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Thèses sur les causes de la crise aigüe Catalogne/Espagne

mercredi 6 novembre 2019, par Robert Paris

C’est la violence, sciemment provocatrice, des attaques des gouvernants espagnols, de droite comme de gauche, et des forces de répression de l’Etat central qui ont le plus convaincu les Catalans de soutenir les indépendantistes et ont ainsi détourné l’attention de la montée de l’insurrection sociale.

Thèses sur les causes de la crise aigüe Catalogne/Espagne

1°) L’affrontement entre indépendantistes catalans et nationalistes espagnols tient toujours le devant de la scène dans toute l’Espagne et rien ne semble fait pour qu’il en soit autrement dans la période qui vient. C’est une pomme de discorde qui parcourt toutes les classes sociales et tous les milieux. Pourtant, nous allons tenter de montrer que cette question régionale/nationale ou du régionalisme ainsi que du nationalisme, tant espagnols que catalans a une seule origine qui n’est ni catalane, ni espagnole et qui est, paradoxalement, une question qui divise les catalans et divise les espagnols, et divise même les nationalistes comme les régionalistes et ceux qui ne le sont pas, puisqu’elle divise le monde en deux parties. C’est la question… de classe !

2°) Bien entendu, ce paradoxe nécessite d’être expliqué : chacun sait que la lutte des classes, ce n’est pas proche du nationalisme, pas plus que du régionalisme, ni du séparatisme, ni du nationalisme, celui de la séparation, pas plus que celui du rassemblement national ! Ces nationalismes entraînent les divisions des classes possédantes mais aussi celle des travailleurs, des plus démunis, des peuples. En Catalogne comme en Espagne, il va de soi que l’affrontement entre pro et anti indépendance de la Catalogne fait passer au second plan les luttes de classes. Eh bien, justement, c’est certainement l’une des raisons clefs de cet affrontement nationaliste.

3°) Il faut en effet remarquer que ce qui se passe en Espagne avant que la lutte nationaliste et régionaliste en Catalogne devienne violente, avant que la classe dirigeante espagnole choisisse de jeter de l’huile sur le feu en réprimant violemment les rassemblements et manifestations nationalistes, interdisant l’organisation du référendum catalan. Dans cette période, les luttes de classes vont croissantes. Les travailleurs se mobilisent de plus en plus et sont, eux aussi, durement réprimés. C’est la montée inexorable des luttes ouvrières en Espagne qui pousse l’Etat espagnol à rendre plus violent l’affrontement contre la Catalogne. Cela lui permet de justifier l’état d’exception, des méthodes fascistes contre tous les manifestants et opposants, sous prétexte de menace contre l’Etat national, contre la sécurité, contre l’ensemble des citoyens. Cette politique se traduit par la formation de bandes armées spéciales qui attaquent les manifestants, les arrêtent, les frappent, y compris contre les manifestants pacifiques, y compris contre les travailleurs, leurs grèves et leurs manifestations.

4°) Il y a eu une raison à cette montée des conflits sociaux en Espagne : c’est l’accroissement considérable de la précarité du travail, la dégradation énorme des conditions de travail, la hausse des mesures d’austérité de tous les secteurs sociaux, la chute de toutes les aides sociales et une paupérisation aigüe...

Un certain nombre de conflits sociaux, de grèves ouvrières, d’actions des salariés ont amené les classes dirigeantes espagnoles à craindre, encore plus que les classes dirigeantes françaises, un scénario à la « gilets jaunes » en Espagne. Les derniers mois, c’est quasiment la totalité du secteur du transport espagnol (chemins de fer, le métro et les aéroports) qui est entré en lutte, à un moment ou à un autre, de manière très combative et expansive. Le secteur métallurgiste a commencé à sortir de ses gonds dans la région du pays basque et ce mouvement a menacé de faire des émules dans tout le pays. Bien d’autres secteurs sont également entrés radicalement dans la lutte : enseignants, ports, fonctionnaires, etc.

