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Connaissez-vous Malcolm X ?
samedi 4 octobre 2025, par
En janvier 1965, Malcolm X a dit « je crois qu’il y aura finalement un conflit entre les opprimés et ceux qui font l’oppression. Je crois qu’il y aura un conflit entre ceux qui réclament la liberté, la justice, et l’égalité pour chacun et ceux qui veulent continuer le système d’exploitation… Il est incorrect de qualifier la révolte du nègre simplement comme un conflit racial du noir contre le blanc, ou comme un problème purement américain. En revanche, nous voyons aujourd’hui une rébellion globale de l’opprimé contre l’oppresseur, de l’exploité contre l’exploiteur. »
"Et d’abord, qu’est-ce qu’une révolution ? Parfois je suis enclin à croire qu’un grand nombre des nôtres utilisent le mot « révolution » sans se soucier de précision, sans prendre comme il convient en considération la signification réelle du mot et ses caractéristiques historiques. Lorsqu’on étudie la nature historique des révolutions, le motif d’une révolution, l’objectif d’une révolution, le résultat d’une révolution, et les méthodes utilisées dans une révolution, il est possible de transformer les mots. (…) De toutes les études auxquelles nous nous consacrons, celle de l’histoire est la mieux à même de récompenser notre recherche. Et lorsque vous vous apercevez que vous avez des problèmes, vous n’avez tout simplement qu’à étudier la méthode historique utilisée dans le monde entier par d’autres qui ont des problèmes identiques aux nôtres. (...) je vous rappelle ces révolutions, mes frères et mes sœurs, pour vous montrer qu’il n’existe pas de révolution pacifique. Il n’existe pas de révolution où on tende l’autre joue. Une révolution non-violente, ça n’existe pas."
A un meeting qu’il tint le 8 avril 1964 à un rassemblement du Militant Labor Forum, d’ailleurs devant un public au ¾ blanc, Malcolm X déclara : « Les révolutions ne sont jamais des compromis, ne reposent jamais sur des négociations. Les révolutions ne reposent jamais sur une sorte de cadeau ; les révolutions ne reposent pas non plus sur la demande mendiante d’être accepté dans une société corrompue ou un système corrompu. Les révolutions renversent les systèmes. Et sur cette terre il n’y a pas de système qui se soit révélé plus corrompu, plus criminel que ce système qui colonise en 1964 encore 22 millions d’Afro-américains, qui a toujours comme esclaves 22 millions d’afro-américains. »
Hoover, responsable du FBI durant cette période et ayant mené une véritable guerre contre les leaders radicaux noirs, en particulier les Black Panthers, avait rédigé une note qui annonçait clairement que : « Le Cointelpro doit empêcher la naissance d’un messie qui pourrait unifier et électriser le mouvement nationaliste noir (...) Il faut faire comprendre aux jeunes Noirs modérés que, s’ils succombent à l’enseignement révolutionnaire, ils seront des révolutionnaires morts (...) ne vaut-il pas mieux être une vedette sportive, un athlète bien payé ou un artiste, un employé ou un ouvrier plutôt qu‘un Noir qui ne pense qu’à détruire l’establishment et qui, ce faisant, détruit sa propre maison, ne gagnant pour lui et son peuple que la haine et le soupçon des Blancs ! »
Extraits de « Le pouvoir noir », textes de Malcolm X :
« J’aimerais faire quelques commentaires sur la différence entre la révolution noire et la révolution nègre. (…) Et d’abord, qu’est-ce qu’une révolution ? Parfois je suis enclin à croire qu’un grand nombre des nôtres utilisent le mot « révolution » sans se soucier de précision, sans prendre comme il convient en considération la signification réelle du mot et ses caractéristiques historiques. Lorsqu’on étudie la nature historique des révolutions, le motif d’une révolution, l’objectif d’une révolution, le résultat d’une révolution, et les méthodes utilisées dans une révolution, il est possible de transformer les mots. (…) De toutes les études auxquelles nous nous consacrons, celle de l’histoire est la mieux à même de récompenser notre recherche. Et lorsque vous vous apercevez que vous avez des problèmes, vous n’avez tout simplement qu’à étudier la méthode historique utilisée dans le monde entier par d’autres qui ont des problèmes identiques aux nôtres. (...)
je vous rappelle ces révolutions, mes frères et mes sœurs, pour vous montrer qu’il n’existe pas de révolution pacifique. Il n’existe pas de révolution où on tende l’autre joue. Une révolution non-violente, ça n’existe pas. (…)
L’homme blanc sait ce qu’est une révolution. (…) La révolution est en Asie, la révolution est en Afrique, et le blanc crie de peur parce qu’il voit que la révolution est en Amérique latine. Comment pensez-vous qu’il va réagir à votre égard lorsque vous aurez appris ce qu’est une vraie révolution ? Vous ne savez pas ce qu’est une révolution. Si vous le saviez, vous ne vous serviriez pas de ce mot. (…)
La révolution ne connaît pas le compromis, la révolution renverse et détruit tout ce qui lui fait obstacle. (…) Si vous avez peur du nationalisme noir, vous avez peur de la révolution. Et si vous aimez la révolution, vous aimez le nationalisme noir. (…)
Je tiens à vous rappeler brièvement un autre point encore : la méthode utilisée par le blanc, la façon dont il se sert des « gros bonnets », des dirigeants noirs, pour lutter contre la révolution noire. Après que Martin Luther King n’eut pas réussi à obtenir la déségrégation à Albany, en Géorgie, la lutte pour les droits civiques tomba à son niveau le plus bas. En tant que dirigeant, King était pour ainsi dire discrédité. (…) Sitôt que King eut échoué à Birmingham, les noirs descendirent dans la rue. (…) Les noirs étaient dans la rue. Ils discutaient de la façon dont ils allaient marcher sur Washington. C’est précisément à cette époque qu’avit eu lieu l’explosion de Birmingham, et les noirs de Birmingham, souvenez-vous, firent explosion eux-aussi. Ils commencèrent à poignarder les racistes dans le dos et à les mettre cul par-dessus tête – eh oui, c’est ce qu’ils firent. C’est alors que Kennedy envoya la troupe à Birmingham. Après cela, Kennedy se produisit à la télévision et dit : « C’est une question morale ». C’est alors qu’il déclara qu’il allait faire une loi relative aux droits civiques. Et lorsqu’il fit allusion à cette loi et que les racistes du Sud se mirent à envisager la façon dont ils pourraient la boycotter ou empêcher son adoption par des manœuvre d’obstruction, les noirs prirent la parole – pour dire quoi ? Qu’ils allaient marcher sur Washington, marcher sur le Sénat, marcher sur la Maison Blanche, marcher sur le Congrès, le mettre en congés, mettre un terme à ses travaux et empêcher le gouvernement de fonctionner. Ils dirent même qu’ils se rendraient à l’aéroport, se coucheraient sur les pistes et ne laisseraient pas atterir un seul avion. Je vous répète ce qu’ils disaient. C’était la révolution. C’était la révolution. C’était la révolution noire.
