l’objet d’une controverse officielle, où les principes généraux de l’ordre social, la diverse nature des gouvernements, les droits primitifs de la liberté, l’histoire, les lois, les coutumes de l’Angleterre, étaient allégués, expliqués, commentés tour à tour. Entre les débats des deux partis au sein des Chambres et leur rencontre à main armée sur les champs de bataille, on ,vit le raisonnement et la science s’interposer, pour ainsi dire, durant plusieurs mois, suspendre le cours des événements, et déployer leurs plus habiles efforts pour conquérir la libre adhésion des peuples, en imprimant à l’une ou à l’autre cause le caractère de la légitimité.

" Au moment de tirer l’épée tous s’étonnèrent et s’émurent… Maintenant, les deux partis s’accusaient réciproquement d’illégalité et d’innovation, et tous deux avec justice, car l’un avait violé les anciens droits du pays, et n’abjurait point les maximes de la tyrannie, l’autre réclamait, en vertu de principes encore confus, des libertés et un pouvoir jusque là inconnus. " [3]

Au fur et à mesure que se déroulait la guerre civile, les royalistes les plus actifs quittaient la Chambre des Communes de Westminster et la Chambre des Lords et se rendaient à York, au quartier général de Charles : le Parlement se scindait, comme à toutes les grandes époques révolutionnaires. En pareil cas, le fait que la majorité légale soit, dans une circonstance où dans une autre, du côté de la Révolution ou du côté de la réaction, n’est pas décisif.

A un certain moment de l’histoire politique, le sort de la démocratie dépendit non du Parlement - aussi terrible que ce soit pour les pacifistes scrofuleux, - mais de la cavalerie. Dans la première phase de la lutte, la cavalerie royale, l’arme la plus importante à l’époque, porta la terreur dans les rangs de la cavalerie du Parlement. Fait digne de remarque, nous observons le même phénomène dans les Révolutions ultérieures et surtout dans la guerre civile des États-Unis d’Amérique, où la cavalerie sudiste eut, au début, une indéniable supériorité sur la cavalerie nordiste, et enfin, dans notre Révolution, dans la première période de laquelle les cavaliers blancs nous portèrent des coups cruels avant d’apprendre aux ouvriers à bien se tenir en selle. De par son origine, la cavalerie est l’arme la plus familière à la noblesse. La cavalerie royale avait une cohésion beaucoup plus grande et faisait preuve de plus de résolution que la cavalerie du Parlement, recrutée au petit bonheur. La cavalerie des sudistes américains était, peut- ou dire, l’arme née des planteurs des plaines, alors qu’on ne faisait, dans le Nord industriel et commerçant que de se familiariser avec le cheval. Enfin, chez nous, les steppes du sud-est, les Vendées cosaques, étaient le foyer principal de la cavalerie blanche. Cromwell comprit de bonne heure, que le sort de sa classe serait décidé par la cavalerie. Il disait à Camden [4] : " Je réunirai des hommes que la crainte de Dieu n’abandonnera jamais, qui n’agiront pas inconsciemment, et je réponds qu’on ne les battra pas. " [5]. Les paroles adressées par Cromwell aux paysans libres et aux artisans qu’il recrutait sont au plus haut point caractéristiques : " Je ne veux pas vous tromper à l’aide des expressions équivoques employées dans les instructions, où il est question de combattre pour le Roi et pour le Parlement. S’il arrivait au Roi de se trouver dans les rangs de l’ennemi, je déchargerais mon pistolet sur lui comme sur n’importe qui ; et si votre conscience vous empêche d’en faire autant, je vous conseille de ne pas vous enrôler sous mes ordres, " [ Ibid., p, 216-217.] Cromwell ne faisait donc pas que former une armée, il formait un parti ; son armée était, dans une certaine mesure, un parti en armes, et c’est justement ce qui fit sa force. En 1644, les escadrons " sacrés " de Cromwell remportaient déjà une brillante victoire sur les cavaliers du roi et recevaient le surnom de " côtes-de-fer ". Il est toujours utile à une Révolution d’avoir des " côtes-de-fer ". A cet égard, les ouvriers anglais ont beaucoup à apprendre chez Cromwell.

Les réflexions de l’historien Macauley sur l’armée puritaine ne sont pas dépourvues d’intérêt : " L’armée recrutée de cette façon, pouvait, sans en subir elle-même de préjudice, jouir de libertés qui, consenties à d’autres troupes, eussent exercé sur la discipline une influence destructrice. De façon générale, des soldats qui se fussent formés en clubs politiques, qui eussent élu des députés et adopté des résolutions sur les questions les plus importantes pour l’État, se fussent promptement soustraits à tout contrôle, cessant de constituer une armée pour devenir la pire et la plus dangereuse des cohues. Il ne serait pas sans danger, à notre époque, de tolérer dans un régiment des réunions religieuses, où le caporal familier avec les Écritures instruirait le colonel moins doué et admonesterait le major de peu de foi. Mais tels étaient la raison, le sérieux et la maîtrise d’eux-mêmes de ces combattants…, que l’organisation politique et l’organisation religieuse pouvaient exister dans leur camp sans nuire à l’organisation militaire. Les mêmes hommes, connus en dehors du service comme des démagogues [6] et des prédicateurs champêtres, se distinguaient par leur fermeté, par leur esprit d’ordre et par leur obéissance absolue au poste, à l’exercice et sur le champ de bataille. " Et plus loin : " Dans son seul camp, la discipline la plus sévère voisinait avec l’enthousiasme le plus ardent, ces troupes, qui allaient au combat avec une précision mécanique, brûlaient en même temps du fanatisme sans frein des croisés. " [7]

