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En quoi et pourquoi la construction de l’organisation Lutte Ouvrière est un échec du point de vue de la tâche de la construction du parti communiste révolutionnaire ?

5 janvier 2012, 11:32, par Matt Wrack

Trotsky a discuté de la question du contrôle ouvrier lorsqu’il écrivait en particulier au sujet de la situation en Allemagne des années 30-32, et plus tard au Mexique.

Les citations ci-dessous sont tirées des articles suivants :

« Au sujet du contrôle ouvrier sur la production » - 20 août 1931
« La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne – Problèmes vitaux du prolétariat allemand » - 27 janvier 1932

Ces deux articles étant inclus dans le livre « Comment vaincre le fascisme ? »

« Au sujet du deuxième plan hexennal mexicain » - 14 mars 1939
« Industrie nationalisée et gestion ouvrière » - 12 mai 1939

Ces deux articles étant inclus dans « Oeuvres 1938-39 »

« Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste » - août 1940

Cela fait longtemps que nous revendiquons la nationalisation des plus grandes entreprises sous « le contrôle et la gestion ouvriers ». Plus récemment, notre journal incluait un dossier central sur la nationalisation sous « le contrôle et la gestion par les travailleurs ».

Je suis toutefois persuadé qu’il existe un danger si nous utilisons ce slogan d’une manière formaliste et réformiste. Nous devons clairement savoir de quoi nous parlons lorsque nous parlons du contrôle ouvrier.

Pour Trotsky, le contrôle ouvrier et la gestion ouvrières étaient deux phases distinctes de la lutte de classe. Il s’est opposé de manière spécifique à la confusion entre les deux termes - un piège dans lequel il me semble que tombe notre formulation. « Mais pourquoi appeler la gestion, contrôle ? Dans un langage compréhensible par tous, on entend par contrôle, la surveillance et la vérification par un organisme du travail d’un autre organisme. Le contrôle peut être très actif […]. Mais c’est toujours un contrôle. » (La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne)

Trotsky parlait du contrôle ouvrier en tant qu’étape de la lutte sous un régime capitaliste, où les bourgeois sont toujours aux commandes de l’Etat et de leur propre industrie. Le contrôle ouvrier signifie exactement ce qu’il veut dire. Les travailleurs exercent un contrôle sur certains aspects de la production, exigent l’abolition du secret d’affaires, appellent au contrôle sur l’inflation. Malgré ceci, la propriété de l’industrie demeure entre les mains des capitalistes.

« Le contrôle ouvrier signifie une sorte de dualité du pouvoir à l’usine, dans les banques, dans les maisons de commerce, etc... » (Au sujet du contrôle ouvrier sur la production). En d’autres termes, le contrôle ouvrier est caractéristique d’une période où la classe ouvrière n’a pas encore pris le pouvoir.

Le contrôle ouvrier est clairement perçu par Trotsky comme une période de préparation à la gestion ouvrière. La gestion ouvrière signifie que c’est la classe ouvrière qui est aux commandes de l’industrie. Mais sans un plan général, c-à-d sans une révolution socialiste, la gestion ouvrière est impossible. La gestion ouvrière n’est possible qu’à la suite d’une révolution socialiste et du développement d’un plan général de production. En utilisant sans cesse les deux termes l’un avec l’autre, nous courons le risque de confondre différentes phases du processus révolutionnaire.

Les industries nationalisées

En ce qui concerne l’industrie nationalisée, nous avons parfois présenté notre programme d’une manière quelque peu différente, et appelé à la « gestion ouvrière » des industries nationalisées. Nous revendiquons souvent le fait que ces entreprises soient dirigées par des comités élus pour un tiers par le personnel de l’entreprise, pour un tiers par d’autres syndicats ou la fédération syndicale, et pour un tiers par un gouvernement ouvrier socialiste.

Encore une fois, il me semble que nous tombons dans le piège qui consiste à présenter une revendication formaliste qui ignore la réalité de la lutte de classe.

La première chose dont nous devons nous rappeler, bien entendu, est que la nationalisation de l’industrie par un gouvernement capitaliste n’est pas une mesure socialiste, et ne fait pas partie d’un processus graduel de socialisation. Des nationalisations ont été réalisées pour toutes sortes de raisons spécifiques, mais ont en général pour objectif de protéger l’économie nationale (capitaliste) dans son ensemble, et par conséquent de protéger l’Etat national (capitaliste). En d’autres termes, de telles mesures ne sont pas socialistes, mais capitalistes.

« Ce serait véritablement une erreur désastreuse, une véritable supercherie, d’affirmer que la route vers le socialisme passe, non pas par la révolution prolétarienne, mais par la nationalisation par l’Etat bourgeois de divers secteurs de l’industrie et leur transfert entre les mains d’organisations ouvrières » (Industrie nationalisée et gestion ouvrière).