C’étaient les masses qui étaient dans la rue. Elles faisaient mortellement peur à l’homme blanc et aux organes du pouvoir blanc à Washington, DC : j’y étais. Quand ils se rendirent compte que le rouleau compresseur noir allait descendre sur la capitale, ils convoquèrent Wilkins, ils convoquèrent Randolph. Ils convoquèrent ces dirigeants nationaux des noirs, que vous respectez, et leur dirent : « Décommandez la marche ». Kennedy déclara : « Voyons, vous tous, vous laissez cette affaire aller trop loin. » Et le père Tom dit : « « Patron, je ne peux pas l’arrêter, parce que je ne l’ai pas lancée. » Je vous répète ce qu’ils dirent. Ils dirent : « Je n’y participe même pas, comment pourrais-je diriger ? » Ils dirent : « Ces noirs agissent de leur propre chef. Ils courent en avant de nous. » Et ce vieux renard rusé leur répondit : « Si vous n’y êtes pas, je vous y mettrai. Je vous placerai à la tête du mouvement. Je lui donnerai ma caution. Je lui ferai bon accueil. Je le soutiendrai. Je m’y rallierai. »
Quelques heures s’écoulèrent. Ils assistèrent à une réunion organisée à l’Hotel Carlyle, à New York. L’Hotel Carlyle est la propriété de la famille Kennedy (…) C’est là qu’une société philanthropique dirigée par un blanc nommé Stephen Currier convoqua les principaux dirigeants du mouvement des droits civiques. Currier leur dit : « (…) Puisque vous vous disputez à propos de l’argent donné par les libéraux blancs, fondons le Council for United Civil Rights Leadership. Constituons ce conseil : toutes les organisations des droits civiques en feront partie, et nous l’utiliserons pour lever des fonds. » (…) Une fois formé ce conseil dominé par le blanc, Currier leur promit et leur donna 800.000 dollars, à partager entre les « Six Grands » (dont King, Randolph, Wilkins,…), et leur dit qu’après la marche, ils en recevraient encore 700.000. Un million cinq cent mille dollars, répartis entre des dirigeants que vous avez suivis, pour lesquels vous êtes allés en prison, pour lesquels vous avez versé des larmes de crocodiles. (…) Une fois le décor monté, l’homme blanc mit à leur disposition les plus éminents experts en relations publiques et tous les moyens d’information du pays, qui commencèrent à présenter ces « Six Grands » comme les dirigeants de la marche. A l’origine, ils n’y participaient même pas. (…) Ils devinrent la marche. Ils s’en emparèrent. Et la première mesure qu’ils prirent après s’en être emparés, ce fut d’inviter Walter Reuther, un blanc ; ils y invitèrent un prêtre catholique, un rabbin et un vieux pasteur blanc. Les mêmes éléments blancs qui avaient porté Kennedy au pouvoir – les syndicats, les catholiques, les juifs et les protestants libéraux – la même clique qui l’avait porté au pouvoir se joignit à la marche sur Washington. (…) La marche sur Washington, ils s’y sont ralliés. Ils ne s’y sont pas intégrés, ils l’ont infiltrée. Comme ils s’en emparaient, elle a perdu tout caractère militant. Elle a perdu sa colère, sa chaleur, son refus du compromis. Oui, elle a même cessé d’être une marche pour devenir un pique-nique, un cirque. Rien qu’un cirque, avec les clowns et tout le reste. (…) Quand James Baldwin est arrivé de Paris, ils n’ont pas voulu le laisser parler, parce qu’ils ne pouvaient pas l’obliger à respecter le script. (…) Ils exerçaient un contrôle si serré qu’ils disaient à ces noirs à quelle heure il fallait arriver à Washington, comment s’y rendre, où s’arrêter, quelles pancartes porter, quels chants chanter, quels discours faire et ne pas faire ; et puis ils leur disaient de quitter la ville au crépuscule. Et, au crépuscule, tous ces Tom sans exception avaient quitté la ville. Oui, je sais que vous n’aimez pas ce que je vous dit là. »
Discours prononcé à Detroit peu après sa rupture avec les Blacks Muslims, en mars 1964.
« Il est impossible à un blanc qui croit au capitalisme de ne pas croire au racisme. Le capitalisme ne saurait aller sans le racisme. Lorsque vous acquérez la certitude, au cours d’une discussion avec un blanc, qu’il n’y a pas de place pour le racisme dans sa philosophie, c’est ordinairement qu’il s’agit d’un socialiste ou d’un homme dont la doctrine politique est le socialisme. (…)
Nulle religion ne me fera jamais oublier la condition des nôtres dans ce pays. Nulle religion ne me fera jamais oublier que, dans ce pays, on ne cesse de lancer des chiens sur les nôtres. Nulle religion ne me fera oublier les matraques abattues sur nos têtes par les policiers. Nul dieu, nulle religion, rien ne me le fera oublier tant que ce ne sera pas fini, terminé, éliminé. Je tiens à ce que cela soit bien clair.
Nous travaillerons avec tous les hommes, avec tous les groupes, quelle que soit leur couleur, pourvu qu’ils soient vraiment désireux de prendre les mesures qui s’imposent pour mettre fin aux injustices dont sont affligés les noirs. Peu importe leur couleur, peu importe leur doctrine politique, économique ou sociale ; nous n’y trouverons rien à redire, pourvu qu’ils se donnent pour but la destruction du système de proie qui suce le sang des noirs de ce pays. Mais, s’ils appartiennent, si peu que ce soit, à la dangereuse espèce des amateurs du compromis, nous pensons qu’il faut les combattre. (…) Pour toute défense, les maîtres du pouvoir et du système qui nous exploite se sont contentés de qualifier de racistes et d’extrémistes ceux qui condamnent ce système sans accepter de compromis. S’il existe des blancs qui en aient vraiment et sincèrement assez de voir les noirs d’Amérique vivre dans ces conditions, qu’ils prennent position, mais que leur position soit sans compromis, sans demi-mesures, qu’elle ne soit pas non-violente… »
Discours prononcé suite à son voyage religieux à La Mecque
« Tant que le blanc vous envoyait en Corée, vous versiez votre sang. Il vous a envoyé en Allemagne, vous avez versé votre sang. Il vous a envoyé dans le sud du Pacifique faire la guerre aux Japonais et vous avez versé votre sang. Vous le versez pour les blancs, mais lorsque les choses en viennent au point où vous voyez détruire vos églises à la bombe et assassiner des fillettes noires, voilà que vous n’avez plus de sang… Comment allez-vous faire pour être non-violents dans le Mississipi, vous qui étiez si violents en Corée ? (…) La révolution est en Asie, la révolution est en Afrique, et le blanc crie de peur parce qu’il voir la révolution en Amérique latine. Comment pensez-vous qu’il va réagir à votre égard lorsque vous aurez appris ce que c’est qu’une vraie révolution ? La Révolution n’est pas l’abolition de la ségrégation dans les wc, ni l’abolition de la ségrégation dans les bars ou dans les salles de théâtre. Il n’y a pas de Révolution pacifique. Il n’y a pas de Révolution sans verser de sang. Il n’y a pas de Révolution sans violence. Alors si vous n’êtes pas prêts à la violence, rayez le mot Révolution de votre vocabulaire. »
Malcolm X, sur la non-violence
Extraits de « Le 20e siècle américain » de Howard Zinn :
« La révolte noire qui frappa le Nord comme le Sud dans les années 1950 et 1960 prit tout le monde de court. Il ne s’agissait pourtant pas d’une réelle surprise. La mémoire des opprimés ne s’efface jamais, et le souvenir des événements qui la composent ne cesse de nourrir la révolte. La mémoire des Noirs américains était d’abord celle de l’esclavage, puis celle de la ségrégation, des lynchages et des humiliations subies. En fait, ce n’était pas seulement une question de mémoire, mais aussi du vécu présent bien réel (…)
Truman signa, quatre mois avant les élections de 1948, un décret exigeant que l’armée, au sein de laquelle la ségrégation raciale continuait d’être pratiquée, mette en œuvre « aussi vite que possible » une politique d’égalité raciale (….) pour préserver le moral des soldats noirs en cette période de guerre probable. Cette désagrégation des forces armées mit plus de dix ans à se réaliser. (…)
Ce qui paraissait être aux yeux des autres une fulgurante avancée ne satisfaisait pourtant pas les Noirs. Au début des années 60, ils se soulevèrent dans tout le Sud. A la fin des années 60, ils étaient engagés dans de violentes émeutes qui secouèrent une centaine de villes du Nord. (…)