Les analogies historiques exigent la plus grande prudence, surtout quand il s’agit du XVIIe et du XXe siècle ; on ne peut pourtant pas n’être pas étonné de certains traits de ressemblance frappante entre les mœurs et le caractère de l’armée de Cromwell et de l’Armée Rouge. Tout était, il est vrai, fondé dans la première, sur la croyance à la prédestination et sur une sévère moralité religieuse ; chez nous, par contre, règne un athéisme militant. Mais la forme religieuse du puritanisme recouvrait la prédication de la mission historique d’une classe nouvelle, et la doctrine de la prédestination était une conception religieuse de la légitimité historique. Les soldats de Cromwell se sentaient, en premier lieu, des puritains, et des soldats rien qu’en second lieu, de même que les nôtres se sentent avant tout des révolutionnaires et des communistes. Mais les différences sont encore plus grandes que les ressemblances. L’Armée Rouge, formée par le parti du prolétariat, reste son arme. L’armée de Cromwell, embrassant son parti, devint elle-même le facteur décisif. Nous voyons l’armée puritaine commencer à s’adapter le Parlement en l’adaptant à la Révolution. L’armée exige l’exclusion du Parlement de 11 presbytériens, représentants de la droite. Les presbytériens, girondins de la Révolution anglaise, tentent d’organiser un soulèvement contre le Parlement. Le Parlement amputé cherche un refuge dans l’armée et se soumet ainsi à elle de plus en plus. Sous la pression de l’armée, et surtout de sa gauche la plus énergique, Cromwell est contraint d’exécuter Charles Ier, La hache de la Révolution est bizarrement secondée par les psaumes. Mais la hache est plus convaincante. Puis le colonel Pride, de l’armée de Cromwell, fait cerner l’édifice du Parlement et en chasse par la force 81 députés presbytériens. Il ne reste du Parlement qu’un croupion. Il est formé des " Indépendants ", c’est-à-dire des coreligionnaires de Cromwell et, de son armée. Mais c’est justement pourquoi le Parlement, qui a soutenu contre la monarchie une lutte grandiose, cesse, au moment de la victoire, d’être la source d’aucune énergie et d’aucune pensée propres. Cromwell, appuyé directement sur l’armée, mais puisant tout compte fait, ses forces dans l’accomplissement hardi des tâches de la Révolution, devient le point de concentration de toute pensée et de toute énergie. Un imbécile, un ignorant ou un Fabien peuvent seuls ne voir en Cromwell que la dictature personnelle. A la vérité, la dictature d’une classe, de la seule qui fût capable de libérer le noyau de la nation des vieux liens et des vieilles chaînes, revêtait ici, au cours d’une profonde transformation sociale, la forme d’une dictature personnelle. La crise sociale de l’Angleterre au XVIIe siècle unit les caractères de la Réforme allemande du XVIe siècle [8] à ceux de la Révolution française du XVIIIe. En Cromwell, Luther tend la main à Robespierre. Les puritains appelaient volontiers leurs ennemis " philistins ", mais il ne s’agissait pas moins de lutte de classe. La tâche de Cromwell était de porter le coup le plus terrible à la monarchie absolue, à la noblesse de Cour et à l’Église à demi catholique, adaptée aux besoins de la monarchie et de la noblesse. Représentant véritable d’une classe nouvelle, Cromwell avait besoin, à cette fin, de la force et de la passion des masses populaires. La Révolution acquit, sous sa direction, toute l’impétuosité qui lui était nécessaire. Pour autant qu’elle sortit, incarnée par les Levellers (niveleurs), des limites assignées par les besoins de la société bourgeoise, en voie de rénovation, Cromwell se montra implacable envers ces " insensés ". Vainqueur, Cromwell, conjuguant les textes bibliques avec les piques de ses " saints " guerriers, - le mot décisif appartient toujours aux piques - entreprit de créer le droit nouveau de l’État. Le 19 avril 1653, Cromwell dispersa les restes du Long Parlement. Conscient de sa mission historique, le dictateur puritain jeta à la face des députés qu’il chassait, les flétrissures bibliques : " Ivrogne ! " criait-il à l’un ; " Adultère ! " rappelait-il à un antre. Puis il créa un parlement d’hommes inspirés par la crainte de Dieu, c’est-à-dire, en réalité, un parlement de classe : car la classe moyenne, celle qui, s’aidant d’une, sévère moralité, procédait à l’accumulation des richesses et commençait, les textes de l’écriture sainte sur les lèvres, le pillage de l’univers, était composée d’hommes craignant Dieu. Mais ce parlement maladroit gênait le dictateur, en le privant d’une liberté de mouvement nécessaire dans une situation intérieure et internationale difficile. A la fin de l’année 1653, Cromwell épure une fois dé plus la Chambre des Communes avec l’aide de ses soldats. Si le croupion du Long Parlement, dissous en avril, avait été coupable d’incliner à droite, vert un accord avec les presbytériens, le parlement de Barebone était, sur certaines questions, enclin à marcher en trop droite ligne dans la voie de l’honnêteté puritaine, et contrariait ainsi Cromwell, absorbé par l’établissement d’un nouvel équilibre social. Le réaliste révolutionnaire Cromwell bâtissait une société nouvelle. Le parlement n’est pas un but en soi, le droit n’est pas un but en soi, et si Cromwell et ses " saints " considéraient l’accomplissement des lois divines comme la fin en soi, ces lois n’étaient, en réalité, que le matériel idéologique nécessaire à la construction de la société bourgeoise.

Dissolvant un Parlement après l’autre, Cromwell manifestait son peu de respect du fétiche de la représentation nationale, de même qu’il avait manifesté, par l’exécution de Charles Ier, un respect insuffisant de la monarchie de droit divin. Il n’en est pas moins vrai que Cromwell frayait les voies au parlementarisme et à la démocratie des deux derniers siècles. Vengeant l’exécution de Charles Ier, Charles II hissa au gibet le cadavre de Cromwell. Mais aucune restauration ne pouvait déjà plus rétablir la société antérieure à Cromwell. L’œuvre de Cromwell ne pouvait pas être liquidée par la législature chaparde de la Restauration, parce que la plume n’efface pas ce que la hache a écrit. Le proverbe est beaucoup plus vrai, les termes ainsi renversés, tout au moins lorsqu’il s’agit de la hache d’une Révolution. L’histoire du Long Parlement qui, pendant vingt ans, connut toutes les vicissitudes des événements et traduisit toutes les impulsions des classes sociales, fut amputé à droite et à gauche, s’insurgea contre le roi, fut ensuite souffleté par ses propres serviteurs armés, fut deux fois dissous et deux fois rétabli, commanda et s’abaissa avant d’avoir enfin la possibilité de promulguer l’acte de sa propre dissolution, conservera toujours un intérêt exceptionnel en tant qu’illustration des rapports entre le droit et la force aux époques de bouleversement social.

La Révolution prolétarienne aura-t-elle son Long Parlement ? Nous ne le savons pas. Il est très probable qu’elle se bornera à un parlement court. Elle y arrivera d’autant mieux qu’elle se sera mieux assimilé les leçons de l’époque de Cromwell.

Nous ne dirons ici que quelques mots de la deuxième tradition, authentiquement prolétarienne et révolutionnaire.
L’époque du chartisme est impérissable, parce qu’elle nous donne, au long de dizaines d’années, une sorte de raccourci schématique de toute l’échelle de la lutte prolétarienne, à partir des pétitions au Parlement jusqu’à l’insurrection armée. Toutes les questions essentielles du mouvement de classe du prolétariat - rapports entre l’action parlementaire et extra-parlementaire, rôle du suffrage universel, trade-unions et coopératives, portée de la grève générale et rapports de celle-ci avec l’insurrection armée, jusqu’aux relations réciproques du prolétariat et du paysan - ne se cristallisèrent pas seulement de façon pratique, dans le cours du mouvement de masse du chartisme, mais y furent aussi résolues en principe. Au point de vue théorique, ces solutions furent loin d’être toujours irréprochablement fondées ; on n’y joignit pas toujours les deux bouts ; le mouvement tout entier et sa contrepartie dans le domaine de la théorie continrent bien des éléments inachevés, d’une maturité insuffisante. Les mots d’ordre révolutionnaires et les méthodes du chartisme demeurent néanmoins, maintenant encore, si la critique les dégage, infiniment supérieurs à l’éclectisme douceâtre des Macdonald et à la stupidité économique des Webb. On peut dire, s’il est permis de recourir à une comparaison un peu risquée, que le mouvement chartiste ressemble au prélude qui donne sans développement le thème musical de tout un opéra. En ce sens, la classe ouvrière anglaise peut et doit voir dans le chartisme, outre son passé, son avenir. De même que les chartistes écartèrent les prédicateurs sentimentaux de " l’action morale " et rassemblèrent les masses sous le drapeau de la Révolution, le prolétariat anglais aura à chasser de son sein les réformistes, les démocrates, les pacifistes, et à se grouper sous le drapeau de la transformation révolutionnaire. Le chartisme n’a pas vaincu, parce que ses méthodes étaient souvent erronées et parce qu’il est venu trop tôt. Il n’était qu’une anticipation historique. La Révolution de 1905 a aussi subi une défaite. Mais ses traditions se sont ranimées après dix ans et ses méthodes ont vaincu en Octobre 1917. Le chartisme n’est pas liquidé. L’histoire liquide le libéralisme et prépare la liquidation du pacifisme faussement ouvrier, justement pour ressusciter le chartisme sur des bases historiques nouvelles infiniment élargies. La vraie tradition nationale du mouvement ouvrier anglais est là !

