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Que veut dire K. Marx en affirmant que « La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même » ?

dimanche 20 septembre 2020, par Robert Paris

Que veut dire K. Marx en affirmant que « La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même » ?

Marx spécifie ainsi que le capitalisme connaît une ultime barrière, propre à sa nature, et existant de manière interne, qui est la limite d’accumulation.

Karl Marx : « Le capitalisme ne sera jamais aussi vulnérable que quand il atteindra son apogée. »
« La production du capitalisme engendre, tel une loi de la nature inexorable, sa propre négation. »

Marx et Engels disaient-il que le capitalisme ne pouvait pas se détruire lui-même ?

« La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même : le capital et sa mise en valeur par lui-même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin de la production ; la production n’est qu’une production pour le capital et non l’inverse : les moyens de production ne sont pas de simples moyens de donner forme, en l’élargissant sans cesse, au processus de la vie au bénéfice de la société des producteurs. Les limites qui servent de cadre infranchissable à la conservation et la mise en valeur de la valeur-capital reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs ; elles entrent donc sans cesse en contradiction avec les méthodes de production que le capital doit employer nécessairement pour sa propre fin, et qui tendent à promouvoir un accroissement illimité de la production, un développement inconditionné des forces productives sociales du travail, à faire de la production une fin en soi. Le moyen développement inconditionné de la productivité sociale entre perpétuellement en conflit avec la fin limitée : mise en valeur du capital existant. Si donc le mode de production capitaliste est un moyen historique de développer la force productive matérielle et de créer le marché mondial correspondant, il représente en même temps une contradiction permanente entre cette tâche historique et les rapports de production sociaux qui lui correspondent. »

Karl Marx, Le Capital, livre Trois

Thomas Joseph Dunning cité par Karl Marx dans Le Capital
« Le capital fuit le tumulte et les conflits. Il est peureux de nature. Cela est très vrai, mais n’est pourtant pas toute la vérité. Le capital a horreur de l’absence de profit ou des très petits profits comme la nature a horreur du vide. Quand le profit est adéquat, le capital devient audacieux. Garantissez-lui 10 pour cent, et on pourra l’employer partout ; à 20 pour cent, il s’anime, à 50 pour cent, il devient carrément téméraire ; à 100 pour cent il foulera aux pieds toutes les lois humaines ; à 300 pour cent, il n’est pas de crime qu’il n’osera commettre, même s’il encourt la potence. Si le tumulte et les conflits rapportent du profit, il les encouragera l’un et l’autre. La preuve : la contrebande et la traite des esclaves. »
« Le secret de la théorie de la valeur chez Marx, de son analyse de l’argent, de sa théorie du Capital, du taux de profit, et, par conséquent, de tout le système économique actuel, est le caractère périssable de l’économie capitaliste, son écroulement, et, par conséquent — ceci n’est que l’autre aspect — le but final socialiste. C’est précisément et uniquement parce que Marx considérait l’économie capitaliste tout d’abord en tant que socialiste, c’est à-dire du point de vue historique, qu’il put déchiffrer ses hiéroglyphes, et c’est parce qu’il fit du point de vue socialiste le point de départ de l’analyse scientifique de la société bourgeoise qu’il put, à son tour, donner une base scientifique au socialisme. (...) Mais quelle est la clé magique qui a précisément permis à Marx de pénétrer les secrets les plus intimes de tous les phénomènes capitalistes, de résoudre, comme en se jouant, des problèmes dont les plus grands esprits de l’économie bourgeoise, tels Smith et Ricardo, ne soupçonnaient même pas l’existence ? Rien d’autre que d’avoir conçu l’économie capitaliste tout entière comme étant un phénomène historique ayant une histoire non seulement derrière lui, comme le comprenait tout au plus l’économie classique, mais aussi, devant lui, non seulement à l’égard du passé qu’était l’économie féodale, mais notamment à l’égard de l’avenir socialiste. Le secret de la théorie de la valeur chez Marx, de son analyse de l’argent, de sa théorie du Capital, du taux de profit, et, par conséquent, de tout le système économique actuel, est le caractère périssable de l’économie capitaliste… C’est précisément et uniquement parce que Marx considérait l’économie capitaliste tout d’abord en tant que socialiste, c’est-à-dire, du point de vue historique, qu’il a pu déchiffrer ses hiéroglyphes… »

Karl Marx dans "Principes d’une critique de l’économie politique" :
« La force productive déjà existante et acquise sous la forme de capital fixe, les conquêtes de la science, le sort des populations etc., bref les immenses richesses et les conditions de leur reproduction dont dépend le plus haut développement de l’individu social et que le capital a créées dans le cours de son évolution historique - cela étant on voit qu’à partir d’un certain point de son expansion, le capital lui même supprime ses propres possibilités. Au delà d’un certain point, le développement des forces productives devient une barrière pour le capital ; en d’autres termes, le système capitaliste devient un obstacle pour l’expansion des forces productives du travail. Arrivé à ce point, le capital ou plus exactement le travail salarié, entre dans le même rapport avec le développement de la richesse sociale et des forces productives que le système des corporations, le servage, l’esclavage et il est nécessairement rejeté comme une entrave. »

Le passage concerné du texte de Marx d’où est tiré la citation est le suivant :

« La dépréciation périodique du capital existant [car à chaque cycle le capital s’agrandit,donc le capital précédent voit sa part dans le total s’abaisser], qui est un moyen immanent au mode de production capitaliste d’arrêter la baisse du taux de profit et d’accélérer l’accumulation de valeur-capital par la formation de capital neuf, perturbe les conditions données, dans lesquelles s’accomplissent les procès de circulation et de reproduction du capital, et, par suite, s’accompagnent de brusques interruptions et de crises du procès de production. La baisse relative du capital variable par rapport au capital constant, qui va de pair avec le développement des forces productives, stimule l’accroissement de la population ouvrière, tout en créant constamment une surpopulation artificielle [c’est-à-dire que le chômage est provoqué ici par l’abaissement de la part des ouvriers dans la production, aux dépens des machines]. L’accumulation du capital, au point de vue de sa valeur, est ralentie par la baisse du taux de profit, qui hâte encore l’accumulation de la valeur d’usage [de marchandises utiles, utilisées], tandis que celle-ci, à son tour accélère le cours de l’accumulation quant à sa valeur [car plus de choses sont produites et vendues, donc valorisant le capital].La production capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes, mais elle n’y parvient qu’en employant des moyens qui, de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières.La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même. »

Karl Marx écrit, toujours dans Le Capital, tome III :
« La production capitaliste tend constamment à dépasser les limites qui lui sont immanentes, mais elle n’en triomphe que par des moyens qui lui opposent ces limites à nouveau et sur une échelle encore plus gigantesque. La véritable limite de la production capitaliste, c’est le capital lui-même, autrement dit le fait que le capital et la réalisation de sa valeur apparaissent comme le point de départ et le terme, comme le modèle et le but de la production ; que la production n’est telle que pour le capital, au lieu que les moyens de production soient simplement des moyens pour une intensification toujours croissante du processus vital de la société des producteurs. Les limites en dehors desquelles ne peut s’effectuer la conservation et la réalisation de la valeur du capital, qui reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement des larges masses de producteurs, ces limites entrent constamment en conflit avec les méthodes de production que le capital doit employer pour atteindre ses buts, méthodes qui visent à l’accroissement illimité de la production, autrement dit la production pour la production, le développement absolu de la productivité sociale du travail. Le moyen – développement absolu des forces de la productivité sociale – se trouve en conflit permanent avec le but restreint : la mise en valeur du capital existant. Si le mode capitaliste de production est un moyen historique pour développer la force productive matérielle et pour créer le marché mondial qui lui correspond, il est en même temps la contradiction permanente entre cette tâche historique qui est sienne et les conditions sociales de la production qui lui correspondent. »

Cet extrait provient du texte suivant :