Fin 1955, à Montgomery, capitale de l’Alabama, (…) Rosa Sparks, couturière âgée de 43 ans, refusa d’obéir aux législations discriminantes sur la ségrégation dans les bus municipaux. Pourquoi, finalement, elle était allée s’asseoir dans la section « blanche » d’un bus : « D’abord, j’avais travaillé dur toute la journée. J’étais vraiment fatiguée après cette journée de travail. Mon travail, c’est de fabriquer les vêtements que portent les Blancs. (…) Je voulais savoir quand et comment pourrait-on affirmer nos droits en tant qu’êtres humains. (…) J’ai été arrêtée et emprisonnée. » Les Noirs de Montgomery appelèrent à manifester. Ils décidèrent de boycotter les bus municipaux et la plupart d’entre eux, délaissant les cars de ramassage chargés de les conduire au travail, s’y rendirent à pied. (…) Certains ségrégationnistes blancs se livrèrent à des violences. (…) Malgré toutes les violences, la communauté noire de Montgomery ne baissa pas les bras : en novembre 1956, la Cour suprême interdisait la ségrégation dans les transports municipaux. Montgomery allait servir de modèle au vaste mouvement de protestation qui secouerait le Sud pendant les dix années suivantes (…) Lors de cette réunion (deux mille Noirs dans une église de Montgomery), Martin Luther King (…) déclara : « (…) Nous devons user de l’arme de l’amour. Nous devons faire preuve de compassion et de compréhension envers ceux qui nous détestent. Nous devons réaliser que tant de gens ont appris à nous détester et qu’ils ne sont finalement pas totalement responsables de la haine qu’ils nous portent. (…) »
(…) Deux ans après le boycott de Montgomery, un ancien soldat du nom de Robert Williams, président du NAACP de Monroe, se rendit célèbre en expliquant que les Noirs devaient se défendre eux-mêmes contre la violence, par les armes si nécessaire. (…)
Le Core (Congress Racial Equality) organisa ce qu’on a appelé les « freedom riders » au cours desquels Blancs et Noirs se rendaient ensemble en bus dans le Sud, mettant ainsi en cause les pratiques discriminatoires des transports entre Etats. (…) Les deux bus qui quittèrent Washington DC le 4 mai 1961 à destination de la Nouvelle Orléans n’y arrivèrent jamais. (…)
A l’approche de l’été 1964, le SNCC et d’autres groupes qui travaillaient ensemble pour les droits civiques et se voyaient confrontés à une recrudescence de violence décidèrent de faire appel à la jeunesse américaine pour attirer l’attention sur la situation au Mississipi. (…) Trois militants des droits civiques, un jeune noir et deux volontaire blancs étaient arrêtés à Philadelphie (Mississipi). Après avoir été libérés en pleine nuit, puis enlevés et roués de coups, ils furent assassinés. (…)
Le gouvernement fédéral essayait, sans pour autant engager de véritable changement, de maîtriser une situation explosive. Il fallait canaliser cette colère par les mécanismes classiques d’apaisement : vote, pétitions et manifestations autorisées. Quand les responsables noirs du mouvement des droits civiques décidèrent d’organiser une gigantesque marche sur Washington, à l’été 1963, (…) le président Kennedy et les autres dirigeants nationaux s’empressèrent de récupérer le projet et le transformèrent en rassemblement œcuménique. C’est à cette occasion que Martin Luther King fit, devant deux cent mille Américains blancs et noirs, son fameux discours « I have a dream… » Discours superbe, certes, mais totalement dénué de cette colère que ressentaient de nombreux Noirs. John Lewis, un jeune responsable du SNCC originaire d’Alabama qui avait été arrêté et battu de nombreuses fois, tenta d’exprimer ce sentiment d’indignation. Il en fut empêché par les organisateurs de la marche qui exigèrent qu’il renonce à certaines critiques très dures sur le gouvernement et à ses appels à l’action directe. Dix-huit jours après le rassemblement de Washington, comme une expression du mépris affiché envers cette modération, une bombe explosait dans le sous-sol d’une église noire à Birmingham, tuant quatre fillettes qui assistaient au catéchisme. Si le président Kennedy avait apprécié « la profonde ferveur et la dignité calme » de la marche, le militant noir Malcolm X était probablement plus en accord avec les véritables sentiments de la communauté noire. A Detroit, deux mois après la marche sur Washington et l’attentat de Birmingham, Malcolm X déclarait dans son style rythmé, puissant et incisif : « Les Noirs étaient là dans les rues. Ils discutaient de leur projet de marche sur Washington. (…) Ils allaient marcher sur Washington, sur le Sénat, sur la Maison Blanche, sur le Congrès, et leur lier les mains, les forcer à s’arrêter et empêcher le gouvernement de fonctionner. Ils disaient même qu’ils iraient à l’aéroport et s’allongeraient sur les pistes pour empêcher les avions d’atterrir. Je dis juste ce qu’ils disaient. C’était la révolution. Oui, c’était la révolution. La révolution noire. C’était le peuple là dans la rue. Les Blancs avaient une peur bleue ; le pouvoir blanc à Washington DC avait une peur bleue. J’étais là. Quand ils ont compris que ce bulldozer noir allait descendre vers la capitale, ils ont appelé ces responsables noirs que vous respectez tant et leur ont dit « arrêtez tout ! » Kennedy a dit : « Ecoutez, vous laissez aller les choses un peu trop loin. » Et le Vieux Tom a répondu : « Patron, je peux pas l’arrêter parce que c’est pas moi qui l’ai démarré. » (…) Alors, le vieux renard a répondu : « Si vous êtes pas dans le coup, moi je vais vous y mettre. Je vais vous mettre à la tête de tout ça. Je le prendrai à mon compte, j’approuverai, j’aiderai et même j’en serai. » C’est ce qu’ils ont fait avec la marche sur Washington. (…) Puisqu’ils ont dirigé, tout cela a perdu toute énergie militante. Plus de colère, plus de pression, plus de radicalité. D’ailleurs, c’était même plus une marche, c’était un pique-nique, un véritable cirque. » (…)
Ce fut précisément pendant ces années 1964-65, au cours desquelles le Congrès voté les lois sur les droits civiques, qu’eurent lieu de nombreuses émeutes à travers tout le pays : en Floride, après l’assassinat d’une femme noire et une menace d’attentat à la bombe contre un lycée noir ; à Cleveland, lorsqu’un prédicateur noir fut tué alors qu’il protestait pacifiquement contre la discrimination raciale dans la profession du bâtiment ; à New York, quand un jeune noir de quinze ans fut abattu au cours d’une altercation avec un policier en dehors de son service. Rochester, Jersey City, Chicago et Philadelphie connurent également des émeutes. En août 1965, (…) le ghetto noir de Watts, à Los Angeles, se souleva et fut le théâtre des plus violentes émeutes urbaines depuis la fin de la seconde guerre mondiale. (…) A l’été 1966, les émeutes se multiplièrent. (…) Ce fut en 1967 qu’éclatèrent dans les ghettos noirs du pays les plus importantes émeutes urbaines de l’histoire des Etats-Unis. Selon le rapport du « National Advisory Committee on Urban Disorders », (…) il y eut « huit émeutes majeures », trente trois « soulèvements sérieux mais de moindre envergure » et cent vingt-trois « désordre mineurs ». (…) Le mot d’ordre était désormais « Black Power » (…) Malcolm X fut sans conteste le porte-parole le plus convaincant de cette mouvance. (…) L’assassinat de Martin Luther King entraîna de nouvelles émeutes urbaines à travers tout le pays. (…) Un véritable plan contre les militants noirs fut élaboré par les forces de police et le FBI. Le 4 décembre 1969, peu avant cinq heures du matin, une patrouille de la police de Chicago armée de mitraillettes et de fusils envahissait un appartement où vivaient des Black Panthers. Ils tirèrent entre 80 et 200 coups de feu dans l’appartement. (…) Des émeutes de Detroit en 1967 était née une organisation destinée à encadrer les travailleurs noirs en vue de bouleversements révolutionnaires. La Ligue des travailleurs noirs révolutionnaires resta en activité jusqu’en 1971 et mobilisa des milliers de personnes à Detroit. (…) A la fin des années 60 et au début des années 70, le système faisait tout ce qu’il pouvait pour contenir l’effrayante capacité explosive des émeutes noires. (…)
Au milieu de l’année 65, à Mac Comb (Mississipi), des jeunes Noirs qui venaient d’apprendre qu’un de leurs camarades était mort au Vietnam distribuèrent un prospectus rédigé en ces termes : « Aucun Noir du Mississipi ne devrait se battre au Vietnam pour défendre la liberté du Blanc tant que le peuple noir ne sera pas libre au Mississipi. »
Malcom X était assassiné
C’est le 21 février 1965 que Malcom X, un des leaders noirs radicaux les plus connus pendant les années de lutte des Noirs américains contre la ségrégation et le racisme, fut assassiné lors d’une réunion publique, dans le quartier noir de Harlem à New York.