Notes

[1] Cité par Beer, dans son Histoire du socialisme en Angleterre.

[2] Guizot (1787-1874). Homme politique et historien français. Leader du groupe des " doctrinaires ", partisan du système anglais de monarchie constitutionnelle. Après la Révolution de juillet 1830, qui donne le pouvoir à la bourgeoisie financière. Guizot, un de ses idéologues, dirige momentanément le ministère de l’Instruction publique puis reçoit le portefeuille des Affaires étrangères. Guizot défendit le cens électoral, en vertu duquel il n’y avait sur toute la population de la France que 200.000 électeurs. A la formation du ministère libéral du banquier Lafitte, Guizot se retira. Il forma, en 1832, avec Thiers et le duc de Broglie, un ministère réactionnaire, présidé par le maréchal Soult, et y dirigea l’instruction publique. Appartint en 1837 au cabinet de droite de Molé, mais démissionna au bout d’un an, la politique de Molé ne lui paraissant pas assez conservatrice. Ambassadeur à Londres en 1839, et ministre des Affaires étrangères dans le nouveau cabinet réactionnaire Soult, formé en 1840. Dans ses fonctions, Guizot s’employa .à combattre le mouvement révolutionnaire du continent, en s’efforçant d’unir les mouvements réactionnaires autrichien et français. Il présida en 1847, sous Louis-Philippe, le dernier ministère monarchique. La Révolution de 1848 l’obligea à passer en Angleterre. Son influence politique déclina dès lors. Dans ses nombreux travaux historiques, Guizot s’inspira, pour la première fois, de la lutte des classes, en laquelle il voyait le ressort secret de l’histoire. Cette vue, bien qu’il ne l’ait pas toujours appliquée avec esprit de suite, représentait à l’époque un grand progrès dans le développement des études historiques.

[3] Guizot, Histoire de Charles Ier. Paris 1882. Tome I, pages 347-349.

[4] John Camden (1595-1643). Un des chefs de l’opposition modérée du Court et Long Parlement, à la veille de la grande Révolution anglaise (voir la note 17). Camden se rendit surtout populaire dans la moyenne bourgeoisie commerçante, en refusant à diverses reprises de payer les taxes royales et les impôts. Pendant la lutte du Long Parlement et du roi Charles Ier, ce dernier ordonna l’arrestation de Camden et de quatre autres leaders de l’opposition. Jusqu’alors partisan de l’opposition légale, Camden fut ainsi amené à se joindre à l’armée révolutionnaire, dont il forma un des meilleurs régiments, Il devait être, peu de temps après, mortellement blessé dans un combat entre les armées royales et parlementaires.

[5] Guizot, Ouvrage cité, p. 216.

[6] Macauley voulait dire : Comme des agitateurs révolutionnaires. Note de Trotsky.

[7] MACAULEY, Œuvres complètes, t. VI. p. .120. Ed. russe, Saint-Petersbourg, 1861.

[8] La Réforme allemande du XVIe siècle. La Réforme allemande fut précédée par la domination absolue de l’Église catholique romaine, domination qui se fit sentir tout particulièrement en Allemagne. Le puissant développement du commerce et l’importance prise, dans ce pays, par l’argent, amenèrent l’Église romaine à lui imposer de nombreuses charges. Les artisans, les paysans et la petite bourgeoisie, dont le besoin d’argent était accru par le développement commercia1, en furent mécontents. Les inventions et les découvertes (découverte de l’Amérique, progrès de la navigation et de l’artillerie, imprimerie) préparèrent l’essor du commerce extérieur de l’Allemagne et renforcèrent la bourgeoisie commerçante, La lutte du capital et des féodaux ne pouvait revêtir à ce moment que la forme d’une protestation religieuse.

"Où va l’Angleterre ?" de Léon Trotsky

Voici l’article (en anglais) de Christopher Hill que John Rees critique ci-dessous

John Rees, « La réfutation du révisionisme » :

Note de M et R : les « révisionnistes » dont il s’agit ici nient l’importance dans la construction de l’Angleterre moderne de la révolution bourgeoise de Cromwell.

« Christopher Hill est longtemps passé pour un adversaire des historiens révisionnistes de la Révolution anglaise. Bien entendu, Hill a occasionnellement critiqué les révisionnistes dans des articles et des conférences, dont certaines constituent la base de ce livre. Mais en général, il semble être resté un peu à l’écart, cultivant un dédain qui perdure encore dans l’introduction de ce livre où il affirme : « Nous ne devrions pas prendre ces modes trop au sérieux : elles vont par cycles, et c’est sans doute mon âge qui me rend un peu sceptique vis-à-vis des historiens « révisionnistes » qui, de nos jours, essaient de nous convaincre qu’il n’y a pas eu de révolution au 17e siècle en Angleterre, ou que, s’il y en avait eu une, elle n’était liée ni à des causes ni à des conséquences à long terme. »[1]

Mais cette absence de rigueur est purement formelle dans un livre dont l’objet est de démolir la thèse révisionniste dans tous les domaines, de l’économie à la sémantique. Un tel objectif cohérent élève le livre au-dessus du niveau de la plupart des recueils d’essais, y compris certaines des recueils de Hill que ses éditeurs nous ont récemment signalés avec une grande fréquence. Ce livre a un impact beaucoup plus grand que la somme de ses parties.

Hill commence par une solide défense de la place de la révolution du XVIIe siècle dans l’histoire anglaise, rappelant avec force ses causes et ses conséquences à long terme. Hill analyse comment « Henri VII et Henri VIII ont réduit le pouvoir de la noblesse ; les bandes de serviteurs qui terrorisaient les campagnes s’ajoutaient au surplus de main-d’œuvre agricole créé par l’explosion démographique du XVIe siècle. Le personnel qui pouvait être employé dans la marine marchande ne manquait pas », à l’époque où, comme le faisait remarquer Bacon, la boussole du navigateur ouvrait le monde au commerce européen » [2].

