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Apple, la gentille pomme ?

jeudi 2 février 2012

Il y a le miracle Apple, universellement célébré.

Et il y a la face sombre du miracle, des conditions de travail indignes chez les sous-traitants qui produisent l’iPhone, l’iPad et autres produits qui font le succès – et les profits – de la firme américaine.

Le New York Times a effectué cette semaine une plongée en deux parties dans l’univers d’Apple :

la réussite économique de la société

un regard implacable dans l’enfer des sous-traitants d’Apple en Chine, et en particulier la société taiwanaise Foxconn, qui possède de nombreuses usines sur le continent (et fabrique d’autres produits de masse comme le Kindle d’Amazon, la PlayStation de Sony, la Wii de nintendo, ou la Xbox 360 de Microsoft comme nous le font remarquer plusieurs commentateurs).

La longue enquête du quotidien américain, signée par Charles Duhigg et David Barboza, fait état de conditions de travail « dures » (« harsh »), de règles de sécurité inexistantes ou bafouées, d’accidents du travail, et, cela avait été rapporté plusieurs fois par le passé, de suicides d’employés poussés à bout.

« Le sang et de la sueur de nos ouvriers »

L’enquête du New York Times a été traduite en chinois, et publiée sur le site du magazine économique Caixing, réputé pour son audace journalistique. Il a suscité un très vif débat, dans un pays où les produits Apple sont tellement demandés qu’il y a récemment eu une émeute lors de la mise en vente d’un nouveau modèle d’iPhone à Pékin...

Les réactions des Chinois sont révélatrices du climat politique de défiance dans la Chine d’aujoud’hui. Quelques extraits :

« Je lis ce récit et je suis triste. Apple n’est pas seule à encourir un blâme. C’est aussi le système qui permet ce genre de situations. Le “made in China” ne devrait pas être synonyme du sang et de la sueur de nos jeunes ouvriers ».

« Lorsque des gouvernements locaux cherchent attirer de nouveaux investissements, la première chose qu’ils mettent en avant, c’est le faible niveau du prix de la main d’oeuvre. C’est pathétique. »

« Voici deux regards sur Apple. L’un sur sa brillante réussite financière, l’autre sur le sang et les larmes qui ont permis le miracle d’Apple. Je conseille vivement aux fans d’Apple de lire ça. Les entreprises devraient assumer leurs responsabilités sociales, tout comme leurs clients devraient eux aussi être responsables et comprendre les enjeux. »

Un autre nuance cette condamnation sans appel :

« Si les gens réalisaient le type de vie que ces ouvriers avaient avant de trouver un emploi chez Foxconn, ils arriveraient à la conclusion diamétralement opposée : Apple est un philanthrope. »

La main d’œuvre, c’est 2% du prix de revient

Coût et bénéfices d’un iPad (en anglais, cliquez pour agrandir) (The Economist)

L’enquête du New York Times et les accusations régulièrement lancées par les associations de défense des droits des travailleurs – les syndicats indépendants sont interdits en Chine – sont d’autant plus accablantes que d’autres informations indiquent le faible poids de la main d’œuvre chinoise dans le produit fini vendu au prix fort par Apple.

L’hebdomadaire britannique The Economist indique en effet que le coût de la main d’oeuvre chinoise n’entre que pour 2% dans le prix de revient d’un iPad, la tablette d’Apple qui se vend par millions d’exemplaires dans le monde.

Considéré comme un produit « Made in China », l’iPad est en réalité fabriqué à partir de composants provenant surtout de Corée du Sud, du Japon et de Taiwan, et la part du lion des bénéfices va au concepteur américain et à ses actionnaires.

Une belle histoire de mondialisation qui explique comment Foxconn et les sous-traitants profitent au maximum des conditions sociales a minima de la Chine pour comprimer les prix.