Le développement des contradictions immanentes de la loi

1. Considérations générales

Nous avons vu, dans la première partie de ce volume, que le taux du profit est toujours inférieur à celui de la plus-value et nous venons d’exposer que même l’accroissement du taux de la plus-value a une tendance à se traduire par une baisse du taux du profit. Les deux taux ne sont égaux que dans le seul cas où c est égal à zéro, c’est-à-dire lorsque le capital est exclusivement avancé pour le salaire. La baisse du taux du profit n’est accompagnée d’une baisse du taux de la plus-value que lorsque le rapport entre la valeur du capital constant et la quantité de force de travail reste invariable ou que cette dernière augmente par rapport à la première. Si Ricardo confond le taux du profit avec le taux de la plus-value, c’est parce qu’il assigne une grandeur constante à la journée de travail, qu’elle soit intensive ou extensive.
La baisse du taux du profit et l’accélération de l’accumulation sont des manifestations d’un même phénomène, puisqu’elles expriment l’une et l’autre le développement de la productivité. L’accumulation accentue la baisse du taux du profit, parce qu’elle détermine la concentration des travaux et une composition supérieure du capital. A son tour, la baisse du taux du profit active la concentration et la centralisation du capital parce qu’elle pousse à la mise hors combat des petits capitalistes et à l’expropriation des derniers survivants de la production directe, accélérant ainsi l’accumulation en tant que masse, la faisant tomber en tant que taux.
Cependant la plus-value étant le but de la production capitaliste, la baisse du taux du profit ralentit la formation de capitaux nouveaux et favorise la surproduction, la spéculation, les crises, la surabondance de capital et la surpopulation. Aussi les économistes comme Ricardo, qui considèrent la production capitaliste comme une forme définitive, constatent-ils qu’elle se crée elle-même ses limites et attribuent-ils cette conséquence, non pas à la production, mais à la Nature (dans la théorie de la rente). Ce qui les épouvante surtout dans la baisse du taux du profit, c’est le sentiment que le régime capitaliste rencontre dans le développement des forces productives, des bornes qui n’ont rien à voir avec la production de la richesse en elle-même, des limites qui établissent le caractère historique, passager, du mode capitaliste et montrent qu’à un moment donné il doit forcément se trouver en conflit avec les conditions mêmes de son développement.
Il est vrai que Ricardo et son école ne considèrent que le profit industriel (qui comprend l’intérêt). Mais le taux de la rente foncière a également une tendance à baisser bien qu’il puisse augmenter relativement au taux du profit industriel et que la rente puisse s’accroître d’une manière absolue (Voir Ed. West, qui avant Ricardo a développé la loi de la rente foncière). Considérons le capital total C de la société et appelons pi le profit industriel, déduction faite de l’intérêt et de la rente foncière, i l’intérêt et r la rente foncière. Nous avons :
pl / C = p / C = (pi + i + r) / C = pi / C + i / C + r / C
Nous avons vu que si le développement de la production capitaliste a pour effet de faire augmenter pl, la masse de plus-value, il n’en est pas de même de pl / C, qui décroît d’une manière continue, parce que C augmente plus rapi¬dement que pl. Il n’y a donc aucune contradiction à ce que pi, i et r augmentent sans cesse l’un indépendamment de l’autre, pendant que pl / C = p / C, pi / C, i / C et r / C diminuent de même continuellement, ni à ce que pi augmente par rapport à i, ou r par rapport à pi, ou r par rapport à pi et i. Lorsque la plus-value ou le profit (pl = p) augmente pen¬dant que le taux du profit pl / C = p / C baisse, les valeurs de pl, pi, i et r peuvent se modifier l’une par rapport à l’autre, sans que les grandeurs de pl et de pl / C en soient affectées.
Les va¬riations réciproques de pl, i et r expriment simplement que pl se répartit de différentes manières entre le profit, l’in¬térêt et la rente. Les rapports pi / c, i / c et r / c peuvent augmenter l’un par rapport à l’autre pendant que pl / C, le taux gé¬néral du profit, baisse, pourvu que leur somme reste égale à pl / C.
Le taux de la plus-value étant de 100 %, suppo¬sons qu’une modification de la composition du capital, de (50 c + 50 v) devenant (75 c + 25 v), entraîne une chute du taux du profit, tombant de 50 % à 25 %. Avec la première composition, un capital de 1000 fournira 500 de profit, tandis qu’avec la seconde un capital de 4000 n’en donnera que 1000 ; pl ou p aura doublé, alors que p’ sera réduit de moitié. En supposant que dans le pre¬mier cas, les 50 % se soient divisés en 20 de profit, 10 d’intérêt et 20 de rente, c’est-à-dire que l’on ait pi / C = 20 % ; i / C = 10 % ; r / C = 20 %, on obtiendra dans le second (la répartition restant la même) : pi / C = 10 % ; i / C = 5 % ; r / C = 10 %. Il est certain que si la répartition donnait pi / C = 8 % ; i / C = 4 %, on aurait r / C = 13 % ; la grandeur de r se serait accrue par rapport à pi et i, mais p’ serait resté constant.
L’hypothèse de Ricardo qu’à l’origine le profit industriel (plus l’intérêt) absorbe toute la plus-value, est fausse historiquement et logiquement. Ce n’est que lorsque la production capitaliste a atteint un certain développement que le profit tout entier afflue d’abord aux capitalistes, industriels et commerçants, pour être reparti, et que la rente se ramène à ce qui reste après déduction du profit. Cette base capitaliste étant établie, la rente, qui est une partie du profit (c’est-à-dire de la plus-value, du produit du capital total) et non une partie du produit que le capitaliste empoche, recommence à croître.
Les moyens de production, c’est-à-dire une accumulation suffisante de capital, étant donnés, la formation de la plus-value n’a d’autre borne que la population ouvrière, si le degré d’exploitation du travail est déterminé, et que le degré d’exploitation du travail, si la population ouvrière est donnée. L’obtention de cette plus-value, qui est le but et le motif de l’organisation capitaliste, constitue le procès immédiat de production. Dès que tout le surtravail qu’il est possible d’extorquer est matérialisé sous forme de marchandise, la plus-value est produite. Mais à ce moment le premier acte seulement du procès de production capitaliste, la production proprement dite, est terminé, et le second acte doit commencer. Les marchandises produites, qu’elles incorporent le capital constant et le capital variable ou qu’elles représentent la plus-value, doivent être vendues. Si cette vente est impossible, ou si elle ne peut être faite qu’en partie, ou encore si elle a lieu à des prix au-dessous des coûts de production, l’exploitation de l’ouvrier, qui existe en tout cas, est sans profit pour le capitaliste ; la plus-value extorquée n’est pas réalisée ou n’est réalisée qu’en partie ; peut-être même le capital est-il partiellement ou totalement perdu.
Les conditions de l’exploitation du travail et de sa mise en valeur ne sont pas les mêmes et elles diffèrent, non seulement au point de vue du temps et du lieu, mais en elles-mêmes. Les unes sont bornées exclusivement par la force productive de la société, les autres par l’importance relative des diverses branches de production et la puissance de consommation de la masse. Quant à cette dernière, elle dépend non de ce que la société peut produire et consommer, mais de la distribution de la richesse, qui a une tendance à ramener à un minimum, variable entre des bornes plus ou moins étroites, la consommation de la grande masse -, elle est limitée en outre par le besoin d’accumulation, d’agrandissement du capital et d’utilisation de quantités de plus en plus fortes de plus-value. Elle obéit ainsi à une loi qui trouve son origine dans les révolutions incessantes des méthodes de produire et la dépréciation constante du capital qui en est la conséquence, dans la concurrence générale et la nécessité, dans un but de conservation et sous peine de ruine, de perfectionner et d’étendre sans cesse la production. Aussi la société capitaliste doit-elle agrandir continuellement ses débouchés et donner de plus en plus aux conditions qui déterminent et règlent le marché, les apparences d’une loi naturelle indépendante des producteurs et échappant au contrôle, afin de rendre moins apparente la contradiction immanente qui la caractérise. Seulement plus la puissance productive se développe, plus elle rencontre comme obstacle la base trop étroite de la consommation, bien qu’au point de vue de cette dernière, il n’y ait aucune contradiction dans la coexistence d’une surabondance de capital avec une surabondance croissante de population. Car il suffirait d’occuper l’excès de population par l’excès de capital pour augmenter la masse de plus-value ; mais dans la même mesure s’accentuerait le conflit entre les conditions dans lesquelles la plus-value est produite et réalisée.
Pour un taux déterminé, la masse du profit dépend de la grandeur du capital. L’accumulation est la fraction de cette masse qui est convertie en capital ; elle est égale, par conséquent, au profit moins le revenu et elle dépend non seulement de la valeur absolue du profit, mais des prix des marchandises que le capitaliste achète, soit pour sa consommation personnelle, soit pour son capital constant (nous supposons que le salaire reste invariable).
La quantité de capital que l’ouvrier met en œuvre et dont il conserve la valeur en la transformant en produit, diffère absolument de la valeur qu’il y ajoute. Si ce capital est, par exemple, égal à 1000 et si le travail y ajoute 100, le capital reproduit a une valeur de 1100 ; si le capital est de 100 et si le travail y ajoute 20, le capital reproduit est de 120. Dans le premier cas le taux du profit est de 10 %, dans le second il est de 20 %, et, pourtant, des 100 ajoutés dans le premier cas, on peut accumuler davantage que des 20 du second cas. Abstraction faite de la dépréciation résultant du progrès de la force productive, le potentiel d’accumulation du capital est donc en raison de l’élan que celui-ci possède déjà et non en raison du taux du profit. Un taux élevé du profit marche de pair avec un taux élevé de la plus-value, lorsque la journée de travail bien que peu productive est très longue, lorsque les besoins des ouvriers sont très modestes et par suite le salaire très bas. Le capital s’accumule alors lentement, malgré le taux élevé du profit ; la population est stagnante et le temps de travail que coûte le produit est considérable bien que le salaire soit peu élevé.
Le taux du profit baisse, non parce que l’ouvrier est moins exploité, mais parce que moins de travail est mis en œuvre par un capital déterminé.
La baisse du taux du profit marchant parallèlement à une augmentation de la masse du profit, une quantité plus grande du produit annuel du travail est appropriée par le capitaliste comme capital (pour renouveler le capital consommé) et une partie relativement plus petite comme profit. D’où cette fantaisie du pasteur Chalmers, que moins est considérable la partie du produit annuel que les capitalistes dépensent comme capital, plus est grande la quantité de profit qu’ils empochent, opération pour laquelle ils sont, il est vrai, assurés du concours des églises d’Etat, qui s’entendent à merveille à consommer et non capitaliser une grande partie du surproduit. Le pasteur confond la cause et l’effet. Même lorsqu’il diminue comme taux, le profit augmente comme masse, à mesure que le capital avancé devient plus considérable. Mais il faut pour cela, d’abord la concentration du capital et par conséquent l’engloutissement des petits capitalistes par les grands ; ensuite la séparation des producteurs des conditions du travail, l’intervention personnelle dans la production, assez importante chez les petits capitalistes, s’effaçant d’autant plus chez les grands que la masse de capital qu’ils engagent devient plus considérable. C’est cette séparation qui engendre la notion dur capital et qui, point de départ de l’accumulation (vol. 1, chap. XIV), continuera à se manifester dans la concentration des capitaux jusqu’au moment où leur accumulation aux mains de quelques-uns aboutira à l’expropriation, c’est-à-dire la décapitalisation. Cette suite logique des choses aurait vite fait de déterminer l’effondrement de la production capitaliste, si d’autres facteurs n’opposaient leur effort centrifuge (décentralisateur) à sa tendance centripète.