Mais la monarchie ne fut pas le principal bénéficiaire de cet affaiblissement de l’aristocratie :

"Les ruines des guerres françaises d’Henri VIII ... ont été payées par la nationalisation et la privatisation immédiate des biens de l’église qui auraient pu financer ... l’établissement de la monarchie absolue". [3]

La classe qui a profité de la Réforme était constituée de paysans nobles et cultivateurs dont la production était de plus en plus axée sur le marché :

« La noblesse dont les ancêtres avaient pillé les monastères était aussi réticente à envisager la restauration du catholicisme que des Protestants plus pieux désintéressés ’. [4] En effet, malgré son révisionnisme, John Morrill indique clairement dans le premier essai d’Oliver Cromwell et de la Révolution anglaise que Cromwell a en fait été rejeté de la couche de la petite noblesse dans la couche de fermiers pendant une période significative avant la révolution.

En dépit de son lien avec les anciennes richesses, le statut économique de Cromwell était beaucoup plus proche de celui des "négociants de taille moyenne" et des marchands urbains que de celui des comtés et des gouverneurs. Il a toujours vécu dans les villes et non dans un manoir de campagne ; et il travaillait pour gagner sa vie. [5]

C’est la classe d’origine de Cromwell, et en particulier leurs représentants aux Communes, qui s’enrichissent grâce au commerce. "Au début du XVIIe siècle, un tiers des membres de la Chambre des communes détenaient des investissements dans des sociétés de commerce étrangères." [6] Cromwell était lié à ces intérêts par un certain nombre de liens familiaux.

Une aristocratie faible, une couronne affaiblie et une couche moyenne s’enrichissant se sont affrontés sur deux questions. La taxation en était une. La couronne avait besoin d’argent et, dans la Réforme, elle avait perdu la source unique qui aurait pu la rendre indépendante, la terre. En conséquence, il taxait les nouvelles classes moyennes - et les taxait plus durement que ses parents aristocratiques. C’est bien entendu l’une de ces taxes, Ship Money, qui est devenue une cause immédiate de la révolution. Après la révolution, ce serait différent. Ensuite, "les impôts pesaient plus lourdement sur la classe foncière et les pauvres que sur les pauvres qui pesaient jusque-là le fardeau financier principal" [7]

Le deuxième point de conflit était la capacité de l’État à protéger les sources essentielles de la richesse moyenne, de la production capitaliste agraire chez lui et du commerce extérieur. La restauration catholique menaçait la première - une menace qui semblait bien réelle alors que l’Europe était impliquée dans la guerre de Trente ans. Les marines étrangères et les corsaires ont menacé le second. En raison de la faiblesse financière de l’État, il n’a pas été en mesure de contrer l’une ou l’autre menace de manière convaincante, un fait proclamé publiquement quand « dans les années 1630, Charles Ier ordonna aux marchands anglais de rester en dehors de la Méditerranée car il ne pouvait pas les protéger. La faiblesse du gouvernement semblait bloquer la sortie de la dépression des années 30 pour l’industrie du vêtement anglaise. »[8]

Ainsi, l’État ne protégerait pas la bourgeoisie naissante s’il ne pouvait pas les taxer et la bourgeoisie ne serait pas imposée à moins de contrôler l’État. C’est sur ce rocher que les tentatives de compromis entre Charles Ier et le Parlement ont constamment échoué. Encore une fois, c’était différent après la révolution :

Le long parlement a déclaré les taxes perçues sans son consentement illégal. Les taxes particulièrement désagréables pour les hommes payés furent abolies - monopoles, emprunts forcés, amendes arbitraires, impositions - et furent remplacées par des taxes imposées par le Parlement ... En 1651, la Navigation Act fut adoptée, déclarant que tout l’empire britannique était une zone d’échange fermée. que seuls les marchands anglais devaient commercer et prendre les bénéfices du commerce ... [cela] dépendrait de la puissance de la mer. Les Hollandais monopolisaient pratiquement le commerce avec les colonies anglaises et ils disposaient d’une marine puissante ; leur république était dirigée par et pour les marchands. Avant 1640, aucun gouvernement anglais n’aurait été capable de les prendre en charge. Entre 1652 et 1673, les Hollandais sont forcés, lors de trois guerres, d’accepter l’exclusion de leurs marchands de l’empire britannique. [9]

Le même type de transformation qui a balayé l’État et la politique étrangère a également affecté l’économie.

L’abolition des régimes féodaux libère les gros propriétaires terriens de droits de succession fréquents mais irréguliers, suffisamment lourds pour perturber les investissements agricoles à long terme. La production pourrait maintenant être planifiée ; c’est la base de la prospérité agricole anglaise à la fin des XVIIe et XVIIIe siècles ... L’agriculture est devenue ce que Edward Thompson a appelé la plus grande industrie capitaliste d’Angleterre : privilèges de l’aristocratie et des tribunaux, droits des propriétaires terriens sur les rivières, etc., qui devaient retarder l’avancée capitaliste la France pré-révolutionnaire et ailleurs, étaient minimes en Angleterre.

Hill est à son meilleur ici, allant et venant d’avant en arrière pour démontrer son énorme impact. Son contact a toujours été moins sûr lorsqu’il s’agit de. rôle joué par l’idéologie et la conscience dans la réalisation de la révolution. Cela peut sembler étrange à un historien réputé pour avoir sauvé les idées des révolutionnaires radicaux des années 1640 des ricanements méprisants des historiens de l’establishment. Pourtant, bien que Hill reste attaché à « l’histoire d’en bas » et qu’il soit clair sur la façon dont les idées des révolutionnaires ont surgi du monde qui les entoure, il est moins clair sur la manière dont elles ont façonné ce monde. Il dit :

La révolution n’était pas planifiée, pas voulue. Certains historiens pensent qu’il n’y aurait pas de révolution si ce n’était planifié, tout comme toutes les grèves sont faites par de méchants agitateurs. Mais le parlement n’a pas fait la révolution ; personne ne l’a préconisée ... D’ailleurs, personne n’a prévenu d’avance les révolutions française et russe. En 1917, les bolcheviks, s’appuyant sur leurs expériences anglaise et française, ont su tirer parti d’une situation révolutionnaire. Mais ils n’ont pas fait la révolution. Une situation révolutionnaire s’est développée lorsque l’État tsariste s’est effondré, tout comme l’État anglais s’est effondré en 1640 ; et les bolcheviks étaient prêts à en profiter. Les minorités révolutionnaires ne font pas de grandes révolutions. [11]

Cela part d’un postulat correct, à savoir que les révolutions sont de grands soulèvements de classe dont l’explosion initiale ne peut être planifiée consciemment, mais semble alors tirer un certain nombre de conclusions fausses. Ce sont : i) que les bolcheviks constituaient une "minorité conspiratrice" qui "profitait simplement" de la situation révolutionnaire existante, ii) la suggestion qu’il était possible d’établir des comparaisons directes entre les révolutions bourgeoise et ouvrière, et iii) qu’aucune Une force organisée et consciente de toutes sortes était présente dans les années 1640.

