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25 janvier 2015, 10:58
Quand j’étais petit, je voyais un homme embrasser un arbre.
L’homme avait quatre-vingts ans. L’arbre avait soixante ans.
Moi, j’avais cinq ans.
Ce vieillard était l’un de ces artisans autodidactes, féru d’idées nouvelles.
Sa religion à lui, c’était la science.
Il était bavard, il pouvait, pendant des heures,
vous citer aussi bien la Bible que Proudhon.
Il me disait :
« Mon petit, quelle chance tu as d’arriver dans un siècle
où la science avance à pas de géant.
Bientôt, l’homme sera tellement intelligent, tellement bon,
qu’il n’y aura plus de guerre, plus d’armée, plus de frontière, plus de nation.
Chacun se régalera de vivre à son aise, avec le métier qu’il aura choisi,
le métier qui le passionnera.
Chacun se cultivera, s’épanouira.
L’homme sera enfin un ami pour l’homme… »
Les soirs d’été, il se rendait à pas lents vers notre petite mairie pour saluer
l’arbre de le Liberté.
Cet arbre avait été planté en 1871, à la chute de l’Empire,
pour célébrer la République nouvelle.
Le vieillard avait alors vingt ans.
Il avait fait partie de ces garçons et de ces filles qui avaient dansé
des rondes folles autour de l’arbuste qu’ils venaient de planter.
Mais l’arbuste était devenu un arbre magnifique.
Le vieux posait sa canne contre le tronc rugueux,
de ses bras maigres il enlaçait convulsivement le tronc,
il levait les yeux vers le feuillage magnifique, et on entendait qu’il murmurait :
« Ah, ma liberta ! »
et une grosse larme allait se perdre dans sa barbe blanche.
Les années ont passé,
le vieux est mort, mais l’arbre, lui, a continué à croître, à prospérer.
Il est devenu tellement grand, tellement robuste,
que ses puissantes racines soulevaient presque la petite mairie.
Alors le maire a pris peur :
l’élu du peuple a donné l’ordre de scier l’arbre.
Et l’Arbre de la Liberté est tombé comme un homme, d’une masse.
Mais sa chute, un instant, a fait trembler la terre.
J.P CHABROL
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Quand j’étais petit, je voyais un homme embrasser un arbre.
L’homme avait quatre-vingts ans. L’arbre avait soixante ans.
Moi, j’avais cinq ans.
Ce vieillard était l’un de ces artisans autodidactes, féru d’idées nouvelles.
Sa religion à lui, c’était la science.
Il était bavard, il pouvait, pendant des heures,
vous citer aussi bien la Bible que Proudhon.
Il me disait :
« Mon petit, quelle chance tu as d’arriver dans un siècle
où la science avance à pas de géant.
Bientôt, l’homme sera tellement intelligent, tellement bon,
qu’il n’y aura plus de guerre, plus d’armée, plus de frontière, plus de nation.
Chacun se régalera de vivre à son aise, avec le métier qu’il aura choisi,
le métier qui le passionnera.
Chacun se cultivera, s’épanouira.
L’homme sera enfin un ami pour l’homme… »
Les soirs d’été, il se rendait à pas lents vers notre petite mairie pour saluer
l’arbre de le Liberté.
Cet arbre avait été planté en 1871, à la chute de l’Empire,
pour célébrer la République nouvelle.
Le vieillard avait alors vingt ans.
Il avait fait partie de ces garçons et de ces filles qui avaient dansé
des rondes folles autour de l’arbuste qu’ils venaient de planter.
Mais l’arbuste était devenu un arbre magnifique.
Le vieux posait sa canne contre le tronc rugueux,
de ses bras maigres il enlaçait convulsivement le tronc,
il levait les yeux vers le feuillage magnifique, et on entendait qu’il murmurait :
« Ah, ma liberta ! »
et une grosse larme allait se perdre dans sa barbe blanche.
Les années ont passé,
le vieux est mort, mais l’arbre, lui, a continué à croître, à prospérer.
Il est devenu tellement grand, tellement robuste,
que ses puissantes racines soulevaient presque la petite mairie.
Alors le maire a pris peur :
l’élu du peuple a donné l’ordre de scier l’arbre.
Et l’Arbre de la Liberté est tombé comme un homme, d’une masse.
Mais sa chute, un instant, a fait trembler la terre.
J.P CHABROL