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Lettres de Marx et Engels sur les sciences de la nature

lundi 13 septembre 2021, par Robert Paris

Lettres de Marx et Engels sur les sciences de la nature

Voici le texte de la

lettre d’Engels à Lavrov des 12-17 novembre 1875 :

Londres, le 12-17 novembre 1875 [en français dans le texte].
Enfin de retour d’un voyage en Allemagne, j’arrive à votre article, que je viens de lire avec beaucoup d’intérêt. Voici mes observations y relatives, rédigées en allemand ce qui me permettra d’être plus concis [en français dans le texte].

1. Dans la doctrine de Darwin j’accepte la théorie de l’évolution, mais je n’admets sa méthode de démonstration (struggle for life >, natural selection) qu’en tant que première expression, provisoire et imparfaite, d’une réalité nouvellement découverte. Jusqu’à Darwin, les gens précisément qui aujourd’hui ne voient partout que lutte pour la vie (Vogt, Büchner, Moleschott, entre autres) étaient ceux qui mettaient en avant la conjugaison des forces dans la nature organique, montrant comment la flore fournit à la faune l’oxygène et la nourriture et comment à l’inverse la faune fournit aux plantes acide carbonique et engrais, ainsi que Liebig notamment l’avait souligné. Ces deux conceptions se justifient d’une certaine façon à l’intérieur de certaines limites, mais elles sont tout autant unilatérales et bornées l’une que l’autre. L’action réciproque des corps naturels — morts ou vivants — inclut aussi bien l’harmonie que l’affrontement, la lutte que la conjonction des efforts. C’est pourquoi lorsque quelqu’un qui se prétend savant se permet de subsumer la totalité et la multiplicité de la richesse du développement historique sous la maigre formule unilatérale de «  lutte pour la vie  », formule qui même dans le domaine de la nature ne peut être acceptée que cum grano salis, il y a là une façon de faire qui se condamne d’elle-même.

2. Des trois uběždennyie Darwinisty [darwinistes convaincus] que vous citez, seul Hellwald mérite d’être évoqué. Mais Seidlitz n’est, au mieux, qu’une faible lueur, et Robert Byr qu’un romancier dont on publie en ce moment un roman dans Über Land und Meersous le titre Drei Mal. C’est là d’ailleurs que toute sa rodomontade [en français dans le texte] est à sa place.

3. […] C’est pourquoi j’attaquerais plutôt — et j’attaquerai peut-être en son temps — ces darwinistes bourgeois de la façon suivante :
Toute la doctrine darwiniste de la lutte pour la vie est simplement la transposition de la société dans la nature animée, de la doctrine de Hobbes sur le bellum omnium contra omnes et de la doctrine économico-bourgeoise de la concurrence, jointes à la théorie démographique de Malthus. Une fois exécuté ce tour de passe-passe (dont je conteste la légitimité absolue, comme je l’indique dans le point 1., notamment en ce qui concerne la théorie de Malthus), on re-transpose ces mêmes théories de la nature organique dans l’histoire et l’on prétend alors avoir démontré leur validité en tant que lois éternelles de la société humaine. Le caractère enfantin de ce procédé saute aux yeux, pas besoin de gaspiller les mots sur ce sujet. Toutefois, si je voulais aller plus dans le détail, je le ferais de façon à les présenter en premier lieu comme de mauvais économistes, et en second lieu seulement comme de mauvais savants [Naturforscher] et de mauvais philosophes.

4. La différence essentielle entre la société humaine et la société animale est que les animaux au mieux collectent, tandis que les hommes produisent. Cette différence, unique, mais capitale, interdit à elle seule de transposer les lois des sociétés animales purement et simplement dans celles des hommes. […] La production humaine atteint donc à un certain stade un tel degré que sont produits non seulement des besoins nécessaires, mais aussi des plaisirs superflus, bien qu’au départ seulement pour une minorité. La lutte pour la vie — si nous accordons un instant une certaine valeur à cette catégorie — se transforme donc en une lutte pour les plaisirs, non plus pour de simples moyens d’existence, mais pour des moyens de développement, moyens de développement produits socialement, et à ce niveau on ne peut plus appliquer les catégories du règne animal. Mais si maintenant, comme c’est le cas actuellement, la production dans sa forme capitaliste produit une quantité de moyens d’existence et de développement de loin supérieure à ce que la société capitaliste peut consommer parce qu’elle tient artificiellement la grande masse des producteurs réels à distance de ces moyens d’existence et de développement  ; si cette société est contrainte par la loi même de sa propre existence à augmenter continuellement cette production déjà trop forte pour elle, et en conséquence est amenée à détruire périodiquement, tous les dix ans, non seulement une masse de produits, mais aussi de forces productives — quel sens peut encore avoir le bavardage sur la «  lutte pour la vie  »  ? La lutte pour la vie ne peut plus alors consister qu’en ceci : que la classe productrice retire la direction de la production et de la répartition des biens des mains de la classe à qui elle était confiée jusqu’à présent, mais qui en est devenue incapable, et cela, c’est précisément la révolution socialiste.

Soit dit en passant, le simple fait de considérer l’histoire passée comme une série de luttes de classes fait apparaître toute l’inconsistance de la conception de cette même histoire en tant que légère variation de la «  lutte pour la vie  ». […]

5. […]

6. En revanche je ne peux être d’accord avec vous lorsque vous dites que la borjba vsěch protiv všech [lutte de tous contre tous] a été la première phase de l’évolution humaine. À mon avis, l’instinct social [Gesellschaftstrieb] à été l’un des leviers les plus essentiels au développement de l’homme à partir du singe. Les premiers hommes ont dû vivre en hordes, et aussi loin que nous pouvons remonter, nous constatons que c’était bien le cas.
[…]

Il y a, du temps où Engels écrit ceci, une confusion entre le niveau de complexité du vivant et le niveau, supérieur de plusieurs échelons, de complexité de la société humaine. De nombreux intellectuels de l’époque (et encore aujourd’hui), se réclamant du darwinisme, prétendent transposer en sciences humaines l’idée de sélection naturelle. (Darwin lui-même a sans doute quelques phrases imprudentes dans ce sens.) Engels dénonce très bien et avec raison cette imposture.