2. Le conflit entre l’extension de la production et la mise en valeur
Le développement de la productivité sociale du travail se manifeste de deux manières : d’une part les forces productives (valeur et masse des éléments de la production et grandeur absolue du capital accumulé) deviennent plus considérables, d’autre part le salaire diminue d’importance par rapport au capital total, c’est-à-dire la quantité de travail vivant nécessaire pour reproduire et mettre en valeur un capital déterminé devient de plus en plus petite. Ces conséquences impliquent en même temps la concentration du capital.
En ce qui concerne spécialement la force de travail, l’action de l’extension de la production s’affirme également sous un double aspect : elle pousse à l’accroissement du surtravail, c’est-à-dire à la diminution du temps indispensable à la reproduction de:la force de travail ; elle restreint le nombre d’ouvriers nécessaires pour mettre cri mouvement un capital déterminé. Non seulement ces deux effets se font sentir simultanément, mais l’un détermine l’autre : ce sont les manifestations d’une même loi, ce qui n’empêche qu’ils agissent en sens inverse sur le taux du profit. En effet, celui-ci est exprimé par pl / C = plus-value / capital total, expression dans laquelle le numérateur dépend du taux de la plus-value et de la quantité de travail mise en œuvre, c’est-à-dire de l’importance du capital variable. Or, l’un de ces facteurs, le taux de la plus-value, augmente tandis que l’autre, le nombre d’ouvriers, diminue (en valeur absolue ou en valeur relative), car d’une part le développement de la productivité diminue la partie payée du travail mis eu œuvre, et d’autre part elle restreint la quantité de travail qui est appliquée par un capital déterminé. Même s’ils pouvaient vivre d’air et par conséquent s’ils ne devaient rien produire pour eux-mêmes, deux ouvriers en travaillant 12 heures par jour ne fourniraient pas autant de plus-value que vingt-quatre ouvriers dont le travail quotidien ne serait que de 2 heures. Il existe une limite infranchissable, au-delà de laquelle il est impossible de poursuivre la réduction du nombre de travailleurs en augmentant le degré d’exploitation du travail ; la baisse du taux du profit peut être contrariée, mais non supprimée.
Le développement de la production capitaliste provoque donc la baisse du taux du profit, mais comme il a pour effet la mise en œuvre de capitaux de plus en plus considérables, il augmente la masse de profit ; quant à l’accroissement du capital, il dépend à la fois de sa masse et du taux du profit. Directement l’accroissement de la productivité (qui ne va pas sans une dépréciation du capital constant) ne peut augmenter la valeur du capital que si, par la hausse du taux du profit, elle donne plus de valeur à la partie du produit annuel qui est reconvertie en capital ; ce qui, en considérant la puissance de production du travail (qui n’a directement rien à faire avec la valeur du capital existant) ne peut arriver que pour autant qu’il y ait augmentation de la plus-value relative ou diminution de la valeur du capital constant, c’est-à-dire dépréciation des marchandises nécessaires à la reproduction de la force du travail ou du capital constant. Dans les deux cas, il y a diminution de valeur du capital existant et réduction du capital variable par rapport au capital constant, résultats qui ont pour conséquence, d’une part de faire tomber le taux du profit, d’autre part d’en ralentir la chute. En outre, toute hausse du taux du profit, par le fait qu’elle augmente la demande de bras, pousse au développement de la population ouvrière, c’est-à-dire de la matière exploitable sans laquelle le capital n’est pas capital.
Indirectement le progrès de la productivité du travail pousse à l’augmentation de la valeur du capital existant, car il multiplie la masse et la diversité des valeurs d’usage qui correspondent à une même valeur d’échange et qui fournissent la matière du capital, c’est-à-dire les objets qui constituent directement le capital constant et indirectement le capital variable. Un même capital mis en œuvre par une même quantité de travail crée, sans que leur valeur d’échange augmente, plus d’objets convertibles en capital et augmente ainsi la masse des produits capables de s’incorporer du travail, de fournir de la plus-value et d’être le point de départ d’une extension du capital. La masse de travail que le capital peut mettre en œuvre dépend, non de sa valeur, mais de la quantité de matières premières et auxiliaires, de machines et d’aliments qu’il représente. Si cette quantité s’accroît, et si en même temps augmente la masse de travail et de surtravail qui lui est appliquée, il y a extension de la valeur du capital reproduit et du capital nouveau qui y est ajouté.
Il importe de ne pas considérer, comme le fait Ricardo, les deux facteurs de l’accumulation, l’un indépendamment de l’autre ; ils impliquent une contradiction, qui se traduit par des tendances et des phénomènes opposés se manifestant simultanément. Pendant que l’augmentation du capital pousse à l’augmentation effective de la population ouvrière, d’autres facteurs interviennent pour ne créer qu’une surpopulation simplement relative. La baisse du taux du profit est concomitante d’un accroissement de la masse des capitaux et d’une dépréciation des capitaux existants, qui agissent pour l’enrayer et activer l’accumulation. Enfin le progrès de la productivité ne va pas sans un relèvement de la composition du capital, c’est-à-dire d’une diminution de la partie variable relativement à la partie constante.
L’action de ces influences contradictoires se manifeste tantôt dans l’espace, tantôt dans le temps et s’affirme périodiquement par des crises, qui sont des irruptions violentes après lesquelles l’équilibre se rétablit momentanément. En ternies généraux elle peut être exposée comme suit : la production capitaliste est caractérisée par sa tendance au développement absolu des forces productives, sans préoccupation ni de la valeur, ni de la plus-value, ni des conditions sociales au milieu desquelles elle fonctionne, bien qu’elle ait pour but et pour caractère spécifique la conservation et l’accroissement le plus rapide possible de la valeur-capital qui existe. Sa méthode comprend : la baisse du taux du profit, la dépréciation du capital existant et le développement des forces productives du travail aux dépens de celles qui fonctionnent déjà.
La dépréciation périodique du capital existant, qui est un moyen immanent de la production capitaliste pour retarder la baisse du taux du profit et accélérer l’accumulation grâce à la formation de capital nouveau, trouble les procès de circulation et de reproduction, et détermine des arrêts subits et des crises de la production. Le recul du capital variable relativement au capital constant, qui accompagne le développement des forces productives, stimule l’accroissement de la population ouvrière et la formation d’une surpopulation artificielle. Quant à la baisse du taux du profit, elle ralentit l’accumulation du capital en tant que valeur pendant qu’elle multiplie les valeurs d’usage, effet dont le contre-coup se manifeste bientôt par une reprise de l’accumulation de valeur-capital. Sans cesse la production capitaliste s’efforce de vaincre ces entraves qui lui sont inhérentes et elle ne parvient à les surmonter que par des moyens qui les font réapparaître et les renforcent.
C’est le capital lui-même qui fixe une borne à la production capitaliste, parce qu’il est le point de départ et le point d’arrivée, la raison et le but de la production et qu’il veut qu’on produise exclusivement pour lui, alors que les moyens de production devraient servir à une extension continue de la vie sociale. Cette borne, qui limite le champ dans lequel la valeur-capital peut être conservée et mise en valeur par l’expropriation et l’appauvrissement de la masse des producteurs, se dresse continuellement contre les méthodes auxquelles le capital a recours pour augmenter la production et développer ses forces productives. Si historiquement la production capitaliste est un moyen pour développer la force productive matérielle et créer un marché mondial, elle est néanmoins en conflit continuel avec les conditions sociales et productives que cette mission historique comporte.
3. Pléthore de capital et surpopulation
A mesure que diminue le taux du profit, augmente le minimum de capital nécessaire pour la mise en œuvre productive du travail, pour l’exploitation de celui-ci dans des conditions telles que le temps qu’il exige pour produire la marchandise ne dépasse pas celui qui est socialement nécessaire. En même temps s’accentue la concentration, l’accumulation se réalisant plus rapidement, du moins dans une certaine limite, par de grands capitaux opérant à un petit taux de profit que par de petits capitaux fonctionnant à un taux élevé, et cette extension de la concentration provoque, à son tour, dès qu’elle a atteint une certaine importance, une nouvelle baisse du taux du profit. Les petits capitaux sont ainsi entraînés dans la voie des aventures, de la spéculation, des expédients du crédit, des trucs financiers et finalement des crises. Quand on dit qu’il y a pléthore de capitaux, l’expression ne s’applique qu’aux capitaux qui sont incapables d’équilibrer par leur masse la baisse du taux du profit - ce sont toujours des capitaux nouvellement formés - ou que leurs possesseurs, inaptes à les faire valoir eux-mêmes, mettent par le crédit à la disposition des grandes entreprises. Cette pléthore naît des mêmes circonstances que la surpopulation relative et figure parmi les phénomènes qui accompagnent cette dernière, bien que ces surabondances de capital inutilisable et de population ouvrière inoccupée se manifestent aux pôles opposés du procès de production.
La surproduction de capital, qu’il ne faut pas confondre avec la surproduction de marchandise - bien que celle-là n’aille jamais sans celle-ci - revient donc simplement à une suraccumulation, et pour se rendre compte de ce qu’elle est (plus loin nous l’examinerons de plus près) il suffit de la supposer absolue et de se demander dans quelles circonstances la surproduction de capital peut se manifester dans toutes les branches de l’activité humaine.
Il y aurait surproduction absolue si la production capitaliste, qui a pour but la mise en valeur du capital, c’est-à-dire l’appropriation du surtravail, la production de la plus-value et la récolte du profit, cessait d’exiger du capital supplémentaire. Il y aurait donc surproduction si le capital avait pris, relativement à la population ouvrière, une importance telle qu’il y aurait impossibilité d’augmenter le temps absolu de travail ou la partie de la journée représentant le surtravail (cette dernière éventualité n’est pas à envisager puisque la demande de travail serait très forte et qu’il y aurait tendance à une hausse des salaires) ; ce qui aboutirait à cette situation que le capital accru de C à C + C ne produirait pas plus ou produirait même moins de profit que le capital primitif C. Dans les deux cas, il y aurait une baisse considérable et subite du taux général du profit, due à la modification de la composition du capital et résultant non du développement de la productivité, mais de l’accroissement de la valeur monétaire du capital variable (les salaires ayant haussé) et de la diminution du surtravail par rapport au travail nécessaire.
