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Le premier acte révolutionnaire d’un être humain et non le moindre, c’est sa naissance

jeudi 14 mai 2020, par Robert Paris

Le premier acte révolutionnaire d’un être humain et non le moindre, c’est sa naissance

Nous ne parlerons pas ici de la naissance de l’espèce humaine actuelle mais simplement de la naissance d’un individu humain de notre espèce actuelle et effectivement nous pouvons valablement estimer qu’il s’agit d’une révolution !

Le renversement d’un état précédent de manière brutale, rapide, radicale et violente en détruisant l’état précédent a parfaitement lieu à chaque naissance d’un petit d’homme.

Voilà un être vivant qui non seulement passe brutalement, en quelques minutes et de manière assez violente, d’une vie dépendante d’un autre être vivant à une vie indépendante mais passe aussi :

 d’une vie entièrement dans l’eau et non dans l’air, à une vie hors de l’eau et dans l’air,

 d’un corps plein d’eau à un corps qui a évacué de ses cavités, notamment les poumons, toute l’eau qu’elles contenaient,

 d’une vie dans le noir à une vie à la lumière,

 d’une vie sans capacité de vision à une vie utilisant la vision oculaire,

 d’une vie nourrie directement et automatiquement de l’intérieur à une vie totalement dépendante de nourriture extérieure,

 d’une vie sans respiration pulmonaire et nasale à une vie ne fonctionnant qu’avec cette respiration,

 d’une vie sans contact directs avec le monde extérieur à une vie baignant brutalement dans celui-ci,

 d’une vie relativement protégée des bactéries et virus extérieurs à une vie qui ne l’est pas,

 d’une vie avec presqu’uniquement le sens tactile à une vie avec les cinq sens,

 d’une vie au calme et au chaud (à température fixe) à une vie dans un monde extérieur agité, à température changeante et plutôt froide,

etc, etc.

Et tout cela lors de l’événement probablement le plus brutal de la vie de cet être vivant ! Ce petit bout d’homme va en effet être expulsé de la poche protectrice où il a vécu neuf mois et il va l’être assez durement.

En effet, possesseur d’un gros cerveau, il dispose d’un gros crâne pour le protéger et il se trouve qu’au bout de neuf mois de croissance du fœtus, la taille de ce crâne est plus grande que le trou du bassin de sa mère par lequel il est censé passer alors que le fœtus a atteint une taille telle qu’il ne peut plus rester dans la poche qui le protégeait et qu’il ressent donc physiquement la nécessité de sortir. Fort heureusement, ce crâne est encore souple et va pouvoir être contracté pour passer par le bassin, suffisamment souple lui aussi pour s’élargir au passage, faute de quoi il arriverait à la mère et à l’enfant ce qui s’est sans doute finalement passé pour les derniers néandertaliens : mort du bébé et de la mère du fait d’un trop grand crâne ou trop rigide déjà !

C’est à la limite même de la possibilité de sortir que l’accouchement a lieu, moment inquiétant aussi bien pour la mère que pour l’enfant, tant la limite est déjà atteinte où la sortie pourrait handicaper ou tuer l’un et l’autre, comme c’était souvent le cas lorsque les capacités médiales étaient plus faibles qu’aujourd’hui.

Tout change donc brutalement pour le bébé humain et son nouvel univers matériel n’a absolument rien à voir avec l’ancien. D’aquatique, il devient terrestre, d’aveugle il devient voyant, d’un monde en noir il passe à la lumière et aux couleurs, de la vie fœtale il passe à la vie active.

Bien sûr, il ne fera pas toutes les autres révolutions à venir en même temps. Il a encore bien d’autres changements qui vont se réaliser progressivement dans son étape de nouveau-né et dans sa petite enfance, mais les transformations que nous avons citées, oui, il doit les faire en quelques minutes et c’est peu pour un tel changement radical !