Tim Cook, le nouveau PDG, écrit aux salariés

Apple tente de contrer cette vague montante d’informations négatives en soulignant qu’elle a rédigé un « code de conduite » pour les fournisseurs de la société, qui leur demande de proposer des conditions de santé et de sécurité correctes dans leurs usines, et de traiter leurs salariés « avec dignité et respect ».

Quant à Tim Cook, le nouveau patron d’Apple, il a adressé un e-mail aux 45 000 salariés du groupe dans le monde, dont certains en Chine, dès la parution de l’enquête du New York Times :

« Nous nous soucions de nos travailleurs partout dans le monde [...]. Toute tentative de dire que nous ne nous y intéressons pas est ouvertement fausse et insultante. »

Ces dénégations seraient plus crédibles si Apple se donnait les moyens de faire respecter ses règles, et en particulier auprès de son réseau de sous-traitants chinois.

Dans le New York Times, Li Mingqi, un ancien cadre de Foxconn qui poursuit son ancien employeur pour licenciement abusif, déplore :

« Apple ne s’est jamais préoccupé d’autre chose que de l’accroissement de la qualité des produits, et de la baisse des coûts de production. »

Foxconn s’apprête à reproduire ce système au Brésil, pour développer sur place la production d’iPad. Il sera intéressant de voir dans quelques temps si, dans un autre pays émergent dans lequel la société civile a un poids plus fort qu’en Chine, le coût de la main d’œuvre reste à 2% du prix de revient...

En attendant, il est peu probable que ces informations détournent les fans d’Apple de leurs produits préférés.

Chine : suicides en série chez un sous-traitant d’Apple et Nokia

Un nouveau suicide -le dixième en cinq mois- embarrasse le fabricant Foxconn, qui se défend d’être un « atelier de la misère ».

A deux jours d’intervalle deux ouvriers travaillant sur les chaînes d’une usine de 420 000 employés d’un sous-traitant d’Apple, Nokia, Dell et autres géants de l’électronique se sont suicidés. Question de statistiques pour les dirigeants de Foxconn.

L’immense usine de Shenzhen du fabricant taïwanais d’électronique Foxconn, sous-traitant de Nokia et d’Apple entre autres, a enregistré la neuvième et la dixième mort d’employés « tombés » du haut de bâtiments depuis le début de l’année 2010. Les huit personnes précédentes s’étaient suicidées, a reconnu Foxconn.

Deux autres employés ont également tenté de mettre fin à leurs jours en se jetant d’immeubles du complexe ces derniers mois, sans y parvenir.

Cette fois-ci, Li Hai, un jeune homme de 19 ans, a trouvé la mort mardi à 6h20, après seulement 42 jours dans le centre de formation de l’usine, a annoncé Chen Hongfang, vice-directeur de l’union des travailleurs de Foxconn, à l’agence Chine Nouvelle.

La police n’a pas encore déterminé si Li Hai s’est suicidé ou a chuté par accident. Il a toutefois laissé une note dans laquelle il s’excuse auprès de son père de ne plus pouvoir le prendre en charge. « Je n’ai pas la force. J’ai ce que je mérite », lui a-t-il écrit, selon une source citée par l’agence.
Shenzhen, on y travaille et on y dort

Envers du miracle chinois ? Les ouvriers de l’usine de Shenzhen travaillent à la chaîne et dorment sur les lieux. Comme beaucoup en Chine, ils vivent loin de leurs origines et de leurs familles.

Mais Foxconn se défend. L’entreprise n’a pas souhaité répondre à nos questions mardi mais la veille, en réaction à un précédent suicide, elle avait démenti que les conditions de vie de ses employés soient en cause.

« Foxconn n’est pas un atelier de la misère. Je crois que les choses vont vite revenir à la normale » a expliqué son président, Terry Kuo, à la presse à Taipei. Pour M. Kuo, des personnes extérieures, ne connaissant pas les affaires de suicide en question, l’accusent d’exploiter la main d’oeuvre de Chine continentale.