A-t-il été éliminé par des opposants politiques liés aux « Black muslims », (« Musulmans noirs ») ? Cela semble acquis aujourd’hui ; mais sa mort serait le résultat d’une action conjointe d’une fraction des Musulmans noirs et de la CIA (dirigée alors par Hoover, raciste acharné et anticommuniste viscéral). Il fut donc éliminé par le pouvoir nord-américain. Malcom X apparaissait à l’époque comme le plus intransigeant représentant de la révolte noire contre la ségrégation aux Etats-Unis.
Ses critiques envers les leaders noirs modérés, « oncles Tom modernes, utilisés par les Blancs pour nous maintenir passifs, paisibles, non-violents » et envers son propre mouvement : « nous aurions intérêt à réviser notre politique de non-engagement et nous trouver… aux côtés des Noirs… qui s’engagent résolument dans la lutte » lui valurent d’être exclu de la « Nation de l’Islam » organisation des musulmans noirs.
Les dirigeants des Musulmans noirs entendaient ainsi couper les ailes d’un dirigeant qui avait pris beaucoup d’ascendant et le marginaliser.
Mais malgré son exclusion, Malcom X prenait de plus en plus d’autorité auprès de la jeunesse radicale. Il menaçait l’autorité des Musulmans noirs sur le peuple des ghettos et surtout il mettait en danger l’autorité du gouvernement américain. La révolte des Noirs américains, succédant au mouvement pour les droits civiques dirigé par Martin Luther King, ébranlait l’état américain, et Malcom X même seul, représentait un dangereux tison qu’il fallait éliminer.
Son assassinat allait profiter aux Musulmans noirs, dont les tendances affairistes dans les ghettos noirs se développèrent largement par la suite. Ceux-ci voulaient être les maîtres de toute activité économique dans les quartiers noirs et y faire des affaires. C’est cette façon d‘exploiter la situation et les difficultés des quartiers noirs face au racisme et à la pauvreté qui permit par exemple, au chef actuel des Musulmans noirs, Farrakhan, de devenir multi millionnaire. Il est vrai, que s’ils pouvaient le faire, c’est parce que les « Musulmans noirs » avaient gagné un certain ascendant dans les ghettos sur de nombreux Noirs dont beaucoup de jeunes délinquants qui, comme Malcom X jeune, avaient été recrutés dans les prisons. Les Musulmans les avaient redressés et en avaient fait des nationalistes noirs, hostiles au pouvoir blanc.
Cet assassinat de Malcom X faisait aussi l’affaire de l’Etat américain qui ne pouvait tolérer la montée d’une violence révolutionnaire dans les mouvements noirs. Il fallait faire le ménage, surtout éviter la contagion généralisée de la révolte. A travers l’assassinat de Malcom X, il fallait décapiter le mouvement de masse qu’il représentait, faire un exemple aux yeux des 22 millions de noirs américains révoltés potentiels. Malcom X ne fut d’ailleurs pas le seul dirigeant populaire assassiné. Après lui, ce fut le tour de Martin Luther King, pourtant plus modéré dans ses propos, puis de plusieurs dirigeants et militants des « black Panthers » qui prônaient l’auto défense armée et la mirent en pratique en patrouillant armés dans les ghettos pour se faire respecter de la police blanche. Cette pratique avait du reste été inaugurée par Malcom X.
La mobilisation massive des Noirs dont un grand nombre se reconnaissait peu ou prou en tous ces dirigeants faisait craindre le pire au gouvernement américain. Les émeutes noires massives dans tous les grands ghettos noirs embrasaient les USA, à Harlem, Newark, Watts, Détroit et ailleurs. Pour mettre un terme à la radicalisation du mouvement noir, l’Etat américain réprima durement. Sa police et ses militaires tiraient à vue dans les ghettos, y compris avec des armes lourdes, rasant des quartiers, assassinant des centaines de manifestants. Le pouvoir emprisonna plusieurs milliers d’entre eux, puis liquida un grand nombre de dirigeants et militants les plus radicaux. Ensuite, le pouvoir fit des concessions. La période de lutte engagée pour la reconnaissance des droits civiques et pour mettre fin à la ségrégation partout aux Etats-Unis, porta ces quelques fruits ; ce qui n’était pas négligeable, notamment pour ceux qui subissaient depuis toujours ce racisme officiel, mais aussi pour tous ceux qui en faisait un problème de dignité humaine. La pression de cette lutte ouvrit certes un peu plus d’emplois à des Noirs.
Les lendemains de ces luttes profitèrent surtout à la bourgeoisie et petite bourgeoisie noires. Mais ces luttes avaient soulevé des espoirs qui allaient au-delà du problème racial ; c’est tout le problème des inégalités, de l’exploitation, de la misère qui soulevait l’enthousiasme et la combativité de beaucoup de ceux qui manifestaient, se battaient dans les rues.
Pour tous ceux là, pour leurs enfants d’aujourd’hui, ce combat reste à poursuivre, certes dans d’autres conditions. La cause fondamentale du racisme, de l‘oppression, de la misère ne pouvait pas être éradiquée uniquement par les quelques lois sur les droits civiques consentis par le pouvoir.
Il reste encore, aujourd’hui, aux Noirs américains, à se battre, de nouveau, contre le système d’exploitation capitaliste qui est la cause de la misère et de toutes formes d’oppression dans le pays le plus riche du monde, le modèle permanent du capitalisme ! Il est possible qu’au fil de sa vie militante, en particulier dans les derniers mois vécus, Malcom X se soit approché de cette vérité, sans en avoir tiré toutes les conséquences. Le pouvoir ne lui pas donné le temps d’y parvenir, si toutefois c’était dans ses intentions. Quoiqu’il en soit nous devons apprécier à sa juste valeur le courage et l’engagement de cet homme qui refusait de se laisser berner par les contes modérés et les faux-fuyant des leaders modérés et proclamait cette vérité simple que « le pouvoir est au bout du fusil », quand des masses nombreuses se mobilisent et tiennent en main de nombreux fusils face aux brutes armées du pouvoir d’état.
La vie et la mort de Malcolm X, par George Novack
Les Afro-Américains ont produit de nombreux dirigeants remarquables, de Crispus Attucks à Frederick Douglas. Malcolm X était le dernier et non le moindre de ces représentants révolutionnaires du peuple noir. Sa sensibilité lui a permis d’établir une communion instantanée avec les millions d’opprimés qui attendent avec impatience l’émancipation et l’égalité qui leur sont promises. Il était parfaitement à l’écoute de leurs sentiments de frustration, d’indignation et de rébellion. "Il l’a dit clairement, il le dit tel qu’il est", telle a été leur réponse spontanée à ses accusations depuis la tribune, à la télévision et dans les rues de Harlem, concernant les tourments que l’Amérique capitaliste inflige à ses citoyens noirs - et à son appel à résister et à les abolir par tous les moyens disponibles.