En pratique, les choses se passeraient de telle sorte qu’une partie du capital resterait entièrement on partiellement inoccupée et que sous la pression de celle-ci l’autre partie serait mise en valeur à un taux de profit réduit. Peu importe qu’une partie du capital supplémentaire vienne ou non se substituer à une partie égale du capital en fonction ; on aurait toujours d’un côté un capital donné en activité et de l’autre un capital donné, supplémentaire. La baisse du taux du profit serait accompagnée d’une diminution de la masse du profit, car selon notre hypothèse la force de travail employée ainsi que le taux et la masse de la plus-value ne peuvent pas augmenter, et cette masse réduite du profit devrait être rapportée à un capital total agrandi. Même si le capital en fonction continuait à rapporter du profit à l’ancien taux et si par conséquent la masse de profit restait invariable, il faudrait rapporter cette dernière à un capital total agrandi, ce qui impliquerait la baisse du taux du profit. Lorsqu’un capital de 1000 rapportant 100 de profit est porté à 1500 rapportant également 100, le taux du profit tombe de 100 à 66 ⅔ par 1000, ce qui revient à dire qu’un capital de 1000, dans les nouvelles circonstances, ne donne pas plus de profit qu’un capital de 666 ⅔ engagé dans les conditions primitives.
Il est clair que cette dépréciation effective du capital ancien de même que cette entrée en fonction du capital supplémentaire C ne se feraient pas sans lutte, bien que ce ne soit pas celle-ci qui donne lieu à la baisse du taux du profit et que ce soient au contraire la baisse du taux du profit et la surproduction de capital qui provoquent la concurrence.
La partie de C se trouvant entre les mains des anciens capitalistes serait laissée inoccupée par ceux-ci, afin d’éviter la dépréciation de leur capital original et son éloignement de la production. Peut-être aussi l’appliqueraient-ils même avec une perte momentanée, afin de contraindre leurs concurrents et les nouveaux capitalistes à laisser leurs capitaux inoccupés. Quant aux nouveaux capitalistes détenant l’autre partie de C, ils chercheraient à prendre place aux dépens des anciens, en s’efforçant de substituer leur capital à une partie de celui de ceux-ci.
Dans tous les cas, il y aurait immobilisation d’une partie du capital ancien, qui ne pourrait plus fonctionner comme capital et s’engrosser de plus-value. L’importance de cette partie résulterait de l’énergie de la concurrence. Nous avons vu, en étudiant le taux général du profit, que tant que les affaires marchent bien, la concurrence fait les parts d’une manière fraternelle, en les proportionnant aux sommes risquées. Mais lorsqu’il s’agit de se partager non plus des bénéfices mais des pertes, chacun cherche à ramener sa part au minimum et à grossir le plus possible celle des autres. La force et la ruse entrent en jeu et la concurrence devient une lutte entre des frères ennemis. L’antagonisme entre les intérêts de chaque capitaliste et de la classe capitaliste s’affirme alors de même que précédemment la concordance de ces intérêts était pratiquement réalisée par la concurrence.
Comment ce conflit s’apaisera-t-il et comment les conditions favorables au mouvement « sain » de la production capitaliste se rétabliront- elles ? Une partie du capital - de l’importance de tout on d’une partie de C - sera immobilisée ou même détruite jusqu’à un certain point. La répartition des pertes ne se fera pas d’une manière égale entre tous les capitalistes, mais résultera d’une lutte dans laquelle chacun fera valoir ses avantages particuliers et sa situation acquise, de sorte que d’un côté il y aura un capital immobilisé, de l’autre un capital détruit, d’un autre côté encore un capital déprécié. Pour rétablir l’équilibre, il faudra condamner à l’immobilisation ou même à la destruction une quantité plus ou moins grande de capital. Des moyens de production, du capital fixe comme du capital circulant cesseront de fonctionner et des exploitations à peine créées seront supprimées ; car bien que le temps déprécie tous les moyens de production (excepté le sol), une interruption de fonctionnement les ruine davantage.
L’effet de la crise revêtira cependant son caractère le plus aigu pour les capitaux-valeurs. La partie de ceux-ci qui représente simplement des titres à une plus-value éventuelle, sera dépréciée dès que la baisse du revenu qui lui sert de base sera connue. Une partie de la monnaie d’or et d’argent sera inoccupée et ne fonctionnera plus comme capital. Des marchandises sur le marché subiront une dépréciation considérable - d’où une dépréciation du capital - pour terminer leur circulation et leur reproduction ; il en sera de même du capital fixe, et comme la reproduction ne peut se faire qu’à des conditions de prix déterminées, elle sera complètement désorganisée et jusqu’à un certain point paralysée. Ce trouble retentira sur le fonctionnement de l’instrument monétaire ; la chaîne des engagements pour les paiements aux différentes échéances sera brisée en mille endroits et le crédit sera ébranlé. Il y aura des crises violentes, des chutes de prix inattendues et une diminution effective de la reproduction.
D’autres facteurs entreront en même temps en jeu. Le ralentissement de la production condamnera au chômage une partie de la population ouvrière et contraindra les ouvriers occupés à accepter une réduction de salaire même au-dessous de la moyenne. (Ce qui, pour le capital, aura le même résultat qu’une augmentation de la plus-value absolue ou relative, sans augmentation de salaire.) Ce résultat se manifestera avec d’autant plus d’intensité que la période de prospérité avait augmenté la matrimonialité et diminué la mortalité. (Ce qui, sans accroître la population effectivement occupée - bien que cette augmentation puisse avoir lieu - aurait le même effet, au point de vue des relations entre travailleurs et capitalistes, qu’une extension du nombre d’ouvriers mis a l’œuvre). D’autre part, la baisse des prix agissant en même temps que la concurrence poussera chaque capitaliste à appliquer de nouvelles machines, des méthodes perfectionnées et des combinaisons plus efficaces pour réaliser une production supérieure à la production moyenne, c’est-à-dire augmenter la productivité du travail, réduire le capital variable relativement au capital constant, en un mot déterminer en supprimant des ouvriers une surpopulation artificielle. Mais bientôt la dépréciation des éléments du capital constant interviendra pour provoquer une hausse du taux du profit, car, à la faveur de sa diminution de valeur, la masse de ce capital ne tardera pas à s’accroître par rapport au capital variable. Le ralentissement de la production aura préparé son épanouissement ultérieur (toujours dans le cadre capitaliste) et le capital, un certain temps déprécié par l’arrêt de son fonctionnement, reprendra son ancienne valeur. Le même cercle vicieux recommencera donc, mais avec des moyens de production plus considérables, un marché plus étendu, une force de production plus importante.
Même dans l’hypothèse poussée à l’extrême que nous venons d’examiner, la surproduction absolue de capital n’est pas une surproduction absolue de moyens de production. Elle n’est qu’une surproduction des moyens de production fonctionnant comme capital, devant produire une valeur supplémentaire proportionnelle à leur augmentation en quantité. Et cependant elle est une surproduction, parce que le capital est devenu incapable d’exploiter le travail au degré qu’exige le développement « sain » et « normal » de la production capitaliste, qui veut tout au moins que la masse de profit augmente proportionnellement à la masse de capital et n’admet pas que le taux du profit baisse dans la même mesure ou plus rapidement qu’augmente le capital.
La surproduction de capital n’est jamais qu’une surproduction de moyens de travail et d’existence pouvant être appliqués, à l’exploitation des travailleurs à un degré déterminé, le recul de l’exploitation au-dessous d’un niveau donné devant provoquer des troubles, des arrêts de production, des crises et des pertes de capital. Il n’y a rien de contradictoire à ce que cette surproduction de capital soit accompagnée d’une surpopulation relative plus ou moins considérable. Car, les circonstances qui accroissent la productivité du travail, augmentent les produits, étendent les débouchés, accélèrent l’accumulation comme masse et comme valeur et font tomber le taux du profit, sont aussi celles qui provoquent continuellement une surpopulation relative d’ouvriers, que le capital en excès ne peut pas occuper parce que le degré d’exploitation du travail auquel il serait possible de les employer n’est pas assez élevé ou que le taux du profit qu’ils rapporteraient pour une exploitation déterminée est trop bas.
Lorsqu’on envoie du capital à l’étranger, on le fait, non parce qu’il est absolument impossible de l’employer dans le pays, mais parce qu’on peut en obtenir un taux de profit plus élevé. Ce capital est alors réellement superflu eu égard à la population ouvrière occupée et au pays ; il existe par conséquent à côté d’une population relativement en excès et fournit un exemple de la coexistence et de l’action réci¬proque des deux phénomènes de la surabondance de ca¬pital et de la surabondance de population.
La baisse du taux du profit provoquée par l’accumulation engendre nécessairement la concurrence. Eu effet, si cette baisse est compensée par l’accroissement de la masse du profit pour l’ensemble du capital social et pour les grands capitalistes complètement installés, il n’en est pas de même pour les capitaux nouveau-venus dans la production et qui doivent y conquérir leur place ; pour ceux-ci la lutte s’impose, et c’est ainsi que la baisse du taux du profit appelle la concurrence entre les capitaux et non cette concurrence, la chute du taux du profit. Cette lutte est accompagnée d’une hausse passagère des salaires entraînant une baisse passagère du taux du profit et elle se manifeste par la surproduction de marchandises et l’encombrement du marché. Le capital poursuit, en effet, non la satisfaction des besoins, mais l’obtention d’un profit, et sa méthode consiste à régler la masse des produits d’après l’échelle de la production et non celle-ci d’après les produits qui devraient être obtenus ; il y a donc conflit perpétuel entre la consommation comprimée et la production tendant à franchir la limite assignée à cette dernière, et comme le capital consiste en marchandises, sa surproduction se ramène à une surproduction de marchandises. Un phénomène bizarre c’est que les mêmes économistes qui nient la possibilité d’une surproduction de marchandises admettent que le capital puisse exister en excès. Cependant quand ils disent qu’il n’y a pas de surproduction universelle, mais simplement une disproportion entre les diverses branches de production, ils affirment qu’en régime capitaliste la proportionnalité des diverses branches de production résulte continuellement de leur disproportion ; car pour eux la cohésion de la production tout entière s’impose aux producteurs comme une loi aveugle, qu’ils ne peuvent vouloir, ni contrôler. Ce raisonnement implique, en outre, que les pays où le régime capitaliste n’est pas développé consomment et produisent dans la même mesure que les nations capitalistes. Dire que la surproduction est seulement relative est parfaitement exact. Mais tout le système capitaliste de production n’est qu’un système relatif, dont les limites ne sont absolues que pour autant que l’on considère le système en lui-même. Comment est-il possible que parfois des objets manquant incontestablement à la masse du peuple ne fassent l’objet d’aucune demande du marché, et comment se fait-il qu’il faille en même temps chercher des commandes au loin, s’adresser aux marchés étrangers pour pouvoir payer aux ouvriers du pays la moyenne des moyens d’existence indispensables ? Uniquement parce qu’en régime capitaliste le produit en excès revêt une forme telle que celui qui le possède ne peut le mettre à la disposition du consommateur que lorsqu’il se reconvertit pour lui en capital. Enfin, lorsque l’on dit que les capitalistes n’ont qu’à échanger entre eux et consommer eux-mêmes leurs marchandises, on perd de vue le caractère essentiel de la production capitaliste, dont le but est la mise en valeur du capital et non la consommation. En résumé toutes les objections que l’on oppose aux phénomènes si tangibles cependant de la surproduction (phénomènes qui se déroulent malgré ces objections), reviennent à dire que les limites que l’on attribue à la production capitaliste n’étant pas des limites inhérentes à la production en général, ne sont pas non plus des limites de cette production spécifique que l’on appelle capitaliste. En raisonnant ainsi on oublie que la contradiction qui caractérise le mode capitaliste de production, réside surtout dans sa tendance à développer d’une manière absolue les forces productives, sans se préoccuper des conditions de production au milieu desquelles se meut et peut se mouvoir le capital.
