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En quoi et pourquoi la construction de l’organisation Lutte Ouvrière est un échec du point de vue de la tâche de la construction du parti communiste révolutionnaire ?

5 janvier 2012, 11:24, par Robert Paris

La suite de la citation de Lénine ? Eh bien, la voici …

« Quand nous disons : « contrôle ouvrier », ce mot d’ordre étant toujours accompagné de celui de la dictature du prolétariat, le suivant toujours, nous expliquons par là de quel Etat il s’agit. L’Etat est l’organe de domination d’une classe. De quelle classe ? Si c’est de la bourgeoisie, c’est bien l’Etat cadet-Kornilov-« Kérenski », par lequel le peuple est « kornilovisé et kérenskisé » en Russie voici déjà plus de six mois. Si c’est, la domination du prolétariat, s’il s’agit de l’Etat prolétarien, c’est-à-dire de la dictature du prolétariat, le contrôle ouvrier peut devenir le recensement national, général, universel, le plus minutieux et le plus scrupuleux de la production et de la répartition des produits.
Là est la principale difficulté, la tâche principale de la révolution prolétarienne, c’est-à-dire socialiste. Sans les Soviets cette tâche, du moins pour la Russie, serait insoluble. Les Soviets décident du travail d’organisation qui permettra au prolétariat de réaliser cette tâche de portée universelle.
Nous en venons ici à un autre aspect de la question de l’appareil d’Etat. Outre l’appareil « oppresseur » par excellence que représentent l’armée permanente, la police, les fonctionnaires, il existe dans l’Etat contemporain un appareil très intimement lié aux banques et aux cartels, un appareil qui accomplit un vaste travail de statistique et d’enregistrement, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Cet appareil ne peut ni ne doit être brisé. Il faut l’arracher à sa soumission aux capitalistes, il faut le couper, le trancher, le scinder des capitalistes et de tous leurs moyens d’action, il faut le soumettre aux Soviets prolétariens, il faut l’élargir, l’étendre à tous les domaines, à toute la nation. Et l’on peut faire cela, si on s’appuie sur les conquêtes déjà réalisées par le grand capitalisme (car c’est seulement en s’appuyant sur ces conquêtes que la révolution prolétarienne en général sera capable d’atteindre son but).
Le capitalisme a créé des appareils de contrôle sous forme de banques, de cartels, service postal, coopératives de consommation, associations d’employés. Sans les grandes banques, le socialisme serait irréalisable.
Les grandes banques constituent l’« appareil d’Etat » dont nous avons besoin pour réaliser le socialisme et que nous prenons tout prêt au capitalisme ; notre seule tâche est alors de retrancher de cet excellent appareil d’Etat ce qui en fait un monstre capitaliste, de le renforcer encore, de le rendre plus démocratique, plus universel. La quantité se changera en qualité. Une banque d’Etat, unique, vaste parmi les plus vastes, qui aurait des succursales dans chaque canton, auprès de chaque usine, voilà déjà les neuf dixièmes de l’appareil socialiste. Voilà la comptabilité à l’échelle nationale, le contrôle à l’échelle nationale de la production et de la répartition des produits, quelque chose, pourrions-nous dire, comme la charpente de la société socialiste.
Cet « appareil d’Etat » (qui n’est pas complètement un appareil d’Etat en régime capitaliste, mais qui le sera complètement chez nous, en régime socialiste), nous pouvons nous « en emparer » et le « faire fonctionner » en frappant un seul coup, par un seul décret, car le travail effectif de comptabilité, de contrôle, d’enregistrement, de statistique et calcul est accompli dans ce cas par des employés qui sont en majorité des prolétaires ou des semi-prolétaires.
Par un seul décret, le gouvernement prolétarien peut et doit transformer ces employés en fonctionnaires de l’Etat, tout comme les chiens de garde du capitalisme, les Briand et autres ministres bourgeois, assimilent par un seul décret les cheminots en grève aux agents de l’Etat. De ces fonctionnaires, il nous en faudra beaucoup plus et nous pouvons en avoir plus, car le capitalisme a simplifié les fonctions de l’enregistrement et du contrôle et les a ramenées à des opérations peu compliquées et accessibles à tout homme qui sait lire et écrire.
« L’étatisation » de la masse des employés des banques, des cartels, du commerce, etc., etc., est une chose parfaitement réalisable et du point de vue technique (grâce au travail préliminaire accompli à notre profit par le capitalisme et par le capitalisme financier), et du point de vue politique, si le contrôle et la surveillance par les Soviets sont réalisés.
Quant aux cadres supérieurs qui sont très peu nombreux, mais qui penchent vers le capitalisme, force sera de les traiter « avec rigueur », tout comme les capitalistes. Tout comme les capitalistes, ils résisteront. Il faudra briser cette résistance ; et si Péchékhonov, cet éternel naïf, balbutiait déjà en juin 1917, comme un véritable « apprenti en politique » : « la résistance des capitalistes est brisée », cette affirmation puérile, cette vantardise enfantine, cette boutade de petit garçon, le prolétariat la réalisera pour de bon.