5°) Le plus remarquable, c’est que la région d’Espagne la plus mobilisée sur le terrain social, les derniers mois avant l’affrontement à Barcelone et en Catalogne, c’est justement… la Catalogne !!! Il est tout aussi remarquable que le gouvernement autonome catalan a réprimé les luttes ouvrières, et pas moins que son homologue national espagnol ! Et, malgré cela, Barcelone a été paralysée par une manifestation ouvrière de masse et par la grève générale, les transports bloqués malgré les réquisitions et le « service minimum » très strict imposé par le gouvernement régional des autonomistes catalans. Rien d’étonnant dès lors qu’une grande partie de la classe ouvrière de Catalogne ne sympathise pas énormément avec les autonomistes et nationalistes catalans, plus implantés dans la bourgeoisie et la petite bourgeoisie que parmi les travailleurs ou les démunis. Il est remarquable qu’une importante fraction des travailleurs catalans (en particulier, les travailleurs de l’industrie) n’ait pas participé aux grèves appelées par les nationalistes pour appuyer la proclamation d’une république catalane indépendante alors qu’ils étaient les plus mobilisés de toute l’Espagne sur le terrain social et que les fameux partisans de cette république catalane ont tout fait alors pour bloquer leur mouvement ! Il est clair dès lors que le nationalisme catalan, comme espagnol, est un adversaire résolu de la lutte des classes et qu’il se sert des affrontements nationaux pour détourner de la lutte des classes. On l’a bien vu dans le fait que le gouvernement catalan autonome a imposé une austérité qui n’est pas moindre que celle du gouvernement central espagnol. Le nationalisme en Catalogne divise la classe ouvrière entre hispanophones et catalans et entre séparatistes et travailleurs non favorables au séparatisme, même s’ils ne sont pas davantage des adeptes de l’Etat capitaliste national. Il divise également les travailleurs espagnols, les uns très défavorables au nationalisme catalan et les autres pas hostiles au régionalisme sans séparatisme et qui critiquent la violence de la répression dirigée par l’Etat espagnol soi-disant démocratique.

6°) Le fait que le nationalisme serve d’abord à combattre la lutte des classes est parfaitement souligné par le rôle qu’a joué la question catalane, devenue une cause majeure d’affrontement ultra-violents et présentée comme une menace de destruction totale de la « nation espagnole » car cela a considérablement joué dans le sens du calme social, de l’unité nationale en Espagne et de l’effacement de la situation de conflits prolétariens montant dans tout le pays, en Catalogne comme ailleurs.

7°) En décembre 2018, la Catalogne avait été particulièrement marquée par une grève générale contre l’austérité qui dénonçait aussi bien le gouvernement espagnol que celui, autonome, de la Catalogne, qui imposent tous deux une austérité plus dure que jamais aux travailleurs de toute l’Espagne. La grève générale de décembre 2018 exigeait la fin des réductions budgétaires imposées par les gouvernements nationalistes régionaux depuis le début de la crise financière de 2008. Par exemple, les médecins de l’Institut catalan de santé, ainsi que de nombreux autres médecins (70% de grévistes) se sont massivement mobilisés contre l’austérité dans leur domaine qui impose l’augmentation de la charge de travail avec la suppression de mille emplois de médecins depuis 2008, le manque de ressources, les réductions de salaire et demandent plus de temps pour traiter les patients. Médecins, pompiers, enseignants, étudiants et infirmières ont manifesté solidairement contre l’austérité et se sont solidarisés face à la répression. Des fonctionnaires se sont joints à la manifestation pour exiger la restitution des salaires réduits en 2013 et 2014 dans le cadre de la campagne d’austérité des gouvernants nationalistes catalans. Rien d’étonnant en effet que les luttes sociales explosent particulièrement en Catalogne : les attaques anti-sociales y ont également atteint un sommet qui dépasse la plupart des régions d’Espagne et ce sont les nationalistes qui ont été les artisans de ces politiques antisociales et qui ont le plus poussé à détourner la colère vers le nationalisme. Les dépenses de santé ont chuté de 31 % en six ans, soit la réduction la pire d’Espagne, et, en même temps, les dépenses sociales y ont chuté de 26 % et les dépenses d’éducation de 12 %. La Catalogne a été la région où les frais de scolarité ont augmenté le plus (environ 158 %), de sorte que le coût moyen d’un crédit universitaire est de 41,17 euros, contre une moyenne nationale de 17,70 euros. Et ce ne sont que des exemples d’une politique ouvertement antisociale des nationalistes catalans qui oeuvrent clairement aux côtés de la grande bourgeoisie tout en cultivant la petite bourgeoisie séparatiste.