C’est un choc très important même si la plupart des bébés s’en remettent. Il a tout ce qu’il faut pour s’y adapter, pour accepter cette nouvelle vie, pour répondre de manière positive. Son corps est prêt à ce changement brutal et radical. Mais cela n’efface nullement l’importance du choc.

Certains se demandent pourquoi certains bébés pleurent beaucoup, pourquoi les individus humains restent parfois profondément inquiets en leur fort intérieur, pourquoi la psychologie humaine n’est pas toujours très facile. Eh bien, l’acte de naissance donne une partie de la réponse… Les révolutions ne sont pas des longs fleuves tranquilles !

Oui, la naissance peut parfaitement être qualifiée d’acte révolutionnaire par excellence. Cela ne signifie pas qu’il s’agisse d’une violence contre-nature ou pour brutaliser la nature. Pas du tout ! C’est justement la nature qui commande cette révolution… C’est elle qui a donné tous les éléments matériels et psychologiques qui vont permettre une mutation d’ensemble considérable engageant l’ensemble du corps du nouveau-né, l’ensemble de ses organes, de ses fonctions, de ses systèmes vivants, de ses neurotransmetteurs, de ses hormones, etc. Ce renversement global d’un ancien ordre et son remplacement par un nouvel ordre global, qui va fonctionner à peu près ainsi durant toute sa vie, est prêt dès l’état fœtal à entrer en fonction mais il doit d’abord être activé par l’acte révolutionnaire de la naissance.

Et cette révolution est enclenchée par le fonctionnement lui-même du corps de la mère et du fœtus.

Il n’y a pas de programme préexistant ni de timing préinscrit. Les étapes émergent de la dynamique elle-même. Chaque transformation découle de la réalisation de la précédente. Bien sûr, la génétique de l’œuf fécondé, en particulier les gènes du développement ou homéogènes, est déjà en place dès le début, dès la première cellule. Mais la manière, épigénétique, dont vont se faire les opérations suivantes est tout aussi importante et va influencer de manière déterminante les étapes et le résultat final : un petit humain. Le fœtus ne découle pas seulement des multiplications de cellules, mais de leur diversification, de leur agencement, de leur élimination aussi, de l’introduction également d’éléments extérieurs, comme l’assimilation de substances nouvelles par la nourriture, le battement cardiaque de la mère, etc.

Bien sûr, chacun se souvient de l’affirmation selon laquelle la vie dans le liquide du fœtus serait un produit de l’évolution de notre espèce, issue des mammifères terrestres, eux-mêmes issus des poissons (« l’ontogenèse récapitule la phylogenèse » disait à tort Haeckel), mais nous savons maintenant que cette image, aussi fascinante soit-elle, n’est pas exacte. La vie du fœtus dans le liquide amniotique de la mère n’a rien d’une vie de poisson ! La biodynamique de l’évolution du fœtus n’a rien à voir avec une récapitulation de l’histoire des espèces !

L’histoire du fœtus, celle des étapes de sa construction, de celles des organes et des systèmes du corps humain, n’est pas la copie de l’évolution des espèces ancêtres, mais l’histoire de la formation d’un corps, avec des organes qui sont déjà en formation bien avant que leur fonctionnement ne soit nécessaire. Les fonctions émergent donc avant leur utilisation. Ce n’est pas l’évolution darwinienne qui pilote la formation du corps car ce n’est pas l’utilisation des organes qui guide leur formation et leur transformation. Le long développement fonctionnel du petit homme en préparation est guidé par son propre métabolisme et non préétabli, même si les grandes lignes de ces fabrications et de ces développements suivent les ordres des homéogènes.

Il y a cependant un rapport entre état fœtal et évolution des espèces. Car l’évolution ne se fait pas en passant d’une espèce à l’état adulte à une autre d’âge adulte, mais d’une espèce fœtale à une autre elle aussi fœtale. On a depuis longtemps remarqué d’ailleurs combien les fœtus se ressemblent. Mais cela ne signifie pas qu’Haeckel avait raison : les étapes du développement du fœtus d’une espèce ne retracent pas l’histoire des espèces ancêtres !