On ne produit pas trop de moyens de subsistance eu égard à la population ; on en produit au contraire trop peu pour la nourrir convenablement et humainement. De même on ne fabrique pas trop de moyens de production, étant donnée la partie de la population qui est capable de travailler. Une trop grande partie des hommes est amenée par les circonstances à exploiter le travail d’autrui ou à exécuter des travaux qui ne sont considérés comme tels que dans un système absolument misérable de production. En outre, les moyens de produire que l’on fabrique sont insuffisants pour que toute la population valide puisse être occupée dans les circonstances les plus fécondes au point de vue de la production et par conséquent les plus favorables à la réduction de la durée du travail.
Mais périodiquement on produit trop de moyens de travail et de subsistance pour que leur emploi à l’exploitation du travailleur puisse donner le taux de profit que l’on veut obtenir. On produit trop de marchandises pour que la valeur et la plus-value qu’elles contiennent puissent être réalisées et reconstituées en capital, dans les conditions de répartition et de consommation inhérentes à la production’ capitaliste, ou du moins parcourir ce cycle sans catastrophes continuelles. On peut donc dire que si la production de richesses n’est pas trop abondante, on produit périodiquement trop de richesses ayant la forme capitaliste avec les contradictions qui en sont inséparables.
Les faits suivants assignent une limite à la production capitaliste :
1. En entraînant la baisse continue du taux du profit, le progrès de la productivité du travail donne le jour à une force antagoniste, qui à un moment donné agit à l’encontre du développement de la productivité et ne peut être vaincue que par des crises sans nombre ;
2. L’importance de la production, qu’elle doive être accrue ou restreinte, est déterminée, non par les besoins sociaux, mais par l’appropriation par le capitaliste du travail qu’il ne paye pas et le rapport de ce travail au travail matérialisé, en d*autres termes, par le profit et le rapport du profit au capital engagé ; d’où il résulte que la production s’arrête, non lorsque les besoins sont satisfaits, mais lorsque l’impossibilité de réaliser un profit suffisant commande cet arrêt.
Lorsque le taux du profit baisse, l’activité du capital redouble ; chaque capitaliste s’efforce, en faisant appel à des procédés perfectionnés, à ramener la valeur de sa marchandise au-dessous de la valeur moyenne et à réaliser un profit exceptionnel. Le même phénomène provoque en même temps la fraude, en encourageant l’application incertaine de nouvelles méthodes de production, les engagements hasardés de nouveaux capitaux, en un mot les aventures qui offrent la chance de recueillir un profit exceptionnel.
Le taux du profit et le développement du capital qui y correspond sont importants surtout pour les nouveaux capitaux, qui constituent des entreprises nouvelles et indépendantes. Le feu vivifiant de la production s’étendrait bien vite si cette dernière devenait le monopole de quelques grands capitaux, pour lesquels toute variation du taux du profit serait contrebalancée par la masse de celui-ci. Le taux du profit est le stimulant du régime capitaliste, qui ne produit que lorsqu’il y a un bénéfice à recueillir. On comprend dès lors l’anxiété des économistes anglais en présence de la baisse du taux du profit. L’inquiétude de Ricardo devant la seule possibilité de cette baisse démontre, mieux que toute autre considération, combien est profonde sa compréhension des conditions de la production capitaliste ; ce qu’il y a de plus remarquable en lui et ce qui est précisément ce qu’on lui reproche, c’est que dans son étude de la production capitaliste, il n’attache aucune importance aux « hommes » pour s’en tenir exclusivement au développement des forces productives, quels que soient les sacrifices en hommes et en capitaux qu’il faille lui faire. Le développement des forces productives du travail social, voilà la mission historique et la raison d*être du capital, c’est par là qu’inconsciemment il crée les conditions matérielles d’une forme plus élevée de production. Ce qui inquiète Ricardo, c’est que le taux du profit, stimulant de la production et de l’accumulation capitaliste, soit menacé par le développement même de la production et, en effet, le rapport quantitatif est tout ici. Mais la base du système présente un aspect plus profond, dont il se doute à peine. Même au point de vue purement économique et vulgairement bourgeois, limité par l’horizon de la conception de ceux qui exploitent le capital, le régime capitaliste apparaît comme une forme, non pas absolue et définitive, mais relative et transitoire de la production.
4. Considérations complémentaires.
Le développement de la productivité du travail est non seulement inégal dans les différentes industries, il se fait même souvent dans des directions opposées. Il en résulte que la masse du profit moyen (c’est-à-dire de la plus-value) est de beaucoup inférieure à ce qu’elle serait si l’on prenait pour base le développement de la productivité dans les industries les plus avancées. Ces différences dans le développement de la productivité ne résultent pas uniquement de l’anarchie déterminée par la concurrence et du caractère particulier de la production bourgeoise ; elles sont provoquées également par des circonstances naturelles, dont l’influence diminue souvent à mesure que la productivité sociale augmente. De là des mouvements en sens inverses dans les différentes branches de la production, mouvements que l’on apprécie clairement en considérant, par exemple, l’influence des saisons sur la majeure partie des matières premières, l’épuisement des forêts, des mines de charbons et de fer, etc.
Si la masse de la partie circulante du capital constant (les matières premières, etc.) ne cesse d’augmenter parallèlement à la productivité du travail, il n’en est pas de même du capital fixe (bâtiments, machines, installations d’éclairage et de chauffage, etc.). Les machines, il est vrai, deviennent tous les jours de plus en plus massives et, d’une manière absolue, de plus en plus coûteuses ; ce qui n’empêche que relativement elles deviennent de moins en moins chères. Si cinq ouvriers produisent aujourd’hui dix fois plus de marchandises qu’auparavant, il n’en résulte pas qu’il faille décupler la dépense de capital fixe ; la valeur de cette partie du capital constant doit évidemment augmenter avec le développement de la productivité du travail, mais elle est loin de croître proportionnellement à cette dernière. A différentes reprises déjà, nous avons montré comment la variation du rapport entre le capital constant et le capital variable se répercute sur la baisse du taux du profit et sur le prix des marchandises.
[La valeur de la marchandise est déterminée par la somme des temps de travail passé (matérialisé) et actuel (vivant) qui y est incorporée. L’augmentation de la productivité du travail se ramène à une diminution du travail vivant et une augmentation du travail matérialisé dans des conditions telles que le travail total contenu dans la marchandise diminue ; elle est donc caractérisée en ce que le travail vivant diminue plus rapidement que le travail matérialisé. Le travail matérialisé contenu dans la valeur de la marchandise (le capital constant) se compose de deux parties : l’usure du capital fixe et le capital constant (matières premières et auxiliaires). La valeur de la dernière partie diminue à mesure que la productivité du travail progresse tandis que celle de la première augmente, étant donné que l’intervention du capital fixe devient de plus en plus importante, ce qui entraîne nécessairement une augmentation de la part qui en représente l’usure. Pour qu’une nouvelle méthode entraîne effectivement un accroissement de la productivité, il faut qu’elle diminue la valeur de la marchandise, c’est-à-dire qu’elle augmente l’intervention du capital fixe dans une telle mesure que l’augmentation de valeur qu’elle provoque soit inférieure à la diminution résultant de l’épargne de travail vivant qu’elle détermine. Il doit en être ainsi même - cela se présente dans certains cas isolés - lorsque la nouvelle méthode entraîne la mise en œuvre de quantités plus grandes ou plus coûteuses de matières premières et auxiliaires. Il faut que l’épargne de travail vivant représente plus en valeur que les dépenses supplémentaires qui l’accompagnent.
Quelles que soient les conditions sociales, la réduction de la quantité de travail incorporée à la marchandise semble être le caractère essentiel d’une augmentation de la productivité du travail. Il en est incontestablement ainsi dans une société oit les producteurs règlent leur activité d’après un plan arrêté d’avance et même dans la production simple de marchandises. Mais en est-il de même dans la société capitaliste ?
Considérons une industrie capitaliste produisant normalement dans les circonstances suivantes - l’usure du capital fixe est de ½ shilling par pièce, les matières premières et auxiliaires représentent 17 ½ sh., le salaire 2 sh. et la plus-value 2 sh., son taux étant de 100 %. La valeur d’une pièce sera donc ½ + 17 ½ + 2 + 2 = 22 shil¬lings. Pour simplifier les choses, supposons que le capital ait la composition moyenne, c’est-à-dire que le coût de production soit égal à la valeur et le profit à la plus-value. Par conséquent, le coût de production est de 22 sh. et le prix de revient, le taux moyen du profit étant de 2 /20 = 10 %, est exprimé par ½ + 17 ½ + 2 = 20 sh.
Admettons que l’application d’une nouvelle machine vienne réduire de moitié le travail vivant et tripler la valeur représentant l’usure du capital fixe. Celle-ci sera donc de 1 ½ sh. alors que le salaire ne sera plus que de 1 sh., et la plus-value également de 1 sh. ; et comme rien n’est modifié quant aux matières premières et auxiliaires, la valeur de la pièce sera de 1 ½ + 17 ½ + 1 + 1 = 21 sh. La nouvelle machine a incontestablement augmenté la productivité du travail. Cependant le capitaliste ne voit pas les choses sous cet aspect. Son prix de revient est maintenant : 1 ½ (usure) + 17 ½ (matières premières et auxiliaires) + 1 (salaire) = 20 shillings, c’est-à-dire le même que précédemment. Comme il tient à prélever son ancien taux de profit (10 %), il vendra à 2 sh. au-dessus du prix de revient, ce qui conduira à un coût de production de 22 sh. comme avant. Seulement ce prix sera maintenant supérieur de 1 sh. à la valeur. Pour une société capitaliste, cette machine qui ne diminue pas le prix de la marchandise n’est donc pas un progrès. Le capitaliste n’a aucun avantage à l’introduire ; comme son application aurait pour conséquence d’enlever toute valeur aux machines qu’il possède et qui ne sont pas encore usées, comme du jour au lendemain elle en ferait de vieilles mitrailles, il se garde bien de donner dans l’utopie, comme il dit, et de faire pareille bêtise.
La loi de la productivité croissante du travail n’a donc pas une portée absolue aux yeux du capitaliste. Pour lui - nous l’avons signalé brièvement vol. I, chap. XV, 2, p. 179.- il y a accroissement de la productivité lorsque l’épargne, non de travail vivant, mais de travail vivant payé est inférieure à l’augmentation de travail matérialisé que cet épargne comporte. La production capitaliste se présente ici avec une nouvelle contradiction. Sa mission historique est le développement brutal et géométriquement progressif de la productivité du travail humain ; elle trahit cette mission chaque fois qu’elle oppose, comme dans le cas que nous venons de voir, un obstacle au développement de la productivité. Nouvelle preuve de sa caducité et de sa disparition prochaine [1].]