Premièrement, les bolcheviks n’étaient pas une minorité conspiratrice en octobre 1917. Ils dominaient la majorité des Soviets et s’organisaient ouvertement. Sans une telle organisation, il est hautement improbable que la révolution aurait été couronnée de succès. En ce sens, ils n’ont pas simplement « profité de la révolution », ils ont joué un rôle essentiel dans sa réalisation. Ils ne pouvaient jouer un tel rôle que parce qu’ils avaient prédit une révolution et construit leur parti lorsqu’ils étaient minoritaires.

Deuxièmement, parce que la classe ouvrière est formée dans une société qui contrôle beaucoup plus la nature et son propre groupe de travail que la société féodale, parce que la classe ouvrière est une classe collective (contrairement à la bourgeoisie) et que la classe ouvrière est une classe exploitée ( encore une fois, contrairement à la bourgeoisie), il a la capacité de former une conscience de classe claire et indépendante d’une manière impossible à la bourgeoisie, d’où sa capacité à créer une critique scientifique de la société et un parti révolutionnaire conscient.

Troisièmement, cela signifie-t-il qu’il n’y a pas eu de leadership révolutionnaire ni d’idéologie révolutionnaire dans la révolution bourgeoise ? Cromwell et les Indépendants ont-ils simplement réagi aux événements ? Clairement, c’est faux. Cromwell, les Indépendants, les Niveleurs et les agitateurs de l’armée ont développé au cours de la révolution une conception plus claire de leurs objectifs - une république bourgeoise. Ils ont développé l’organisation pour atteindre ce but, la New Model Army. Ils ont commencé à théoriser, ou d’autres qui les ont soutenus, comme Milton, ont théorisé sur ce qu’ils faisaient.

En fait, la contribution de Johann Sommerville à Oliver Cromwell et à la Revolution anglaise est le meilleur essai de ce livre, précisément parce qu’elle montre à quel point les idées d’un gouvernement représentatif et démocratique s’étaient développées avant la révolution et à quel point elles ont rapidement dominé la pensée des parlementaires la révolution était en marche. Il soutient :

Il est parfois suggéré à tort que la guerre civile manquait de dimension idéologique ou que, si elle en possédait une, elle revêtait un caractère essentiellement religieux et non politique ou constitutionnel. En fait, les royalistes affirmaient généralement que le pouvoir du roi provenait de Dieu seul, tandis que les parlementaires cherchaient généralement à en faire un acte de transfert du peuple. [12]

Ces objectifs, cette organisation et ces théories faisaient partie de la capacité des parlementaires à faire une révolution. Ils se sont nécessairement exprimés dans un langage pré-scientifique, souvent de manière religieuse, mais aussi (et cela n’a pas été suffisamment étudié), simplement et avec pragmatisme, comme il convient à une classe d’affaires déjà partiellement établie. Néanmoins, dans la mesure où les conditions historiques le permettaient, ils ont fait une révolution et l’ont fait consciemment à un certain degré. À tout le moins, ils savaient ce pour quoi ils se battaient bien plus clairement que la classe qui leur était opposée.

Hill est moins fort qu’il ne devrait l’être sur ces questions précisément parce que le frontisme populaire de l’époque du parti communiste semble l’avoir laissé confus sur le plan méthodologique, incapable de distinguer correctement les caractéristiques qui définissent les révolutions bourgeoise et prolétarienne. C’est une faiblesse qui est gênante dans Lénine et la révolution russe.
Une partie de la difficulté à reconstituer l’idéologie des révolutionnaires tient au fait qu’une grande partie de ce que les gens pensaient de l’État était conduite dans la clandestinité. Hill est de retour sur des terrains plus sûrs quand il se tourne vers ces historiens qui considèrent les papiers d’État et les comptes officiels à leur valeur nominale. Comme il le dit à propos de l’opposition à Ship Money, « le silence en public sur la légalité de la taxe n’est pas plus une preuve d’approbation que le silence sur l’opportunité du communisme en Roumanie avant 1989 était la preuve que tous les Roumains étaient des communistes enthousiastes. » [13]

Hill fait beaucoup dans son chapitre sur le discours politique au début du XVIIe siècle en Angleterre pour montrer que, bien qu’il n’y ait pas eu d’idéologie révolutionnaire pré-formée en Angleterre avant 1640, des thèmes émergents de résistance et d’opposition à l’État Stuart étaient communs à beaucoup de gens. le genre médiocre. Hobbes, par exemple, a retenu la leçon que les citoyens londoniens ont tirée de la révolte réussie des Néerlandais : "Un tel changement de gouvernement produirait pour eux la même prospérité". Certains ont peut-être envisagé des changements révolutionnaires. Qui plus est, ils étaient enclins à utiliser le mot "révolution" pour décrire ce qu’ils voulaient.

Hill a rendu service à chaque historien de la révolution en établissant ce fait dans son chapitre Le mot révolution. Tous ceux qui liront au sujet de la Révolution anglaise comprendront très vite l’argument selon lequel il ne pouvait pas y avoir de révolution puisque le 17ème siècle n’avait pas le mot pour décrire un tel événement. Au XVIIe siècle, on dit que la révolution devait tourner en rond, et non un changement de gouvernement radical ou une transformation sociale. Les connaissances encyclopédiques de Hill sur le XVIIe siècle ne font que succéder à cette idée, citant des auteurs de 1648 à 1649 qui faisaient référence à « les révolutions et les changements de gouvernement ». [14] En fait, une caractéristique du style de Hill, irritant dans d’autres circonstances, est utilisée ici comme une polémique dévastatrice : il empile simplement citation pour indiquer que le mot révolution a été utilisé pour désigner un changement politique soudain.

La même méthode lui sert aussi bien dans Abolishing the Ranters. C’est une réponse directe à l’ouvrage de J.C. Davis, intitulé Fear, Myth and History : The Ranters and the Historians. Davis soutient que les Ranters sont un double mythe. Tout d’abord, ils ont été inventés au 17ème siècle par les royalistes et d’autres ennemis des sectes radicales comme une sorte de « menace rouge », un bâton permettant de vaincre les opposants. Deuxièmement, les historiens de gauche ont réinventé les Ranters au 20ème siècle avec un cas à prouver. Encore une fois, Hill rassemble les citations de ceux qui étaient les amis et ennemis de Ranters (et de ceux qui ne l’étaient pas) pour prouver leur existence. Pour faire bonne mesure, il ajoute deux postscrits sur de nouvelles preuves de l’existence des Ranters qui ont été découverts depuis la rédaction de l’article original.