Cependant, lui-même a lu Darwin quinze ans avant et apparemment ne l’a lu qu’un peu superficiellement, ou ne l’a pas bien compris, et en a un peu oublié. Il a tendance à voir Darwin à travers sa vulgarisation par les darwinistes sociaux et à jeter Darwin avec l’eau du bain. En particulier, il accuse à tort Darwin de faire la transposition inverse : d’appliquer à l’évolution des lois formulées à propos des sociétés. Il comprend toujours struggle for life comme la lutte entre les hommes, laquelle est toujours sociale, et son application abusive au vivant en général. Il perd de vue que Marx et lui sont d’accord que la première nécessité des organismes vivants est de manger pour vivre. C’est une lutte multiforme dans et contre un certain environnement, contre les difficultés de la vie, pour réunir une nourriture suffisante, et seulement ultérieurement, chez les hommes, dans le cadre de luttes de classes. La struggle for life de Darwin est cette lutte pour la survie en général (seulement partiellement une lutte contre des individu ou des espèces concurrents). Engels n’aime pas cette idée parce qu’il la comprend de travers et, parce qu’il ne l’aime pas, il ne peut pas la comprendre.
En 1., il fait très bien (comme de Duve) le départ entre les apports scientifiques qui fondent le fait de l’évolution (ce qu’il appelle «  théorie de l’évolution  ») et la théorie explicative de l’évolution par la sélection naturelle (ce qu’il appelle «  sa méthode de démonstration  »). Mais tout de suite il accepte la première et rejette la seconde comme théorie provisoire appelée à être remplacée le plus vite possible.
En parlant des matérialistes pré-darwiniens, il confond les relations écologiques synchroniques évidentes entre les espèces présentes et l’apport nouveau de Darwin pour lequel ces relations écologiques déterminent entre les variétés héréditaires une sélection qui gouverne la formation des espèces sur le long terme, point de vue diachronique. Du fait de sa confusion, au lieu de voir là deux types de considérations recevables sur des questions différentes, il n’y voit que deux types de considérations opposées (l’équilibre d’un côté et la lutte de l’autre), également «  unilatérales et bornées  », sur la même question. Il n’aime pas Darwin, mais j’espère que par «  quelqu’un qui se prétend savant  », qui n’avance qu’une «  maigre formule  » «  qui se condamne d’elle-même  », il ne vise pas Darwin mais les trois mousquetaires du matérialisme mécaniste prédarwiniens cités plus haut, convertis au darwinisme social.

En 3., il est faux que Darwin ne fasse que transposer (i) le bellum omnium contra omnes de Hobbes, (ii) la concurrence bourgeoise et (iii) la démographie de Malthus. Darwin a dit explicitement qu’il s’opposait à la réduction de la struggle for life à une bellum omnium contra omnes. Il ne s’agit pas comme on le pense trop souvent de la «  loi du plus fort  » (i), mais de la difficulté de survivre assez pour se reproduire dans une nature où on enfante toujours trop pour des ressources limitées. La concurrence (ii) n’est qu’un aspect de cette difficulté. Cette idée tient par elle-même et ne dépend pas de sa parenté (évidente) avec les considérations démographiques de Malthus (iii). Si des darwinistes sociaux allemands font la transposition inverse, il ne s’agit pas d’une re-transposition parce que Darwin n’a jamais fait la première.
Pour le reste dans ce passage et en 4., il condamne avec raison et de manière intéressante la transposition abusive de la sélection au domaine de la société. Après avoir attaqué Darwin par une lecture tendancieuse de la struggle for life comme bellum omnium contra omnes, il montre qu’il est parfaitement capable de comprendre, quand il veut bien, struggle for life comme lutte pour la survie (il était donc de mauvaise foi  ? — disons que la polémique l’aveuglait) et il parle avec justesse de la différence entre «  collecte  » chez les animaux et «  production chez les hommes  », dans des contradictions sociales qui motivent la révolution.

Karl Marx, lettre à Friedrich Engels

[Londres,] le 3 octobre 1866.

Ad vocem Trémaux : Le jugement que tu portes, à savoir « que toute sa théorie ne vaut rien parce qu’il ne comprend rien à la géologie et qu’il est incapable de la critique la plus ordinaire à l’égard de toute la littérature parue sur la question », tu peux le retrouver presque textuellement chez Cuvier, dans son Discours sur les révolutions du globe [en français dans le texte], dirigé contre la doctrine de la variabilité des espèces [en français dans le texte], dans lequel il se gausse, entre autres, des fantasmagories allemandes sur la nature, dont les auteurs annonçaient intégralement l’idée fondamentale de Darwin, sans pouvoir le moins du monde la prouver. Cela n’a pas empêché pourtant que Cuvier, qui était un grand géologue et même, pour un naturaliste, un critique exceptionnel vis-à-vis de la littérature parue sur la question, ait tort, et que les gens qui énonçaient cette idée nouvelle aient raison. L’idée fondamentale de Trémaux sur l’influence du sol (même si, naturellement, il ne fait pas entrer en ligne de compte d’éventuelles modifications historiques de cette influence, parmi lesquelles je compte pour ma part également les changements chimiques provoqués dans les couches superficielles du sol par l’agriculture, etc., et plus largement les différentes influences qu’exercent sous des modes de production différents des choses comme les gisements de houille, etc.) est à mon avis une idée qui n’a besoin que d’être énoncée pour gagner définitivement droit de cité dans la science, et cela tout à fait indépendamment de l’exposé de Trémaux. »

Friedrich Engels, lettre à Karl Marx :

Manchester, le 5 octobre 1866.