Voici quels sont les effets, au point de vue de la concur¬rence, de la décroissance progressive, sous l’action de la productivité croissante du travail, du capital nécessaire pour l’exploitation avantageuse d’une entreprise indus¬trielle : dès que l’application d’un procédé nouveau et plus coûteux s’est généralisée, les petits capitaux sont exclus de la production où elle a été faite, car ces petits capitaux ne peuvent fonctionner d’une manière indépendante que lorsque les inventions mécaniques sont à leur début. D’autre part, les entreprises de très grande importance, comme les chemins de fer, où la valeur relative du capital constant est considérable, ne donnent pas le profit moyen, mais un intérêt qui n’en représente qu’une fraction. (S’il n’en était pas ainsi, la baisse du taux général du profit serait encore plus profonde. Il est vrai que ces grandes entreprises absorbent sous forme d’actions de grandes masses de capitaux.)
L’accumulation du capital n’entraîne la baisse du taux du profit que pour autant qu’elle soit accompagnée des modifications de la composition organique du capital dont nous nous sommes occupés plus haut. Or, malgré les révolutions continuelles et journalières des procédés de production, tantôt l’une tantôt l’autre partie plus ou moins grande du capital total est l’objet d’une accumulation, à la faveur d’une composition organique qui reste invariable pendant un temps plus ou moins long et enraie la baisse du taux du profit. Cette accumulation de capital et par conséquent cette extension de production, poursuivies paisiblement d’après l’ancien mode de produire pendant que de nouveaux procédés commencent à entrer en vigueur, représente encore une de ces actions antagonistes qui empêchent que le taux du profit baisse aussi rapidement qu’augmente le capital social.
L’accroissement absolu de la population ouvrière occupée, qui se poursuit malgré la diminution relative du capital variable consacré aux salaires, ne se vérifie pas dans toutes les branches de production et ne se manifeste pas dans la même mesure dans toutes celles qu’elle atteint. C’est ainsi que dans l’agriculture, il peut y avoir diminution absolue du travail vivant. D’ailleurs c’est uniquement dans la production capitaliste que se rencontre ce besoin d’une augmentation absolue et d’une diminution relative simultanées du nombre des salariés ; ceux-ci y sont en excès, dès qu’il n’est plus indispensable de les occuper 12 à 15 heures par jour. Un développement des forces productives qui aurait pour effet de diminuer le nombre absolu des ouvriers et de permettre à la nation tout entière de produire en moins de temps tout ce dont elle a besoin, provoquerait une révolution, parce qu’il mettrait sur le pavé la plus grande partie de la population. Ici se manifeste de nouveau la limite qui est assignée à la production capitaliste et se montre une fois de plus que celle-ci, loin d’être la forme absolue du développement des forces productives, doit nécessairement entrer en conflit avec lui à un moment donné. Ce conflit se traduit en partie par des crises périodiques, résultant d’un excès de population ouvrière, tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre industrie. La production capitaliste est indifférente à l’épargne de temps de travail que la société pourrait réaliser et elle n’est intéressée au progrès de la production que pour autant qu’il en résulte une augmentation du surtravail qu’elle prélève sur la classe ouvrière ; elle est ainsi en contradiction avec elle-même.
Nous avons vu que l’extension de l’accumulation ne va pas sans une concentration croissante du capital. La simultanéité de ces deux phénomènes accentue l’opposition entre le producteur réel et le capital dont le capitaliste est la personnification. Le capital se manifeste de plus en plus comme une puissance sociale dont le capitaliste est l’agent et qui n’est nullement proportionnelle à ce que l’individu peut produire par son travail ; de plus en plus il devient une puissance que la spoliation met aux mains du capitaliste et qui s’oppose comme telle à, la société. La contradiction entre cette puissance sociale à laquelle s’élève le capital et la puissance privée du capitaliste sur les conditions sociales de la production s’affirme de plus en plus ; elle doit aboutir nécessairement à la dissolution de cet état de choses et à un système de production générale, commune et socialisée. Cette solution est le résultat inévitable du mode de développement des forces productives dans le système capitaliste.