S’il y avait un juge, Davis aurait honte de paraître à nouveau. Malheureusement, il a contribué un chapitre sur la religion de Cromwell à Oliver Cromwell et à la révolution anglaise. Encore plus malheureusement, Davis n’est pas plus éclairant sur Cromwell que sur les Ranters. En se concentrant étroitement sur l’expérience religieuse personnelle et les idées théologiques de Cromwell, sur lesquelles on enregistre relativement peu de choses de toute façon, il se donne tout le loisir de spéculer sur des questions de moindre importance. Heureusement, Anthony Fletcher aborde dans le chapitre suivant les questions très intéressantes sur la religion de Cromwell et son adaptation aux tâches politiques qu’il était censé accomplir.

Fletcher n’est certes pas un marxiste, mais il est au moins un assez bon historien universitaire pour fournir des informations intéressantes. Il montre comment Cromwell a vu les élus, le peuple élu de Dieu, comme une minorité embarrassée mais éclairée aux côtés de laquelle Dieu s’est battu et à qui la providence de Dieu accorderait la victoire. Et il continue en montrant comment cela pourrait être une source efficace de courage révolutionnaire. Il a sûrement raison de conclure que Cromwell :

“Croyait que, tout comme Dieu avait délivré les Israélites de l’esclavage en Égypte et à Babylone, de même Dieu l’avait choisi pour diriger un nouveau peuple élu vers une nouvelle Jérusalem. En ce sens son régime. du premier au dernier, devait être intensément idéologique. Pourtant, le providentialisme de Cromwell a toujours été tempéré par le sens des circonstances. Cela lui a permis de poursuivre des objectifs à long terme tout en s’adaptant aux exigences à court terme. La dynamique de son régime a été fournie par la relation en constante évolution entre ses réflexions spirituelles personnelles et le déroulement du processus politique. »[15]

Étrangement, il s’agit d’une approche plus dialectique que Hill est parfois capable de produire, même si ses amarres matérialistes sont moins sûres.

Cependant, dans l’ensemble, le livre de Morrill ne supporte pas une comparaison étroite avec Une nation du changement et de la nouveauté, ni même avec la magnifique biographie de Hill, propre à Cromwell, l’Anglais de Dieu. Ensemble, les huit historiens qui écrivent dans Oliver Cromwell et la Révolution anglaise peuvent fournir un aperçu occasionnel qui manque à Hill ou un détail qu’il a négligé - mais cela revient à démontrer le succès de Hill, même en termes purement académiques. Et il y a tellement d’autres choses dans Hill que ses concurrents ne tentent même pas d’égaler. Il ya son engagement envers l’histoire d’en bas, ses efforts dans deux bons chapitres pour intégrer l’étude littéraire à l’histoire, son refus d’être restreint par une spécialisation académique étroite et sa détermination à ce que l’histoire parle au présent. Dans son dernier chapitre, History and the Present, Hill se plaint poliment (peut-être trop poliment) des années Thatcher - pour censure, pour enseignement de l’histoire jingo, pour avoir ignoré les opprimés et exploités et avoir dévalorisé leurs traditions de lutte. Il conclut :

Je n’ai pas de grandes généralisations à offrir sur ce que l’histoire est ou devrait être, et c’est une conclusion proprement sceptique. Laissez-moi en essayer un de Nietzsche. Il a dit que « l’histoire garde en vie… la mémoire des grands combattants contre l’histoire - le pouvoir aveugle de l’actuel ». Le passé aura quand même un pouvoir sur nous, mais nous n’avons pas besoin d’être totalement aveugles. Dans certaines limites, nous pouvons coopérer ou nous opposer à ce qui semble être les tendances dominantes. Mais cela nécessite une compréhension de l’histoire en tant que processus, et pas seulement une histoire d’anecdotes. [16]

Il ajoute qu’il serait « encore plus agréable que les connaissances conduisent à l’action ». Quelles que soient les fautes de Hill, ce sont de meilleures conclusions que bien d’autres à la fin de l’ère Thatcher.

Le même texte en anglais :

John Rees, “Revisionism refuted” (Spring 1991)

We have waited some considerable time for Christopher Hill to enter the lists against the revisionist historians of the English Revolution. Of course Hill has taken the occasional potshot at the revisionists in articles and lectures, some of which form the basis for this book. But generally he seems to have stayed a little aloof, cultivating a disdain which still lingers in this book’s introduction where he claims, ‘we should not take these fashions too seriously : they go in cycles, and it is no doubt my age that makes me a little sceptical of latter-day “revisionist” historians who try to convince us that there was no revolution in 17th century England, or that if there was it had no long-term causes or consequences.’ [1]

But such dismissiveness is purely formal in a book whose whose object is to demolish the revisionist case in every area from economics to semantics. Such a coherent aim raises the book above the level of most collections of essays, including some of Hill’s own collections which his publishers have recently pushed at us with great frequency. This book has an impact much greater than the sum of its parts.

Hill begins with a robust defence of The place of the 17th century Revolution in English history, forcefully restating its longer term causes and consequences. Hill analyses how ‘Henry VII and Henry VIII reduced the power of the nobility ; the gangs of retainers who used to terrorise the countryside added to the surplus agricultural labour created by the population explosion of the 16th century. There was no lack of personnel who could be employed in the merchant marine’ just at the time when, ‘as Bacon observed, the mariner’s compass opened up the world to European trade.’ [2]

But the monarchy was not the prime beneficiary of this weakening of the aristocracy, ‘Henry VIII’s ruinous French wars ... were paid for by the nationalisation and immediate privatisation of church property which might have financed ... the establishment of absolute monarchy.’ [3] The class which did gain from the Reformation were the gentry and yeoman farmers whose production was increasingly geared to the market : ‘The gentry whose forebears had plundered the monasteries were as reluctant to envisage the restoration of Catholicism as were more disinterestedly pious Protestants’. [4] Indeed, in spite of his revisionism John Morrill makes clear in the first essay of Oliver Cromwell and the English Revolution that Cromwell was actually pushed down from the gentry into the yeoman farmer layer for a significant period before the revolution.

Despite his connection with ancient riches, Cromwell’s economic status was much closer to that of the ‘middling sort’ and urban merchants than to the county gentry and governors. He always lived in towns, not in a country manor house ; and he worked for a living. [5]

It was the class from which Cromwell came, and especially their representatives in the Commons, who were growing rich through trade. ‘In the early 17th century parliaments a third of the members of the House of Commons held investments in overseas trading companies.’ [6] Cromwell was linked to these interests by a number of family ties.
A weak aristocracy, a weakened crown and a middling layer who were enriching themselves came into conflict over two questions. Taxation was one. The crown needed money and in the Reformation it had lost the one source which might have made it independent, the land. Consequently it taxed the new middle classes – and taxed them harder than its aristocratic kinsmen. It was, of course, one such tax, Ship Money, that became an immediate cause of the revolution. After the revolution it would be different. Then ‘taxes fell more heavily on the landed class and the poor than on the middling sort which had hitherto borne the main financial burden ‘ [7]

