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Comment éviter de se retrouver avec des nanoparticules dans les produits que vous utilisez ?

3 octobre 2015, 21:46

Alimentation, textile, cosmétique, médicament, bâtiment, automobile… Protégées par les lobbies industriels, avançant masquées au mépris des consommateurs depuis une trentaine d’années, les nanoparticules ont envahi notre environnement. Or la toxicité et les effets délétères sur la santé de ces nouvelles molécules sont avérés. Roger Lenglet, journaliste d’investigation, tire la sonnette d’alarme.

Alternative Santé : vous affirmez à propos des nanoparticules qu’il s’agit de l’un des plus gros scandales sanitaires ayant jamais existé. Pourtant, ni les médias ni l’opinion publique ne semblent s’en émouvoir. Pourquoi ?

Roger Lenglet : Depuis les années 1980, les industriels inondent les marchés de nanoparticules, sans contrôle ni traçabilité, avec le soutien quasi unanime des politiques. En 2004, un rapport du Sénat exige noir sur blanc de ne pas divulguer au grand public l’utilisation généralisée des nanomatériaux, afin d’éviter tous risques de boycott. Les nanoparticules sont des molécules « fantômes », dissimulées aux yeux du grand public. Dans l’immense majorité, elles n’apparaissent pas dans l’étiquetage. Il est donc presque impossible de savoir si un produit en contient.

En raison d’un intense travail de lobbying, elles échappent aussi à la réglementation européenne Reach, obligeant toutes nouvelles substances à subir des tests toxicologiques avant d’être commercialisées. Or leurs effets délétères sur la santé sont avérés par de nombreuses études. On est ici dans une pure logique financière, car les enjeux économiques sont considérables. C’est un secteur qui croît de manière exponentielle, qui se chiffre en milliers de milliards de dollars et reçoit le soutien des pouvoirs publics via d’importantes subventions.

A. S. En quoi les nanoparticules intéressent autant les industriels ?

R. L. Ces molécules high-tech ultra-petites, de l’ordre du nanomètre, sont fabriquées par des procédés industriels complexes. On « bricole » les atomes. Soit on les associe entre eux un à un – on parle de technique de bottom-up –, soit on réduit la matière par des processus de top-down. De par leur très petite dimension, elles sont douées de particularités physiques et chimiques inédites, conférant aux produits des qualités de résistance, de conservation, de légèreté, de souplesse, de texture, de finesse…

Dans le sel de table raffiné, par exemple, le nano-aluminium lui donne sa pulvérulence. Elles sont aussi utilisées pour élaborer des farines antigrumeaux. Dans les pansements, le nano-argent est antibactérien. Dans les yaourts, le nanodioxyde de titane accentue leur blancheur. Les nanomatériaux offrent des possibilités exceptionnelles à un moindre coût. De plus, une fois la nanoparticule créée, elle peut appartenir à la firme.

Elle est alors protégée par le secret industriel. Comme on déplore le brevet sur le vivant et Monsanto, on peut se désoler ici d’un scandaleux brevet sur la matière ! À leur manière, en jouant aux apprentis sorciers, les industriels, avec leurs nanotechnologies, sont en passe de faire exploser le bon vieux tableau des éléments chimiques de Mendeleïev.

A. S. Est-ce justement cette très petite taille des nanoparticules qui les rend dangereuses du point de vue de la santé ?

R. L. Elles sont si petites qu’elles pénètrent facilement tous les organismes fongiques, végétaux, animaux, microbiens… Chez l’homme, elles franchissent les barrières naturelles comme la peau, le système gastro-intestinal, le nerf olfactif, le placenta ou la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau. Inhalées ou par contact, elles passent dans le sang, atteignent les organes, rentrent dans les cellules. On a même retrouvé des brins d’hélices d’ADN enroulés autour de nanoparticules. Elles peuvent aussi s’agréger entre elles, ce qui les rend généralement plus agressives, ou alors se combiner avec d’autres toxiques afin de déjouer les barrières naturelles.

Ce « tourisme » dans l’organisme cause des dommages irréversibles, très bien documentés depuis les années 2000. Nombre d’études ont mis en avant leurs effets cancérigènes, cytotoxiques, neurotoxiques, mutagènes et leur implication dans certains cancers, les maladies neurodégénératives, auto-immunes, cardiaques, respiratoires, inflammatoires… Pa­ra­doxa­le­ment, et c’est ce qui est très impressionnant avec les nanoparticules, c’est leur taille minuscule qui les rend redoutables. Plus elles sont petites, plus la surface de contact et d’échange biochimique avec l’environnement est importante, et plus elles sont toxiques.

A. S. La question complexe de la taille et de la définition de la nanoparticule se trouve actuellement au cœur de l’imbroglio réglementaire européen empêchant leur contrôle…

R. L. D’un point de vue scientifique, une nanoparticule se situe de l’échelle de 0 à 1 000 nanomètres (nm). Elle peut être artificielle, émise lors de fumées industrielles, ou naturelle, issue de l’activité volcanique. Hélas, la définition officielle ne retient que les particules entre 0 et 100 nm. Au-delà, elles ne sont plus reconnues comme des nanoparticules, à l’image des fibres d’amiante ou des particules de Diesel, très toxiques.