Nous pouvons bien le faire, puisqu’il s’agit de briser la résistance d’une minorité infime de la population, littéralement d’une poignée d’hommes, dont chacun sera de la part des associations d’employés, des syndicats, des coopératives de consommation, des Soviets l’objet d’une surveillance telle que le premier Tit Titytch venu sera cerné comme les Français à Sedan. Nous savons les noms de ces Tit Titytch : il suffit de prendre les listes des directeurs, des membres des conseils d’administration, des gros actionnaires, etc. Ils sont quelques centaines, tout au plus quelques milliers dans toute la Russie ; auprès de chacun d’eux, l’Etat prolétarien, disposant de l’appareil des Soviets, des associations d’employés, etc., peut préposer une dizaine, une centaine de contrôleurs, si bien même que, au lieu d’avoir à « briser leur résistance », on réussira peut-être, grâce au contrôle ouvrier (sur les capitalistes) à rendre toute résistance impossible.
Ce n’est pas dans la confiscation des biens des capitalistes que sera en effet le « noeud » de l’affaire, mais ce sera précisément dans le contrôle national, universel, exercé par les ouvriers sur les capitalistes et sur leurs partisans éventuels. La seule confiscation ne servira à rien, car elle ne comporte aucun élément d’organisation, rien qui contrôle la justesse de la répartition. Nous remplacerons facilement la confiscation par la levée d’un impôt équitable (ne serait-ce qu’aux taux de « Chingarev »), mais à la condition d’exclure toute possibilité de se dérober au contrôle, de cacher la vérité, de tourner la loi. Or, cette possibilité, seul le contrôle ouvrier de l’Etat ouvrier peut l’écarter.
La cartellisation obligatoire, c’est-à-dire l’association obligatoire en unions placées sous le contrôle de l’Etat, voilà ce que le capitalisme a préparé, ce que l’Etat des hobereaux a réalisé en Allemagne, voilà ce que pourront parfaitement réaliser en Russie les Soviets et la dictature du prolétariat, voilà ce qui nous donnera « un appareil d’Etat » à la fois universel, tout à fait moderne et sans bureaucratie.
Quatrième argument des avocats de la bourgeoisie : le prolétariat ne pourra pas « faire fonctionner » l’appareil d’Etat. Cet argument n’offre rien de nouveau par rapport au précédent. Naturellement, nous ne pourrions ni assimiler techniquement l’ancien appareil, ni le faire fonctionner. Le nouvel appareil, les Soviets, est déjà mis en mouvement par le « puissant essor créateur des forces populaires ». Il suffit de dégager cet appareil des entraves qui lui ont été imposées par la domination des chefs socialistes-révolutionnaires et menchéviks. Cet appareil fonctionne déjà ; il suffit de rejeter ce monstrueux attirail petit-bourgeois qui l’empêche d’avancer toujours à pleine vitesse.
Deux circonstances sont ici à considérer pour compléter ce que nous avons dit plus haut : d’abord, les nouveaux moyens de contrôle, créés non pas par nous, mais par le capitalisme dans sa phase de guerre impérialiste ; ensuite, l’importance de la pénétration des principes démocratiques dans l’administration de l’Etat de type prolétarien.
Le monopole des céréales, la carte de pain n’ont pas été créés par nous, mais par l’Etat capitaliste en guerre. C’est lui qui a d’ores et déjà créé l’obligation générale du travail dans le cadre du capitalisme, - ce qui est un bagne militaire pour les ouvriers. Mais ici encore, comme dans toute son œuvre historique, le prolétariat emprunte ses armes au capitalisme, il ne les « imagine » pas, il ne les « tire pas du néant ».
Le monopole des céréales, la carte de pain, l’obligation générale du travail sont dans les mains de l’Etat prolétarien, dans les mains des Soviets investis de la plénitude du pouvoir, le moyen le plus puissant de comptabilité et de contrôle, un moyen tel que s’il est étendu aux capitalistes et aux riches en général, s’il leur est appliqué par les ouvriers, il « fera fonctionner » l’appareil d’Etat avec une force inconnue jusqu’ici dans l’histoire et permettra de triompher de la résistance des capitalistes et de les soumettre à l’Etat prolétarien. Ce moyen de contrôle, cette obligation du travail sont autrement puissants que les lois de la Convention et que sa guillotine. La guillotine n’était qu’un épouvantail qui brisait la résistance active. Cela ne nous suffit pas.