Ad vocem Trémaux. A vrai dire quand je t’ai écrit, je n’avais encore lu qu’un tiers du livre, à savoir le plus mauvais (au début). Le second tiers, la critique des écoles, est bien meilleur, le troisième, les conséquences, est de nouveau très mauvais. Cet homme a le mérite d’avoir fait ressortir plus qu’on ne l’avait fait jusqu’à présent l’influence du « sol » sur la formation des races et, aussi, par voie de conséquence, des espèces, et, deuxièmement, d’avoir développé sur l’effet du croisement des idées plus justes (encore qu’à mon avis, elles aussi très unilatérales) que ses prédécesseurs. Darwin a lui aussi, d’un côté, raison dans ce qu’il dit de l’influence modificatrice du croisement ; ce que Tr du reste reconnaît tacitement lorsqu’il traite, là où cela l’arrange, le croisement aussi comme un moyen de transformation, même si c’est dans le sens finalement de l’uniformisation. De la même façon, Darwin et d’autres n’ont jamais méconnu l’influence du sol, et s’ils ne l’ont pas fait spécialement ressortir, c’est parce qu’ils ne savaient pas comment ce sol agit — si ce n’est qu’il agit favorablement quand il est fertile et défavorablement quand il ne l’est pas. Tr non plus n’en sait guère davantage. L’hypothèse suivant laquelle le sol en général devient d’autant plus favorable au développement d’espèces supérieures qu’il appartient à des formations plus récentes a quelque chose d’extraordinairement plausible et peut être ou ne pas être juste, mais quand je vois les preuves ridicules qu’il apporte pour essayer d’appuyer cette hypothèse, preuves dont les 9/10 reposent sur des faits inexacts ou dénaturés, et dont le dernier 1/10 ne prouve rien, je ne peux m’empêcher de trouver fortement suspect l’auteur de cette hypothèse, et, partant de là, l’hypothèse elle-même. Mais quand, allant plus loin, il déclare que l’influence du sol, selon qu’il est plus récent ou plus ancien, corrigée par le croisement, est la cause unique des modifications dans les espèces organiques ou les races, je ne vois absolument aucune raison de le suivre aussi loin, et même au contraire de très nombreuses objections m’en dissuadent. Tu dis que Cuvier a également reproché leur ignorance de la géologie aux philosophes de la nature [Naturphilosophen] en Allemagne lorsqu’ils affirmaient la variabilité des espèces, et que ceux-ci pourtant avaient raison. Mais la question n’avait à cette époque rien à voir avec la géologie ; et lorsque quelqu’un établit une théorie de la transformation des espèces basée exclusivement sur la géologie et commet de pareilles bourdes géologiques, falsifie la géologie de pays entiers (de l’Italie p. ex. et même de la France) et tire ses exemples précisément de pays dont nous ne connaissons pratiquement pas la géologie (Afrique, Asie centrale, etc.) c’est quand même tout à fait différent. En ce qui concerne tout spécialement les exemples ethnologiques, les seuls qui se rapportent à des pays et à des peuples connus sont quasiment tous faux, soit dans les prémisses géologiques, soit dans les conclusions qu’il en tire — quant aux exemples qui vont dans le sens contraire, il les laisse complètement tomber, par exemple les plaines alluviales de Sibérie intérieure, l’énorme bassin alluvial de l’Amazone, toute la zone alluviale qui part du sud de La Plata et va jusqu’à la pointe Sud de l’Amérique (à l’est des Cordillères). Qu’il y ait beaucoup de rapports entre la structure géologique du sol et le « sol » où il pousse quelque chose, cela n’est pas bien nouveau, idem que ce sol apte à la végétation exerce une influence sur les races végétales et animales qui y vivent. Il est également exact que cette influence n’a jusqu’à présent pratiquement pas été étudiée. Mais pour passer de ceci à la théorie de Trémaux il faut faire un bond colossal. Il a en tout cas le mérite d`avoir mis l’accent sur cet aspect jusqu’alors négligé. Et, je le répète, l’hypothèse de l’influence du sol comme facteur plus ou moins favorable à l’évolution selon son âge géologique est peut-être juste (ou fausse) à l’intérieur de certaines limites, mais toutes ses autres conclusions sont à mon avis soit totalement inexactes, soit terriblement exagérées dans un seul sens. Karl Marx, lettre à Friedrich Engels [Londres,] le 22 juin 1867. .Au sujet de Hofmann, tu as tout à fait raison. (*) Je reprends et je commente ce passage du Capital dans mes notes de lecture.Tu verras d’ailleurs dans la fin de mon chapitre III, où est esquissée la transformation du maître-artisan en capitaliste — à la suite de changements purement quantitatifs — que je cite dans le texte (*) la découverte de Hegel sur la loi de la brusque commutation du changement purement quantitatif en changement qualitatif, comme étant également vérifiée en histoire et dans les sciences de la nature. Dans une note ajoutée au texte (c’était précisément l’époque où j’assistais aux cours de Hofmann), je mentionne la théorie moléculaire, mais pas Hofmann, qui n’a rien inventé en la matière, si ce n’est le trait dont il souligne la chose, tandis que je parle de Laurent, de Gehrardt et de Wurtz, ce dernier étant le véritable inventeur. À la lecture de ta lettre je me suis obscurément souvenu de tout cela, et je suis allé vérifier dans mon manuscrit […]

Friedrich Engels, lettre à Karl Marx :

Manchester, le 21 mars 1869.

[…] La mutation des forces naturelles, notamment de la chaleur en force mécanique, etc., a donné lieu en Allemagne à une théorie extrêmement insipide, qui découle du reste déjà avec une certaine nécessité de la vieille théorie de Laplace, mais que l’on avance maintenant avec des preuves quasiment mathématiques : à savoir que l’univers ne cesse de refroidir, que les températures à l’intérieur de l’univers tendent toujours plus à s’équilibrer, et qu’ainsi il arrive finalement un moment où toute vie devient impossible, où le monde entier n’est plus constitué que de planètes gelées tournant les unes autour des autres. Il n’y a qu’à attendre que les curés s’emparent de cette théorie comme du dernier mot du matérialisme. On ne peut rien imaginer de plus bête. Étant donné que d’après cette théorie il est toujours nécessairement transformé plus de chaleur en d’autres formes d’énergie qu’il n’est possible que d’autres formes d’énergie se transforment en chaleur, il s’ensuit naturellement que l’état de grande chaleur originel à partir duquel tout se refroidit est absolument inexplicable, et même que c’est une contradiction et que cela présuppose donc l’existence d’un Dieu. Le choc initial de Newton s’est transformé en échauffement initial. Et pourtant cette théorie passe pour être le fin du fin du matérialisme le plus accompli, ces messieurs préfèrent se construire un monde qui commence dans l’absurdité et s’achève dans l’absurdité, plutôt que de voir dans ces conséquences absurdes la preuve que jusqu’à présent ils ne connaissent qu’à moitié leur soi-disant loi naturelle. Mais en attendant cette théorie fait fureur en Allemagne […]

Correspondance de Marx et Engels

Au cours de toute leur vie, Marx et Engels ont suivi avec attention l’évolution de la science de la nature, accomplissant la généralisation philosophique de ses résultats et éclairant ceux-ci du point de vue du matérialisme dialectique. Les questions de la théorie de la science occupent une place éminente dans un ouvrage de la littérature marxiste aussi important que l’Anti-Dühring d’Engels, où se trouve un exposé développé des fondements de la doctrine de Marx. On rencontre dans toute une série d’autres ouvrages des deux maîtres, compris dans l’œuvre principale de Marx : Le Capital, une foule d’observations sur les problèmes des sciences de la nature. La correspondance de Marx et d’Engels révèle aussi la grande attention que tous deux apportaient aux questions scientifiques. Mais l’exposé le plus développé, embrassant toutes les branches essentielles de la science de la nature et des mathématiques, Engels l’a donné dans sa Dialectique de la nature, œuvre restée inachevée mats remarquable par sa richesse de pensée, à laquelle il a travaillé en étroit contact avec Marx.

