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La trahison de la révolution russe a-t-elle commencé avec la signature des accords de Brest-Litovsk comme le prétendent les communistes de gauche tels Boukharine et Radek ?

21 juin 2012, 12:02

deuxième partie

IV
Le 18 février, nous avions appris le début de l’offensive allemande, Malgré cela, nous accomplîmes, chacun à son poste, notre tâche révolutionnaire quotidienne, avec une émotion intérieure profonde. Nous savions que chacun de nous aurait, à l’institut Smolny, ce soir-là ou dans la nuit, à répondre à la question décisive. Le soir tomba. Les commissaires, soucieux, se rencontrèrent dans la longue salle inondée de lumière et où régnait une atmosphère sérieuse. On commença à discuter les affaires courantes de l’État avec un peu de distraction, mais l’inquiétude muette nous guettait de tous les coins de la salle. Tard dans la nuit, cette inquiétude s’était condensée à ce point qu’on aurait presque pu la toucher du doigt. Nous reçûmes la nouvelle que les Allemands avaient occupé Dvinsk et qu’ils se trouvaient sur la ligne de Pskov, c’est- à-dire dans la direction de Petrograd. Il fallut interrompre immédiatement la séance des commissaires pour faire place aux Comités centraux des deux partis dirigeants, qui devaient fixer, séparément d’abord, puis ensemble, la politique à suivre dans le moment dangereux qui s’approchait. C’était la première fois depuis que nos deux partis collaboraient. Jusqu’alors les bolcheviks n’avaient jamais admis, et non sans cause, des étrangers à leurs mystères.
Les commissaires qui étaient membres des Comités centraux restèrent au Smolny. Quant aux autres membres, on essaya de les convoquer dans la nuit, de tous les coins de la ville où ils étaient dispersés. Les commissaires qui n’étaient que membres du gouvernement et non chefs de parti rangèrent leurs serviettes et commencèrent à s’en aller. Les bolcheviks passèrent dans une petite salle voisine pour délibérer. Nous restâmes dans la grande salle des séances qui ressemblait à ce moment à une salle de mariages abandonnée et vide. Les lampes brillaient comme auparavant et les longues tables de bois étaient encore chargées du souffle des hommes. Nous nous assîmes au coin d’une table. A cette heure grave, nous n’étions en tout que sept personnes appartenant au Comité central, au lieu de quinze : Spiridonova, Troutovski, Karéline, moi et quelques autres. Il avait été impossible de réunir un plus grand nombre de camarades si rapidement. Nous examinâmes la situation nouvelle dans une disposition d’esprit émue et confiante à la fois. Nous réfléchîmes en commun et nous convînmes qu’il ne fallait pas provoquer de panique ni prendre des décisions téméraires et extravagantes. Nous ne savions pas encore comment il faudrait agir au moment dangereux ; nous savions seulement comment nous ne pouvions pas agir. Nous ne pouvions pas proclamer une guerre, s’appelât-elle sainte, révolutionnaire ou de tout autre nom, car elle ressemblerait à l’offensive du 18 juin, à l’époque de Kerenski, et mènerait sûrement à la défaite de la révolution dans l’ordre matériel. Une guerre pourrait mobiliser les forces contre-révolutionnaires du pays et mettre entre leurs mains l’arme la plus parfaite pour l’agitation. Nous ne pouvions pas proclamer la guerre, après avoir décrété, le 10 février, la démobilisation à Brest-Litovsk. Nous ne pouvions pas tout simplement tuer des « Allemands ». Comme « État », nous ne pouvions pas organiser notre défense particulière... Nous ne pouvions pas non plus conclure une paix impérialiste, qui serait une défaite morale pour la révolution. Cela serait aussi étouffer le mouvement insurrectionnel en Allemagne et renforcer la contre-révolution dans notre pays. Pour cette raison, il serait désirable de ne pas contrecarrer l’attaque, mais de persister dans l’esprit du manifeste du 10 février. Les citoyens auraient évidemment le droit de faire une guerre volontaire, une guerre de partisans et nous une guerre officielle. Si les Allemands devaient marcher sur Petrograd, nous serions forcés de transporter le centre principal de la révolution à Moscou ou dans quelque autre ville. Ici, nous abandonnerions les palais, mais non l’âme de la révolution... Une tactique semblable provoquerait un soulèvement en Allemagne... Ce qui était clair, c’est que si nous concluions maintenant une paix séparée ou si nous déclarions une guerre sainte ; cela nous lierait les mains. Il serait préférable d’attendre les événements...
En peu de temps nous avions formulé notre opinion en sept points. Il faudrait d’abord tâcher de s’informer, par des sources dignes de confiance, s’il s’agissait, en effet, d’une attaque sérieuse. S’il n’y avait là qu’une opération stratégique de l’état-major, qui voulait renforcer sa position, il n’y avait pas lieu de faire du bruit à ce sujet. Si les informations sur l’attaque se trouvaient être exactes, il faudrait alors interpeller officiellement le gouvernement allemand sur les buts de l’attaque. Nous faisions cette proposition pour éviter des décisions rapides et humiliantes et pour donner au Comité exécutif soviétique le temps et les moyens d’examiner la situation. La résolution d’une guerre sainte ou d’une paix séparée ne devrait pas être proclamée avant l’arrivée de la réponse du gouvernement allemand. Même si l’armée allemande continuait à avancer dans le pays, il faudrait retirer de la lutte notre armée et notre marine.
Cependant, à ce moment même, le danger était assez grand. Pour cette raison, nous fîmes encore d’autres propositions. Il faudrait trouver immédiatement des moyens et des voies pour transporter le centre officiel du gouvernement soviétique de Petrograd à Moscou ou dans line autre ville. Petrograd devrait être débarrassé des éléments suspects. Il faudrait créer immédiatement un organe central composé de cinq camarades et comprenant trois bolcheviks et deux socialistes révolutionnaires de gauche, choisis dans le conseil des commissaires. Une séance fermée du Comité exécutif soviétique devrait être convoquée pour le lendemain.
La clôture de notre séance eut lieu vers deux heures du matin. Une inquiétude pesante régnait dans notre âme à côté d’une clarté lumineuse. Nous voyions le grand danger qui menaçait, mais nous entendions aussi les pas des grands événements qui retentissaient a notre porte. Le moment des sacrifices, de l’enthousiasme et des buts les plus sacrés était venu. Nous étions jeunes et l’héroïsme animait notre sang.
Nos résolutions étaient dès lors prêtes et nous attendîmes la séance commune avec les bolcheviks.

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