8°) Si la riposte des travailleurs contre l’appauvrissement, les restrictions et la répression anti-ouvrière augmentaient en Catalogne, la politique ultra-agressive des forces de répression de l’Etat espagnol contre les nationalistes catalans et la riposte des nationalistes a fini par entraîner une polarisation de la population catalane, dans le sens du nationalisme catalan. Les scores séparatistes n’ont cessé d’augmenter, au fur et à mesure que la répression d’une violence incroyable de l’Etat espagnol a frappé les manifestants séparatistes catalans. Le séparatisme catalan ne recueillait parmi la population catalane que 15 % au début de la crise économique de 2008, puis triplait au fur et à mesure de la hausse de l’affrontement avec l’Etat espagnol. Même si l’opinion publique en Catalogne a basculé en faveur des nationalistes, elle ne l’a pas fait de manière uniforme. Là encore, la question des classes sociales l’emporte : si les classes les plus riches sont favorables au séparatisme à 80%, les plus pauvres n’y sont favorables qu’à 40%.

9°) Le choix de la bourgeoisie et des classes dirigeantes espagnoles de détourner la colère sociale par la hausse des nationalismes a été à peine camouflée, tant par la partie espagnole que catalane. En 2014, Santi Vila, alors ministre de l’entreprise régionale catalane, a déclaré ouvertement : « Si ce pays n’avait pas avancé de discours fondé sur le nationalisme, comment aurait-il pu faire face à des ajustements de plus de 6 milliards d’euros ? » Et il est exact de la montée des luttes ouvrières et sociale commençait de menacer la stabilité de l’Etat espagnol, et tout autrement que les menaces séparatistes ne le faisaient… La lutte des travailleurs contre la pauvreté, l’austérité, la précarité, devenue de plus en plus une lutte d’ensemble, a franchi toutes les barrières, celles des appareils réformistes de la gauche, des nationalistes, des syndicats, des gouvernants et de la répression : les manifestations sociales sont passées de dix huit mille en 2011 à 36.000 en 2012 et, durant les deux premiers mois de 2014, il y a eu 184 grèves soutenues par 56.693 travailleurs, soit 5% de plus qu’en 2013. Cette dernière année, pour toute l’année, il y avait eu 1259 grèves impliquant plus d’un demi-million de travailleurs.

10°) La répression ultra-violente, cette radicalisation de la répression d’Etat, que l’on a constaté dans le conflit contre les partis séparatistes catalans avait été mise en œuvre bien avant et contre les grèves ouvrières. De nombreux travailleurs ont été violemment frappés, arrêtés, condamnés suite aux grèves et manifestations ouvrières lors des mouvements de travailleurs d’Espagne précédemment cités. Un des premiers signes de cette évolution vers la répression violente, la remise en cause des droits démocratiques et le fascisme d’Etat a été l’affrontement des policiers contre les ouvriers devant l’usine Airbus au cours de la grève générale de septembre 2010 contre les réformes du droit du travail menées par le gouvernement « socialiste » et souvent cautionnées par des syndicats « socialistes ». La « grève sauvage » de 2010 du Contrôle aérien a entraîné là aussi des arrestations avec demandes de nombreuses années d’emprisonnement des grévistes. Ces derniers se battaient contre un décret du gouvernement socialiste réduisant leurs salaires de 40%, augmentait les horaires de travail et réduisait les repos !! Cent treize travailleurs sont, du fait de ce conflit, traînés en prison et toujours menacés d’années d’emprisonnement !!! Ce type de répression n’avait pas refait surface en Espagne depuis le franquisme !!! C’est contre les grèves et manifestations ouvrières que les forces de répression de l’Etat espagnol ont été massivement augmentées, leurs crédits financiers montant en flèche non seulement avec le gouvernement de droite mais d’abord avec celui du PSOE qui l’a précédé ! C’est dans sa lutte contre la classe ouvrière de toute l’Espagne que la bourgeoisie espagnole, toutes tendances politiques confondues, s’est persuadée de la nécessité de renforcer la répression anti-ouvrière du pouvoir central et aussi de la nécessité de créer un contre-feu en armant politiquement et militairement le nationalisme. Le conflit en Catalogne a bel et bien servi de dérivatif à la lutte des classes dangereusement montante et menaçante dans toute l’Espagne et en premier dans la Catalogne ouvrière et populaire. C’est dans ces conditions que la bourgeoisie espagnole a remis en cause le droit de manifester, le droit de se rassembler, le droit de s’organiser pour combattre les politiques d’Etat, etc., et l’a utilisé de manière démonstrativement ultra-violente contre les manifestants catalans, y compris ceux agissant pacifiquement.