La correspondance de Marx et d’Engels révèle que, dès 1873, Engels envisageait d’écrire un grand travail sur la dialectique dans la nature. Dans une lettre à Marx du 30 mai 1873, il fait part à son ami de ses pensées sur la science de la nature. Il y formule déjà trois idées fondamentales de sa Dialectique de la nature : 1. l’indissolubilité de la matière et du mouvement (le mouvement est une forme d’existence de la matière) ; 2. les formes qualitativement différentes du mouvement et les diverses sciences qui les étudient (mécanique, physique, chimie, biologie) ; 3. le passage dialectique d’une forme du mouvement à l’autre et Par suite il une science à l’autre. Il termine sa lettre en disant que l’élaboration de ces idées « demandera encore beaucoup de temps ».

Voici le texte de la lettre d’Engels à Marx du 30 mai 1873 :

30 mai 1873.

Cher Maure,

Voici les idées dialectiques qui me sont venues ce matin au lit à propos des sciences de la nature :

Objet de la science de la nature : la matière en mouvement, les corps. Les corps sont inséparables du mouvement ; leurs formes et leurs espèces ne se reconnaissent qu’en lui ; il n’y a rien à dire des corps en dehors du mouvement, en dehors de toute relation avec d’autres corps. Ce n’est que dans le mouvement que le corps montre ce qu’il est. La science de la nature connaît donc les corps en les considérant dans leur rapport réciproque, dans le mouvement. La connaissance des diverses formes du mouvement est la connaissance des corps. L’étude des différentes formes du mouvement est donc l’objet essentiel de la science de la nature.

1. La forme du mouvement la plus simple est le changement de lieu (dans le temps, pour faire plaisir au vieil Hegel) : le mouvement mécanique.

a) Le mouvement d’un corps isolé n’existe pas ; à parler relativement, la chute peut cependant en faire figure. Mouvement vers un centre commun à de nombreux corps. Cependant, dès que le mouvement d’un corps doit s’effectuer dans une direction autre que celle du centre, ce corps tombe toujours. il est vrai, sous les lois de la chute, mais celles-ci se modifient.

b) en lois de la trajectoire et mènent directement au mouvement réciproque de plusieurs corps ; mouvement planétaire, etc., astronomie, équilibre (temporaire ou apparemment dans le mouvement lui-même). Mais, en fin de compte, le résultat réel de ce genre de mouvement est toujours.. le contact des corps en mouvement : ils tombent l’un sur l’autre.

c) Mécanique du contact : corps en contact. Mécanique courante, levier, plan incliné, etc. Mais le contact n’épuise pas par là ses effets. Il se manifeste directement sous deux formes : frottement et choc. Tous deux ont la propriété de produire, à un certain degré d’intensité et dans des conditions déterminées, des effets nouveaux qui ne sont plus purement mécaniques : chaleur, lumière, électricité, magnétisme.

2. La physique proprement dite, science de ces formes du mouvement qui, après l’étude de chacun d’eux, constate que, sous certaines conditions, ils se convertissent l’un en l’autre et qui trouve en fin de compte que, à un degré d’intensité déterminé, variable selon les corps en mouvement, ils produisent des effets qui dépassent le domaine de la physique, des modifications de la structure interne du corps : des effets chimiques.

3. La chimie. Pour l’étude des formes précédentes du mouvement, il était plus ou moins indifférent qu’ils s’opèrent sur des corps vivants ou inertes. Les corps inertes faisaient même apparaître les phénomènes dans leur pureté la plus grande. Par contre, la chimie ne peut connaître la nature chimique des corps les plus importants que sur des substances issues du processus de la vie , sa tâche essentielle sera de plus en plus de produire artificiellement ces substances. Elle constitue le passage à la science de l’organisme, mais le passage dialectique ne pourra être établi que lorsque la chimie aura effectué le passage réel ou sera sur le point de l’effectuer .

4. L’organisme. Sur ce point, je ne me hasarderai pour l’instant à aucune dialectique.

Comme tu es au centre des sciences de la nature, c’est toi qui seras le mieux en mesure de juger ce que cela vaut.

Ton F. Engels

Si vous croyez que cela vaut quelque chose, n’en parlez pas afin que quelque diable d’Anglais ne me vole pas la chose : l’élaboration demandera encore beaucoup de temps. (N.R.)

Le contenu de cette lettre correspond presque intégralement à l’un des fragments englobés dans Dialectique de la nature, à savoir celui qui porte le titre : « dialectique de la science de la nature » (cf. p. 253). Sur la même feuille que ce fragment et le Précédant immédiatement, on trouve le brouillon de l’esquisse du travail qu’Engels projetait contre Büchner et d’autres représentants du matérialisme vulgaire (Cf. p. 203). Cette esquisse, rédigée, selon toute vraisemblance, peu de temps avant le fragment : « Dialectique de la science de la nature », fait apparaître ce qu’était le plan primitif d’Engels : montrer, sous la forme d’une critique du matérialisme vulgaire et sur la base de la science la plus moderne : 1. la contradiction entre le mode de pensée méta-physique et le mode de pensée dialectique et 2. la contradiction entre la dialectique mystifiée, idéaliste de Hegel et la « dialectique rationnelle » du matérialisme Philosophique. Avec cela, Engels souligne tout particulièrement dans son esquisse que, Pour la science de son temps, « la dialectique dépouillée du mysticisme devient une absolue nécessité ». De la sorte, on est tout à fait fondé à penser qu’au début de 1873 Engels envisageait d’écrire une sorte d’ « Anti-Büchner » où il aurait étudié les questions de la dialectique de la science de la nature et soumis à la critique les défauts du matérialisme vulgaire de Büchner, ainsi que sa « prétention d’appliquer à la société la théorie des sciences de la nature et de réformer le socialisme ».

D’après les manuscrits laissés par Engels, on peut voir que, peu après, il abandon-nait son Projet de travail contre Büchner, mais n’en continuait pas moins à rassembler, avec une ardeur redoublée, des matériaux sur la dialectique dans la science de la nature et les mathématiques. Il commença à rédiger des esquisses Préliminaires Pour sa Dialectique de la nature et, en 1875-76, il avait déjà élaboré presque définitivement la grande « Introduction » à son œuvre. Cependant, peu après, Engels s’orienta vers un autre grand travail : la critique des écrits de Dühring, en utilisant également ses matériaux sur la dialectique de la nature. Les intérêts du parti du prolétariat révolutionnaire exigeaient la réfutation des théories de Dühring, variété nouvelle de l’utopisme philistin sous sa forme la plus réactionnaire, spécifiquement prussienne, qui menaçait de répandre les vues du socialisme petit-bourgeois dans les rangs de la social-démocratie allemande. Après avoir terminé l’Anti-Dühring (juin 1878), Engels revint à son travail sur la dialectique de la nature : il en esquissa le plan d’ensemble (cf. page 25) et rédigea quelques chapitres plus ou moins définitifs, ainsi qu’une foule de notes préliminaires. Le 23 novembre 1882, il écrivit à Marx que, maintenant, il devait terminer sa Dialectique de la nature. Mais la mort de Marx (14 mars 1883) l’obligea à interrompre son travail et à s’occuper, comme il le mentionne dans sa Préface à la seconde édition de l’Anti-Dühring, « de devoirs plus pressants ».