The second point of conflict was the state’s ability to protect key sources of the middling sort’s wealth, agrarian capitalist production at home and trade abroad. Catholic restoration threatened the first – a threat that seemed real enough while Europe was embroiled in the Thirty Years War. Foreign navies and privateers threatened the second. The state’s financial weakness meant that it was unable to counter either threat convincingly, a fact publicly proclaimed when ‘in the 1630s Charles I ordered English merchants to stay out of the Mediterranean because he could not protect them there. The road out of the depression of the thirties for the English clothing industry seemed to be blocked by the government’s weakness.’ [8]

Thus the state would not protect the emerging bourgeoisie unless it could tax them and the bourgeoisie would not be taxed unless it controlled the state. It was on this rock that attempts at compromise between Charles I and parliament consistently foundered. Once again, it was different after the revolution :

The Long Parliament declared taxation levied without the consent of Parliament illegal. Taxes particularly obnoxious to the monied men were abolished-monopolies, forced loans, arbitrary fines, impositions – and were replaced by taxes imposed by Parliament ... In 1651 the Navigation Act was passed, declaring the whole British empire a closed trading area, in which only English merchants were to trade, and to take the profits of trade ... [this] would depend on sea power. The Dutch were virtually monopolising trade with English colonies, and they had a powerful navy ; their republic was run by and for merchants. Before 1640 no English government would have been capable of taking them on. Between 1652 and 1673 the Dutch were forced in three wars to accept the exclusion of their merchants from the British empire. [9]

The same kind of transformation that swept the state and foreign policy also affected the economy :

Abolition of feudal tenures had the effect of freeing big landowners from frequent but irregular death duties, heavy enough to disrupt long term agricultural investment. Production could now be planned ; this is the basis of English agricultural prosperity in the late 17th and 18th centuries ... Agriculture became what Edward Thompson called England’s greatest capitalist industry : aristocratic and court privileges, landlords’ rights over rivers and so on, which were to delay capitalist advance in pre-revolutionary France and elsewhere, were minimal in England. [10]

Hill is at his best here, moving backwards and forwards between the period before and the period after the revolution to demonstrate its enormous impact. His touch has always been less sure when dealing with the. role played by ideology and consciousness in making the revolution. This may seem an odd claim to make against a historian who is famous for rescuing the ideas of the radical revolutionaries of the 1640s from the dismissive sneers of establishment historians. Yet although Hill remains wedded to ‘history from below’, and is clear on how the ideas of the revolutionaries sprang from the world around them he is less clear on how they in turn shaped that world. He says :

The revolution was not planned, not willed. Some historians think there can have been no revolution if it was not planned, just as all strikes are made by wicked agitators. But parliament did not make the Revolution ; no one advocated it ... For that matter, neither the French nor the Russian Revolutions were willed in advance by anyone. By 1917 the Bolsheviks building on English and French experience, were able to take advantage of a revolutionary situation ; but they did not make the Revolution. A revolutionary situation developed when the Tsarist state collapsed, just as the English state collapsed in 1640 ; and the Bolsheviks were prepared to take advantage of it. Great revolutions are not made by conspiratorial minorities. [11]

This starts from a correct premise, that revolutions are great class uprisings whose initial outburst cannot be consciously planned, but then seems to draw a number of false conclusions. These are : i) that the Bolsheviks were a ‘conspiratorial minority’ who simply ‘took advantage of’ an existing revolutionary situation, ii) the suggestion that it is possible to draw direct comparisons between bourgeois and workers’ revolutions, and iii) that no organised, conscious force of any description was present in the 1640s.

Firstly, the Bolsheviks were not a conspiratorial minority in October 1917. They commanded a majority in the Soviets and organised openly. Without such organisation it is highly unlikely that the revolution would have been successful. In this sense they did not simply ‘take advantage of the revolution’, they were an essential component in making it. They could only play such a role because they had predicted a revolution and built their party when they were a minority.

Secondly, because the working class is formed in a society which has far greater control over nature and over its own working than feudal society, because the working class is a collective class (unlike the bourgeoisie) and because the working class is an exploited class (again unlike the bourgeoisie), it has the capacity to form a clear, independent class consciousness in a way that was impossible for the bourgeoisie hence its capacity to create a scientific critique of society and a conscious revolutionary party.

Thirdly, does this then mean that there was no revolutionary leadership and no revolutionary ideology in the bourgeois revolution ? Did Cromwell and the Independents simply react to events ? Clearly this is wrong. Cromwell, the Independents, the Levellers and the army agitators did develop in the course of the revolution a clearer conception of their goals – a bourgeois republic. They did develop the organisation to achieve that end, the New Model Army. They did begin to theorise, or others who supported them, like Milton, did theorise about what they were doing.

In fact Johann Sommerville’s contribution to Oliver Cromwell and the English Revolution is the book’s best essay precisely because it shows just how strongly the ideas of representative, democratic government had developed before the revolution and how quickly they came to dominate the thinking of the parliamentarians once the revolution was under way. He argues :

It is sometimes mistakenly suggested that the civil war lacked an ideological dimension, or that if it possessed such a dimension it was overridingly religious and not political or constitutional in character. In fact royalists generally claimed that the king ‘s power derived from God alone, while parliamentarians usually sought its origins in an act of transference by the people. [12]

These goals, organisation and theories were part of the parliamentarians’ ability to make a revolution. They necessarily expressed themselves in a pre-scientific language, often religiously but also (and this has been too little investigated) simply and pragmatically, as befits an already partly established business class. Nevertheless, they did, insofar as historical conditions would allow, make a revolution and made it to some degree consciously. At the very least they knew what they fought for far more clearly than the class which opposed them.

Hill is less sharp than he should be on these questions precisely because the popular frontism of his Communist Party days seems to have left him methodologically confused, unable to properly distinguish the defining characteristics of bourgeois and proletarian revolutions. This is a weakness which is embarrassingly obvious in his Lenin and the Russian Revolution.

Part of the difficulty in piecing together the ideology of the revolutionaries is that so much of what people thought about the state was driven underground. Hill is back on safer ground when he rounds on those historians who take state papers and official accounts at face value. As he says about the opposition to Ship Money, ‘Silence in public about the legality of the tax is no more evidence of approval than silence about the desirability of communism in Romania before 1989 was evidence that all Romanians were enthusiastic communists.’ [13]

Hill does much in his chapter on Political Discourse in Early 17th Century England to show that, although there was no pre-formed revolutionary ideology in England before 1640, there were emerging themes of resistance and opposition to the Stuart state that were common to many of the middling sort. Hobbes, for instance, recorded the lesson which London citizens took from the successful revolt of the Dutch : that ‘the like change of government would to them produce the like prosperity’. So some, perhaps, did look forward to revolutionary changes. What is more, they were apt to use the word ‘revolution’ to describe what they wanted.

Hill has done every historian of the revolution a service by establishing this fact in his chapter The word Revolution. Anyone reading about the English Revolution will very quickly come across the argument that there couldn’t have been a revolution since the 17th century knew no word to describe such an event. In the 17th century, the argument runs, revolution meant to turn full circle, not a dramatic change of government or a social transformation. Hill’s encyclopedic knowledge of the 17th century makes short work of this idea, citing authors in 1648-9 referring to ‘the revolutions and changes in government’. [14] In fact one feature of Hill’s style, irritating in other circumstances, is put to devastating polemical use here : he simply piles quotation upon quotation to show that the word revolution was used to mean sudden political change.

