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Ma grand-mère sans frontière

25 décembre 2014, 11:34

Le coup d’état des « Officiers libres » a consisté à s’emparer du quartier général et des postes de commandement importants de l’armée – à la faveur de l’effondrement de l’autorité royale au sein de l’armée comme à l’échelle du pays tout entier, de la bienveillance de l’ambassade des USA et de l’attitude de méfiance passive observée par l’ambassade de Grande-Bretagne (dont l’armée d’occupation ne chercha pas à intervenir en faveur du roi). A partir de cette position de force, la direction des « Officiers libres » - le « conseil de la révolution » - amena le roi à abdiquer et s’empara – à sa place – des pouvoirs exécutifs. Le nouveau pouvoir d’Etat était dès lors aux mains d’officiers petits bourgeois, dont les origines de classe et la vision de classe étaient différentes de celles de la classe dominante. Cependant ces officiers ne se présentaient pas comme ennemis de cette classe, mais comme une équipe de rechange au pouvoir existant, capable d’insuffler à cette classe même une vigueur nouvelle en redonnant à l’Etat égyptien une efficacité qu’il avait perdue. (…) Les Officiers libres pensaient apparaître à la classe dominante et aux impérialistes occidentaux comme des hommes providentiels venant les délivrer de ces « maux » : comme les sauveurs de l’ordre social dans une situation où l’ensemble des classes possédantes cessaient de se sentir en sécurité. (…) Telle était la vision politique des « Officiers libres », au mois de juillet 1952. Elle peut se résumer dans la volonté de réorganiser la vie politique et de réorienter la vie économique dans le cadre du mode de production existant ; plus précisément de résoudre la crise de ce mode de production, de le débloquer – en sacrifiant une fraction infime de la classe dominante, la plus parasitaire, en faveur d’un développement capitaliste, surtout appuyé sur la tendance « moderniste » de cette classe et étroitement lié aux capitaux étrangers. Cette vision politique était bâtie sur une série d’illusions de classe – dont les deux plus importantes étaient celle de pouvoir amener la classe dominante à dépasser sa crise et à s’engager résolument sur la voie capitaliste ; et celle de pouvoir amener les impérialistes occidentaux (les USA surtout) à participer à l’industrialisation de l’Egypte et à résoudre sa crise de croissance capitaliste. Or, nous avons vu la solidarité organique entre le diverses fractions de la classe dominante – la bourgeoisie urbaine n’était pas dissociable des grands propriétaires fonciers et entre cette classe dans son ensemble et l’impérialisme européen occidental. (…) Les illusions dont les Officiers libres étaient porteurs en 1952 provenaient essentiellement du fait qu’ils n’étaient pas directement liés au processus productif et que, au même titre que les autres sections de la petite bourgeoisie, ils n’étaient pas porteurs d’un autre mode de production spécifique nouveau. Ils étaient donc à la fois prisonniers du mode de production existant et relativement étrangers aux lois de son fonctionnement. (…) Dans les circonstances caractérisant la première période du nouveau régime (juillet 1952 – fin 1954), le Conseil de la Révolution va être amené, pour résoudre cette contradiction, à diviser, affaiblir et paralyser les partis politiques rattachés à la classe dominante – en même temps qu’il réprimait férocement toutes les formations politiques et syndicales rattachées à la petite bourgeoisie ou au prolétariat industriel. A la fin de cette période, il aura pu réaliser une réforme agraire bureaucratique, un accord ambigu sur l’évacuation de l’armée d’occupation et sera en train de chercher en Occident un équipement moderne pour son armée. Il va se trouver détenir le monopole provisoire de l’initiative politique à l’échelle nationale (…) Mais ce monopole était d’une extrême précarité – car i n’avait pas d’assise de classe solide. La classe dominante, politiquement paralysée, n’en conservait pas moins le monopole des pouvoirs économiques (…) D’autre part, aucune couche sociale – petite bourgeoise, prolétarienne ou déshéritée – n’appuyait le nouveau régime, dont l’aspect répressif, évident depuis la mise à mort du héros ouvrier Mustafa Khamis, quelques semaines après le coup d’Etat, ne fait que se confirmer. (…) Une crise aiguë éclatera, en 1956, entre le pouvoir égyptien – bénéficiant à partir de la nationalisation du canal de Suez d’un appui de masse – et les gouvernements impérialistes anglais et français qui, appuyés sur Israël, tenteront leur agression tripartite – dans le but d’abattre ce pouvoir. L’appui populaire massif dont le régime va alors bénéficier – et l’échec politique de l’agression, sous le poids de la nouvelle orientation soviétique et de la pression US sur l’Angleterre et la France – vont permettre au pouvoir d’Etat, non seulement de renforcer son monopole politique intérieur, mais aussi de gagner une marge de manœuvre extérieure et un degré d’autonomie économique, à partir desquels il créera un nouveau secteur économique – le secteur économique d’Etat – où va commencer à se développer une nouvelle section de la classe dominante, une bourgeoisie d’Etat, issue de l’élite petite bourgeoise (militaire surtout). (…) Le pouvoir d’Etat – dont Nasser était devenu la personnification – arrive alors à son zénith de son prestige et de sa capacité d’initiative extérieure et intérieure. Il va pouvoir instituer un véritable système de répression idéologique des masses – fondé sur un nationalisme autoritaire, où l’ »unité nationale » devait servir à paralyser la lutte de masse et où l’ »indépendance » allait se mesurer au développement économique capitaliste. (…) A l’issue de cette période, les activités capitalistes de la bourgeoisie traditionnelle, fouettées malgré elle, vont connaître un essor inconnu et l’aide économique occidentale va commencer – après un blocus provisoire – à se déverser dans les caisses de l’Etat égyptien pour faire concurrence à l’aide soviétique. (…) La troisième période du régime (1959-1963) sera celle d’une nouvelle crise au sein de la classe dominante (…) La bourgeoisie traditionnelle va alors tenter d’imposer au pouvoir l’arrêt de ses projets d’industrialisation et de ses accords à long terme avec l’URSS. (…) Il semblait à l’équipe dirigeante que la classe dominante, où l’élément étatique, bureaucratique et nationaliste, serait prépondérant, pourrait résoudre cette crise, dans le cadre d’une structure soumise à une planification centrale (…) C’était, là encore, une illusion de classe. C’était, de la part du pouvoir d’Etat, espérer que l’ « élite » petite bourgeoise, accédant au statut de classe capitaliste dominante, conserverait ses qualités petites bourgeoises (…) La quatrième période traversée par le régime (1964 – juin 1967) est celle où la bourgeoisie d’Etat, dominant désormais les moyens de production décisifs de la société, est déchirée par les contradictions de classe découlant de sa nouvelle situation – où la voie capitaliste, péniblement débloquée au cours de la décennie précédente entre dans une nouvelle phase de crise (…) C’est la période où le mouvement de masse, réprimé au cours de cette même décennie par la violence et la duperie démagogique conjuguées, recommence à s’exprimer. (…)

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