J’ai le devoir de préparer pour l’impression les manuscrits laissés par Marx, et cela est beaucoup plus important que toute autre occupation .

En outre, après la mort de Marx, tout le travail de direction du mouvement ouvrier international retomba sur Engels, et cela lui prenait beaucoup de temps. Il en résulta que le travail qu’il projetait sur la dialectique de la nature ne tut pas mené à son achèvement et que les matériaux qu’il avait réussi à rédiger sur ce thème ne jurent pas même mis systématiquement en forme. Dans la Préface à la seconde édition de l’Anti-Dühring, Engels a écrit qu’il n’abandonnait pas l’espoir que quelque occasion à venir lui permît de rassembler et de publier les résultats obtenus, « peut-être avec les manuscrits mathématiques extrême-ment importants laissés par Marx » . Mais il n’a pu y parvenir.

Après la mort d’Engels (5 août 1895), sa Dialectique de la nature ainsi que ses autres manuscrits sont tombés entre les mains des chefs opportunistes de la social-démocratie allemande, qui, pendant des dizaines d’années, ont criminellement tenu sous le boisseau ce travail extrêmement précieux et continuent à l’y tenir à l’heure actuelle. Dialectique de la nature fut publiée pour la première fois en U.R.S.S. d’après les photocopies des manuscrits. Elle fut éditée à Moscou en 1925 en langue allemande parallèlement à la traduction russe. Cependant cette édition était, du point de vue scientifique, tout à fait défectueuse. Le déchiffrage du manuscrit d’Engels avait été fait avec une extrême négligence, et toute une série de passages, au nombre desquels des passages concernant les bases mêmes des conceptions théoriques d’Engels, étaient absolument défigurés. La traduction russe fourmillait d’erreurs et d’altérations. Enfin la disposition des chapitres composant Dialectique de la nature était présentée dans un désordre si chaotique que cela en rendait très difficile la lecture et l’étude.

En 1927 Parut la deuxième édition de Dialectique de la nature en langue allemande et en 1929 la deuxième édition russe. Dans ces éditions, quelques erreurs de déchiffrage avaient été éliminées, mais tous les défauts fondamentaux de l’édition de 1925 subsistaient. Toutes les éditions russes de Dialectique de la nature qui suivirent (y compris celle du tome XIV des Oeuvres de Marx-Engels) reproduisent presque sans changement le texte de l’édition russe de 1929. En 1935, l’Institut Marx-Engels-Lénine Publia une nouvelle édition de Dialectique de la nature dans la langue de l’original. (Marx-Engels Gesamtausgabe. Friedrich Engels : Herrn Eugen Dühring Umwäl-zung der Wissenchaft - Dialektik der Natur - Sonderausgabe zum vierzigsten Todestage von Friedrich Engels. Moskau-Leningrad, 1935, édition que nous dési-gnons dans la suite par MEGA.) Cette édition marquait un certain progrès, tant au point de vue du soin mis à déchiffrer le manuscrit qu’à celui de la disposition plus correcte des matériaux. Cependant elle n’était pas exemple de tout défaut essentiel sous ces deux rapports, non plus qu’au point de vue de la qualité de l’appareil scientifique. Celle édition ne fut pas traduite en russe.

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Bien que Dialectique de la nature soit resté inachevé et que certaines de ses parties aient le caractère de brouillons préliminaires et de notes fragmentaires, cette oeuvre présente un tout cohérent dont l’unité repose sur les idées générales fondamentales et sur l’harmonie du plan.

Dans Dialectique de la nature, Engels donne la généralisation philosophique des conclusions de la science de son époque. Abordant ta nature en matérialiste et en dialecticien, il la présente comme un tout infini et un, comme « la connexion universelle de l’évolution », comme le processus historique de développement de la matière. Il montre que, dans la nature, tout s’opère dialectiquement et que, en conséquence la dialectique matérialiste est la seule méthode exacte permettant de connaître la nature.

Dans l’Introduction à son œuvre, Engels donne un brillant aperçu du développe-ment de la science de la nature de la Renaissance jusqu’à Darwin, montrant comment le développement propre de la science elle-même a fait éclater de l’intérieur la conception métaphysique de la nature qui caractérise les XVIIe et XVIIIe siècles, et a contraint celle-ci à céder la place à la conception moderne, dialectique. En suivant le développement historique des sciences, Engels souligne particulièrement le rôle de la pratique humaine, le rôle de la production, laquelle, au bout du compte, détermine tant l’origine de la science que la marche de son développement.

S’appuyant sur toutes les conquêtes les plus importantes de la science de son temps, Engels énonce les fondements scientifiques de la conception matérialiste dialectique du monde. L’univers est infini dans l’espace et le temps. Il est impliqué dans un mouvement et un changement perpétuels. Les cycles grandioses dans lesquels se meut la matière déploient toute la riche diversité des formes du mouvement de la matière, depuis le simple changement mécanique de lieu jusqu’à la vie et à la pensée des êtres doués de conscience. La matière et le mouvement ne peuvent être anéantis ni quantitativement, ni même qualitativement. Aucun des attributs de la matière ne peut être perdu et c’est pourquoi

si elle doit sur terre exterminer un jour avec une nécessité d’airain sa floraison suprême l’esprit pensant, il faut avec la même nécessité que, quelque part ailleurs et à une autre heure, elle le reproduise .

Ces idées d’Engels, exposées avec une profondeur et un brillant remarquables, sont des armes acérées pour lutter contre les théories idéalistes et mystiques des idéologues du capitalisme pourrissant. Elles sont des armes contre les tentatives les plus récentes de faire revivre l’obscurantisme du Moyen Âge et l’absence de loi en la possibilité pour l’homme de connaître le monde. Elles permettent de lutter contre celle de retaper une religion qui tombe en ruine à l’aide d’arguments tirés des sciences de la nature, tentative qui utilise chaque difficulté de la science qu’engendre dans la société bourgeoise la crise grandissante de la science en raison de la décadence de plus en plus profonde de la culture.

Dialectique de la nature est entièrement empreint de la doctrine d’Engels sur les di-verses formes du mouvement de la matière (mouvement mécanique ou simple changement de lieu ; modes différents de mouvement physique : chaleur, lumière, électricité ; processus chimiques ; vie organique), sur leur unité et leurs passages réciproques de l’une à l’autre, ainsi que sur les particularités qualitatives de chacune d’elles et l’impossibilité de ramener mécaniquement, les formes supérieures du mouvement aux formes les plus basses. Sur la base de cette théorie, Engels établit une classification matérialiste dialectique des sciences de la nature où chacune d’elles « analyse une forme singulière du mouvement ou une série de formes de mouvements connexes et passant de l’une à l’autre ».