L’intransigeance de Malcolm a eu le même attrait puissant auprès de la jeunesse rebelle, noire et blanche, aux États-Unis, que les personnalités de Fidel Castro et d’Hugo Blanco en Amérique latine. Il méritait une telle admiration.
La vie de Malcolm, qui a duré 39 ans, a traversé trois périodes distinctes. Dans sa jeunesse, il a été victime des cruautés et des privations des ghettos des grandes villes du Nord. Mais il n’était pas insensible. Il a riposté en recourant aux méthodes de la jungle pour survivre dans la jungle asphaltée.
La prison dans laquelle il est entré ne l’a pas davantage corrompu mais a servi d’école dans laquelle il a découvert pour la première fois les musulmans noirs. Sa conversion à leurs doctrines et pratiques a régénéré et renforcé son caractère, l’armant d’un évangile de salut racial opposé au christianisme hypocrite de l’homme blanc qui sanctifiait la servitude de l’homme noir.
Il a acquis une notoriété nationale en tant que principal porte-parole et organisateur de la confrérie d’Elijah Muhammad. Son appel à l’autonomie des Noirs, ses condamnations des dirigeants noirs modérés liés à la structure de pouvoir établie et sa justification ouverte du droit et du devoir de légitime défense contre la violence raciste ont fait de lui la cible de diffamation et de fausses déclarations. Malcolm a été crucifié par la presse payante bien avant d’être martyrisé par les balles des assassins.
Quelles que soient leurs convictions, la plupart des Noirs ont accueilli favorablement le message du ministre Malcolm. Il a exprimé ce qu’ils ressentaient et pensaient réellement à propos de l’Amérique blanche. Dans le même temps, le mouvement Freedom Now ne pouvait pas être canalisé dans un sectarisme religieux étroit qui se détournait des luttes sociales et politiques. Les masses noires insurgées devaient être unies autour d’un programme social combinant des méthodes d’action de masse vigoureuse avec la construction d’un pouvoir indépendant à tous les niveaux de la vie nationale.
Sagacité politique
Malcolm a démontré sa sagacité politique exceptionnelle en reconnaissant que le culte théocratique d’Elijah Muhammad allait à l’encontre des besoins impératifs de la révolte noire. Au début de 1964, il se sépara de l’homme qu’il avait vénéré comme le messager d’Allah et la source de la sagesse.
Cette rupture a marqué le début – et peut-être préparé la fin – du dernier chapitre de la brillante et trop brève carrière de Malcolm. Se détacher de la tutelle et des liens de la Nation de l’Islam exigeait un courage personnel, moral et intellectuel de haut niveau. Malcolm a dû rejeter les enseignements antipolitiques, sectaires et anti-blancs des musulmans noirs. Il a dû construire une nouvelle organisation à partir de zéro tout en ajoutant davantage d’ennemis à un groupe d’opposants déjà étendu.
Bien conscient des risques, Malcolm a avancé sans crainte dans sa nouvelle voie. Il a séparé le côté religieux de son activité du projet d’Organisation de l’unité afro-américaine. Il commença à rassembler ses partisans nombreux et dispersés. Il a fait un pèlerinage à La Mecque et s’est rendu au Proche-Orient et en Afrique où il a discuté des problèmes de la lutte de libération avec certaines des principales figures des forces anti-impérialistes, du premier ministre Nkrumah du Ghana à Muhammad Babu de Tanzanie et Che Guevara de Cuba. Il cherchait à obtenir du soutien pour l’appel en faveur des droits de l’homme qu’il devait soumettre aux Nations Unies au nom des 22 millions de Noirs américains.
Il entreprit de formuler un programme et des perspectives qui pourraient réorienter le mouvement Freedom Now vers des lignes plus efficaces. Il était sur le point d’annoncer les premiers résultats de sa réflexion lorsqu’il fut abattu dans la salle de bal Audubon.
Au cours de ces derniers mois, Malcolm se débarrassait de ses vieilles idées, en absorbait et en émettait de nouvelles avec une rapidité étonnante. Il apprenait, grandissait, changeait. Il a adopté non seulement le credo musulman officiel, mais aussi de nombreuses idées partagées par les combattants de la liberté les plus intransigeants d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine et par les socialistes révolutionnaires des États-Unis. Il est devenu prêt à collaborer avec tous ceux qui refusaient de se recroqueviller devant les pouvoirs en place et était prêt à se battre pour les droits de la population noire.
Malheureusement, il n’a pas eu le temps de formuler un programme global, de le transmettre à ses partisans et de bâtir une organisation nationale forte. Lors d’une discussion avec lui et son collègue James Shabazz à son siège de Harlem, quelques semaines avant son assassinat, nous avons évoqué les discours qu’il envisageait de prononcer en février. "J’espère qu’ils sont meilleurs que celui que j’ai donné dimanche dernier", a-t-il déclaré. « Pourquoi ? » J’ai demandé, « souffriez-vous comme beaucoup d’entre nous d’un coup de grippe ? » « Non, » répéta-t-il deux fois, « je suis juste fatigué. Mentalement fatigué. » Cette fatigue venait des immenses fardeaux que Malcolm portait pour lancer une nouvelle organisation révolutionnaire avec des ressources et des forces insuffisantes, assiégée par des ennemis riches et acharnés qui ne cessaient de le harceler. Il s’efforça de surmonter ces difficultés grâce à une forte volonté et des efforts infatigables. Il savait qu’il travaillait comme homme marqué avec un temps limité.
Contrairement à Toussaint L’Ouverture, Malcolm X n’a pas pu déployer toutes les qualités de général qu’il possédait. Néanmoins, il dominait tellement ses contemporains que sa mort raccourcit d’une tête la lutte pour l’émancipation.
Des personnalités comme Martin Luther King, honorées et soutenues par l’establishment, continuent de tenir le devant de la scène dans le mouvement des droits civiques. Mais ce sont des sommités du moment, des représentants d’une phase passagère de la marche de libération des Noirs aux États-Unis.
Prophète
Malcolm, dont ils peuvent protéger la mémoire maintenant qu’il a été réduit au silence, était le héraut et le porte-parole authentique de son avenir. Son ascension étonnante du gouffre de la dégradation jusqu’aux sommets du leadership national et international montre quel trésor de talents et de capacités créatrices se cache dans les ghettos noirs qui peuvent être suscités par la révolte en cours. Il montre comment les meilleurs combattants de la liberté peuvent se déplacer dans le feu de la bataille vers les points de vue et les positions les plus avancés. Il est passé en quelques années de la dépravation et de la démoralisation à l’illumination et à l’énergie d’un agitateur de masse, puis du sectarisme religieux à l’action sociale révolutionnaire. Il est passé de la haine, de la peur et de la suspicion envers tous les Blancs, qui étaient une conclusion compréhensible de l’humiliation et de l’oppression, à l’idée que les actions et les convictions d’une personne et d’un groupe sont plus importantes que la teinte de leur peau. Il sollicitait la coopération de tous les opposants à Jim Crow pour autant que cela n’implique aucun sacrifice ou subordination du bien-être des masses noires à la majorité blanche. Il espérait une alliance d’hommes et de femmes noirs avec des révolutionnaires blancs dans des luttes anticapitalistes pour apporter l’égalité et la justice à tous nos compatriotes.
Avertissement
Les capitalistes et les suprémacistes blancs feraient bien de tenir compte et de se souvenir de l’avertissement de Malcolm selon lequel l’explosion raciale résultant du mécontentement du peuple noir peut être plus dangereuse pour eux qu’une explosion atomique. Il existe d’autres Malcolm potentiels parmi les jeunes qui s’inspireront de sa vie et de sa mort pour poursuivre son travail. Ils l’aideront à accomplir ses tâches inachevées en fusionnant les objectifs nationalistes noirs progressistes d’égalité, de dignité, d’emploi et de justice avec les objectifs d’une Amérique socialiste.