« Mais mon usine n’est pas un atelier de la misère, Foxconn compte 800 000 travailleurs, donc il est très difficile de gérer les ouvriers. »

Le fabricant d’électronique s’était auparavant défendu en arguant des statistiques : la gigantesque usine de Shenzhen, dans la province industrielle du Guangdong, compte 420 000 travailleurs. Les suicides enregistrés dans leurs rangs ces derniers mois sont donc en dessous des chiffres de quinze suicides en moyenne pour 100 000 personnes par an comptabilisés par l’Organisation mondiale de la santé en Chine, et dont elle souligne elle-même le caractère approximatif.
Assistance psychologique et musique douce

Lundi, M. Kuo a accusé la presse de trop insister sur ces malheureux événements et d’inciter ainsi d’autres employés à passer à l’acte.

L’usine a commencé à mettre en place une assistance aux ouvriers le demandant et diffuse dans ses ateliers une musique douce. Elle invitera la semaine prochaine des moines bouddhistes pour honorer la mémoire des travailleurs décédés.

La série noire a débuté en juillet 2009. Selon la presse cantonaise, un jeune homme de 25 ans avait perdu l’un des seize prototypes d’iPhone 4G qu’il avait en sa possession. Après avoir été fouillé et violenté par des agents de sécurité de l’usine, selon ses amis cités par un quotidien local, il s’était jeté du douzième étage de son dortoir.

Et c’est loin d’être une exception !

Le scandale provoqué par la découverte de centaines de travailleurs réduits en véritable esclavage dans des briqueteries chinoises aura eu au moins un mérite : provoquer pour la première fois un débat à l’échelle nationale sur les conditions de travail dans cette Chine devenue l’ « atelier du monde » .

Les images de ces jeunes et moins jeunes esclaves des temps modernes retrouvés dans les briqueteries du Shanxi et du Henan ont choqué les plus endurcis des Chinois, qui ne pouvaient pas imaginer qu’on pouvait traiter des hommes de cette manière dans la « nouvelle Chine ».

Face à l’émotion suscitée par ces images, mais aussi par l’incroyable texte écrit par les pères de 400 jeunes réduits en esclavage, le gouvernement a décidé mercredi de lancer une enquête au niveau national sur le travail des enfants et l’exploitation de la main d’œuvre. Mais on connaît par avance les obstacles auxquels se heurtera cette enquête, en imaginant qu’elle soit lancée de bonne foi et avec une volonté d’aboutir. Dans l’un des cas d’esclavage récemment révélés, c’est le propre fils d’un dirigeant local du Parti communiste qui avait ainsi déshumanisé ses ouvriers. Tout comme, dans la plupart des mines de charbon illégales où on retrouve les conditions de travail les plus lamentables et dangereuses, on sait que les autorités locales sont généralement complices, quand elles ne sont pas directement actionnaires ou propriétaires de ces mines.

Le gouvernement devra donc affronter cette contradiction qui fait de ses plus fidèles serviteurs les principaux responsables du mal qu’il dénonce. Et l’éternel conflit chinois entre le centre et les régions, entre le sommet et la base, complique la tâche de tout assainissement social. Difficile d’imposer la normalisation des conditions de travail quand ceux qui sont censés la faire respecter sont les principaux bénéficiaires de ses violations.

D’autant que la définition de l’ « exploitation » , terme employé par les autorités, n’est pas explicitée. S’agit-il uniquement de ces esclaves privés de liberté, ou aussi de ces migrants qui, dans la plus grande légalité, sont vissés à leur poste de travail jusqu’à 15h par jour, sans un jour de congé par semaine, pour un salaire de misère. C’est la norme plus que l’exception dans bon nombre d’usines de sous-traitants chinois, comme je l’ai personnellement constaté.

Difficile d’échapper à la question politique : sans des syndicats indépendants, sans une presse libre et sans une société civile capable de se mobiliser pour défendre les citoyens sans crainte des autorités locales, ces pratiques ne disparaîtront pas aisément. Le Parti, attaché à son monopole du pouvoir, cherche à être juge et partie, position inconfortable s’il en est.

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