Dans toutes les branches de la science, Engels soutient, met au premier plan et développe les conceptions et les théories d’avant-garde. En particulier, il estime et souligne très fortement le génie du grand savant russe D. I. Mendeléïev, créateur du système périodique des éléments chimiques. En même temps, Engels combat résolument les idées qui ne correspondent plus aux acquisitions les plus récentes de la science et freinent les progrès ultérieurs de la recherche. Il démasque les « partisans de l’ancien » et oppose à l’ancien le nouveau, ce qu’il y a de plus progressif dans la science de son temps. Il éclaire les faits nouveaux et les théories nouvelles du point de vue de la théorie la plus avancée, la plus révolutionnaire, le matérialisme dialectique ; il analyse leur signification avec profondeur et montre la voie ultérieure du développement de la science. Cela lui donne la possibilité non seulement de saisir le sens philosophique de l’état de la science de son temps, mais aussi de regarder loin en avant, d’anticiper quelques-unes des conquêtes postérieures de la science.

Ainsi, par exemple, à la différence du plus grand nombre des savants de son époque, Engels défend le point de vue de la complexité des atomes des éléments chimiques.

Les atomes, écrit-il, ne sont nullement quelque chose de simple, ils n’apparaissent pas comme les particules de matières les plus petites que nous connaissions.

Il a eu le génie de prévoir l’existence de particules qui seraient l’analogue des grandeurs mathématiques infiniment petites saisies à l’instant de leur disparition. La théorie contemporaine de la structure de la matière a confirmé les vues d’Engels sur la complexité de l’atome et son caractère inépuisable. Ses idées sur le sens du rayonnement en tant que facteur de répulsion et sur le rôle de ce rayonnement dans le processus d’évolution de l’univers dépassaient de loin les conceptions régnant à son époque et se sont trouvées confirmées par les découvertes les plus récentes de l’astronomie et de la physique. De même, dans des questions comme celle de l’origine de la vie, de son essence, de la théorie darwinienne de l’évolution, Engels a énoncé une série de propositions qui anticipent évolution ultérieure de la biologie. En mettant en lumière la signification révolutionnaire des théories d’avant-garde de son époque, Engels fait une guerre implacable à la fausse science. A côté de théories d’avant-garde, la science bourgeoise du XIXe siècle mettait aussi en avant des théories qui n’étaient pas le moins du monde progressistes et étaient par essence faussement scientifiques. Au nombre de ces dernières, on comptait une théorie à la mode comme celle de la prétendue « mort thermique » de l’univers. Engels la soumit à une critique approfondie et démontra qu’elle était en contradiction directe avec la loi bien comprise de la conservation et de la transformation de l’énergie. Le développement ultérieur de la science a confirmé la justesse de ses vues. Ses thèses fondamentales sur l’indestructibilité non seulement quantitative, mais encore qualitative du mouvement, et sur l’impossibilité qui en résulte de la « mort thermique » de l’univers, permettent de déceler également l’inconsistance complète des tentatives entreprises par des savants réactionnaires bourgeois pour donner un regain de vie à la théorie de la « mort thermique ».

En étudiant les problèmes des mathématiques, de la mécanique, de la physique, de la chimie et de la biologie, Engels met partout en lumière le caractère dialectique des processus naturels, et il fait lés observations de caractère méthodologique les plus profondes. Sa méthode, la méthode du matérialisme dialectique, est la plus précieuse, la plus capitale dans Dialectique de la nature. Divers détails concernant des sciences comme la physique, la chimie, la biologie, ont évidemment vieilli pour notre temps et ils ne pouvaient pas ne pas vieillir, étant donné que, depuis la rédaction de Dialectique de la nature, il y a eu près de soixante-dix ans de développement de la science. Mais la présence de déclarations vieillies concernant des questions particulières des diverses branches de la science de la nature n’atteint pas le moins du monde l’essence de la conception matérialiste dialectique d’Engels et n’amoindrit pas l’immense importance de Dialectique de la nature pour notre temps.

Hormis les chapitres et les fragments étudiant les problèmes des diverses sciences de la nature et des mathématiques, il y a, dans Dialectique de la nature, bon nombre de pages consacrées aux questions générales de la dialectique matérialiste. Ont trait à celles-ci le chapitre inachevé : « La dialectique » et 42 fragments réunis ici dans la section : « Dialectique ». Dans la préface à la seconde édition de l’Anti-Dühring, Engels indique qu’on parvient plus facilement à la conception dialectique de la nature « si l’on aborde le caractère dialectique de ces faits avec la conscience des lois de la pensée dialectique ». Les questions de la logique théorique et de la théorie de la connaissance sont examinées par Engels sur des matériaux concrets de la science de la nature. S’il avait réussi à terminer cette partie de son œuvre, nous aurions ici l’exposé développé de la « dialectique en tant que science des connexions, en opposition à la métaphysique ». Néanmoins, même sous cette forme inachevée, cette partie contient des matériaux extrêmement riches sur les questions fondamentales de la dialectique.

Les questions concernant l’origine de l’homme et de la société humaine constituent le passage de la science de la nature aux sciences sociales. Engels examine ces questions dans l’essai : « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme ». Avec une maîtrise inégalée, il élucide ici le rôle primordial et décisif du travail, de l’invention et de la fabrication des outils dans la formation du type physique de l’homme et dans celle de la société humaine, en montrant comment, à partir du singe, par suite d’un long processus historique, s’est développé un être qualitativement différent de lui : l’homme. La théorie de Marx et d’Engels sur l’origine de l’homme et la naissance de la société humaine détruit radicalement les mensonges réactionnaires de la sociologie bourgeoise, les vains efforts des idéologues de l’impérialisme Pour fonder le droit des races « supérieures » à l’exploitation et à la domination des races « inférieures ».

Dans le cours de cet ouvrage, Engels souligne sans se lasser le rôle éminent de la théorie philosophique d’avant-garde et montre, que, sans philosophie avancée, les savants bourgeois spécialisés s’égarent hors de la voie de la science et tombent sous l’emprise de l’obscurantisme clérical. Il critique ici à la lois les idéalistes, les agnostiques, les matérialistes vulgaires, il met à nu toute la pauvreté de la méthode métaphysique et de l’empirisme grossier, rampant. Il raille impitoyablement la crédulité des savants bourgeois qui quittent le terrain de la science et deviennent la proie des superstitions et des mystiques les plus saugrenues.