La grande révolution de la naissance n’est possible que par le développement fœtal bien entendu, lequel nécessite la préexistence des programmes génétiques, notamment ceux des gènes homéotiques, mais cela ne signifie pas que la dynamique de la formation d’un individu soit préétablie au sein du matériel génétique. C’est la réalisation réelle des étapes de construction qui va décider à chaque étape de la manière dont la suite de la construction va se faire.

La croissance quantitative mène au changement qualitatif. Les cellules se spécialisent. Les organes se forment et ils ne sont pas le simple produit de la multiplication (« croissez et multipliez-vous » mais aussi organisez-vous et spécialisez-vous !)

L’émergence de l’individu est le produit de sa propre réalisation. La révolution s’apprend elle-même à révolutionner ! Le petit d’homme est révolutionnaire dès sa naissance ! Elle ne marque pas une fin mais un début. Elle est le début notamment de la formation d’une intelligence et d’une conscience active. C’est l’activité du bout d’homme qui va s’intégrer dans son cerveau, produisant son intelligence et sa conscience. A la naissance, son cerveau ne pilote pas grand-chose !

Le nouvel état qui apparaît à la naissance est indispensable à la révolution humaine !

Les événements les plus marquants de cette grande révolution du passage du fœtus au nouveau-né sont les suivants :

 stress énorme dû aux contractions et à l’éjection, ainsi qu’au passage du bassin de la femme avec contraction du crâne et du corps

 prise de contact avec le vide, l’air ambiant et le froid

 élimination d’une grande quantité de l’eau contenue dans le corps

 mise en route des activités de tous les systèmes physiologiques, auditif, digestif, pulomnaire, nasal, etc.

Et quatre grands chocs qui vont venir après la naissance :

 le contact avec le corps extérieur de la maman (ventre et seins) et la vision de son visage

 le nourrissement extérieur avec allaitement ou biberon

 la découverte visuelle de son propre corps (plus tard ce sera la découverte de son propre vsage)

Et une découverte affolante : sa propre voix qu’il entend pour la première fois en criant et qui l’affole au point qu’il va crier une deuxième fois d’inquiétude.

À la naissance l’organisme doit brutalement s’adapter à la vie extra-utérine. La mise en route de la respiration est la plus urgente. Les alvéoles pulmonaires jusque-là collabées vont se déplisser lors de la première inspiration. Le premier cri accompagnant la première expiration témoigne de la réussite de cette opération.

L’adaptation circulatoire est déclenchée par la chute des pressions pulmonaires consécutive à l’aération fœtale. Elle entraîne la fermeture du canal artériel et du trou de Botal qui s’ouvrait entre cœur droit et cœur gauche.

L’adaptation hématologique met fin à l’hyperglobulie fœtale. La destruction de 500 000 à 1 million d’hématies par millimètre cube de sang va habituellement entraîner un ictère modéré (dit physiologique) parce que l’immaturité de la fonction de glycuro-conjugaison du foie le rend incapable d’éliminer rapidement la bilirubine libérée par cette hémolyse.

Épuration et nutrition qui se faisaient jusque-là au travers du placenta vont désormais dépendre des reins et du tube digestif. Pendant quelques semaines la paroi intestinale laissera filtrer certaines protéines qui pourront sensibiliser l’organisme, d’où l’importance de l’allaitement maternel, complété au besoin par des aliments équilibrés à base d’acides aminés ne contenant pas de grosses molécules protéiques.

Parmi les infirmités physiologiques du nouveau-né il faut en mentionner trois principales : thermorégulation imparfaite, glycémie instable, infection toujours menaçante.

– Les difficultés de la thermorégulation sont dues à la fois à l’importance relative de la surface cutanée et à la pauvreté de la thermogenèse.

– La facile survenue d’une hypoglycémie a lieu sous l’influence du refroidissement mais aussi du fait du jeûne traditionnel du premier jour, qui ne devrait plus être pratiqué. Ce risque est particulièrement grave chez les dysmatures.

