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Discussions avec Léon Trotsky

16 décembre 2014, 17:56, par Robert Paris

" EST-IL VRAI QUE VOUS VOULIEZ INTRODUIRE LA JOURNEE DE TRAVAIL DE DIX HEURES ? "

Non, camarades, ce n’est pas vrai. Bien que ce soit une nouvelle répandue par les mencheviks et les S.-R. de droite, c’est néanmoins un mensonge. Il est apparu de la manière suivante ; à l’un des meetings, j’ai dit " Evidemment, si nous travaillions tous maintenant consciencieusement huit heures par jour, comme on doit le faire, et si nous mettions au harnais la bourgeoisie elle aussi, et ceux qui nous détruisaient hier, selon le strict principe du service du travail, nous pourrions élever la prospérité de notre pays à un très haut niveau dans un laps de temps très court. Il est nécessaire, ai-je dit, de développer parmi nous le sentiment de notre responsabilité pour le destin de tout le pays, et de travailler de toutes nos forces, sans repos ni hâte, comme dans une famille, par exemple, où on ne se querelle pas à propos du travail à faire. Si c’est une bonne, une honnête famille, ses membres ne diront pas : " Aujourd’hui, j’ai travaillé plus que toi." Si un membre de la famille a plus de force, il travaillera plus dur. En même temps, chacun travaille de telle façon que, si c’est nécessaire, il travaillera même parfois seize heures par jour, puisqu’il ne travaille pas pour un maître, pour un capitaliste, mais pour lui-même. Voilà comment naquit l’affirmation, que je voulais substituer la journée de travail de dix ou même de seize heures à celle de huit heures. C’est une absurdité pure et simple. Nous disons : cela n’est pas nécessaire. Cela suffira si nous pouvons établir, par les syndicats et les soviets, une discipline assez ferme pour que chacun travaille huit heures – en aucun cas davantage, et même le plus tôt possible sept heures – et que le travail soit vraiment fait consciencieusement, c’est-à-dire que chaque parcelle de temps de travail soit réellement remplie de travail, que chacun sache et se souvienne qu’il travaille pour une association commune, pour un fonds commun – voilà vers quoi tendent nos efforts, camarades.

On me demande ensuite :

" VOUS VOUS PROCLAMEZ COMMUNISTES-SOCIALISTES ET POURTANT VOUS FUSILLEZ ET VOUS EMPRISONNEZ VOS CAMARADES, LES COMMUNISTES-ANARCHISTES ? "

C’est une question, camarades, qui exige réellement d’être élucidée – une question sérieuse sans aucun doute. Nous, communistes-marxistes, sommes profondément en désaccord avec la doctrine anarchiste. Cette doctrine est erronée, mais ceci ne saurait en aucune façon justifier des arrestations, des emprisonnements, sans parler même des exécutions.

J’expliquerai d’abord en quelques mots où réside l’erreur de la doctrine anarchiste. L’anarchiste déclare que la classe ouvrière n’a pas besoin du pouvoir d’État ; que ce dont elle a besoin, c’est d’organiser la production. Le pouvoir d’Etat, dit-il, est un service bourgeois. Le pouvoir d’Etat est une machine bourgeoise, et la classe ouvrière ne doit pas la saisir entre ses mains. C’est une conception complètement fausse. Quand on organise la vie économique dans un village, ou plus généralement dans de petits territoires, aucun pouvoir d’Etat n’est en effet requis. Mais quand on organise un système économique pour la Russie tout entière, pour un grand pays – et malgré ce qu’on nous a volé, nous sommes encore un grand pays – on a besoin d’un appareil d’Etat, un appareil qui était jusque là dans les mains de la classe hostile qui exploitait et volait les travailleurs. Nous disons : afin d’organiser la production d’une manière nouvelle, il est nécessaire d’arracher l’appareil d’Etat, la machine gouvernementale des mains de l’ennemi et de nous en saisir. Autrement, nous n’arriverons à rien. D’où vient l’exploitation, l’oppression ? Elle vient de la propriété privée des moyens de production. Et qu’est-ce qui combat pour elle, qu’est-ce qui la soutient ? L’Etat, aussi longtemps qu’il est aux mains de la bourgeoisie. Qui peut abolir la propriété privée ? L’Etat, aussitôt qu’il tombe aux mains de la classe ouvrière.

