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L’Encyclopédie, la vraie bombe philosophique de Diderot contre l’ancien fatras idéologique clérical et féodal

19 septembre 2012, 19:27, par Paris 7 université

Envers et contre tout, et souvent même contre ses propres envies, Diderot est l’homme de l’Encyclopédie. Lorsqu’il signe en 1748 un contrat pour une traduction de la Cyclopaedia de l’Anglais Chambers, il ne sait pas qu’il s’engage dans une aventure qui va durer vingt ans, et offrira au public en 1772 dix-sept volumes de texte (les « discours ») et onze volumes de planches. Le Prospectus présente le projet et vise à convaincre d’éventuels souscripteurs de participer à son financement. Il est diffusé à 800 exemplaires en octobre 1750. Un premier arrêt frappe l’ouvrage collectif en 1752, puis en 1759 sa vente est interdite et il perd l’accord de la censure royale (son « privilège »), l’Eglise l’inscrit sur la liste des ouvrages interdits (« l’Index »). La publication reprend cependant, et les derniers volumes, des planches, paraissent en 1772. Un dernier procès pour plagiat dure jusqu’en 1778. Diderot a alors soixante-cinq ans, il s’est battu toute sa vie pour l’existence de l’Encyclopédie, alors que de son propre aveu il aurait préféré écrire des pièces de théâtre ... Enfin, tout est terminé. Mais l’encyclopédie a donné, dès le Prospectus, les principes d’après lesquels tout commence.

L’Encyclopédie se veut la description des arts, des sciences et des métiers de son époque. Dans la langue du dix-huitième siècle, l’art désigne tout ce qui est le résultat de l’action humaine et non d’une production spontanée de la nature. Par conséquent, les « arts » sont toutes les activités humaines : celles qui font appel au travail manuel ou à celui des machines (les arts mécaniques, dont la science de la mécanique et tous les métiers) ; celles qui privilégient le travail de l’esprit (arts libéraux, comme l’astronomie, la musique, la logique) ; enfin celles qui privilégient l’imagination (les beaux-arts). Par là, l’Encyclopédie entend d’abord être un bilan, détaillé et inédit. Ce bilan, personne ne l’a encore établi : les techniques des arts mécaniques comme celles des beaux-arts se transmettent dans le secret des ateliers, dans la relation du maître à son apprenti, et les innovations restent confidentielles. Les progrès des sciences ne sont encore que ceux des savants. La diffusion à grande échelle d’une description de l’état des connaissances dans tous les domaines serait déjà une entreprise inédite et révolutionnaire. Inédite, car jusqu’ici on n’avait encore jamais mis à contribution, dans le même ouvrage et à dignité égale, les philosophes et les détenteurs d’un savoir proprement technique. Les dessinateurs des planches de l’Encyclopédie vont pénétrer dans les ateliers, sur les champs et les chantiers, et reproduire les outils et les procédés de fabrication de tout ce qui se produit. Révolutionnaire, car non seulement on sous-entend par là une subversion de la hiérarchie traditionnelle des connaissances, mais on procède de fait à la promotion des techniques au rang de savoir : les techniques ne sont plus seulement des savoir-faire transmissibles seulement par l’apprentissage. Par là, les Encyclopédistes tentent d’ouvrir en grand les portes de l’art : autrement dit, il n’est plus nécessaire désormais d’être introduit, parrainé, pour avoir accès au savoir, quel que soit son objet. L’Encyclopédie révolutionne les procédures habituelles de transmission des savoirs, dépossédant ainsi les « maîtres » de toutes sortes de leur pouvoir.

Mais elle se veut plus que cela. Les articles ont pour ambition de donner les « éléments » de ces savoirs, à partir desquels n’importe qui devient capable de produire à son tour des savoirs nouveaux. Pour les philosophes du dix-huitième siècle, toute science peut être reconstruite à partir de ses « éléments » : ce sont les quelques propositions fondamentales que l’on combine entre elles, celles dont on tire les conséquences les plus éloignées, et que l’on applique à des objets multiples. Le plus souvent, cet ordre logique selon lequel on peut exposer une science, depuis l’axiome fondamental jusqu’aux conséquences les plus éloignées, ne correspond pas à l’ordre historique de leurs progrès réel, mais c’est pourtant en le suivant qu’on progresse le plus rapidement et le plus sûrement. Les quelques propositions fondamentales de chaque art sont la base nécessaire et suffisante au progrès des arts et des sciences : l’Encyclopédie n’est pas qu’un projet de description statique, c’est aussi un projet dynamique qui, par une présentation ordonnée des savoirs (du plus simple au plus complexe ; du plus général au plus particulier ; du plus abstrait, c’est-à-dire du plus commun, au plus particulier et divers), contribue au mouvement historique du progrès des connaissances humaines. De ce point de vue, le progrès ne la rend pas caduque aux yeux de ses auteurs : les sciences et les techniques progressent, à partir des éléments tels qu’on les trouvera dans le texte. L’entreprise menée par Diderot est donc un inventaire dynamique et une organisation du savoir synonyme de progrès. C’est un point important : dans toute son œuvre philosophique, Diderot va travailler à partir de cette idée du progrès des individus et des sociétés, dans son lien à l’organisation du savoir et au développement des sciences.

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