1er mars 1965
Malcolm X, nationalisme noir et socialisme
Cette critique de La dernière année de Malcolm X : L’évolution d’un révolutionnaire de George Breitman a été initialement présentée lors d’un symposium à San Francisco avec Eldridge Cleaver, le 4 mai 1967.
Lorsque Malcolm X a été abattu en février 1965, il était clair que sa mémoire serait chérie par les millions d’hommes et de femmes noirs qui pleureraient leur dirigeant martyr. Il n’était pas si certain que le mouvement qu’il avait initié après son départ de Nation of Islam ou les idées qu’il élaborait et diffusait au cours de sa dernière année survivraient et gagneraient du terrain.
Les hommes armés ont réduit au silence une personnalité en pleine mutation qui avait encore beaucoup à apprendre par elle-même ainsi qu’à enseigner et à dire aux autres. Leurs balles ont retiré du champ de bataille un commandant exceptionnellement compétent avant qu’il n’ait eu le temps de former les officiers et de rassembler les troupes pour une armée d’émancipation afro-américaine.
Lorsque j’ai écrit un article nécrologique sur le sens de sa vie et de sa mort à cette époque, j’ai pensé qu’il était probable que Malcolm deviendrait une légende héroïque en tant que défieur incassable de la suprématie blanche et entrerait dans la mémoire populaire des opprimés aspirant à la liberté, comme Patrice. Lumumba ou Joe Hill. L’image de « notre brillant prince noir » évoquée par Ossie Davis lors des funérailles allait dans cette direction et tendait pendant un certain temps à voiler les opinions et perspectives politiques plus prosaïques mais puissantes que Malcolm avait projetées au cours des mois les plus créatifs de sa carrière. .
Celles-ci se sont encore atténuées lorsque le mouvement qu’il venait de lancer et commençait à peine à construire, l’Organisation de l’unité afro-américaine, s’est fragmenté et, passant sous un autre type de direction, s’est éloigné de plus en plus de la nouvelle voie qu’il avait tracée. Cette évolution malheureuse ne peut être imputée à Malcolm lui-même. Il fut contraint de se lancer seul au printemps 1964, avec des handicaps extrêmement lourds. Il jouissait d’une notoriété nationale et internationale considérable et d’un large public. Mais cette communauté était amorphe et restait à souder et à rééduquer selon des lignes quelque peu différentes. Malcolm manquait de moyens pour créer une base d’organisation suffisamment large et solide pour mettre en œuvre les objectifs qu’il s’était fixés pour le mouvement. Il s’agissait de grands objectifs qui exigeaient des ressources considérables et des forces puissantes pour leur promotion et leur réalisation. Il aurait fallu beaucoup de temps et d’efforts pour les acquérir et les assembler – et ce temps a été enlevé au révolutionnaire de trente-neuf ans ainsi que le souffle de vie.
Arène d’influence
Cependant, si l’organisation de Malcolm a échoué et n’a pas réussi à réaliser son potentiel en tant que centre de ralliement pour l’unité et le militantisme noirs, son exemple et ses idées ont connu un destin plus heureux. Au cours des deux années qui ont suivi sa mort, ces idées ont pénétré les cœurs et les esprits de la population du ghetto du nord au sud, de Harlem à Watts. Ses arguments, ses paroles piquantes et pleines d’esprit et ses arguments révélateurs sont répétés à de nombreuses reprises par les porte-parole afro-américains et intégrés dans leurs débats et discussions à la radio et à la télévision. Ils orientent le mouvement du pouvoir noir qui a conquis le SNCC et le CORE dont les membres répandent l’évangile dans des cercles plus larges. Le Sunday NY Times Book Review a récemment rapporté que l’autobiographie et les discours de Malcolm figurent en bonne place parmi les lectures préférées des communautés noires.
Les principaux canaux de communication dans ces communautés ne sont pas littéraires mais verbaux. Ainsi, les idées de Malcolm sont transmises à travers la parole qu’il maîtrise lui-même par ceux qui les ont lues ou entendues de diverses sources. Les garçons et les filles en pleine croissance, affligés par les réalités brutales de la pauvreté et du racisme, comme Malcolm, absorbent ses idées aussi facilement qu’ils respirent la poussière des rues des grandes villes et des routes rurales. Les paroles de Malcolm sont transmises dans les salles de classe et les cours d’école, au coin des rues et sur les perrons des immeubles, et germent comme des graines sur un sol tropical riche parce qu’elles correspondent aux sentiments les plus profonds, aux aspirations inarticulées et aux expériences de vie de la jeunesse noire rebelle. Ses idées sont devenues une part précieuse et inaliénable du patrimoine culturel et politique de l’Afro-Amérique, nourrissant le nationalisme noir qui bouillonne et bout dans les chaudrons géants des ghettos.
L’influence de Malcolm ne s’arrête pas aux côtes américaines. Il est honoré et placé aux côtés de Lumumba par les combattants de la liberté d’un bout à l’autre de l’Afrique. Ce n’est pas surprenant. Il est plus remarquable que son autobiographie et ses discours aient été publiés à l’étranger et traduits dans plusieurs langues : français, allemand, italien et japonais. Une pièce sur sa vie vient d’être produite avec un grand succès en Angleterre.
Les principales raisons de sa renommée résident dans l’intégrité et le courage de l’homme, les capacités de croissance et de leadership dont il a fait preuve, la justesse et la pertinence de ses positions, et surtout la gravité et l’importance de la cause afro-américaine. la libération qu’il représentait. Mais si le message de Malcolm a pris son envol et s’est propagé aussi loin et aussi rapidement dans les pages imprimées, c’est tout le mérite du dévouement de George Breitman. Il fut l’un des premiers, certainement parmi les radicaux blancs, à discerner la véritable stature et l’importance de Malcolm en tant que champion le plus réactif du nationalisme noir depuis Marcus Garvey. Il entreprit de le défendre contre ses détracteurs et diffamateurs. Il a expliqué et propagé ses opinions parmi les militants blancs et noirs puis, lorsque Malcolm ne pouvait plus parler pour lui-même, il a rassemblé et édité les documents trouvés dans Malcolm X Speaks .
Peu avant la mort de Malcolm, j’ai parlé avec le leader très fatigué et son lieutenant James Shabazz au siège de l’OAAU à l’hôtel Theresa à Harlem au sujet de la publication de ses discours. Il était d’accord avec la proposition, mais elle ne devait pas être mise en œuvre sous sa direction. Son mouvement a été plongé dans un tel désarroi après son assassinat que leur apparition aurait été indéfiniment retardée, et les militants noirs auraient été privés de ces trésors bien plus longtemps, si George Breitman n’avait pas pris l’initiative de les rassembler de différents côtés et de les pousser. à travers la presse.
Interprétation de la direction de Malcolm
Il a ensuite estimé qu’il fallait faire plus que simplement rendre disponible le texte des discours. Les déclarations de Malcolm devaient être assemblées et interprétées avec précision, non seulement au vu des nombreuses distorsions de ses positions, mais aussi parce que la vision de Malcolm avait évolué si radicalement et si rapidement après son départ des musulmans noirs que même de nombreux ses partisans et admirateurs ne pouvaient pas suivre le rythme de son développement théorique et politique et ignoraient toute sa portée et ses applications.
L’objectif principal du dernier livre de Breitman est de montrer en quoi Malcolm a changé au cours de la dernière année de sa vie ? Breitman analyse Malcolm, l’agitateur, en transition agitée. D’où Malcolm est-il parti et vers quoi se dirigeait-il ?