La bourgeoisie dit ; ne touchez pas à l’Etat – c’est un droit héréditaire sacré des classes " éduquées ". Et les anarchistes disent : n’y touchez pas – c’est une invention infernale, une machine du diable, n’en approchez pas. La bourgeoisie dit : n’y touchez pas – c’est sacré ; les anarchistes disent : n’y touchez pas – c’est maudit. Les uns et les autres disent : n’y touchez pas. Mais nous, nous disons : nous ne ferons pas que le toucher, nous en prendrons possession et nous le ferons fonctionner pour nos intérêts, pour l’abolition de la propriété privée, pour l’émancipation de la classe ouvrière.

Mais, camarades, aussi fausse que soit la doctrine des anarchistes, il est parfaitement inadmissible de les persécuter pour cela. Beaucoup d’anarchistes sont des champions de la classe ouvrière parfaitement honnêtes seulement, ils ne savent pas comment on peut ouvrir la serrure, comment ouvrir la porte du royaume de la liberté, et ils s’agglutinent à la porte, se donnant des coups de coudes les uns aux autres, incapables de deviner comment on tourne la clef. Mais c’est là leur malheur ; pas leur faute – ce n’est pas un crime, et ils ne doivent pas être punis pour cela.

Mais, camarades, pendant la période de la révolution, – chacun le sait et l’idéaliste anarchiste honnête mieux que tout autre – toutes sortes de voyous, de gibiers de prison, de voleurs et de bandits de grand chemin se sont rassemblés sous le drapeau de l’anarchisme. Hier encore, l’homme purgeait sa peine de travaux forcés pour viol, ou de prison pour vol, ou était déporté pour banditisme, et aujourd’hui il déclare : " Je suis anarchiste – membre des clubs le " Corbeau ", la " Tempête ", l’ " Orage ", la " Lave ", etc...", de nombreux noms, de très nombreux noms.

Camarades, j’en ai parlé avec des anarchistes idéalistes, et eux-mêmes disaient : " Beaucoup de ces gibiers de prison, de ces voyous et de ces criminels se sont introduits dans notre mouvement... "

Vous savez tous ce qui se passe à Moscou. Des rues entières sont contraintes de payer tribut. Des immeubles sont saisis par dessus la tête des soviets, des organisations ouvrières, et il arrive également que lorsque le soviet occupe un bâtiment, ces voyous, sous le masque de l’anarchisme, entrent de force dans l’immeuble, installant des mitrailleuses, saisissent des autos blindés et même de l’artillerie. De gros butins, des tas d’or ont été découverts dans leurs repaires. Ce ne sont que des pillards et des cambrioleurs qui compromettent les anarchistes. L’anarchisme est une idée, bien que fausse, mais le banditisme est le banditisme ; et nous disons aux anarchistes : vous devez tracer une ligne stricte entre vous et ces bandits, car il n’y a pas de plus grand danger pour la révolution ; si elle commence à dépérir en un point quelconque, tout le tissu de la révolution s’en ira en morceaux. Le régime des soviets doit être d’une texture solide. Nous n’avons pas pris le pouvoir pour piller comme des bandits de grand chemin, mais pour établir une discipline de travail commune et une vie de travail honnête.

Je maintiens que les autorités soviétiques ont agi de façon parfaitement correcte lorsqu’elles ont dit aux pseudo-anarchistes : " N’imaginez pas que votre règne est venu, n’imaginez pas que le peuple russe ou l’Etat soviétique est devenu une charogne sur laquelle les corbeaux se posent pour la déchirer à coups de bec. Si vous voulez vivre avec nous sur la base des principes de travail commun, alors, soumettez-vous avec nous à la discipline soviétique commune de la classe travailleuse, mais si vous vous mettez en travers de notre chemin, alors ne nous blâmez pas, si le gouvernement du travail, le pouvoir soviétique vous traite sans mettre de gants. "

Si les pseudo-anarchistes ou, pour être plus clair, les voyous essayent dans l’avenir d’agir de la même façon, le second châtiment sera trois fois, dix fois plus sévère que le premier. On dit que parmi ces voyous, il y a quelques anarchistes honnêtes ; si c’est vrai – et cela semble vrai en ce qui concerne certains – alors c’est un grand malheur, et il est nécessaire de leur rendre leur liberté aussi vite que possible. Il est nécessaire de leur exprimer nos regrets sincères, mais de leur dire en même temps : camarades anarchistes, afin que de telles erreurs ne se reproduisent pas à l’avenir, vous devez mettre entre vous et ces voyous une sorte de barrage, une ligne rigide, afin que vous ne soyez pas mélangés les uns avec les autres, que l’on puisse savoir une fois pour toutes : celui-là est un cambrioleur, et celui-ci un honnête idéaliste...

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