The same method also serves him well in his Abolishing the Ranters. This is a direct reply to J.C. Davis’s book, Fear, Myth and History : the Ranters and the Historians. Davis argues that the Ranters are a double myth. Firstly they were invented in the 17th century by royalists and other enemies of the radical sects as a kind of ‘red menace’, a stick with which to beat opponents. Secondly the Ranters were reinvented in the 20th century by left wing historians with a case to prove. Once again Hill piles up the quotations from those who were the Ranters’ friends and enemies (and from those who were neither) to prove their existence. Just for good measure he adds two postscripts on new proofs of the Ranters’ existence which have come to light since he wrote the original article.

If there were any justice Davis would be ashamed to appear in print again. Unfortunately he has contributed a chapter on Cromwell’s religion to Oliver Cromwell and the English Revolution. Even more unfortunately Davis is no more enlightening about Cromwell than he was about the Ranters. By focusing narrowly on Cromwell’s personal religious experience and theological ideas, about which relatively little is recorded anyway, he gives himself plenty of room to speculate on issues of little importance. Luckily the really interesting questions about Cromwell’s religion, how it fitted in with the political tasks he was set to perform, are covered in the following chapter by Anthony Fletcher.

Fletcher is certainly no Marxist, but he is at least a good enough academic historian to provide some interesting insights. He shows how Cromwell saw the elect, God’s chosen people, as an embattled but enlightened minority on whose side God fought and to whom God’s providence would grant victory. And he goes on to show how this could be an effective source of revolutionary fortitude. He is surely right to conclude that Cromwell :

“believed that, just as God had delivered the Israelites from slavery in Egypt and Babylon, so now God had chosen him to lead a new chosen people towards a new Jerusalem. In this sense his regime. from first to last, was bound to be intensely ideological. Yet Cromwell’s providentialism was always tempered by a sense of circumstances. It enabled him to pursue long-term goals but adapt to short-term exigencies. The dynamic of his regime was provided by the constantly shifting relationship between his personal spiritual ponderings and the unfolding of the political process.” [15]

Strangely, this is a more dialectical approach than Hill is sometimes able to produce, even if its materialist moorings are less secure.

Overall, however, Morrill’s book does not bear close comparison with A Nation of Change and Novelty or indeed with Hill’s own splendid biography of Cromwell, God’s Englishman. Collectively the eight historians who write in Oliver Cromwell and the English Revolution may provide the occasional insight which Hill has missed or a detail which he has overlooked – but to say that is to demonstrate Hill’s success, even in purely academic terms. And there is so much else in Hill which his competitors do not even attempt to match. There is his commitment to history from below, his efforts in two good chapters to integrate literary study with history, his refusal to be restricted by narrow academic specialism and his determination that history must speak to the present. In his final chapter, History and the Present, Hill politely (perhaps too politely) takes the Thatcher years to task – for censorship, for jingoistic history teaching, for ignoring the oppressed and exploited and devaluing their traditions of struggle. He concludes :

I have no big generalisations to offer about what history is or should be, and that is a properly sceptical conclusion. Let me try one from Nietzsche. He said that ‘history keeps alive ... the memory of the great fighters against history – the blind power of the actual.’ The past is going to have power over us anyway, but we need not be totally blind. Within limits we can co-operate with or oppose what seem to be the dominant trends. But that requires an understanding of history as a process, not just a bran-tub of anecdotes. [16]

He goes on to say it would be ‘nicer still if knowledge led to action’. Whatever Hill’s faults, those are better conclusions than many others have drawn at the end of the Thatcher era."

Notes

1. C. Hill, A Nation of Novelty and Change, London 1990, p. 1.

2. Ibid., p. 7.

3. Ibid., p. 8.

4. Ibid., p. 9.

5. J. Morrill, The making of Oliver Cromwell, in Oliver Cromwell and the English Revolution, London 1990, p. 22.

6. C. Hill, op. cit., p. 7.

7. Ibid., p. 10.

8. Ibid., p. 9.

9. Ibid., pp. 10–11.

10. Ibid., pp. 14–15.

11. Ibid., pp. 18–19.

12. J. Sommerville, Oliver Cromwell and English Political Thought, in Oliver Cromwell and the English Revolution, op. cit., p. 240.

13. C. Hill, op. cit., p. 43.

14. Ibid., p. 89.

15. A. Fletcher, Oliver Cromwell and the Godly Nation, in Oliver Cromwell and the English Revolution, op. cit., p. 212.

16. Hill, op. cit., p. 257.

Messages

  • La révolution anglaise de 1640 vue Par Guizot :

    « Les partis politiques et religieux n’étaient pas seuls aux prises. Leur lutte couvrait une question sociale, la lutte des classes diverses pour l’influence et le pouvoir. non que ces classes fussent, en Angleterre, profondément séparées et hostiles entre elles, comme elles l’ont été ailleurs.
    Les grands barons avaient soutenus les libertés populaires avec leurs propres libertés, et le peuple ne l’oubliait point. Les gentilshommes de campagne et les bourgeois des villes siégeaient ensemble depuis trois siècles, au nom des communes d’Angleterre, dans le parlement. Mais, depuis un siècle, de grands changements étaient survenus dans la force relative des classes diverses au sein de la société, sans que des changements analogues se fussent opérés dans le gouvernement. L’activité commerciale et l’ardeur religieuse avaient imprimé, dans les classes moyennes, aux richesses et aux idées, un prodigieux élan. On remarquait avec surprise, dans l’un des premiers parlements du règne de Charles 1er, que la chambre des communes était trois fois plus riche que la chambre des lords. La haute aristocratie ne possédait plus, et n’apportait plus à la royauté, qu’elle continuait d’entourer, la même prépondérance dans la nation. Les bourgeois, les gentilhomme de comté, les fermiers et les propriétaires de campagne, alors fort nombreux, n’exerçaient pas, , sur les affaires publiques, une influence proportionnée à elur importance dans le pays. Ils avaient grandi plus qu’ils ne s’étaient élevés. De là, parmi eux et dans les rangs au-dessous d’eux, un fier et puissant esprit d’ambition, prêt à saisir toutes les occasions d’éclater. Laguerre civile ouvrait un vaste champs à leur énergie et à leurs espérances. Elle n’offrit point à son début l’aspect d’une classification sociale exclusive et haineuse. Beaucoup de gentilshommes de campagnes, et parmi les grands seigneurs eux-mêmes, plusieurs des plus considérables, marchaient à la tête du parti populaire. Cependant la noblesse d’une part, , la bourgeoisie et le peuple de l’autre, se rangeaient en masse, les uns autour de la couronne, les autres autour du parlement ; et des symptômes certains révélaient déjà un grand mouvement social au sein d’une grande lutte politique et l’effervescence d’une démocratie ascendante se frayant un chemin à travers les rangs d’une aristocratie affaiblie et divisée. »

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