Au Mexique, le régime bourgeois avait nationalisé les chemins de fer et les champs pétroliers, et offrait aux syndicats un rôle dans la gestion de ces industries. Trotsky trouvait que les organisations ouvrières devaient participer à de tels projets. Mais il ne s’est pas arrêté là. Pour Trotsky, les événements pouvaient se développer de deux manières. Les représentants ouvriers pouvaient utiliser de telles opportunités afin de montrer la nécessité d’une révolution socialiste et d’une planification socialiste de l’ensemble de l’économie. La mise en pratique d’une telle stratégie requérait la construction d’un parti révolutionnaire. D’un autre côté, la participation des travailleurs à la gestion des industries nationalisées pouvait être utilisée comme un piège par la bourgeoisie, « afin de contenir les travailleurs, de les exploiter cruellement et de paralyser leur résistance » (Industrie nationalisée et gestion ouvrière). Le facteur qui déciderait de la manière dont les événements se dérouleraient était la lutte au sein des organisations ouvrières, entre révolutionnaires et réformistes.

Il y a beaucoup de différences entre le Mexique de 1939 et le Royaume-Uni d’aujourd’hui. Toutefois, comme au Mexique de 1939, nous avons une direction syndicale corrompue et qui a démontré, encore et encore, son incapacité à mener la moindre lutte. L’implication des dirigeants ouvriers dans la gestion des industires nationalisées, ou même la « gestion ouvrière » complète (si une telle chose était possible dans le cadre du capitalisme) ne ferait pas, en soi, avancer la lutte.

« Pour être durable, résistante, « normale », la participation des ouvriers à la direction de la production devrait être basée sur la collaboration de classe et non sur la lutte de classes. Mais une telle collaboration de classe n’est possible qu’entre les sommets des syndicats et les organisations capitalistes. De telles expériences furent nombreuses […]. Mais dans tous ces cas il s’agit non pas du contrôle ouvrier sur le capital, mais de la domestication de la bureaucratie ouvrière par le capital » (Au sujet du contrôle ouvrier sur la production).

Contrôle ouvrier et démocratie ouvrière

Donc, le fait d’amener la revendication du contrôle ouvrier de manière isolée du reste de notre programme ne fait pas forcément progresser la lutte de la classe. La revendication pour le contrôle ouvrier de l’industrie doit être liée à la lutte pour le contrôle ouvrier de leurs propres organisations, c-à-d pour la démocratie ouvrière au sein du mouvement ouvrier. Sans cette condition cruciale, il y a toujours la possibilité que le « contrôle ouvrier », ou la « gestion ouvriière » constituent en réalité des armes contre la classe ouvrière.

A nouveau, Trotsky a clairement énoncé les faits. « La nationalisation des chemins de fer et des champs de pétrole au Mexique n’a évidemment rien de commun avec le socialisme.

C’est une mesure de capitalisme d’Etat [...]. La gestion des chemins de fer et des champs de pétrole sous le contrôle des organisations ouvrières n’a rien de commun avec le contrôle ouvrier sur l’industrie, car, en fin de compte, la gestion est entre les mains de la bureaucratie ouvrière, qui est indépendante des travailleurs, mais en retour complètement sous la dépendance de l’Etat bourgeois. Cette mesure de la part de la classe dirigeante vise à discipliner la classe ouvrière, et à la faire travailler davantage au service des « intérêts communs » de l’Etat qui semblent se confondre avec les intérêts de la classe ouvrière elle-même. [...] Dans ces conditions, la tâche de l’avant-garde révolutionnaire consiste à conduire la lutte pour la complète indépendance des syndicats et pour l’introduction du contrôle ouvrier véritable sur la bureaucratie syndicale qui a été transformée en administration des chemins de fer, des entreprises de pétrole, etc. » (Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste).

Il est évident que nous devons soutenir les éléments de contrôle ouvrier qui existent dans l’industrie capitaliste et, à certains moments de la lutte, amener la revendication de l’extension de ce contrôle ouvrier. La possibilité d’introduire la « gestion ouvrière » dans les industries nationalisées au sein de l’économie capitaliste est sujette à débat. En réalité, il est probable que de telles mesures seraient assez similaires à la lutte pour le contrôle ouvrier dans l’industrie privée.

Le programme d’un gouvernement socialiste de lutte inclurait la nationalisation par l’expropriation des capitalistes. Dans les premiers stades d’un tel régime, on pourrait toujours voir l’introduction du contrôle ouvrier – mais cela se ferait à l’encontre de l’industrie capitaliste qui subsisterait (souvenons-nous que les Bolchéviks n’ont commencé la plupart des nationalisations majeures qu’un certain temps après la révolution d’octobre). A ce moment, le contrôle ouvrier serait très probablement dirigé contre le sabotage par les capitalistes. Le programme de nationalisation signifierait l’introduction de la gestion par les travailleurs, dans le cadre d’un plan de production démocratique.

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