Lénine n’a pas connu Dialectique de la nature qui ne fut publié qu’après sa mort. Mais il est remarquable que, n’ayant jamais lu cette œuvre, il exprime dans ses travaux philosophiques des idées qui sont le développement de presque tout ce qui en constitue les principes fondamentaux, et que, parfois, ses formulations coïncident presque mot pour mot avec les formules employées par Engels.

Dans son livre génial : Matérialisme et empiriocriticisme, publié en 1909, Lénine donne

une généralisation matérialiste de tout ce que la science, avant tout la science de la nature, avait acquis d’important et de substantiel pendant toute une période historique, depuis la mort d’Engels jusqu’à la parution de l’ouvrage de Lénine .

Matérialisme et empiriocriticisme est un modèle de développement créateur du marxisme.

Citant les paroles d’Engels qui dit que

la forme du matérialisme doit inévitablement se modifier avec toute découverte faisant époque dans le domaine des sciences naturelles.

(et à plus forte raison dans l’histoire de l’humanité), Lénine écrit :

Ainsi la révision des « formes » du matérialisme d’Engels, la révision de ses postulats de philosophie naturelle n’a rien de a révisionniste à au su consacré du mot : le marxisme l’exige au contraire .

Des découvertes scientifiques, comme celles de l’électron, de la radioactivité, etc., ont posé de façon nouvelle une série de problèmes fondamentaux de la physique théorique et ont été une confirmation nouvelle de la « seule philosophie juste de la science de la nature », le matérialisme dialectique. S’appuyant sur ces acquisitions de la science, Lénine a fait progresser la doctrine philosophique du marxisme. Toutes les acquisitions postérieures de la science, - théorie de la relativité, théorie des quanta, loi de l’équivalence de la masse et de l’énergie, - apportent toutes la confirmation de l’unité matérielle de l’univers, sur l’incréabilité et l’indestructibilité de la matière, sur l’unité du contenu et du discontinu dans la structure de la matière et sa faculté d’évoluer en passant de formes simples d’existence à des formes de plus en plus complexes.

Lénine est revenu les questions de la science de la nature également dans de ses travaux. Ainsi dans son célèbre article : « Du rôle du matérialisme militant » (mars 1922), il souligne très fortement le rôle de la philosophie d’avant-garde pour les sciences de la nature.

A défaut d’une base philosophique solide, il n’est point de science naturelle ni de matérialisme qui puissent résister à l’envahissement des idées bourgeoises et à la régénération de la conception bourgeoise du inonde. Pour soutenir cette lutte et la mener pleinement à bonne fin, le naturaliste doit être un naturaliste moderne, un partisan éclairé du matérialisme représenté par Marx, c’est-à-dire qu’il doit être un matérialiste dialectique .

Cette déclaration coïncide presque mot pour mot avec les affirmations d’Engels dans Dialectique de la nature.

Il est également remarquable que, dans ses Cahiers philosophiques, Lénine souligne fortement la nécessité d’élaborer la dialectique en tant que philosophie de la science, et il a apporte dans ce sens des idées d’une très grande richesse, comme s’il rappelait ce qui a été dit sur cette question dans Dialectique de la nature d’Engels qui lui était restée inconnue.

Dans Matérialisme dialectique et matérialisme historique, Staline a fait un exposé inégalé des bases philosophiques du marxisme et les a fait progresser. Il s’y réfère souvent à Dialectique de la nature d’Engels et développe et concrétise les principes d’Engels qui caractérisent les traits fondamentaux de la méthode matérialiste dialectique et du matérialisme philosophique marxiste. Cela souligne plus encore l’importance de Dialectique de la nature pour notre époque.

*
**

Peu de temps avant sa mort, Engels a groupé tous les matériaux se rapportant à Dialectique de la nature en quatre liasses auxquels il a donné les titres suivants : 1. « La dialectique et la science de la nature » ; 2. « L’étude de la nature et la dialectique » ; 3. « Dialectique de la nature » ; 4. « Mathématiques et sciences de la nature. Di-vers ». De ces quatre liasses, deux seulement (la 2e et la 3e) sont munies de sommaires composés par Engels et énumérant les matériaux qui y sont contenus. Grâce à ces sommaires, nous savons de manière précise quels matériaux il a rangés dans la 2e et la 3e liasse et dans quel ordre de succession il les y a placés. Quant à la 1re et à la 4e liasse nous ne pouvons pas avoir la certitude que les feuillets s’y trouvent exactement là où Engels les a mis.

En prenant connaissance du contenu des quatre liasses de Dialectique de la nature, on se rend compte que, outre des chapitres et des esquisses préliminaires, écrits spécialement pour cette oeuvre, Engels y a inclus aussi quelques manuscrits qu’il avait primitivement rédigés en vue d’autres oeuvres (ainsi : l’ « Ancienne Préface à l’Anti-Dühring », deux « Notes » à propos de l’Anti-Dühring, le « Fragment retranché du Feuerbach » et « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme »).

La présente édition de Dialectique de la nature comprend tout ce qui est inclus dans les quatre liasses d’Engels, à l’exception de cinq petites pages de calculs mathématiques fragmentaires que n’accompagne aucun texte (dans la 4e liasse) et des fragments suivants, dont le contenu montre clairement qu’ils ne se rapportent pas à Dialectique de la nature : 1. la première esquisse de l’ « Introduction » à l’Anti-Dühring ( sur le socialisme de l’époque) ; 2. un fragment sur l’esclavage ; 3. des extraits du livre de Charles Fourier : Le Nouveau Monde (ces trois fragments, qui ont trait aux travaux préparatoires à l’Anti-Dühring, se sont trouvés dans la 1re liasse de Dialectique de la nature pour une raison qui nous est inconnue), et 4. un petit billet portant de brèves remarques d’Engels sur l’attitude négative de Philippe Pauli à l’égard de la théorie « tra-vailliste » de la valeur (dans la 4e liasse).

En tenant compte de ces limites, Dialectique de la nature se compose de 10 articles ou chapitres ; 169 notes et fragments et 2 esquisses de plans, soit en tout 181 éléments.

Ces éléments sont rangés, dans la Présente édition, selon l’ordre thématique, conformément aux lignes directrices du plan d’Engels, telles qu’elles sont marquées dans les deux esquisses de plan qui nous sont parvenues. Ces deux esquisses sont données tout au début de l’ouvrage. La plus développée d’entre elles, qui embrasse toutes les sections de l’œuvre, a été rédigée vraisemblablement fin 1878 on début 1879 ; l’autre n’englobe qu’une partie de l’ouvrage et a été écrite approximativement en 1880. Ce sont ces esquisses de plan que l’on a prises pour base dans l’ordonnance des matériaux. Cependant on a tenu compte de la démarcation indiquée par Engels lui-même (lors du groupement des matériaux en liasses) entre les articles, ou chapitres, plus ou moins mis au point, d’une part, et les esquisses, notes et fragments de l’autre (la majorité de ces derniers ne constituant que des matériaux préparatoires pour une élabo-ration ultérieure).

