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Quand la Suisse était à l’avant-garde de la révolution anti-féodale en Europe

2 septembre 2013, 16:01

Le centre des formations militaires suisses consistait en hommes armés légèrement, équipés de haches longues ou courtes et de petites épées. Ils étaient entourés de plusieurs rangées de piquiers, dont le rôle était de battre en brèche les lignes des attaquants. Les arbalètes et, plus tard, les armes à feu jouaient un rôle mineur, car les Suisses cherchaient à engager aussi vite que possible un corps à corps avec l’ennemi : pour cela, il est évident que les hommes armés d’épées, de piques et de haches jouissaient d’un grand avantage. L’excellente coordination de leurs armes de combat rapproché conférait aux Suisses, sur le champ de bataille, la vigueur et la fermeté qui avaient toujours fait défaut aux troupes à pied de l’armée féodale au cours des siècles précédents. Face à une formation suisse, les cavaliers ennemis étaient arrêtés par les piques, et cela suffisait à empêcher ceux qui se trouvaient derrière eux d’avancer. Ceux que les chevaliers du Moyen Age appelaient avec mépris les "valets" (en Italie i fanti, d’où découle le mot "fantassin") constituèrent, avec la stratégie suisse, une "infanterie" à part entière, et celle-ci devint une "arme" aussi importante que les autres sur tous les champs de bataille d’Europe.

C’est grâce à elle que les Suisses affirmèrent leur indépendance. En 1231 et 1240, l’empereur Frédéric II exempta de toute charge féodale (sauf celles qui étaient dues directement à la couronne impériale) les cantons d’Uri et de Schwyz. Ceux-ci, rejoints par Unterwald, signèrent en 1291 au Grütli "l’alliance éternelle" par laquelle ils juraient de se soutenir mutuellement. Après la fin de la dynastie des Hohenstaufen, qui fut suivie d’un interrègne marqué par un certain désordre, Rodolphe de Habsbourg se fit élire roi d’Allemagne et ceignit la couronne du Saint Empire romain germanique. Cette ascension des Habsbourg représentait pour les Suisses une menace formidable. En 1315, ils réussirent à attirer dans une embuscade le duc Léopold de Habsbourg : celui-ci se trouva pris avec son armée féodale dans un étroit défilé surmonté des deux côtés par des rochers abrupts, à Morgarten, près du lac d’Aegeri et non loin du lac des Quatre-Cantons. Les Suisses déversèrent sur les forces des Habsbourg une avalanche de rochers ; Léopold avait eu l’imprudence de ne pas se faire précéder par une avant-garde et il tomba dans le piège. Une fois que les éboulements eurent joué leur rôle meurtrier, les Suisses descendirent et massacrèrent tous les survivants.

Si Morgarten fut un éclatant succès, ce n’était pas encore une véritable bataille d’infanterie ; mais le triomphe fut suffisant pour que Zurich, Zoug, Glaris, Berne et Lucerne adhérassent à la ligue. Systématiquement, les huit cantons entreprirent alors d’expulser les Habsbourg. Un autre Léopold, neveu de celui qui avait été défait à Morgarten, décida de prendre une revanche. Avec une armée de 4.000 hommes, il partit en guerre contre l’armée suisse, qui comptait alors quelque 6.000 soldats. Au lieu de se diriger, comme on s’y attendait, vers Zurich ou Lucerne, il avança le 9 juillet 1386 dans la direction de Sempach, une petite ville située à quelques kilomètres au nord de Lucerne, qui avait autrefois appartenu aux Habsbourg mais s’était jointe à la Confédération en même temps que Lucerne elle- même. Léopold de Habsbourg rassembla ses troupes près du lac de Sempach et mit le siège devant la ville, puis il alla à la rencontre des Suisses, qui apparurent, venant d’un sommet d’un monticule abrupt. Les chevaliers autrichiens mirent pied à terre et essayèrent de gravir la colline tandis que leurs arbalétriers tiraient sur les Suisses et leur causaient beaucoup de pertes. Le duc Léopold se lança lui-même dans la bataille, car il s’imaginait avoir en face de lui le gros des troupes suisses et il voulait en finir vite ; mais il ne s’agissait que d’une avant-garde, et le gros des forces suisses apparut soudain au nord, avançant rapidement et pénétrant dans le flanc de l’armée autrichienne. Le nom d’Arnold de Winkelried, qui dirigeait ce contingent et est censé s’être sacrifié pour ouvrir une brèche, est légendaire. Les chevaliers autrichiens qui avaient pied à terre furent littéralement balayés par la violence de l’attaque suisse ; Léopold et une grande partie de ses soldats furent tués sur-le-champ. Ainsi Sempach confirma ce que Courtrai avait démontré : l’infanterie pouvait vaincre la cavalerie féodale. Entre-temps, la bataille de Laupen (1339) avait prouvé que les formations en carré des Suisses pouvaient avoir raison de chevaliers. Embuscade meurtrière à Morgarten, victoire des fantassins sur les cavaliers à Laupen, victoire en terrain découvert sur une armée de chevalier à Sempach : les jours de la chevalerie médiévale étaient comptés.

Ayant ramené les Autrichiens à la raison, les Suisses reprirent l’offensive contre la Souabe et démontrèrent à nouveau que leur infanterie était invincible. Ce fut un moment décisif dans l’histoire militaire du Moyen-Age. Les Suisses reçurent une foule de propositions de la part des diverses puissances qui voulaient louer les services de leur soldats. La première levée de troupes qui eut lieu en Suisse pour répondre à une telle demande se fit en 1424 : la république de Florence offrait de payer 8.000 florins rhénans en échange des services de 10.000 hommes pendant trois mois. A la fin du siècle, le montant des offres s’était élevé à tel point que toute l’armée suisse se transforma en troupes mercenaires. Mais, à la différence des autres, les contingents suisses n’étaient pas composés de soldats de fortune ; ils venaient en droite ligne de leurs cantons et de leurs commune. A longue échéance, la saignée que représentait ce service pour les Suisses devint trop forte et la Confédération ne fut plus en mesure de la supporter.

Néanmoins, elle conserva la suprématie sur les champs de bataille de l’Italie septentrionale et de la Bourgogne pendant plus d’un siècle. Mais les Suisses négligèrent les nouveaux développements en matière d’armements et de méthodes de combat ; par exemple, ils remarquèrent à peine l’avènement de la cavalerie légère, l’amélioration des mousquets et la mobilité accrue de l’artillerie de campagne.

Ils s’en tenaient obstinément à leurs anciennes méthodes. Avec 10.000 ou 15.000 piquiers, ils étaient prêts à attaquer n’importe quel effectif de cavalerie ; et ils y réussirent en effet jusqu’au jour où ils se heurtèrent aux lansquenets, qui, eux, avaient fait la synthèse des techniques suisses et des récents développements militaires que les Suisses avaient ignorés. Les lansquenets, par exemple, n’avaient aucune objection contre la guerre d’usure que pratiquaient leurs commandants et que les Suisses refusaient de mener. Lors des combats entre Charles Quint et François ler pour la possession de la Lombardie, les Suisses abandonnèrent purement et simplement le champ de bataille parce qu’ils étaient las des manœuvres perpétuelles des deux armées conformément à leur tradition, ils attendaient un engagement décisif pour en finir ; celui-ci ne se produisant pas, ils quittèrent la partie.

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