En ce qui concerne le cerveau, l’essentiel va se passer très rapidement après la naissance. Le bébé possède environ cent milliards de neurones et seulement 10% d’entre eux sont déjà connectés. Les 90% restants vont se construire progressivement, en fonction des contacts avec l’environnement, des activités et des sentiments perçus.

Lors de sa conférence de juillet 2002 pour l’Université de tous les savoirs, Jean-Pierre Changeux note : « Le bébé humain naît avec un contingent de connexions qui est la moitié de celui de l’adulte. (...) Au cours du développement du fœtus à l’adulte, et notamment chez le nouveau-né, à un stade où se constituent près de 50% des connexions du cerveau de l’homme adulte, les synapses se forment, certaines en nombre supérieur à ce qu’il sera chez l’adulte. L’interaction avec le monde extérieur va contribuer à la sélection de certaines connexions et à l’élimination de certaines autres. »

Au cours du développement du fœtus à l’adulte, et notamment chez le nouveau-né, à un stade où se constituent près de 50% des connexions du cerveau de l’homme adulte, les synapses se forment, certaines en nombre supérieur à ce qu’il sera chez l’adulte. L’interaction avec le monde extérieur va contribuer à la sélection de certaines connexions et à l’élimination de certaines autres. » Le processus de fabrication embryonnaire du cerveau est un processus d’auto-organisation de l’agitation au hasard des formations des cellules nerveuses, les neurones, et des interconnexions ou destructions de celles-ci. L’ordre provient de la destruction ou de l’inhibition alors que le désordre est l’initiateur de la construction. L’ordre du cerveau n’est nullement préétabli, pas plus que celui de la cellule, de la particule ou de la société. Il est, comme une ville, comme un bâtiment, en perpétuelle destruction et reconstruction.

C’est cette malléabilité qui a grandit d’un seul coup entre le pré-humain et l’homme. Le neurobiologiste Alain Prochiantz souligne qu’il ne s’agit pas seulement de localisation des zones cérébrales ou de leur augmentation de taille mais d’une propriété particulière des inter-neurones chez l’homme : les GABAergiques, qui permettent au cerveau humain d’être sans cesse en construction, dépassant largement la période de formation cérébrale du jeune singe appelée période critique, les quelques semaines après la période postnatale au delà desquels on ne peut plus modifier les zones neuronales . « Il existe des régions du système nerveux où cette période critique ne se produit jamais ou bien où, une fois la période critique passée, une certaine plasticité demeure. (...) La perte de plasticité qui suit la période critique est due à la maturation morphologique et biochimique des interneurones GABAergiques. En effet, si on empêche la fonction inhibitrice de ces neurones, par exemple en diminuant leur capacité de synthèse du neuromédiateur inhibiteur qu’est le GABA, la période critique peut alors être repoussée (...) On pourra proposer que ce qui distingue les régions à renouvellement GABAergique permanent (...) des régions à non-renouvellement est le maintien d’une plasticité physiologique permettant l’apprentissage, par exemple de nouvelles odeurs, ou la mémorisation de nouvelles données (...) Il faut rappeler que plusieurs gènes de développement restent exprimés pendant toute la durée de la vie. Cette expression continuée, et surtout sa régulation, pourrait constituer une forme de réponse aux stimulations sensorielles externes et internes. En effet, il est logique de penser que la permanence du processus ontogénique de renouvellement des neurones, de modification de forme des prolongements neuronaux et de renouvellement synaptique participe à l’adaptation physiologique du cerveau adulte. » Il s’agit là d’une interprétation de la plus grande plasticité cérébrale chez l’homme et de sa capacité à continuer à apprendre tout au long de son existence. On notera que le caractère plus ou moins dynamique des zones du cerveau est fondé sur l’inhibition de neuromédiateurs inhibiteurs, une négation de la négation.