Alors même qu’un procédé nouveau de production est plus productif et qu’il augmente le taux de la plus-value, il ne se trouve aucun capitaliste pour l’appliquer de bon gré s’il diminue le taux du profit. Mais le plus souvent tout nouveau procédé fournit des marchandises moins coûteuses et permet de les vendre au début au-dessus de leur coût de production et parfois au-dessus de leur valeur. Le capitaliste qui l’exploite empoche donc la différence entre le coût de production de ses marchandises et le prix du marché des autres qui sont produites dans des conditions moins avantageuses, et il profite de ce que le temps de travail moyen nécessaire à la production de ces dernières dépasse celui qui est inhérent à l’application du procédé nouveau. Cependant, la concurrence aidant, celui-ci ne tarde pas à être généralisé et alors commence la baisse du taux du profit, qui va se rapprochant du niveau du profit des autres branches, sans que ce mouvement puisse être contrarié par la volonté du capitaliste.
La même loi s’applique aux industries dont les produits ne sont consommés ni directement, ni indirectement par les ouvriers, et ne peuvent par leur dépréciation ni augmenter la plus-value relative, ni réduire le prix de la force de travail. (Il est vrai que dans toutes ces branches une dépréciation du capital constant peut augmenter le taux du profit lorsque l’exploitation des travailleurs. reste la même). Dès qu’un nouveau procédé de fabrication commence à gagner du terrain et démontre en fait qu’il permet de produire à meilleur compte, les capitalistes qui en sont encore à l’ancien système de production doivent vendre leurs marchandises au-dessous de leur coût de production, car la valeur de ces marchandises ayant baissé, le temps de travail nécessaire pour les produire est plus considérable que la moyenne sociale. Ils sont donc contraints - et cette solution semble être un effet de la concurrence - d’introduire le procédé nouveau, qui diminue le rapport du capital variable au capital constant.
Tous les facteurs qui permettent aux machines de réduire les prix des produits se ramènent en dernière analyse à la diminution de la quantité de travail et de la valeur de l’usure qui sont incorporées à la marchandise. Moins l’usure de la machine est rapide, plus grande est la quantité de marchandises sur lesquelles elle est répartie, plus important est le travail vivant dont elle accomplit la fonction avant que son renouvellement soit nécessaire. Dans les deux cas, la masse et la valeur du capital constant fixe augmentent par rapport au capital variable.
« Toutes circonstances égales, une nation peut épargner une fraction d’autant plus grande de ses profits que le taux en est plus élevé ; mais lorsque ce taux décline, les circonstances ne restent pas égales. ... Un taux réduit de profit est ordinairement accompagné d’une accumulation rapide relativement à la population, comme en Angleterre, ... tandis qu’un taux élevé est suivi d’une accumulation plus lente, comme en Pologne, en Russie, aux Indes, etc. » (Richard Jones, An Introductory Lecture on Pol. Econ., London 1833, p. 50 et suiv.). Jones fait remarquer avec raison que malgré la baisse du taux du profit la tendance à l’accumulation et le pouvoir d’accumuler augmentent :
1. parce qu’il y a accroissement de la surpopulation relative ;
2. parce qu’avec le progrès de la productivité du travail augmente la masse de valeurs d’usage représentées par une même valeur d’échange, c’est-à-dire la masse des éléments matériels du capital ;
3. parce que les branches de production se multiplient ;
4. parce qu’il y a développement du crédit, des sociétés par actions, etc., qui permettent aux individus de transformer leur argent en capital sans devenir capitalistes industriels ;
5. parce que les besoins et la convoitise de la richesse augmentent ;
6. parce que la masse du capital fixe engagé devient plus grande.