Lors d’un colloque sur ce livre au Militant Labour Forum à New York le 14 avril, l’un des participants qui était, comme Malcolm X, un ancien ministre musulman, a déclaré qu’en substance il n’avait jamais changé. Cette vision est balayée et ne parvient pas à rendre justice aux caractéristiques différentielles des étapes successives de la croissance de Malcolm.
À partir du moment où il a pris conscience de sa propre dégradation et du piégeage de son peuple dans les cages de la société capitaliste blanche, Malcolm a été imprégné d’une détermination sans faille. Il s’agissait de s’opposer, de combattre et de déjouer le système qui a appauvri, écrasé et humilié vingt-deux millions de Noirs. Ce feu révolutionnaire ardent ne s’est jamais éteint en lui.
De l’individualisme à l’organisation
Ses premiers modes de résistance et de rébellion furent individualistes. Il a cherché à se soulager et à se libérer de l’enfer dominé par les blancs appelé Amérique en « réussissant » par tous les moyens, légaux ou illicites, que la vie de ghetto lui laissait libre. Le premier grand tournant s’est produit lorsqu’il a eu le temps de lire et de réfléchir à l’intérieur des murs de la prison et qu’il a constaté que cette démarche imprudente menait à une impasse ou à une mort prématurée et sans but. Sa conversion à la Nation de l’Islam n’était pas seulement une rédemption personnelle et un réveil racial, mais aussi un formidable pas en avant pour lui et pour des milliers d’autres qui sont entrés dans les rangs des musulmans noirs dans la période d’après-guerre.
Cela représentait le passage d’une évasion individuelle d’un environnement terriblement oppressant et cruellement dépressif à une organisation et une action collectives. Certes, les impulsions révolutionnaires nationales et sociales qui flottaient à travers la congrégation de cette secte religieuse n’avaient pas encore trouvé leur canal approprié. Néanmoins, la Nation de l’Islam a fourni une expression élémentaire, bien qu’inadéquate, de solidarité raciale et de conscience nationale émergente, une cohésion née du besoin ardent de combattre les diaboliques maîtres blancs en tant que bande unie de frères et sœurs.
Malgré les défauts insurmontables du mouvement musulman, les douze années qu’il y a servies ont été un facteur incontournable, indispensable et précieux dans la formation du révolutionnaire Malcolm X. Il n’aurait pas pu être éduqué et ses talents particuliers de leadership mis en valeur dans un autre manière disponible. Par tempérament et par formation, c’était un homme d’action qui devait tester les idées dans la pratique pour voir ce qu’elles valent. Il avait soif de connaissances de toutes sortes et les assimilait à grandes gorgées. Pour lui, les généralisations théoriques ne précédaient pas mais découlaient de ses propres expériences de lutte. Par exemple, il a dû se heurter aux contraintes du mouvement musulman avant de pouvoir être convaincu de leur inexactitude et de leur insuffisance.
Pendant longtemps, il a cru fermement et avec ferveur que Mahomet détenait les clés du royaume du salut et que sa sagesse suffisait à orienter le mouvement. Dans les cercles religieux comme dans les cercles politiques radicaux, il n’y a rien d’inhabituel dans une telle relation maître-disciple déférente et dans la discipline qui y est attachée. Pensez aux millions de personnes qui ont adopté une attitude comparable de foi aveugle et d’obéissance à l’égard des déclarations d’un Staline ou d’un Mao Tsé-toung – et cela dans des mouvements qui ne sont pas d’inspiration religieuse mais vraisemblablement animés par la philosophie critique du matérialisme. .
Malcolm n’a affirmé toutes ses capacités de leadership autonome qu’après s’être remis de la surprise et du choc de sa rupture avec Mahomet et avoir procédé à l’examen et à la révision de sa pensée passée. Breitman délimite et documente les étapes successives de cette deuxième période de transformation de sa vision. Ce changement consistait essentiellement à passer du rejet total à la révolution délibérée de la société américaine. Une telle tâche nécessitait l’élaboration d’un programme politique pour guider l’action des masses noires et la construction d’une organisation capable de les sortir de l’esclavage.
Les idées clés qu’il a avancées dans sa propre charte du nationalisme noir incluent le leadership noir du peuple noir à tous les niveaux résumé dans l’idée du pouvoir noir ; auto défense ; la fierté raciale et la solidarité face à l’ennemi ; l’identification à l’Afrique et à la lutte de libération coloniale ; une opposition intransigeante à la structure du pouvoir capitaliste blanc et à ses partis jumeaux ; une action politique noire indépendante ; opposition à toutes les interventions impérialistes contre les peuples coloniaux ; une collaboration sur une base d’égalité entre les militants noirs et les militants blancs prêts à faire plus que simplement parler de la lutte contre l’injustice raciale et les inégalités sociales.
Les résultats des réévaluations de Malcolm se sont depuis largement répandus dans la communauté noire. Mais lorsque sa vie fut écourtée, il se retrouva embarqué dans un nouvel et troisième état de transition qui n’est pas si bien connu ni si largement connu. Dans ce livre, Breitman ne traite qu’en passant de cette phase incomplète de la pensée de Malcolm, bien qu’il ait déjà écrit sur le sujet ailleurs, notamment dans Marxism and the Negro Struggle .
Malcolm était en passe de devenir quelque chose de plus qu’un pur et simple nationaliste noir et un défenseur révolutionnaire du pouvoir noir ; il commençait à adopter certaines idées du socialisme, en particulier la conviction consciente que le capitalisme américain et son impérialisme vautour devaient être renversés et abolis si l’on voulait libérer les Afro-Américains et les exploités et opprimés du reste du monde. Ces conclusions ont une immense influence à la fois sur les problèmes de la libération des Noirs et sur les perspectives d’une Amérique socialiste.
Il existe de nombreux malentendus sur les relations réelles entre le nationalisme militant progressiste et le socialisme révolutionnaire. On prétend souvent que le nationalisme et le socialisme n’ont absolument rien en commun, qu’ils sont des opposés irréconciliables. Il s’agit d’un jugement unilatéral. Il est vrai que l’État-nation a été le produit caractéristique de la société bourgeoise et du développement politique capitaliste ; que les marxistes sont des internationalistes ; et que l’un des principaux objectifs du socialisme est d’abolir les frontières nationales qui entravent l’activité économique et les animosités nationales qui divisent les peuples et permettent aux forces réactionnaires de les opposer les uns aux autres.
Indépendance nationale anti-impérialiste
Tout cela constitue une partie du programme socialiste. Mais sa position ne se résume pas à cela, surtout à ce stade de l’histoire.
Les marxistes reconnaissent que la conquête, la division et l’exploitation impérialistes du monde ont abouti à l’assujettissement et à l’oppression de nombreux peuples. Leurs efforts pour se débarrasser de la domination économique, politique et culturelle des grandes puissances capitalistes et conquérir l’indépendance et l’unité nationales sont non seulement irrépressibles mais tout à fait légitimes. Ces luttes ont droit au soutien, selon leurs propres mérites, de la part de tout véritable partisan de la démocratie.
Il existe d’autres raisons pour lesquelles les socialistes révolutionnaires saluent et soutiennent les luttes de libération nationale en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine à tous les stades. Ces mouvements anti-impérialistes portent des coups de massue aux dirigeants capitalistes qui sont les principaux ennemis de la classe ouvrière mondiale et les opposants au socialisme et modifient ainsi l’équilibre des forces de classe en faveur du camp anticapitaliste. Ainsi, les nationalités insurgées sont en alliance objective avec les forces du socialisme contre toutes les formes de réaction et de répression impérialistes.
Cet alignement de deux mouvements sociaux et politiques distincts ne se limite pas à la scène internationale ; elle peut également être opérationnelle au sein des bastions impérialistes eux-mêmes. C’est le cas aujourd’hui aux États-Unis, où les sentiments nationalistes exprimés dans la croisade du pouvoir noir et dans le mouvement socialiste révolutionnaire s’opposent de la même manière au régime capitaliste.