J’en viens à la sculpture du corps qui se produit lors du développement de l’embryon. Bien entendu, le développement d’un individu nécessite une multiplication de cellules qui permet d’augmenter la taille et de passer de l’œuf fécondé à une être vivant complet. Mais cet être vivant n’est pas seulement constitué d’un amas indifférencié de cellules. Il faut doter cet individu de liaisons, de fonctionnements et d’organes. Ceux-ci doivent être produits progressivement de manière à être connectés dès leur formation au reste du corps. Cela nécessite des étapes de formation dont certaines bâtissent des zones qu’il faudra ensuite détruire pour permettre aux étapes suivantes de se réaliser. Nous avons un grand nombre de ces structures intermédiaires comme les palmes des doigts ou encore les cellules qui occupent ce qui deviendra la cage thoracique. A un moment précis dans l’horloge du développement, il faut que ces cellules disparaissent. Ce sont des époques d’apoptose massive. Il en va de même pour la formation des membres. Ceux-ci sont au départ des germes insérés dans les chairs et, au moment où les membres vont devoir se développer, la chair qui les enserrait va connaître le suicide d’un nombre considérable de cellules. Comme le disait Atlan, on assiste à des phases successives de désorganisation avec multiplication des structures nouvelles et de réorganisation avec destruction sélective. La structure est produite non par un schéma de construction préétabli de la structure finale mais par un processus au hasard de multiplication et de diversification par la destruction qui creuse les formes et démolit les constructions intermédiaires.

Un des exemples connus est celui des organes génitaux mâle et femelle. Au début, l’être vivant reçoit des embryons des deux types d’organes : canal de Müller et canal de Wolff. Le chromosome Y déterminant le sexe masculin va entraîner le développement des cellules du canal de Wolff et en même temps entraîner la mort par apoptose des cellules du canal de Müller qui est l’ébauche des organes génitaux féminins. Et inversement pour le chromosome X. Il s’agit à nouveau d’une rupture de symétrie ou un choix entraîne la disparition par apoptose ou l’inhibition des gènes et la destruction des protéines correspondants à l’autre choix. Tout le fonctionnement de l’individu est modifié. Par exemple, à partir de la rupture de symétrie correspondant au développement des organes sexuels, les neurones qui correspondent au pilotage de l’autre sexe vont être atrophiés puis disparaître par suicide cellulaire.

Nous allons examiner maintenant comment le suicide cellulaire est à la base de la structuration extraordinairement complexe des réseaux neuronaux du cerveau qui est l’une des sculptures du corps les plus étonnantes se produisant au sein de l’embryon. Nos nerfs sont répartis dans l’ensemble de notre corps et aboutissent aux centres nerveux et au cerveau. Chaque neurone est une cellule et en tant que telle possède la capacité de déclencher son suicide. Si le neurone est privé des signaux venus des autres neurones, signaux électriques et chimiques, il met très peu de temps à mourir. Il suffit qu’une zone d’activité nerveuse du corps ne fonctionne plus pour que les neurones correspondants au réseau qui pilote cette zone se suppriment ainsi que ceux qui les commandent dans le cerveau. Par contre ces neurones peuvent éventuellement être activés en vue de piloter une autre zone.

Mais le plus impressionnant dans le rôle de l’apoptose est la fabrication du cerveau lui-même. C’est en effet par suicide cellulaire que va se construire l’édifice extraordinairement complexe des ramifications du cerveau. Lors de sa fabrication, pendant le développement de l’embryon, les cellules du cerveau se multiplient, se déplacent, se ramifient et se diversifient de façon spontanée et désordonnée. Pour survivre, elles ont besoin de recevoir des messages des cellules voisines, des impulsions le long de leurs bras, et des neurotransmetteurs. Celles qui ne reçoivent pas suffisamment de signaux de survie vont se suicider. Le réseau qui va résulter de cette multiplication des connections suivie de destructions massives sera adapté au fonctionnement du corps mais sans avoir eu un plan de fabrication préétabli. Le réseau a été constitué par expérience et par tâtonnement, suivi d’une destruction constructrice. La plupart des neurones et de leurs connections vont en effet disparaître. Le processus peut paraître extrêmement coûteux mais le résultat est d’une souplesse et d’une efficacité si extraordinaires que personne n’est capable de fabriquer artificiellement l’équivalent d’un cerveau.