La production capitaliste est caractérisée avant tout par les trois faits suivants :
1. La concentration en un petit nombre de mains des moyens de produire, qui cessent d’être la propriété des travailleurs immédiats et se transforment en puissances sociales de la production. Les capitalistes qui les possèdent sont des mandataires de la société bourgeoise, mais des mandataires qui empochent tout le produit.
2. L’organisation sociale du travail par la coopération, la division du travail et l’application des sciences naturelles. Grâce à cette organisation et à la concentration des moyens de produire la production capitaliste supprime l’appropriation individuelle et le travail privé, bien que sous des formes opposées.
3. La constitution du marché mondial.
Le développement extraordinaire relativement à l’accroissement de la population que la production capitaliste communique aux forces productives et - dans une mesure moindre, il est vrai - aux capitaux-valeurs, est hors de proportion avec la base à laquelle elle correspond, et cette disproportion s’accentue de jour en jour en présence de l’accroissement incessant de la richesse. Les crises sont la conséquence inévitable de cette situation.

Notes
[1] Cette partie est imprimée entre crochets (bien qu’elle reproduise sous une autre forme, il est vrai, une note du manuscrit original), parce qu’elle présente certains développements que Marx ne lui avait pas donnés. - F.E.

Pour conclure :

Les deux manières de mourir du capitalisme

Il y a la mort qui permet de renaître ensuite plus solide et plus fort, celle des crises cycliques, dans laquelle les crises sont suivies de reprises et ont permis de supprimer les « canards boiteux », de faire faillite aux entreprises qui n’ont plus assez de profitabilité, plus assez de débouchés ou qui ne font plus assez de profits. Dans ce cas, non seulement on laisse les entreprises faillies chuter et disparaître mais le capitalisme lui-même favorise leur chute, ne fait rien pour les retenir.

Il y a la crise actuelle, depuis 2007, dans laquelle on ne laisse aucun trust ni aucune banque chuter, pourtant toutes sont en faillite. C’est donc une autre sorte de mort que celle pour renaître… Dans les crises précédentes, on n’a jamais sauvé l’ensemble des banques et des trusts. Jamais !
C’est une autre sorte de phénomène auquel on assiste donc. Car il y a une autre sorte de mort qui, loin de permettre une renaissance, propage partout autour d’elle la mort, qu’elle soit économique ou autre.
La biologie connaît ces deux sortes de mort : l’apoptose et la nécrose.
L’apoptose permet aux cellules vivantes qui ne sont plus nécessaires ou ne sont pas à leur place de disparaître en s’auto-détruisant. Le tissus en ressort d’autant plus sain et plus capable de se développer, même si un très grand nombre de cellules ont été détruites au passage. C’est un processus aussi indispensable à la dynamique du vivant que la crise cyclique est indispensable à la dynamique du capitalisme.
La nécrose, au contraire de l’apoptose, loin de détruire des cellules bien choisies, celles qu’il convient de détruire, sans danger pour les cellules voisines saines, propage la mort de part en part, dès qu’une cellule se nécrose. La mort d’une cellule entraîne la dispersion de poisons internes, entraînant la nécrose des cellules voisines.
Dans l’une de ces formes de mort, c’est la vie qui l’emporte et dans l’autre, c’est la mort. Dans l’une, les poisons sont détruits, dans l’autre, ils se dispersent partout dans le reste du corps.
Dans le capitalisme nécrosé, plus le capital se retire du fonctionnement permettant de produire de plus en plus de plus-value, de l’investissement productif, plus ce capital s’enrichit sur des bases purement spéculatives, plus il détruit la rentabilité du capital investi dans la production, plus il développe des formes nécrophiles d’investissements, titrisations de dettes privées ou publiques et autres titres pourris fondés sur des effondrements économiques, monétaires ou étatiques.
L’apoptose détruit des individus pour favoriser le fonctionnement général. Si on conserve des cellules nécrosées, elles vont contaminer toutes les autres, détruisant progressivement l’ensemble du fonctionnement.
Pourquoi le capitalisme ne peut pas se relever de sa chute en 2007. parce qu’il n’avait pas chuté, buté, été en crise, mais parce qu’ayant atteint ses limites d’investissements productifs rentables face aux investissements spéculatifs, il est complètement nécrosé et les interventions consistant à sauver ses cellules nécrosées, ne fait que généraliser la nécrose économique menant inéluctablement à la mort générale.
Il ne faut pas dire qu’on a déjà vu qu’il était capable de se sortir de ses crises car personne n’a jamais vu un capitalisme nécrosé. C’est la première fois et on ne le verra pas se relever.
L’humanité par contre peut s’en relever ou en mourir. Personne ne peut dire ce qui va se passer. On peut seulement choisir de se mentir ou se dire la vérité pour se préparer à un autre avenir…

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