Il en résulte que le livre est divisé en deux parties : 1. articles ou chapitres ; 2. notes et fragments. Dans chacune de ces parties, les matériaux ont été ordonnés selon un seul et même schéma directeur, conformément au plan d’Engels.

Ce plan indique l’ordre de succession suivant : a) introduction historique, b) questions générales de la dialectique matérialiste, c) classification des Sciences, d) considérations sur les branches singulières de la science de la nature, e) passage aux sciences sociales. Dans l’esquisse détaillée du plan général, Engels a indiqué encore une série de points : « l’âme du plastidule », la liberté de la science et de son enseignement, « l’État cellulaire » de Virchow, la campagne des darwinistes bourgeois allemands contre le socialisme. Il ne les a pas élaborés. En général, les points de l’esquisse du plan d’Engels ne correspondent pas tout à fait aux matériaux dont nous disposons et auxquels il a travaillé tant avant qu’après l’avoir établi, soit pendant treize années entières (1873-1868). Mais les lignes fondamentales du plan et le contenu fondamental des matériaux dont nous disposons correspondent tout à fait. Aussi, s’il était impossible de réaliser littéralement dans tous ses détails le schéma de 1878-1879, on peut pleinement conserver les grandes lignes de l’ordre des parties indiquées sur les esquisses de 1878-1879 et 1880.

En prenant donc pour base les grandes lignes du plan d’Engels telles qu’elles sont consignées dans les deux esquisses, nous obtenons pour les articles ou chapitres de Dialectique de la nature qui constituent la première partie de l’ouvrage, l’ordre suivant :

1. Introduction (rédigée en 187 5-1876).

2. Ancienne préface à l’Anti-Dühring (mai-juin 1878.

3. La science de la nature dans le monde des esprits (milieu 1878).

4. La dialectique (1879).

5. Les formes fondamentales du mouvement (1880-1881).

6. La mesure du mouvement - Le travail (1880-1881).

7. Le frottement de la marée (1880-1881).

8. La chaleur (1881-1882).

9. L’électricité (1882).

10. Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme (1876).

En ce qui concerne tous ces articles ou chapitres, l’ordre thématique coïncide presque avec l’ordre chronologique (à l’exception de l’article sur « le rôle du travail » qui constitue le passage des sciences de la nature aux sciences sociales). L’article « La science de la nature dans. le monde des esprits » n’est absolument pas mentionné dans les esquisses de plan d’Engels. Il est tout à fait probable qu’il se proposait esquisse de le faire paraître séparément dans quelque revue, et ce n’est que plus tard qu’il l’a inclus dans le corps de Dialectique de la nature. Nous l’avons placé en troisième dans la section articles, car il a un caractère méthodologique général et, par son contenu, touche d’assez près l’ « Ancienne Préface à l’Anti-Dühring ».

En ce qui concerne les esquisses, notes et fragments qui constituent la deuxième partie de l’ouvrage et qui sont au nombre de 169, le rapprochement des matériaux dont nous disposons avec les esquisses de plan d’Engels aboutit à leur classement sous les rubriques suivantes :

1. Éléments d’histoire de la science.

2. Science de la nature et Philosophie.

3. Dialectique.

a) Questions générales de la dialectique. Lois fondamentales de la dialectique.

b) Logique dialectique et théorie de la connaissance. A propos des « limites de la connaissance ».

4. Les formes du mouvement de la matière. Classification des sciences.

5. Mathématiques.

6. Mécanique et astronomie. Physique. Chimie.

9. Biologie.

Si nous confrontons ces rubriques des fragments avec les titres des dix articles de Dialectique de la nature énumérés plus haut, nous voyons la correspondance complète entre l’ordre de classement des articles et celui des fragments. Au premier article correspond la 1re section des fragments ; au 2e et au 3e, la 2e section. Au 4e article (« Les formes fondamentales du mouvement ») correspond la 4e section. Aux 6e et 7e articles, la 6e section. Les 8e et 9e articles correspondent à la 7e section. En ce qui concerne le 10e article (Le rôle du travail...), il n’a pas sa section de fragments correspondante. D’après le plan d’Engels, la question de « la différenciation de l’homme grâce au travail » devait être examinée tout à la fin du livre, après l’étude des problèmes de la biologie.

A l’intérieur des rubriques et des sous-rubriques, les fragments ont été à nouveau rangés selon le principe de l’ordre thématique. On a donné au début les fragments étudiant des questions plus générales, puis ceux qui traitent de questions plus particulières. Dans la section « Éléments d’histoire de la science », les fragments sont rangés selon l’ordre de succession historique : de la naissance des sciences chez les peuples anciens jusqu’aux contemporains d’Engels. Chaque section des fragments se termine si possible par ceux que font transition avec la section suivante.

Liste des lettres de Marx et Engels sur les sciences

Marx à Engels. 11 Janvier 1858

Engels à Marx. 14 Juillet 1858

Engels à Marx. 11 Décembre 1859

Marx à Lassalle. 16 Janvier 1861

Marx à Engels. 28 Janvier 1863

Engels à Marx. 8 avril 1863

Marx à Engels. 6 Juillet 1863

Marx à Engels. 25 Janvier 1865

Engels à Joseph Weydemeyer. 10 Mars 1865

Engels à Friedrich Albert Lange. 29 Mars 1865

Marx à Engels. 19 Août 1865

Marx à Engels. 20 Mai 1865

Marx à Engels. 7 Août 1866

Engels à Marx. 2 Octobre 1866

Marx à Engels. 3 Octobre 1866

Engels à Marx. 5 Octobre 1866

Engels à Marx. 16 Juin 1867

Marx à Engels. 22 Juin 1867

Marx à Engels. 11 Janvier 1868

Marx à Engels. 25 Mars 1868

Marx à Ludwig Kugelmann. 17 Avril 1868

Marx à Engels. 18 Novembre 1868

Marx à Ludwig Kugelmann. 5 Décembre 1868

Marx à Paul and Laura Lafargue. 15 Février 1869

Engels à Marx, 21 Mars 1869

Engels à Marx, 30 Mai 1873

Engels à Lavrov, 17 Novembre 1875

Engels à P. L. Lavrov. 12-17 Novembre 1875

Engels à Marx, 28 Mai 1876

Engels to Marx. 10 Août 1881

Engels to Marx. 21 Novembre 1882

Marx to Engels. 22 Novembre 1882

Engels to Marx. 19 Décembre 1882

Engels to Marx. 22 Décembre 1882

Engels to Sorge. 29 Juin 1888

Engels to Conrad Schmidt. 1 Novembre 1891

Engels to Borgius. 25 Janvier 1894

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