11°) Il est nécessaire de rappeler ce processus qui a mené l’un des Etats dits démocratiques d’Europe, qui était sorti d’un fascisme particulièrement détesté, à renouer avec des méthodes qui le rappellent. Comme on l’a vu, ce n’est nullement la violence du nationalisme catalan, ni celle du nationalisme espagnol, qui expliquent cette dérive du pouvoir d’Etat, ce cours de plus en plus violent en Espagne, même si les deux camps opposés tentent de le faire croire. Il est certain que les deux camps ont fait le choix de radicaliser leur affrontement du fait que tous les deux étaient déstabilisés par la montée ouvrière et sociale, en Espagne et plus encore en Catalogne, montée des luttes de classes qui les menaçait, qui les dénonçait aussi bien l’un que l’autre, et qui menaçait particulièrement les classes possédantes. On a vu aussi que, dès lors que l’affrontement prend un tour encore plus violent et sanglant entre nationalismes, la lutte des classes est momentanément et partiellement mise à l’écart et le piège nationaliste fonctionne assez bien, même si nombre de travailleurs n’en sont pas dupes, ni en Espagne ni en Catalogne.

12°) Bien des gens trouvent incompréhensible et même irresponsable que deux fractions d’une bourgeoisie au pouvoir, qui se partagent les fruits de l’exploitation des travailleurs, avec un succès relatif, qui mettent avec des résultats aussi importants en coupe réglée les exploités, se mettent ainsi à se déchirer violemment, menant à une quasi guerre civile ouverte en Catalogne. Ils témoignent ainsi qu’ils ne comprennent pas que ces classes possédantes ne sont pas seulement mues par des sentiments nationalistes, mais que ce sont d’abord leurs intérêts de classe qui les poussent à attiser ainsi les sentiments nationaux ou régionaux.

13°) Il est remarquable que ce type de politiques de division violente de la population, de guerre civile interne, menée par les classes dirigeantes ne concerne pas seulement l’Etat espagnol et la Catalogne. Toute l’Europe, et pas seulement elle, est concernée par des politiques semblables visant à diviser violemment la population, à polariser la situation politique et sociale sur une question annexe, et à opposer les travailleurs entre eux, effaçant momentanément l’aggravation de la lutte des classes. Brexit et anti-Brexit en Angleterre, pro et anti-migrants dans une bonne partie de l’Europe de l’Est et en Allemagne comme aux USA, pro et anti-musulmans en France, pro et anti-séparatistes à Hong Kong aussi, pro et anti-Amérindiens en Equateur, pro et anti-intégristes religieux dans le monde musulman, pro et anti-chiites au Yemen, au Liban, en Irak et en Syrie, etc. Dès que le grand capital est directement confronté au travail, mobilisé et de plus en plus organisé en tant que tel, il tente de lancer des guerres civiles fratricides au sein des peuples et aussi des guerres fratricides pour se dépatouiller d’une lutte de classes dans laquelle il ne représente pas un pourcent de la population a désormais un soutien équivalent à zéro dans les milieux les plus exploités et paupérisés. C’est bel et bien la politique de démagogie fasciste que favorise alors le grand capital, quitte à mettre des pays entiers, anciennement prospères, à feu et à sang !!! Et cela ne concerne pas que les pays les plus pauvres, les moins démocratiques, les plus arriérés. Non ! cela concerne directement les pays les plus développés du monde moderne capitaliste qui, parce qu’il est incapable de dépasser ses blocages économiques, de dépasser ses limites, ne peut que se transformer en un vaste bourbier sanglant de toutes les manières possibles (guerres intestines ou guerres tout court). Quand la classe capitaliste se sent menacée par la montée de la révolution ouvrière, elle cesse de vanter les mérites de la démocratie et transforme son appareil d’Etat en vaste opération de crimes à grande échelle et elle mobilise pour cela non seulement les forces armées, police, prisons et justice mais toutes les forces paramilitaires possibles, nationalistes et micronationalistes. Cela nous indique qu’il est inutile de nous accrocher à la démocratie bourgeoise et qu’il faut aller de l’avant vers la démocratie prolétarienne, vers le pouvoir aux travailleurs ! Et on voit aussi que, dans les périodes de crise, la gauche ou la gauche de la gauche, comme la gauche syndicale sont plus des adversaires que des amis ou alliés…

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Discussion dans l’extrême gauche

Quand la révolte sociale a commencé à gronder en Espagne

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