Cette plasticité est accrue par le fait que les échangeurs, les relais et les intermédiaires sont eux-mêmes changeants, dynamiques, et s’autodétruisent en cas d’inutilité. Ainsi les synapses qui connectent les neurones peuvent se multiplier ou au contraire se supprimer.

Dans l’embryon en train de se construire, à un certain moment de notre développement, les neurones ont en effet cessé de se dédoubler et ont alors émis des prolongements, les axones, qui se sont projetés en aveugle, guidés par des signaux chimiques qui les attirent vers certaines zones et d’autres signaux qui leur interdisent l’accès à certains territoires et vont se connecter à des cellules musculaires, des cellules de la peau, etc . Puis ces mêmes neurones envoient d’autres prolongements plus fins, les dendrites, vers des cellules voisines, constituant de proche en proche des réseaux de communications par lesquels circulent des signaux électriques et des signaux chimiques. Les neurones se diversifient en plusieurs dizaines de sous-familles spécialisées qui se multiplient dans des zones spécifiques du cerveau. Pour chaque neurone appartenant à une sous-famille donnée, seul le contact avec certains types de neurones est possible. Là encore, c’est l’apoptose qui, en l’absence de signaux de survie, va faire disparaître les neurones inadéquats. Je cite ici Ameisen : « Ainsi la sculpture de la complexité de notre système nerveux résulte d’une forme d’apprentissage du soi fondée sur un dialogue obligatoire entre les cellules et sanctionnée par la mort »

La conscience se construit au sein de l’embryon puis de l’enfant. La conscience apparaît ainsi comme un réglage de rythmes des messages neuronaux. Le meilleur moyen d’en prendre conscience est le message subliminal. Il est trop rapide pour être piloté par la conscience. Celle-ci est donc une capacité construite au fur et à mesure par le petit enfant pour accrocher les rythmes des messages cérébraux, rythmologie qui s’apprend par expérience, comme s’apprend la synchronisation des rythmes du cœur, qui est lui aussi acquis seulement au fur et à mesure du développement du bébé. Tout cela signifie déjà que la conscience est, elle aussi, une production du fonctionnement général et pas un attribut préétabli, un ordre reçu une fois pour toutes. La conscience n’est pas un objet fixe ni un composé d’objets. C’est une structure dynamique qui émerge de la dynamique instable du cerveau comme la particule émerge de l’agitation du vide ou la vie de l’agitation des macromolécules. Car, pas plus que la conscience et les messages neuronaux, la matière, la lumière, la vie n’existent une fois pour toutes. Comme les étoiles dont une partie de la matière a été transformée, au sein des réactions thermonucléaires, et son énergie se disperse en rayonnement, comme le contenu des cellules sans cesse transformé par leur propre métabolisme, comme les nuages qui ne cessent de perdre des molécules d’eau et d’en agglomérer de nouvelles, les schémas des circuits neuronaux actifs, les particules de matière et de lumière sont sans cesse détruits et reconstruits. C’est la structure qui est globalement conservée et cela nécessite que le contenu soit sans cesse changé. Ils n’apparaissent stables (comme la particule) que si leur processus de destruction/reconstruction est beaucoup plus rapide que leur temps d’existence. C’est donc la brutalité de leur transformation révolutionnaire qui explique fondamentalement leur apparence. La raison de cette propriété remarquable peut être comprise : des structures de niveau inférieur d’organisation ne peuvent transformer le niveau supérieur qui si elles agissent rapidement et brutalement, c’est-à-dire avec une grande énergie dans un temps court.

La suite

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