De plus, réglementairement, on ne retient que les nanoparticules « intentionnellement créées », ce qui exclut celles émises par les gaz d’échappement, pourtant en lien avec l’industrie. Enfin, rappelons que les PUF (particules ultrafines), qui sont de dimension nanométrique, posent exactement les mêmes problèmes de toxicité. Toutes ces nuances permettent aux lobbyistes de rendre le dossier des nanoparticules filandreux, et ce, afin d’empêcher une vraie réglementation protégeant les consommateurs.

A. S. Comment se prémunir contre les nanoparticules ?

R. L. Malheureusement, c’est devenu quasiment impossible. Les nanoparticules ont envahi notre environnement. On les retrouve dans beaucoup de produits issus de la métallurgie, de la plasturgie, du secteur automobile, de l’informatique, de l’alimentaire, du BTP, du textile, de la cosmétique, du médical… Elles sont absolument partout, sans que le public le sache dans la plupart des cas ; et dans leur immense majorité, elles sont toxiques.

Aujourd’hui, il est impossible de ressortir d’un supermarché sans avoir des nanoparticules dans son caddie. Hormis une réglementation récente obligeant l’étiquetage sur les produits cosmétiques (sur l’étiquette, le matériau utilisé est suivi de la mention [nano], comme le dioxyde de titane, très utilisé dans les crèmes solaires) – mais très peu respectée jusqu’à présent –, on ignore leur présence. Le meilleur­ moyen de se protéger consiste à fuir les produits aux « super-propriétés » de désinfection, de conservation, d’imperméabilité, de résistance, d’onctuosité, de texture innovante… Acheter bio n’est pas toujours une garantie en soi. Notons que le label AB s’est doté d’une charte éthique de non-utilisation de nanoparticules. Il faut privilégier les circuits courts, la fabrication artisanale, se renseigner sur la composition et l’origine des produits utilisés.

A. S. Y a-t-il des raisons d’espérer que la réglementation progresse, permettant plus de transparence sur les nanoparticules ?

R. L. Une prise de conscience se fait. L’OMS a appelé en 2013 à l’application du principe de précaution. Les députés européens Verts Michèle Rivasi et José Bové – qui a publiquement dénoncé la présence de nanoparticules de dioxyde de titane (E171) dans des friandises telles que les M&M’s, les chewing-gums Hollywood et les Mentos – montent au créneau pour contrer le lobbying industriel. On peut espérer que l’imbroglio autour de l’étiquetage des produits alimentaires – qui devait déjà être effectif l’année dernière – va se terminer.

Cela constituerait une avancée importante pour les consommateurs. La France a mis en place une obligation de déclaration du recours aux nanoparticules aux autorités depuis 2013. Il y en a eu 3 000 pour 2014. C’est un début encourageant, mais très incomplet. Les données concernant les nanotubes de carbone, par exemple présents dans les emballages alimentaires, les crèmes cosmétiques ou les articles de sport, et susceptibles de provoquer des cancers de la plèvre ne sont toujours pas accessibles au public.

La situation est si opaque qu’on est aujourd’hui incapables de tracer précisément les nanomatériaux. Ils sont cachés partout. La gestion du risque est devenue telle que seule la solution d’un moratoire ou d’une interdiction globale semble envisageable, à l’image de ce qui a été fait pour l’amiante.

A. S. Et le consommateur, a-t-il un rôle à jouer ?

R. L. Le pouvoir du consommateur est immense, mais il ne le sait pas. Il peut agir en se renseignant, en se mobilisant, en interpellant son député, son sénateur ou le maire sur ces questions. Et bien sûr, en choisissant mieux les produits qu’il achète. Les marges des industriels sont si faibles que même un faible pourcentage de consommateurs actifs peut suffire à les faire vaciller. On l’a vu pour les OGM. C’est possible pour les nanoparticules. Une chose est sûre, comme le disent certains responsables sanitaires, il faut faire vite, car dans dix ans, il sera trop tard !

Roger Lenglet, philosophe et journaliste d’investigation, membre élu de la Société française d’histoire de la médecine (SFHM), est l’auteur de nombreux ouvrages sur le lobbying en santé publique et la corruption.

On lui doit notamment :

« Mon combat contre les empoisonneurs » en 2005 (Éd. La Découverte), avec André Aschieri, ancien vice-président de l’Afsset (devenu l’Anses),

« Menaces sur nos neurones » en 2011 (Éd. Actes Sud), avec la biologiste Marie Grosman,

« Syndicats : corruption, dérives, trahisons » avec Jean-Luc Touly
(Éd. First),

« Les recasés de la République » en 2015 avec Jean-Luc Touly (Éd. Broché)

« Nanotoxiques, une enquête » en 2014 (Éd. Actes Sud).

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