Développement inégal des travailleurs
Malheureusement, les mouvements d’opposition ne marchent pas à l’unisson mais sont souvent en décalage les uns par rapport aux autres. C’est certainement le cas aujourd’hui, alors que les masses noires sont loin en tête, prêtes à défier la structure du pouvoir en tant que force sociale la plus rebelle de la vie américaine, tandis que la plupart des travailleurs blancs sont conservateurs et apathiques. Tout comme les zones coloniales sont le théâtre de l’activité révolutionnaire la plus intense à l’échelle mondiale, le mouvement de résistance noire occupe la priorité dans les luttes anticapitalistes aux États-Unis. Cette évolution irrégulière crée de nombreux problèmes extrêmement difficiles pour les révolutionnaires, noirs et blancs, soucieux de construire une opposition gagnante au statu quo.
Cependant, les expériences des révolutions coloniales avec lesquelles les militants noirs se sentent si proches ont de nombreuses leçons à enseigner à ceux qui, comme Malcolm, veulent réfléchir à leurs problèmes pour mener le combat le plus efficace. Parmi ceux-ci figurent la nécessité d’une unité dans la lutte, une hostilité sans compromis envers les hommes d’argent et la méfiance à l’égard de tous leurs agents, conservateurs ou libéraux, ouverts ou déguisés.
Deux de ces leçons que Malcolm a appris sont d’une importance capitale, voire décisive. L’une est l’utilité d’avoir des alliés lorsque vous êtes assailli par un ennemi redoutable. Pour repousser et vaincre les assauts de l’impérialisme, les insurgés coloniaux ont besoin de toute l’aide qu’ils peuvent obtenir de n’importe quel côté, et notamment de la part des habitants mécontents des pays de leurs oppresseurs. Nous en voyons un nouvel exemple dans le regain de moral des Vietnamiens et dans les dissensions semées à Washington par les mobilisations anti-guerre qui ont suscité des attaques aussi frénétiques de la part de Johnson, Westmoreland, Lodge et Nixon.
Ainsi, les combattants noirs de la liberté ici, comme Malcolm s’en est rendu compte, peuvent bénéficier d’alliances avec des forces fraternelles dans leur pays, à condition que ces alignements ne fassent pas obstacle à leur propre unité et indépendance ou ne découragent pas et ne dissuadent pas leur propre action révolutionnaire. Ce qui compte dans les alliances, comme le souligne Breitman, n’est pas la couleur de peau ou l’appartenance nationale des participants, mais la nature et le but de leur partenariat dans la lutte.
Une autre vérité qui a été rappelée à de nombreux rebelles coloniaux, parfois à leur grand étonnement et consternation, est qu’une lutte nationale qui s’arrête à mi-chemin ne peut pas répondre aux besoins et aux aspirations sociales les plus profonds de leurs peuples. La lutte pour l’émancipation doit être menée jusqu’à sa conclusion logique. Il ne suffit pas de conquérir la souveraineté politique sous le capitalisme. L’indépendance nationale peut devenir fictive et devenir un piège et une illusion si le pouvoir populaire, jaune, noir ou blanc, n’est pas renforcé par la propriété publique des moyens de vie et du travail. Tant que les intérêts des propriétaires étrangers ou locaux contrôleront les principales ressources nationales, les demandes des masses resteront insatisfaites et le pays pourra facilement retomber dans l’asservissement économique de l’impérialisme. Le rétablissement du néocolonialisme sous des régimes noirs formellement indépendants est aujourd’hui imposé dans de nombreux pays africains nouvellement libérés.
Du nationalisme au socialisme
Cette évolution n’est pas prédéterminée. Cela peut être évité et la voie du progrès peut être empruntée si la révolution nationale se combine avec une révolution plus profonde et plus large selon des lignes socialistes par laquelle un gouvernement d’ouvriers et de paysans prend en charge les installations productives du pays et gère une économie planifiée dans un cadre démocratique. manière. C’est pourquoi les mouvements anti-impérialistes de libération nationale dans les pays sous-développés ont irrésistiblement tendance à passer de fondements purement nationalistes à des objectifs et à des mesures socialistes, souvent en rhétorique mais parfois en réalité.
Cette réorientation d’une révolution nationaliste démocratique vers des voies socialistes, qui s’inscrit dans la dynamique même d’un puissant soulèvement de masse, a eu lieu à Cuba après la Chine et le Vietnam. Commençant par des luttes armées de libération nationale, ces révolutions se sont transformées en mouvements consciemment socialistes grâce aux conclusions dérivées de confrontations et de collisions directes avec les impérialistes et leurs serviteurs.
Quelle application ces développements de la révolution coloniale ont-ils à la lutte afro-américaine pour l’égalité et l’émancipation ? Il y a trois composantes diverses à l’œuvre dans le mouvement de liberté noir : sa composition sociale de classe ouvrière, son nationalisme noir et son socialisme submergé et latent. L’interrelation et l’interaction de ces éléments sont rarement clairement visibles et sont souvent niées et rejetées, parce qu’elles ne se manifestent pas de manière égale et ne mûrissent pas au même rythme.
Il est évident pour presque tous les Américains noirs, qu’ils soient nationalistes ou non, qu’ils doivent travailler pour gagner leur vie (s’ils peuvent trouver un emploi) et que l’existence toute entière de leur peuple est défigurée par la barre de couleur. Ces conditions génèrent une révolte féroce et explosive. Mais la dynamique et l’orientation anticapitalistes, et donc pro-socialistes, de sa lutte ne sont pas si évidentes, surtout lorsqu’il n’est pas encore familiarisé avec la pensée socialiste authentique, lorsque le mouvement ouvrier est passif et indifférent à son sort, et lorsque le mouvement ouvrier est passif et indifférent à sa situation critique. les éléments socialistes avoués sont majoritairement blancs et faibles.
Dans de telles circonstances, il existe des dangers dans une vision qui est en principe préjugée contre le socialisme ou le marxisme, qui est politiquement floue et qui ignore l’anticapitalisme implicite dans le caractère ouvrier de la révolte noire. Elle risque de rester à la traîne par rapport aux besoins et de freiner la marche en avant du mouvement lui-même. Les millions d’habitants des ghettos ne sont pas seulement emprisonnés par la ségrégation raciale ; ils sont quotidiennement confrontés à des problèmes sociaux, économiques, politiques et éducatifs qui ne peuvent être atténués, et encore moins résolus, dans le cadre du système économique et politique existant ou sans l’aide des idées socialistes.
La signification exceptionnelle de l’évolution de Malcolm du nationalisme noir au socialisme à l’échelle nationale et internationale était que, à partir de ses observations du monde colonial et de son analyse de l’histoire moderne, il avait commencé à comprendre la nécessité de la fusion de ces deux mouvements et cherchent une synthèse des aspects révolutionnaires nationalistes et socialistes de la lutte pour la liberté. Cette étape de son évolution n’était ni accidentelle ni strictement individuelle ; c’était une conclusion politique logique de toute son expérience de révolutionnaire. À cet égard, il a anticipé l’avenir du mouvement tout en incarnant le meilleur de son étape actuelle.
Son évolution était incomplète – ou plutôt incomplète. Il n’était pas, ou n’était pas encore, comme Breitman prend soin de le souligner, un marxiste. Cependant, certains de ses disciples aujourd’hui, inspirés par la vision de Malcolm et son don pour le développement, commencent également à comprendre que le nationalisme noir et le socialisme révolutionnaire ne doivent pas nécessairement être des adversaires ou des rivaux, mais peuvent et doivent être des amis et des alliés dont les adhérents peuvent travailler ensemble à des fins communes.
George Novack