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Le dialogue des deux hémisphères du cerveau

29 décembre 2011, 14:19

Pour les scientifiques se voulant matérialistes (les Britanniques disent « naturalistes »), la métaphysique ne consiste pas à faire intervenir des entités ou des facteurs explicatifs qui sortiraient du champ de la recherche expérimentale. La tentation est grande, chez certains de ceux qui s’essayent à la métaphysique, de remettre en cause le monisme que postule la science matérialiste. Souvent, impressionnés par les contenus pénétrants de leurs propres intuitions, ils n’en attribuent pas le mérite à la puissance de leur propre esprit. Ils envisagent que ces contenus puissent leur être suggérés par l’intervention d’un Esprit non observable expérimentalement, qui interviendrait ainsi dans le cours de leur pensée. Malheureusement, cette supposition se révèle contraire à la démarche prudente qui doit être celle du scientifique à l’égard de ses propres hypothèses : si c’est une entité quasi divine qui parle par ma bouche, l’auto-critique n’est plus de mise. Elle devient en quelque sorte sacrilège.

Tout au contraire, pour les matérialistes, éclairés par les découvertes récentes des neurosciences, l’intuition, ou plus exactement la formulation d’hypothèses que le sujet doit ensuite vérifier, constitue la base même de la démarche cognitive. Le système nerveux en général, le cerveau en particulier, sont des machines à formuler des hypothèses intuitives. Ce processus est réparti dans toutes les aires cérébrales et s’accomplit en permanence et à grande vitesse. On montre que, dès le niveau des aires sensorielles, les neurones qui ne reçoivent du monde extérieur que des impulsions électromagnétiques, les assemblent en patterns au sein desquels peuvent apparaître des régularités. Ne sont conservées que les patterns hypothétiques correspondant, soit à des expériences antérieures validées par l’histoire du sujet, soit à des mises à l’épreuve nouvelles s’étant révélées utiles à la survie de celui-ci.

De proche en proche, ceci jusqu’au niveau du cortex associatif, on peut ainsi constater l’apparition (ou émergence) d’hypothèses de plus en plus larges résultant des conflits darwiniens internes au cerveau correspondant à la multiplication des hypothèses et de leurs vérifications expérimentales. Très vite aussi apparaissent des hypothèses qui cessent d’être immédiatement vérifiables, soit qu’elles excèdent les capacités des appareils sensori-moteurs, soit qu’elles engagent le passé ou le futur. Ces hypothèses, bien qu’invérifiables immédiatement, sont vitales pour l’adaptation du sujet à un environnement extérieur changeant en permanence. Mais elles sont traitées selon des procédures particulières. Elles sont mémorisées dans des registres spécifiques, pour être évoquées si le besoin s’en faisait sentir en cas de changement dans le milieu ou dans les modes de vie du sujet.

Notons que pour prendre les décisions relatives à la conservation ou à la mise à l’écart de ces hypothèses, le cerveau ignore ce que nous appelons les processus rationnels, inspirés de la logique formelle. Nous avons mentionné, dans des articles précédents, les travaux montrant que le cerveau utilise des logiques décisionnelles proches de celles utilisées par le calcul quantique. Ceci bien évidemment se fait inconsciemment.

Le même processus se déroule au plan collectif. Chaque individu formule des hypothèses sur le monde et les verbalise par le langage. Ces dernières entrent en compétition darwinienne au sein du groupe. Celles correspondant à des expériences collectives avérées sont mémorisées et le cas échéant enseignées. Les intuitions plus générales suivent le même parcours. Ainsi un groupe génère en permanence des intuitions collectives : par exemple celles relatives à des ressources ou des dangers cachés, se trouvant au delà de l’horizon. Les groupes les mieux adaptés exploreront les territoires jusqu’alors invisibles, afin de tirer partie de ce qui pourrait s’y trouver.

Mais là encore les humains croient plus volontiers à l’intercession de divinités extérieures qu’au travail créatif de leurs propres cerveaux. De nos jours encore, les hypothèses invérifiables, mais résultant de processus intuitifs particulièrement créateurs, seront généralement reçues comme émanant de puissances ou d’esprits extérieurs au groupe.. Ce seront ces puissances qui seront honorées, au lieu que ce soit les individus ayant eu un cerveau suffisamment inventif pour s’affranchir des lieux communs.

Pour progresser dans l’analyse, il faut se persuader d’un point essentiel : les cerveaux ne sont pas capables de se représenter exactement la façon dont ils formulent leurs hypothèses sur le monde. Celles-ci sont produites au terme d’entrées sensorielles et informationnelles extrêmement nombreuses, suivi de processus interprétatifs encore plus nombreux. Le cerveau enregistre la plupart des flux correspondants, mais sa conscience de veille n’en est pas avertie. Tout au plus, après d’ailleurs des délais plus ou moins longs, une représentation globale tardive et synthétique peut émerger au niveau du cortex associatif siège des processus dits conscients, C’est elle qui est verbalisée et qui sert de support à des traitements cognitifs collectifs. Ces traitements peuvent aboutir, soit à des comportements individuels ou de groupe plus ou moins opportuns, soit à des intuitions ou des croyances restant dans l’ordre du symbolique avant d’être à leur tour mise à l’épreuve de l’expérience.

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