Cela ne nous suffit pas. Nous ne devons pas seulement « épouvanter » les capitalistes, c’est-à-dire leur faire sentir la toute-puissance de l’Etat prolétarien et leur faire oublier l’idée d’une résistance active contre lui. Nous devons briser aussi leur résistance passive, incontestablement plus dangereuse et plus nuisible encore. Nous ne devons pas seulement briser toute résistance, quelle qu’elle soit. Nous devons encore obliger les gens à travailler dans le cadre de la nouvelle organisation de l’Etat. Il ne suffit pas de « flanquer à la porte » les capitalistes, il faut (après avoir flanqué à la porte les « récalcitrants » bons à rien et incurables) les mettre au service du nouvel Etat. Ceci concerne autant que les capitalistes une certaine couche des dirigeants intellectuels bourgeois, des employés, etc.
Et nous avons les moyens de le faire. L’Etat capitaliste en guerre nous a lui-même mis entre les mains les moyens et les armes pour cela. Ces moyens, ce sont le monopole des céréales, la carte de pain, l’obligation générale du travail. « Qui ne travaille pas ne mange pas », telle est la règle fondamentale, la règle première, essentielle que peuvent appliquer et qu’appliqueront les Soviets de députés ouvriers, quand ils accéderont au pouvoir.
Chaque ouvrier a un livret de travail. Ce document ne le dégrade pas, encore qu’aujourd’hui ce soit, sans aucun doute, la preuve de l’esclavage salarié capitaliste, l’attestation que le travailleur appartient à tel ou tel parasite.
Les Soviets institueront le livret de travail pour les riches, et ensuite progressivement pour toute la population (dans un pays agricole, il est vraisemblable que pendant longtemps le livret de travail ne sera pas nécessaire pour l’immense majorité des paysans). Le livret de travail cessera d’être le signe qu’on fait partie de la « plèbe », il cessera d’être l’attribut des classes « inférieures », la preuve de l’esclavage salarié. Il deviendra la preuve que dans la nouvelle société il n’y a plus d’« ouvriers », mais que par contre il n’y a plus personne qui ne soit un travailleur.
Les riches devront recevoir un livret de travail du syndicat des ouvriers ou des employés, le plus proche de leur activité ; ils devront recevoir toutes les semaines, ou à tout autre intervalle fixé, de ce syndicat l’attestation qu’ils accomplissent consciencieusement leur travail ; faute de quoi, ils ne pourront pas recevoir leur carte de pain et de produits alimentaires en général. Nous aurons besoin de bons organisateurs du système bancaire, de gens capables de grouper les entreprises (dans ce domaine, les capitalistes ont plus d’expérience et avec des gens expérimentés, le travail marche mieux) ; il nous faut en nombre toujours plus grand que par le passé des ingénieurs, des agronomes, des techniciens, des spécialistes de tout genre, instruits et cultivés, dira l’Etat prolétarien. A tous ces travailleurs nous donnerons un travail approprié à leurs forces et à leurs habitudes ; nous n’instituerons vraisemblablement que peu à peu l’égalité des salaires dans toute la mesure du possible, laissant pendant la période transitoire un salaire plus élevé aux spécialistes, mais nous les soumettrons au contrôle total des ouvriers, nous obtiendrons la mise en application complète et sans réserve de la règle : « qui ne travaille pas ne mange pas ». Et nous n’inventons pas une forme d’organisation du travail, nous l’empruntons toute faite au capitalisme : banques, cartels, usines modèles, stations expérimentales, académies, etc. ; il nous suffira d’emprunter les meilleurs types d’organisation à l’expérience des pays avancés.
Et, naturellement, nous ne tomberons pas le moins du monde dans l’utopie, nous n’abandonnerons pas le terrain du calcul le plus sensé et le plus pratique, si nous disons : la classe capitaliste dans son ensemble opposera la résistance la plus acharnée, mais l’organisation de la population tout entière dans les Soviets brisera cette résistance, et il faudra, cela va de soi, punir par la confiscation de tous leurs biens et par la prison les capitalistes particulièrement obstinés et récalcitrants ; mais en revanche la victoire du prolétariat augmentera le nombre des exemples pareils à celui que je lis aujourd’hui dans les Izvestia :
« Le 26 septembre, deux ingénieurs se sont présentés au Conseil central des comités d’usine et ont déclaré qu’un groupe d’ingénieurs a décidé de former une association d’ingénieurs socialistes. Considérant que le moment présent marque en fait le début de la révolution sociale, l’association se met la disposition des masses ouvrières et, désireuse de soutenir les intérêts des ouvriers, entend agir en complète union avec les organisations ouvrières. Les représentants du Conseil central des comités d’usine ont répondu que le Conseil formera volontiers au sein de son organisation une section d’ingénieurs qui fera entrer dans son programme les thèses fondamentales de la 1re Conférence des comités d’usine relatives au contrôle ouvrier de la production. Dans les jours prochains, se tiendra une séance commune des délégués du Conseil central des comités d’usine et du groupe d’initiative des ingénieurs socialistes ». (Izvestia du Comité exécutif central, 27 septembre 1917.) »

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